Le Parti de gauche (PdG) a tenu son 4e congrès à Villejuif du 3 au 5 juillet 2015, au moment du référendum appelé par le gouvernement Syriza-ANEL en Grèce. Revendiquant 12 000 militants au précédent, il en aurait perdu depuis, officiellement, 2 000.
Un parti réformiste et social-chauvin dès l’origine
Le PdG a été lancé en 2008, à partir d’une scission réduite du PS menée par Jean-Luc Mélenchon, formé à l’ex-OCI lambertiste, franc-maçon, admirateur indéfectible de Mitterrand, ancien ministre du gouvernement Jospin, sénateur. Le PdG rassemble, outre des élus du PS, des bureaucrates syndicaux de la CGT et de la FSU, des recyclés de l’organisation protectionniste ATTAC, des déçus du PCF ou du NPA, des anciens de l’ex-OCI-PCI en quête d’un parti social-démocrate de gauche… Il adopte d’emblée un programme bourgeois, dont la rhétorique « républicaine » et « citoyenne » parodie celle, déjà illusoire, de la bourgeoisie du temps où elle était encore progressiste.
L’égalité de la bourgeoisie, l’abolition des privilèges de classes, est très différente de celle du prolétariat, l’abolition des classes elles-mêmes. (Engels, Anti-Dühring, 1877)
D’où les références multiples à une révolution française falsifiée et édulcorée, vidée de toute violence révolutionnaire. La « révolution citoyenne » (sic) du PdG et du PCF remplace la prise de la Bastille, la mobilisation des sans-culottes et la guerre des Jacobins contre la réaction intérieure et extérieure par des espoirs pacifistes et fallacieux dans les urnes et les bulletins de vote. Or, en 1944, les libertés démocratiques ont été reconquises par le peuple en armes. Déjà, en 1848, il avait fallu que le prolétariat fût armé pour arracher la République.
Lamartine contesta aux combattants des barricades le droit de proclamer la République, disant que seule la majorité des Français avait qualité pour le faire ; qu’il fallait attendre leur vote, que le prolétariat parisien ne devait pas souiller sa victoire par une usurpation. Mais, cette fois, les ouvriers étaient résolus à ne plus tolérer un escamotage semblable à celui de juillet 1830. Ils étaient prêts à engager à nouveau le combat et à imposer la République par la force des armes. C’est avec cette mission que Raspail se rendit à l’Hôtel de ville. Au nom du prolétariat parisien, il ordonna au Gouvernement provisoire de proclamer la République… (Marx, Les Luttes de classe en France, 1850)
Le PdG participe du désarmement des travailleurs par la démocratie bourgeoise et préconise le renforcement de l’appareil répressif de l’État bourgeois.
Nous devons impérativement stopper la baisse des effectifs de la police et recruter. (L’Humain d’abord, Librio, 2011)
Le crétinisme électoral des cadres du PdG s’est étalé au 4e congrès.
Dans un week-end marqué par le référendum en Grèce, le Parti de Gauche réunit ses 550 délégués, à Villejuif… A 26 ans, Andréa Kotarac est chef de file du PG à Lyon métropole pour les régionales. Pour lui, la voie à suivre est celle du premier ministre grec : « Tsipras établit un réel rapport de force avec ce référendum. Il gagné le combat et ce qui se passe en Grèce va faire tâche d’huile ». (Libération, 4 juillet 2015)
Ennemi de Merkel, pas de Dassault
L’idéologie hétéroclite du PdG combine, à cette tradition franc-maçonne, deux emprunts à la bourgeoisie en déclin : le charlatanisme keynésien qui prête à l’État national la capacité de sauver le capitalisme ; l’écologisme politique qui sert à culpabiliser les individus ou à mettre en cause la science et la technique, alors que les dégâts commis à l’environnement, surtout commis dans les pays dominés, découlent non du « productivisme » mais du capitalisme, au premier chef des groupes capitalistes des pays impérialistes comme la France.
Le contenu politique de l’opportunisme et du social-chauvinisme est identique : c’est la collaboration des classes, la renonciation à la dictature du prolétariat, à l’action révolutionnaire, la reconnaissance sans réserve de la légalité bourgeoise, le manque de confiance dans le prolétariat, la confiance dans la bourgeoisie. (Lénine, L’Opportunisme et la faillite de la 2e Internationale, janvier 1916)
La sortie de l’euro et de l’Union européenne (UE) sera réactionnaire si elle n’est pas la conséquence de la révolution sociale, accompagnée du mot d’ordre des États-Unis socialistes d’Europe. Le désespoir des fractions les plus archaïques de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie est exprimé politiquement par les partis bourgeois MRC, DlF, MpF, FN… Elle est relayée par une fraction significative des agents de la bourgeoisie au sein du prolétariat et de la jeunesse. L’europhobie du PCF, le PdG, le POI, la direction de la CGT, celle de FO, celle de la FSU… divise et désoriente tout autant les travailleurs que l’acceptation de l’Europe des capitalistes par l’autre aile de l’opportunisme et du social-chauvinisme : le Parti socialiste (PS), la direction de la CFDT, celle de l’UNSA…
L’ennemi principal est dans notre propre pays. (Liebknecht, Tract, mai 1915)
Pour le Parti de gauche, le principal ennemi, ce sont les capitalismes qui concurrencent le sien et surtout la bourgeoisie allemande qui l’emporte largement en Europe depuis la réunification de 1989 et le rétablissement du capitalisme en Europe de l’Est.
Ils ont annexé un pays la RDA. Cette méthode, ils l’ont ensuite appliquée à toute l’Europe, et maintenant c’est à nous qu’ils veulent l’appliquer. (Mélenchon, Le Hareng de Bismarck, le poison allemand, Plon, 2015)
Rompre avec le poison allemand est donc une exigence nationale, populaire, sociale et philosophique pour le camp du progrès humain et la lutte contre le productivisme. (Mélenchon, Le Hareng de Bismarck)
Mélenchon reprend la tradition anti-« boche » de la sociale-démocratie de 1914 à 1918 et du stalinisme à partir de 1941. C’était le reflet de l’attitude de la majorité de la bourgeoisie française incarnée par le 2nd Empire et le 3e République de 1852 à 1940, maintenue après la défaite de l’impérialisme français par le général De Gaulle, son CNR et son GPRF. Ce n’est qu’en 1952 que la 4e République, pour fonder la CECA puis la CEE (renommée UE en1992), a tendu la main à la bourgeoisie voisine, dont les États-Unis avaient rétabli l’État et l’économie, mais dont la puissance militaire et l’influence internationale étaient considérablement abaissées par la défaite de 1945.
Nous autres, internationalistes révolutionnaires, sommes des ennemis beaucoup plus dangereux pour la réaction allemande que tous les gouvernements de l’Entente [entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie durant la 1e Guerre mondiale]. En effet, leur hostilité contre l’Allemagne n’est qu’une simple rivalité de concurrents tandis que notre haine révolutionnaire contre sa classe dirigeante est irréductible. (Trotsky, Lettre ouverte à Guesde, octobre 1916)
Mélenchon est plus complaisant envers Serge Dassault, le capitaliste et sénateur UMP-LR : « un grand industriel », dit-il, dans un langage qui n’a rien à envier à Hollande, Valls ou Macron. À croire que quand l’actionnaire principal et PDG d’un grand groupe capitaliste lié étroitement à l’État bourgeois, fabriquant et vendant des avions de luxe et des instruments de destruction, est français, il n’est pas « productiviste ».
Pendant un temps, l’appareil du PdG s’est bercé d’illusions en misant sur la faconde de son chef et le détournement de l’aspiration à l’unité ouvrière dans un mini-front populaire, le Front de gauche. Celui-ci est un bloc d’organisations d’origine ouvrière avec des débris bourgeois issus de l’écologisme politique ou du MRC, le parti « souverainiste » dont le déclin profite aussi à DlF et au FN (parmi les transfuges du MRC au FN, figurent Florian Philippot et Bertrand Dutheil de La Rochère).
Le Front de gauche a réussi à s’élargir, sur sa droite, à EELV après son départ du gouvernement, en particulier aux municipales, et, sur sa gauche, au NPA dans sa campagne de soutien à la politique de Syriza, à LO et au NPA, lors de sa campagne pour une « révolution fiscale » (sic).
Les racines de la crise du Front de gauche
Mais le PdG peine à trouver une place entre les deux partis ouvriers bourgeois traditionnels, le PS et le PCF. Le PdG ne pèse pas grand-chose à côté de ces deux grosses machines à exploiter politiquement les travailleurs, malgré le reflux actuel de l’électorat du PS (comme à chaque fois qu’il gouverne) et la poursuite du déclin historique du PCF (que l’éloignement, temporaire, du pouvoir ne peut que ralentir).
Le mini front populaire Front de gauche est malade, sinon moribond, car il se distingue mal tantôt du PS, tantôt du FN. Le protectionnisme du FN est délirant mais clair : il se prononce pour l’abandon de l’euro et la sortie de l’UE. Le parti raciste ne peut être contré sur terrain du nationalisme, mais seulement en défendant des mesures ouvrières radicales, la révolution sociale, un gouvernement des travailleurs du type Commune de Paris de 1871 et pouvoir des soviets de 1917. Or, les partis ouvriers bourgeois (le PS, le PdG et le PCF) en sont incapables, car cela signifierait l’affrontement à la bourgeoisie française. La supériorité oratoire de Mélenchon n’a donc pas suffi, face à Le Pen, à Hénin-Beaumont le 11 juin 2012.
À 20 h 15, les résultats définitifs d’Hénin-Beaumont tombent. Mme Le Pen y fait son meilleur résultat et frôle les 50 % des voix… M. Mélenchon, 21,48 % qui ne sont cependant pas suffisants pour lui permettre de se qualifier pour le second tour. Il est devancé par M. Kemel [PS], qui termine avec 23,50 % des suffrages. L’abstention s’élève à 42,88 %. (Le Monde, 11 juin 2012)
Loin d’en tirer les leçons, le PdG et le PCF ont soutenu de fait l’intervention impérialiste au Mali en 2013. Tout le Front de gauche a participé à l’unité nationale décrétée par Hollande et Valls en janvier 2015 avec le Medef et Sarkozy. Il a défendu le budget de l’armée impérialiste et de guerre civile avec le PS, l’UDI, LR et le FN. Il s’est rallié à Poutine comme une partie de LR, DlF, le MpF et le FN. Le PCF, le PdG, Ensemble et le NPA ont appuyé à fond la Syriza de Grèce, parce qu’ils préparent le même genre d’alliance et de politique, débouchant sur les mêmes trahisons des travailleurs. Mélenchon a d’ailleurs réaffirmé au sortir du congrès que les travailleurs grecs devaient bien rembourser la dette de leur bourgeoisie envers l’impérialisme français, même s’il fallait leur laisser un peu de temps.
On doit arriver à un moratoire sur la dette grecque, peut-être un délai de grâce, une période pendant laquelle on ne paie pas, pour que les gens reprennent leur souffle. (Mélenchon, Intervention au meeting de soutien à Syriza, 5 juillet 2015)
En plus, le Front de gauche se divise, car le PCF, pour conserver ses élus, a maintenu ses alliances électorales avec le PS alors que le PdG s’y refuse, tout en pactisant sans scrupule avec EELV, un parti totalement étranger à la classe ouvrière.
« Le PC, quand je vois où ils en sont rendus aujourd’hui, ils nous ont trahis », regrette Claude Biardeau, co-secrétaire PG à Cholet. « Ils sont trop dépendants du PS, ils privilégient leurs postes, les élus. Ils ne sont pas dignes d’un grand parti révolutionnaire. » Mais difficile de se passer de la force de frappe des alliés communistes, rappelle Pascal Gatty, délégué PG en Moselle : « Ils ont un gros appareil militant déjà constitué, pas nous, ce serait donc dommage de se battre sans eux. » (Libération, 4 juillet 2015)
La paralysie du Front de gauche et la concurrence du FN sur le terrain du protectionnisme et du nationalisme expliquent l’affaiblissement du PdG, ainsi que le détachement grandissant de Mélenchon vis-à-vis de son propre parti. Moins de 3 500 membres (sur les 10 000 revendiqués par la direction) ont voté lors de la préparation du congrès. En plus, 55 % seulement ont ratifié l’orientation de la direction.
La fuite en avant dans l’électoralisme et le nationalisme
Déjà, voici un an, quelques mois après le 3e congrès qui l’avait désigné co-président, Mélenchon a abandonné brutalement la direction du PdG. Il a lancé alors, sans ses partenaires du Front de gauche, un « mouvement » pour une nouvelle république bourgeoise.
L’été dernier, M. Mélenchon avait fait part de sa volonté de prendre du champ et avait quitté la coprésidence du parti. Dans la foulée, le PG mettait sur orbite le Mouvement pour la VIe République (M6R) dont l’objectif était de lancer un mouvement national sur le sujet. Les yeux rivés sur l’exemple de Podemos, M. Mélenchon vantait désormais « l’ère du peuple » et jugeait les structures partidaires, comme celles du Front de gauche dépassées. Un an plus tard, les rapports avec le PCF sont tout compliqués, le M6R peine à décoller… (Le Monde, 5 juillet 2015)
Mélenchon s’est présenté, quelques jours avant le 4e congrès, avec une grande désinvolture pour la base, comme candidat pour la présidentielle de 2017. Il a laissé de nouveau la direction officielle à d’autres, en l’occurrence à Danielle Simonnet, ancienne du PS et du cabinet du ministre Mélenchon, et à Eric Coquerel, formé à l’ex-LCR et ancien secrétaire national du MRC.
Les deux textes soumis aux membres du PdG rivalisaient dans le chauvinisme, le texte ayant recueilli 45 % des voix de la base se prononçant même pour la sortie immédiate de l’euro. En politicien réformiste aguerri, Mélenchon, qui oscille depuis des années sur la question de l’euro, en tint compte pour conclure le congrès.
La crise a été provoquée de façon délibérée par l’Eurogroupe et par le gouvernement CDU-CSU de Mme Merkel avec la complicité stupide du président de notre pays… Nous voulons une monnaie au service des êtres humains et pas l’inverse. Si l’Europe n’en veut pas, nous nous passerons de votre monnaie. (Mélenchon, Discours de clôture, 5 juillet 2015)
Les exploités en France, en Europe et dans le monde n’ont pas besoin d’un nouveau parti réformiste et social-impérialiste. Ils ont besoin d’un parti ouvrier révolutionnaire et d’une internationale ouvrière révolutionnaire pour préparer le renversement du capitalisme, le gouvernement ouvrier, le pouvoir des travailleurs, les États-Unis socialistes d’Europe.
Il faut cesser de regarder en arrière, vers l’utopie réactionnaire d’un capitalisme non impérialiste, mais s’orienter en avant, vers la révolution socialiste du prolétariat. (Lénine, A propos du programme de la paix, mars 1916)