Entre octobre et décembre 2014, la presse révèle que le secrétaire général de la CGT Thierry Lepaon a fait rénover son appartement de fonction pour 100 000 euros, a fait refaire son bureau au siège de Montreuil pour 62 000 euros, a obtenu pour son départ du Comité régional CGT de Basse-Normandie environ 100 000 euros… Le PCF vole à son secours : s’en prendre au parasite du syndicat, c’est s’en prendre au syndicat.
De sous-entendus en sous-entendus, de témoignages anonymes en propos de proches du dossier, le mal court. Objectif : lyncher Thiery Lepaon pour avoir la peau de la CGT. (L’Humanité dimanche, 4 décembre)
Tous pourris à la CGT comme ailleurs ? C’est la sale petite musique que tente de distiller le cirque médiatique qui se déchaîne contre Thierry Lepaon. Tout semble se dérouler selon un plan savamment orchestré. Des « révélations » distillées l’une après l’autre dans Le Canard enchaîné puis L’Express. Un peu de vrai, beaucoup de faux. (L’Humanité, 13 décembre)
Beaucoup de vrai, en fait. Son prédécesseur Thibault jouit, quant à lui, d’une sinécure bien rétribuée au Bureau international du travail.
En mars 2013, Thierry Lepaon le remplace, non sans mal. Sous la houlette de Lepaon, la direction de la CGT poursuit la ligne de Thibault : défense de « la France », mise en avant d’un prétendu intérêt national et acceptation dans ce cadre du « dialogue social », de la négociation de tous les projets contre les travailleurs, dissipation de la combativité dans des « journées d’action » sans but réel et, si nécessaire dans un site donné (ex : PSA Aulnay) ou une entreprise donnée (SNCF), des grèves reconductibles isolées les unes des autres, cogestion de la Sécurité sociale et des grandes entreprises (par les conseils d’administration d’EDF, Orange, La Poste…), appartenance aux organismes d’intégration des syndicats (Conseil économique, social et environnemental, Conseil d’orientation des retraites…).
Lepaon a été formé à cette école de collaboration de classe et de corruption : membre du conseil d’administration de Moulinex de 1996 à 2001 puis du Conseil économique, social et environnemental de 2010 à 2013 (il y présente une méthode pour privatiser la SNCF). Parallèlement à la vice-présidence du CESE, Lepaon est membre alors du discret club Quadrilatère qui rassemble depuis 1992 autour d’un bon repas des directeurs de ressources humaines de grands groupes capitalistes, des hauts fonctionnaires, des journalistes et des dirigeants syndicaux CGT, CFDT, FO.
Les montants de l’affaire Lepaon sont dérisoires à côté des rémunérations et patrimoines des capitalistes, mais témoignent que les bureaucrates, surtout au sommet des appareils syndicaux, vivent très différemment des travailleurs ordinaires.
Certes, toute organisation ouvrière significative nécessite un appareil, mais celui de la CGT a échappé voici un siècle au contrôle des travailleurs, pour muer en une bureaucratie au service de la classe dominante, dégénérescence qu’il partage avec les partis sociaux-patriotes PS et PCF.
La possession des colonies… signifiait une masse de surprofits et de privilèges particuliers pour la bourgeoisie et aussi la possibilité d’abord pour une faible minorité de petits bourgeois et ensuite pour les employés les mieux placés, les permanents du mouvement ouvrier… de recevoir des miettes de ces profits coloniaux et de ces privilèges. (Lénine, Sous un pavillon étranger, février 1915)
Dans les entreprises de plus de 5 000 salariés, un ou deux syndicalistes au moins siègent au conseil d’administration ou au conseil de surveillance de l’entreprise. Ils touchent la même rémunération pour cela que les administrateurs actionnaires. Sans parler des versements occultes par l’UIMM-Medef, les organisations syndicales sont aussi financées indirectement (dégrèvement fiscal) ou directement par l’État bourgeois (subvention). Ce sont les bases bien matérielles, que LO, le NPA, le POI et leurs satellites taisent pudiquement, de la défense par la bureaucratie syndicale de « la France » et de « la République » ainsi que leur participation au « dialogue social ».
Sans des rivalités au plus haut niveau de la confédération, ni les syndiqués CGT dont l’abnégation et le courage font de cette organisation la plus grosse centrale syndicale, ni les travailleurs salariés en général n’auraient rien su des turpitudes du secrétaire général.
Durant tout l’automne 2014, des sections et des syndicats, des structures géographiques et fédérales, monte l’exigence d’un congrès. Il n’y en aura pas.
Après bien des manoeuvres dilatoires, Lepaon s’en va sans gloire en janvier 2015 après avoir désigné un successeur, Philippe Martinez. Le choix est ratifié par la Commission exécutive. La bureaucratie a mis fin, entre soi, à la crise. Elle a évité que la base se mêle de ses propres affaires et reprenne le contrôle de sa propre organisation. Elle a gardé les rênes de la confédération, en sacrifiant Lepaon, pour préserver ses privilèges et poursuivre dans la voie du syndicalisme de proposition, du dialogue social et de la cogestion. Par exemple, la CGT discute actuellement l’application du « pacte de responsabilité » dans plusieurs branches : bâtiment, plasturgie, bureaux d’études et sociétés de conseil, entreprises et exploitations agricoles, industries agro-alimentaires, industrie pharmaceutique, entreprises de la propreté.
Les travailleuses et les travailleurs ont plus que jamais besoin d’un syndicalisme unifié pour mener leur lutte de classe. La bureaucratie corrompue et intégrée de tous les syndicats doit être affrontée si les travailleurs veulent pouvoir lutter efficacement contre les exploiteurs et l’État bourgeois.
Pour cela, il faut s’organiser dans tous les syndicats à influence de masse pour exiger la rupture du dialogue social, la lutte effective pour les revendications (en particulier des chômeurs et des salariés les plus exploités et les plus opprimés), la démocratie ouvrière (dans les syndicats eux-mêmes et lors des luttes collectives), la fusion en une seule centrale démocratique, l’autodéfense (des luttes, des manifestations, des locaux)…