En France comme en Grèce, on ne peut avancer si l’on craint d’aller au socialisme

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Peut-on aller de l’avant si l’on craint d’aller au socialisme ? (Lénine, La Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, 14 septembre 1917)

Alors que le peuple grec est depuis 2009 soumis à une paupérisation sans précédent, avec une baisse moyenne des salaires réels de 38 %, un chômage à 27 % et à plus de 50 % pour les jeunes, des services publics en lambeaux, la victoire de Tsipras et de son parti, la Syriza, aux élections du 25 janvier a suscité l’intérêt de nombre de travailleurs et de jeunes partout en Europe et au-delà.

En effet, Syriza avait laissé croire qu’elle allait en finir avec l’austérité, en finir avec la dette, augmenter les salaires, réembaucher les fonctionnaires licenciés, arrêter les privatisations, etc. Au soir de la victoire électorale, Tsipras déclarait devant la foule rassemblée « la Grèce tourne une page, la Grèce abandonne l’austérité catastrophique ». Mais il n’aura pas fallu longtemps pour que la Syriza renie tous ses engagements.

La solidarité ouvrière avec le peuple grec exige en premier lieu de combattre en France pour exiger l’annulation pure et simple des quelques 40 milliards de la dette grecque détenue par l’impérialisme français. Mais le prolétariat et la jeunesse doivent également tirer les leçons politiques de ce qui se déroule sous leurs yeux en Grèce pour mener le combat en France : l’inefficacité des « journées d’action » à répétition, les limites du parlementarisme, les dangers mortels de la division des rangs ouvriers et de l’alliance avec la bourgeoisie…

Les journées d’action contre la grève générale

Le mécontentement de la population a été canalisé pendant 6 longues années par les élections organisées par la classe dominante (septembre 2007, octobre 2009, mai 2012, juin 2012) avec le soutien des partis ouvriers bourgeois (Syriza, KKE, Dimar). Les directions syndicales (Adedy, Gsee, Pame) ont multiplié les « journées d’action » impuissantes (32 !) pour empêcher la grève générale sans parler des milliers d’actions isolées, convoquées pour dissiper la colère des masses et permettre ainsi l’empilement des combinaisons gouvernementales qui se sont succédées au compte de la bourgeoisie depuis 2009. Toutes ont été soutenues par la Syriza, le KKE et l’Antarsya qui regroupe les centristes.

Alors que Hollande et le gouvernement Valls PS PRG accentuent jour après jour l’offensive contre les salariés, les jeunes, les immigrés, les directions syndicales participent toutes au dialogue social permettant l’élaboration et la prise en charge commune des réformes exigées par la bourgeoisie.

Dans le même temps, comme en Grèce, elles appellent à de sempiternelles journées d’action sans perspective comme une nouvelle fois les directions CGT, FO, FSU et Solidaires le 9 avril, dans le seul but de servir de soupape à la haine montante des travailleurs et de protéger le gouvernement de tout combat réel.

Il est absolument faux de prétendre, comme le fait LO que, pour les bureaucrates « il s’agit de combattre le chômage et de lutter contre l’austérité » et qu’à cette occasion, « il est grand temps de montrer notre mécontentement » ou comme le NPA que « la journée de grève et de manifestation du 9 avril sera une étape importante dans le bras de fer avec ce gouvernement, en particulier pour défaire la loi Macron ». Ou bien comme le POI qui a jeté toutes ses forces dans la préparation de cette journée d’action en faisant croire qu’il s’agira du face à face entre la classe ouvrière et le gouvernement. Au contraire, cette journée d’action est toute entière organisée contre la perspective de grève générale contre le gouvernement.

Le programme de Syriza : un couteau sans lame

Le programme de Syriza avancé par Tsipras à Thessalonique en septembre 2014 rappelle jusque dans ses termes les tartes à la crème réformistes du PCF ou du PdG en France : décliné en quatre chapitres allant du « traitement de la crise humanitaire » à la « refonte citoyenne de l’État et des institutions » en passant par « la relance de l’économie réelle » et « la reconquête de l’emploi et la restauration du droit du travail ».

Jamais il n’avance la moindre mesure pour s’attaquer réellement au capitalisme et à son État, pas plus qu’il en appelle à la mobilisation ouvrière pour imposer le contrôle ouvrier, créer la milice ouvrière, désarmer la police anti-émeute et les bandes fascistes, etc., rendant ainsi parfaitement illusoire la moindre mesure progressiste. Inexorablement, le gouvernement grec renvoie aux calendes l’augmentation promise du salaire minimum, la restauration des services publics, l’arrêt des privatisations, etc.

Une des premières mesures du gouvernement soviétique après la prise du pouvoir de 1917 avait été d’exproprier sans indemnité ni rachat les principales entreprises russes, de constituer une seule banque sous contrôle de l’État ouvrier. Aujourd’hui, en Grèce, bien loin de prendre une quelconque mesure de ce type, le gouvernement donne des gages à sa bourgeoisie et les armateurs peuvent expliquer avec un sourire narquois que si d’aventure le gouvernement s’avisait à leur réclamer des impôts, ils iraient battre pavillon ailleurs…

Le gouvernement Syriza/ANEL capitule devant la bourgeoisie grecque…

Dès le lendemain des élections, Tsipras s’allie avec un petit parti bourgeois réactionnaire, nationaliste et xénophobe, le parti des Grecs indépendants (ANEL) qui soutient, entre autres, les privilèges exorbitants de l’Église orthodoxe et qui est lié à l’état-major. Syriza justifie son alliance avec les bourgeois nationalistes de l’ANEL par la nécessité de former un gouvernement axé sur la défense de la nation contre le capital étranger. A peine formé, le gouvernement de front populaire se dit prêt à « coopérer et négocier pour la première fois avec ses partenaires une solution juste, viable et qui bénéficie à tous ».

Mais quelle solution peut-elle bénéficier à tous, à la fois au peuple grec réduit à la misère et en même temps à ses armateurs et ses banquiers, à ses créanciers qui le saignent ? C’est la fable du partage des richesses, capitalistes et travailleurs bras dessus bras dessous pour un monde meilleur ! La bourgeoisie grecque a depuis le mois de décembre organisé la fuite de ses capitaux, les armateurs, pas plus que l’Église qui est le plus gros propriétaire foncier du pays, ne paient d’impôts, les caisses de l’État sont presque vides et les bourgeoisies impérialistes européennes créancières, qui n’ont rien de philanthropes, exigent que le gouvernement grec respecte la totalité de ses engagements, non seulement qu’il rembourse les dettes rubis sur l’ongle mais aussi qu’il poursuive ses coups contre les travailleurs.

…et devant les impérialismes français et allemand

Pour la France, les règles de l’Union européenne ne s’appliquent pas ; à la Grèce, si.

L’impérialisme allemand donne le tempo à la Commission européenne et à l’Eurogroupe, autant pour des raisons financières (ne pas perdre un seul euro) que politiques (éteindre un foyer d’instabilité).

Une des premières mesures du gouvernement soviétique après la prise du pouvoir de 1917 avait été d’annuler purement et simplement la dette contractée par le régime tsariste. Respectueux du capitalisme, Syriza n’a jamais adopté un tel programme, mais s’est simplement prononcé pour une restructuration de la dette.

À peine nommés, le premier ministre Tsipras et le ministre de l’économie Varoufakis partent donc négocier la restructuration de la dette grecque, 320 milliards, 175 % du PIB, qui n’a fait qu’augmenter en dépit des coupes claires dans les budgets de la santé et de l’éducation (pas de l’armée) et des coups portés aux travailleurs par les précédents gouvernements.

Inexorablement, séances après séances, avec ou sans cravates et tout en jurant bien du contraire, les représentants du gouvernement de front populaire tombent de Charybde en Scylla, reculant sur tout, reprenant à leur compte l’une après l’autre toutes les exigences des bourgeoisies créancières, la quasi-totalité des plans antérieurs. Le 20 février, un accord est conclu entre l’Eurogroupe et le gouvernement Syriza-ANEL qui conditionne la prolongation de l’aide financière, et jusqu’au mois de juin seulement, à la poursuite des attaques. Étranglé financièrement par l’impérialisme, le gouvernement grec est aux abois. De la main droite, il signe sa capitulation tandis que de la main gauche il tente de rassurer ses partisans en prétendant qu’il ne fait que gagner du temps contre les créanciers.

Nous sommes prêts à renvoyer à plus tard l’application de certains engagements électoraux si cela s’avère nécessaire à donner confiance à nos partenaires. (Varoufakis, Corriere della Sera, 14 mars)

En fait, c’est contre les travailleurs et les jeunes qu’il cherche à gagner du temps. Syriza tente de consoler les travailleurs avec des mots (« la troïka » est devenue « les autorités » mais les autorités ont toujours le droit de contrôle en Grèce) et en faisant miroiter des « ambiguïtés créatrices » fictives dans l’accord de capitulation. Le 18 mars, le parlement grec vote une loi dite « humanitaire » aux objectifs bien modestes : rétablir l’électricité chez les plus démunis, fournir une aide alimentaire aux plus défavorisés, augmenter les plus petites retraites. C’est encore trop pour les bourgeoisies européennes qui s’inquiètent du financement de ces quelques « mesurettes ». Et c’est sans doute pour les rassurer que cette loi prévoit également d’inciter fermement tous ceux qui n’ont pu payer leurs impôts du fait de la misère dans laquelle ils sont plongés à le faire en cent mensualités, cette dernière mesure devant toucher essentiellement les salariés, retraités et petits commerçants puisque les capitalistes en sont largement exonérés.

Le KKE et la PAME : division et nationalisme

Usant d’un langage apparemment très radical et très anticapitaliste, le Parti communiste (KKE), son rassemblement syndical (PAME) et son organisation de jeunesse (KNE) critiquent férocement les positions conciliatrices de Syriza ainsi que celles des autres syndicats.

Mais la dénonciation qu’ils en font n’est jamais relayée par des propositions d’unité sur des positions de classe et sert uniquement à entretenir une profonde division des rangs ouvriers. Déjà à l’instar des autres directions syndicales, le PAME est à l’origine de la multiplication des journées d’action, baptisées sans vergogne « grèves générales ». Pire : quand les manifestants ont cherché à envahir le parlement qui votait pour le licenciement des fonctionnaires en octobre 2011, c’est le service d’ordre du KKE et de la PAME qui les en ont empêchés !

C’est sur la question du gouvernement que la duplicité du KKE est particulièrement élaborée. Voilà comment son secrétaire général présente son orientation dans une interview au journal To Virna du 10 janvier 2015, donc avant les élections. Il commence par critiquer la position commune à tous les autres partis, dont Syriza, de renégociation de la dette :

Par exemple, il y a un consensus entre les partis sur les grandes lignes stratégiques, malgré leurs différences. Entre autres, les partis sont d’accord sur la continuation de notre participation à l’UE et à l’eurozone, ainsi que sur la poursuite de la même route capitaliste vers le progrès et le développement.  Ils sont aussi d’accord sur le besoin de négocier notre dette, même s’ils préconisent des recettes et des versions différentes.  Tous les partis reconnaissent la dette comme une dette qui doit être payée par le peuple.  Il y a alors une base objective de coopération entre les partis.

Mais alors, que faire ? Rejetant le PASOK qui a gouverné en prenant totalement en charge les exigences de la bourgeoisie, les masses ont assez largement voté pour Syriza et pour le KKE dans une moindre mesure, avec leurs espoirs et leurs illusions. Mais le KKE, fidèle à sa ligne stalinienne, tourne évidemment le dos à tout combat de front unique, il prétend fermer les frontières à la Pol Pot, il n’avance pas un instant un quelconque mot d’ordre de gouvernement Syriza/KKE pour l’annulation complète de la dette, pour l’expropriation des banques et des entreprises, pour les États-Unis socialistes d’Europe, etc., pas plus avant qu’après les élections. Ce mot d’ordre qui permettrait en Grèce de démasquer les garants de l’État bourgeois tout en mobilisant les masses en les organisant sur la ligne du gouvernement ouvrier, le KKE n’en veut pas. Au contraire, tirant le tapis à tout combat réel pour la prise du pouvoir, il renvoie les masses à plus tard :

Il va sans dire que le KKE n’est pas indifférent à la question de gouverner. Il déclare clairement qu’il sera présent au gouvernement quand le peuple prendra le pouvoir, la richesse sera immédiatement socialisée, nous nous dégagerons de l’UE et de l’OTAN qui empêchent le développement en faveur du peuple et compromettent les droits souverains du peuple et de notre pays. Ce gouvernement annulera tout de suite les memoranda, les décrets d’application et procédera sans doute à l’effacement unilatéral de la dette. Vous comprenez bien sûr que nous parlons d’une politique, d’une organisation sociale et d’une économie radicalement différentes. 

Quand le peuple prendra le pouvoir, mais en attendant pas question de lui ouvrir la moindre route ! A aucun moment, pas plus que Syriza, le KKE n’a tenté, grâce à des soviets, de permettre aux travailleurs de débattre des stratégies différentes et de lutter pour le pouvoir. Cette politique a un précédent, celle menée par le KPD stalinien qui a abouti à la victoire des nazis en 1933.

En Grèce comme en France, pour ungouvernement ouvrier qui exproprie le capital !

Le PS semait des illusions sur le parti nationaliste bourgeois PASOK. Quelques débris du stalinisme sèment des illusions sur le KKE. Le PdG, le PCF et le NPA sèment des illusions sur Syriza, comme ils en sèment sur Podemos en Espagne, qui ne fait même pas partie, contrairement à Syriza, du mouvement ouvrier.

Ce n’est pas un hasard : le programme de Syriza ou de Podemos, c’est leur programme bourgeois, un mélange de promesses réformistes et de nationalisme dont le dénominateur commun est le refus déclaré de mettre à bas le capitalisme et l’État de la bourgeoisie.

Le 26 janvier, Mélenchon, extatique, s’exclame :

Les suivants, ce seront les Espagnols et après ce sera nous… Mon ambition, c’est que nous gouvernions notre pays. Un espace est en train de se dessiner, avec le Front de gauche, des socialistes affligés, des frondeurs et les écologistes qui ont quitté le gouvernement. En 2017, on peut envisager une candidature commune. (Le Monde, 27 janvier)

C’est sur une ligne de soutien à Syriza qu’est convoquée une manifestation le dimanche 15 février à Paris, à la veille de la rencontre avec les créanciers européens, par le PCF, le NPA, le PdG avec les partis bourgeois EELV et Nouvelle donne, qui scande « Syriza va gagner contre l’austérité, avec le peuple grec, solidarité ». Le 20 février, la délégation du gouvernement grec capitulait.

Le prolétariat et la jeunesse sont ligotés par « l’unité nationale » et les fronts populaires, paralysés par la collaboration de classe et la division. Pour en finir avec la plaie du chômage et la menace fasciste qui va probablement s’accentuer en Grèce du fait de l’impasse et du discrédit du gouvernement Tsipras qui découleront inévitablement de son impuissance, il faut arracher le pouvoir à la bourgeoisie et exproprier les groupes capitalistes, il faut que les producteurs gèrent l’économie et la société.
 

  • Gouvernement Syriza-KKE sans ministre bourgeois ! Annulation de la dette publique ! Expropriation des banques et des grandes entreprises, à commencer par les armateurs !
  • Retrait de l’OTAN ! Dissolution de l’armée et de la police ! Armement du peuple contre la police et les fascistes ! Droits démocratiques pour les conscrits !
  • Séparation de l’Église et de l’État !
  • Unité des travailleurs grecs et immigrés ! Comités rassemblant tous les travailleurs dans les entreprises, les administrations, les quartiers, les villages, les universités, pour le contrôle ouvrier et populaire !
  • Contrôle ouvrier sur les entreprises ! Gouvernement ouvrier et paysan ! États-Unis socialistes d’Europe, Turquie incluse !

Pour cela, il faut un autre parti que le KKE, la Syriza, le PCF ou le PS qui ont toujours gouverné au compte des capitalistes et de l’état-major, qui renforcent l’État bourgeois. Il faut s’organiser pour construire un parti révolutionnaire en Grèce et en France, dans le cadre d’une internationale ouvrière révolutionnaire.

25 mars 2015