Serge Michel et Michel Beuret, Grasset, 2008
En cette année de Jeux olympiques organisés à Pékin, les éditeurs n’ont pas lésiné sur la publication de livres au sujet de l’ « atelier du monde ». Parmi ceux-là, deux journalistes bien établis ont écrit un bouquin concernant la politique de la République Populaire de Chine en Afrique. Ayant sillonné 13 pays et rencontré des ministres, des travailleurs africains et chinois employés par des entreprises chinoises et certains dirigeants de ces dernières, Serge Michel et Michel Beuret livrent un sérieux travail documentaire sans se départir un instant de leur rôle : justifier l’ordre établi. Concluant sur les atouts du capitalisme aujourd’hui, nos deux journalistes louent l’intérêt des investissements de la Chine en Afrique qui auraient ramener « un continent à la dérive, oublié de tous, dans la tectonique de la mondialisation » (p.326). Il aurait fallu la venue de capitaux chinois depuis quelques années pour que l’Afrique intéresse les puissances impérialistes. Rien n’est plus faux. Sous prétexte de l’arrivée des capitalistes chinois, concurrents de ceux dominants cette région, nos deux journalistes font semblant de dénicher un scoop qui n’en est pas un. L’Afrique est saigné, silencieusement et odieusement, depuis des décennies (voire des siècles) par les capitalistes d’Europe et d’Amérique qui laissent croupir dans la misère la grande masse des travailleurs et paysans. En fait, c’est la seule concurrence de la bourgeoisie chinoise qui fait courir nos deux reporters d’oléoducs soudanais en barrage congolais en passant par le chemin de fer d’Angola et la construction en Algérie. C’est là l’intérêt de La Chinafrique, un concentré d’informations sur un nouveau venu, un capitalisme qui dérange ceux qui pillent les ressources africaines.
L’Etat capitaliste chinois aide ses multinationales à exploiter le prolétariat de Chine et d’ailleurs
La Chine de Hu Jintao aide ses entreprises dans le monde à gagner des parts de marché, en Afrique notamment. Sous l’appelation de « développement pacifique », le président chinois et son premier ministre Wen Jiabao font la promotion des champions nationaux dans des secteurs décisifs de l’énergie comme CNPC, CNOOC, Petrochina, de la construction (CRCC) ou encore Lenovo, Huawei ou ZTE dans la télécommunication (informatique et téléphonie).
En 2000, un premier Forum sino-africain eut lieu à Pékin. Loin de ressembler à d’autres congrès entre pays « en développement », le Forum en est à sa 3e édition ; celui de 2006 a rassemblé 48 chefs d’Etats africains et on y a fait des affaires. Comme le soulignent les auteurs de La Chinafrique, le montant des échanges entre la Chine et les pays africains a triplé entre 2002 et 2005 et a atteint 55 milliards de dollars en 2006. Le dernier sommet fut donc une démonstration de la volonté de l’ancienne bureaucratie maoïste d’aider les capitaux chinois contre des concurrents comme Total, Chevron, BP, Exxon, Shell, Bouygues, Bolloré et bien d’autres. Aujourd’hui, les entreprises chinoises exploitent les ressources africaines en matières premières (pétrole, gaz, bois, minerais, coton…) et ont même détrôné leurs rivales dans certains pays :
La Chine est le premier partenaire du Soudan et ce dernier, le troisième de la Chine en Afrique – après l’Angola et l’Afrique du Sud. Sur le continent noir, la Chine satisfait 30% de ses besoins en pétrole. (p. 36)
Offrant des conditions plus intéressantes, sous couvert de contrats « gagnant-gagnant » et d’ « accords mutuellement bénéfiques », les entreprises chinoises sont très souvent d’anciennes entreprises d’Etat reconverties en trusts capitalistes. Avec l’aide des réserves financières disponibles en Chine et grâce au développement industriel du pays, ces multinationales arrachent des contrats de grande industrie (pétrole, gaz, uranium, mines, bois, télécommunications…) et de constructions d’infrastructures (chemin de fer, autoroutes, barrage hydraulique, aéroports, ports…). Bien souvent, les contrats sont obtenus en échange de l’annulation de dettes, d’un crédit intéressant pour les prêts et les entreprises chinoises produisent à des coûts moindres que leurs concurrents français, anglais ou américain. Bien sûr, les ministres et présidents africains qui commercent avec la Chine semblent très contents de l’opacité réservée aux affaires et sensibles à toute absence de chantage sur les « droits de l’Homme ». Bref, l’Etat chinois a pris modèle sur les puissances impérialistes européennes et américaine pour s’installer en Afrique.
L’un des atouts des capitalistes chinois pour faire baisser les prix des contrats est le coût de la main d’ouvre spécialisée venue de Chine. Autorisés grâce aux moyens de répression de l’Etat à déplacer sur les chantiers d’Afrique ses propres travailleurs, où ceux-ci multiplient par cinq ou six leur salaire de misère, les capitalistes chinois font venir pour un an ou deux des dizaines de milliers de travailleurs. Le trust CITIC1 -CRCC a obtenu la construction d’une autoroute en Algérie :
En tout, relier les frontières tunisienne et marocaine va coûter 824 milliards de dinars à l’Algérie (8,8 milliards d’euros), c’est le plus gros chantier jamais entrepris dans le pays, avec 74 881 ouvriers à son point culminant – dont 21 973 expatriés asiatiques.(p. 137)
Enfin, pour que la plus-value se réalise en Afrique, il ne suffit pas d’obtenir les contrats, d’avoir le savoir-faire et d’exploiter ses propres prolétaires. Il faut aussi exploiter les prolétaires africains. Et cela, les capitalistes chinois le font avec autant de barbarie que leurs concurrents français, européens, américains ou japonais. Le salaire versé aux ouvriers congolais sur le barrage d’Imboulou au nord de Brazzaville est de 2,50 euros la journée.
La Chine, un capitalisme face aux vieux impérialismes
Bien que compétitif sur le marché, doté de grandes entreprises et de moyens financiers, le capitalisme chinois arrive bien tard en Afrique. La concurrence fait rage et les anciennes puissances coloniales, comme la France, se défendent. Comparant les volumes de marchandises échangées avec ceux de la France, les auteurs avancent que « La Chine enterre la Françafrique » (c’est le titre du chapitre 6) en la dépassant, de ce point de vue, en 2007. Il est tout à fait exact que le France n’a plus ce pré carré africain où ses capitaux accédaient prioritairement. Sous la pression des impérialismes, en particulier américain, le déclin de l’impérialisme français en Afrique est en marche. Etape de cette perte d’influence, le franc CFA a été dévalué en 1994 par une décision du gouvernement français, appauvrissant l’ensemble de ces anciennes colonies. Conséquence de la restauration du capitalisme en Europe et en Russie qui a accéléré le repartage du monde, l’impérialisme français s’est montré incapable de protéger sa zone ex-coloniale des produits concurrents venus d’autres pays. La place des Etats-Unis, seule puissance mondiale, et sa concurrence globale avec les autres bourgeoisies dominantes (Japon, Allemagne, Grande-Bretagne…) a dévoilé, dans le monde entier, les faiblesses de la bourgeoisie française.
En Afrique, la bourgeoisie chinoise a gagné des positions (3e client de l’Afrique derrière les Etats-Unis et la France) mais la Chine ne représente que 6% des exportations africaines aujourd’hui (contre 1% en 1995). Et ce sont les Etats-Unis qui ont gagné le plus de parts de marché en Afrique depuis 5 années (voir graphique).
L’impérialisme français se défend
Malgré cette compétition mondiale dans laquelle des impérialismes de 3e ordre (France, Grande-Bretagne, Italie) perdent des positions en Afrique, la bourgeoisie française défend bec et ongles ses intérêts face aux concurrents chinois comme face aux autres. Au Niger, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique mais 3e exportateur mondial d’uranium, le groupe français Areva est le « premier employeur privé du pays, avec 2 000 salariés dans les deux mines géantes d’Arlit et Akouta » (p.181). Dès la signature de nouveaux contrats entre le gouvernement nigérien et le géant chinois du nucléaire (CNNC) en 2006, le groupe armé Mouvement Nigérien pour la Justice (MNJ) menace les étrangers en général et les Chinois en particulier. Il kidnappe le directeur adjoint d’une société sœur de la CNNC. L’affrontement entre MNJ et les forces armées nigériennes fait plusieurs morts. En 2007, le conflit finit par se tasser. Les pressions du Quai d’Orsay, les expulsions de diplomates véreux et d’anciens militaires français ainsi que des défections d’officiers dans l’armée du Niger ont aidé le gouvernement de Niamey à renouveler les contrats d’Areva. Finalement, le trust nucléaire français conforte sa place au Niger :
Le 13 janvier 2008, après des mois de tensions inouïes, la compagnie française obtient l’exploitation du site d’Imouraren, le second plus gros gisement d’uranium au monde ( 4 500 tonnes par an) qui fera passer la production du pays à 8 000 tonnes annuelles. (p. 197)
Areva a conservé le pillage de l’uranium nigérien mais de nombreuses multinationales françaises ont du céder du terrain. Les auteurs relèvent que les entreprises chinoises de construction affichent « des prix de 30% à 50% inférieurs aux Français » (p. 150). Dans les anciennes colonies françaises, les gouvernements tentent de changer de maîtres, aidés par la hausse des cours des matières premières, du gaz et du pétrole en premier lieu.
Symbole de la domination et du pillage par les capitalistes français, la Côte d’Ivoire est devenue un terrain de lutte que la Chine utilise en soutenant Gbagbo contre les « rebelles » de l’armée nationale. Ces derniers ont coupé le pays en deux en 2002 et stationnent toujours dans le nord du pays. Alors que le gouvernement français a voulu rétablir l’ordre avec son armée d’occupation, sous la couverture onusienne, la Chine s’oppose aux sanctions du Conseil de sécurité et soutient Gbagbo :
En mai 2007, elle annule 40% de la dette bilatérale (18 millions d’euros) et annonce 10 millions d’euros pour financer la construction d’un hôpital et deux écoles rurales. (p.165)
Or le gouvernement français agit et Sarkozy a promis, en février 2008, que l’armée française quitterait Abidjan. Sachant que les troupes de l’ONU (dont un important contingent français) occupent le pays depuis 2004, l’impérialisme français monnaye son influence auprès de Gbagbo son ancien protégé. Ce dernier organise des élections en novembre 2008 et son premier ministre est l’ancien chef « rebelle », Guillaume Soro, depuis 2007. Un compromis qui en dit long sur la politique du pays des « droits de l’Homme » en Afrique.
La conquête du pétrole nécessaire à l’économie chinoise n’a pas de puissance militaire en Afrique
La guerre entre les vieux impérialismes et la Chine capitaliste bat son plein et ne sourit pas forcément au gouvernement de Pékin. Dernier souci en date pour les capitaux de la bourgeoisie chinoise, le président soudanais Omar Al Bashir (dont le pays exporte 80% de son pétrole en Chine) est attaqué par le Tribunal pénal international (TPI) après qu’une résolution de l’ONU en 2007 ait condamné le Soudan pour sa participation au génocide dans la région du Darfour. En effet, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne voient d’un mauvais œil la mainmise chinoise sur le pétrole de ce pays. Comme en Irak, le dictateur en place devra plier. Protégé par Pékin et Moscou, le régime compradore soudanais sait que la force d’interposition au Soudan, la Minuad (composée de troupes de l’ONU et de l’Union Africaine) est là pour calmer les prétentions chinoises et soudanaises de dominer la région. Dans le même temps, une autre force militaire s’installe au Tchad pour les mêmes raisons. Composée de 3 700 soldats dont 2 100 français, l’Eufor est cantonnée dans les bases françaises tchadiennes.
Présente au Tchad (où l’on a découvert du pétrole), au Niger et en Centrafrique, la bourgeoisie française joue ses cartes en vendant des armes et en aidant le dictateur tchadien Idriss Déby. L’armée française est intervenue, au moins à trois reprises au Tchad auprès d’Idriss Déby contre des troupes armées venues le déloger. L’armée « rebelle » a ses bases au Soudan. Il va de soi que ni le camp soudanais ni le camp tchadien, par grandes puissances interposées, ne veut aider les populations de paysans pauvres du Darfour. Et le capitalisme chinois fait comme les autres concurrents en finançant l’exploitation du pétrole soudanais par la construction d’un pipeline et d’une raffinerie et l’aménagement de Port-Soudan dont partent les pétroliers vers la Chine. Les investissements chinois au Soudan s’élèvent, officiellement, à 10 milliards de dollars. Comme son concurrent français au Tchad, l’Etat chinois et ses entreprises font commerce d’armes avec le gouvernement d’Omar Al Bashir.
Selon nos deux journalistes français, « la Chine a exporté pour 100 millions de dollars d’armes au Soudan » (p. 231) et les entreprises de l’armée chinoise, devenues exportatrices avec la restauration du capitalisme débutée dans les années 1980, cacheraient certains contrats d’échange de pétrole contre des armes. Trop soucieux d’être précis nos journaleux mordent la ligne de « déontologie » et d’ « objectivisme » en affirmant qu’un « avion de combat vendu au Koweït par les Etats-Unis ne provoquera pas à l’évidence les mêmes effets sur les populations civiles que, pour le même prix, 300 000 fusils d’assaut sur le marché africain » (p. 228). Malheureusement pour la précision journalistique, l’usage d’armes en Irak (des centaines de milliers de morts depuis 2003 à quelques kilomètres du Koweït) est un quasi-monopole américain. Quant à la vente d’armes (de tout type) dans le monde, ce n’est pas un monopole chinois :
Les cent premiers producteurs d’armements ont réalisé un chiffre d’affaires de 315 milliards de dollars en 2006, soit une progression de 9% sur l’année précédente. Quarante et une sociétés américaines ont réalisé 63% de ce chiffre d’affaires, contre 29% pour les 34 premières entreprises européennes. (Le Monde, 11 juin 2008)
Ces chiffres relativisent la puissance des entreprises chinoises de l’armement. Evidemment, le Soudan, l’Angola, l’Egypte, le Congo, le Zimbabwe, la RDC, l’Ethiopie et l’Afrique du Sud ont signé des accords de coopérations militaires avec la Chine ces dernières années mais cela ne fait pas de la Chine un puissant allié soufflant chaud et froid en Afrique comme les Etats-Unis tentent de le faire dans le monde. Surtout, l’Etat chinois n’a aucune base militaire en Afrique comme l’Etat français ou les Etats-Unis. Rien qui puisse être décisif face à ces concurrents quand ces derniers décident de freiner ses avancées comme au Soudan. Dans ce pays comme au Zimbabwe, les vieux impérialismes pourraient se mettre d’accord pour chasser les dictateurs au pouvoir afin d’occuper le pays, comme ils le firent en Afghanistan et en Irak ou en organisant un embargo comme ils le font encore contre Cuba et la Corée du Nord. Enfin, preuve de cette faiblesse politique et militaire, l’armée chinoise a participé très modestement à plusieurs « opérations de maintien de la paix » de l’ONU (Côte d’Ivoire, Libéria, RDC, Erythrée, Sahara occidental). Aujourd’hui, elle ne fournit que 300 soldats (dont 172 ingénieurs) aux 8 000 casques bleus de la Minuad qui prennent place au Darfour.
Contre le nationalisme et l’impérialisme, pour les Etats-Unis socialistes d’Afrique
Le premier partenaire commercial de la Chine en Afrique est la puissance régionale sud-africaine. Là encore, les matières premières (fer, minerai, or, bois…) sont achetées par Pékin alors que le textile « made in China », les téléphones et les ordinateurs arrivent de HongKong par bateaux. L’arrivée de marchandises chinoises et le déficit commercial qui en a découlé est l’occasion pour la bourgeoisie noire représentée par Mbeki de diviser les rangs des ouvriers en Afrique du Sud. La bureaucratie syndicale de la puissante confédération COSATU a mis la main à la pâte :
En septembre 2004, l’une des principales organisations membre de la puissante fédération syndicale Cosatu a ainsi menacé de boycotter les vendeurs de produits chinois, accusés de contribuer à la montée du chômage.(Le Monde diplomatique, mai 2005)
En mai dernier, les émeutes contre les travailleurs immigrés du Mozambique, du Zimbabwe comme des autres pays limitrophes avaient fait plus de 50 morts en Afrique du Sud et des milliers de travailleurs avaient été contraints de partir. Le nationalisme et la xénophobie ne sont pas uniquement utilisées en Europe ou aux Etats-Unis. Toutes les bourgeoisies de la planète les utilisent pour diviser les travailleurs.
La Chinafrique donne un témoignage de la lutte des ouvriers contre les capitalistes chinois. Investissant dans les immenses mines de cuivre de Zambie (le cuivre représente près de la moitié du PIB zambien), ils se comportent comme des impérialistes :
En février 2007, le président Hu Jintao en tournée africaine a dû renoncer à visiter la « ceinture de cuivre », la région des mines, par crainte d’une nouvelle révoltes des ouvriers. Jamais un leader chinois en Afrique n’avait subi pareil affront. Mais là encore, Pékin, habilement, décidait le mois suivant de répondre aux « questionnements légitimes des Zambiens par une implication qui soit plus « gagnante-gagnante » en instaurant autour de la mine de Chambishi une zone économique spéciale pour attirer les entreprises chinoises. Elle promettait 800 millions de dollars d’investissements et la création de nombreux emplois locaux. La Zambie devient anis la premières des six zones semblables sur le continent. Las ! rien n’a pu apaiser les mineurs qui ont continué de manifester, de bloquer les routes et d’enchaîner les grèves, jusqu’en janvier 2008. ( p. 321)
Début mars 2008, 500 ouvriers zambiens d’une fonderie chinoise étaient licenciés après deux jours de grève. La spontanéité ouvrière devra combattre le nationalisme comme les capitalistes étrangers. Dans sa lutte contre les bourgeoisies du continent, le prolétariat africain aura aussi à exproprier les capitalistes chinois, nouveaux « partenaires » des gouvernements compradores de la région. Une révolution prolétarienne ne pourra que se saisir de tous les moyens de production, nationaux et étrangers. Alors que les impérialistes du pétrole et du gaz se partagent les ressources récemment découvertes (Soudan, Tchad, Golfe de Guinée…), le prolétariat africain, allié de la paysannerie pauvre, devra s’organiser à l’échelle du continent pour que la domination militaire et politique de la bourgeoisie soir réduite à néant. Seule la perspective de la révolution socialiste, de l’alliance des gouvernements ouvriers et paysans d’Afrique, peut permettre le développement du continent.
La Chine reste une puissance régionale dominée par l’impérialisme
L’appétit de la Chine pour les matières premières africaines a donc un frein : les intérêts des grandes puissances impérialistes. D’autant plus que le besoin de pétrole et de gaz est de plus en plus grand pour permettre à l’ « atelier du monde » de poursuivre sa croissance. La Chine a besoin d’importer 50% de son pétrole en 2008, bientôt 60%. C’est en fait une dépendance bien embarrassante pour Pékin et le fleuron de ses entreprises. Au contraire des Etats-Unis, les matières premières d’Asie ne sont pas sous l’influence chinoise comme le sont celles d’Irak et d’Amérique latine pour Washington. Même si la Chine est apparue depuis quelques années comme concurrent des vieux impérialismes, ces derniers ne désarment pas. Le forum japonais sur le développement de l’Afrique a réuni 53 pays en mai 2008 à Tokyo, le sommet Afrique-UE s’est tenu à Lisbonne en décembre 2007 et veut établir un « nouveau partenariat stratégique» notamment en libéralisant encore les échanges. Dernier épisode dans la lutte pour le pillage des ressources africaines : l’Union pour la Méditerranée (UPM) que l’impérialisme français a initié pour le bien des intérêts de son patronat.
Les percées chinoises en Afrique ne sont qu’une partie du « développement pacifique », cher à Hu Jintao et Wen Jaobao. L’essentiel de l’activité diplomatique, militaire et économique de la Chine se fait en Asie. Pour s’affirmer comme une puissance régionale face au Japon, à l’Inde et à la Russie, l’Etat chinois maintient l’ordre contre les peuples tibétain, ouigour et mongol. Ses forces armées font toujours face à Taïwan, protégé de l’impérialisme depuis 1949. Sa police nationale (1,2 million d’hommes) et sa PAP (1,7 million) ont comme principale mission l’ordre et la stabilité pour que la Chine reste le pays de la surexploitation et de l’investissement des capitaux étrangers. Le principal danger pour le pouvoir du PCC et le patronat chinois est la classe ouvrière forte de 200 millions de travailleurs et travailleuses. Permettre que la Chine soit une « société harmonieuse » signifie, pour les capitalistes du PCC, que la croissance de la production industrielle ne soit, en aucun cas, perturbé par des luttes et des grèves.
L’armée chinoise (2,3 millions de soldats) commence à peine à sortir de ses frontières, notamment la marine. Modernisée, celle-ci ne fait pas le poids face à celle du Japon ou des Etats-Unis mais elle s’installe le long d’un « collier de perles » sur la route maritime qui va du Moyen-Orient jusqu’en Chine. En effet, 90% du pétrole chinois arrive par mer. Pour le protéger et assurer ses positions de puissance régionale, la Chine a ouvert une base au Pakistan et une autre en Birmanie. D’autres « perles » du même type sont en projet aux Maldives et au Sri Lanka. Sur le plan de l’armement, l’industrie militaire chinoise est bien capable de vendre des fusils en Afrique mais elle dépend surtout de la Russie à qui elle achète des armes lourdes et sophistiquées (chars, missiles, avions, sous-marins, frégates) chaque année. Sur le plan diplomatique et militaire, la bourgeoisie chinoise participe au Conseil de coopération de Shanghai, né en 1996 et qui regroupe la Russie et 6 républiques d’ex-URSS d’Asie centrale.
Sur le plan économique, les capitaux chinois ne s’investissent pas massivement en Afrique mais en Asie. 80% des investissements directs chinois restent sur le continent : HongKong, Taïwan, Corée du Sud, Japon… Depuis son entrée à l’OMC en 2001, la Chine continue de se lier aux autres économies capitalistes de sa zone notamment à l’ASANE (ASEAN en anglais) qui regroupe les dragons asiatiques. Enfin, les échanges commerciaux de la Chine sont ultra majoritaires avec l’UE, le Japon et les Etats-Unis, démontrant combien la Chine dépend des trusts impérialistes depuis l’ouverture et les réformes au début des années 1980. En 25 ans, la bureaucratie maoïste est devenue, pour l’essentielle, une classe capitaliste. Les héritiers de Mao ont liquidée la nationalisation des moyens de production mais ce processus fut tout d’abord aiguillé par les multinationales impérialistes et leurs gouvernements. Alors que des grandes entreprises chinoises commencent à sortir de leurs frontières (notamment dans l’informatique et la téléphonie qui sont des secteurs dont la production est essentiellement asiatique), les grandes « marques » du textile, de l’industrie du jouet, des télécommunications font fabriquer leurs marchandises en Chine et plus généralement en Asie. Nike, Alcatel, Mattel, Adidas, Sony, HP et les autres utilisent la Chine comme source de leurs profits. En ce sens, les capitalistes chinois ne dominent pas leurs adversaires même dans les secteurs où la Chine est devenue leader.
La Chine dépend des capitaux étrangers pour son marché intérieur comme pour ses exportations. Intégrée à l’économie mondiale comme un pays à bas coûts salariaux, la Chine capitaliste est dominée pour ses exportations industrielles par des multinationales européennes, américaines et japonaises. Par exemple, 40% de ses exportations industrielles est le fait d’entreprises étrangères et 88% des exportations des produits de haute technologie sont dominés par des capitaux non chinois. La Chine reste un pays d’assemblage de produits finis et semi-finis qui sont destinés aux marchés dominants (UE, Etats-Unis, Japon). Sur son marché intérieur encore protégé dans certains domaines (banques, énergie, armement…), la concurrence devra aussi s’ouvrir comme elle l’est dans le domaine de l’automobile ou de la distribution. Là encore, les capitalistes chinois ne sont pas maîtres de la situation face à General Motors, Toyota, Volkswagen, Carrefour ou Wal-Mart qui dominent le marché mondial dans leurs branches respectives et sont leaders en Chine.
Enfin, la crise financière qui devient récession aux Etats-Unis, au Japon et en Europe livrera l’économie chinoise à ses propres contradictions et à sa dépendance aux grands trusts mondiaux. Une perspective que ne pourront pas éviter la Chine et les pays asiatiques producteurs de marchandises qui ont besoin des débouchés sur ces marchés nationaux décisifs.
C’est à la lutte sans merci contre les vieux impérialismes que la Chine est confrontée en Afrique. Ni la taille de son marché intérieur ni le faible coût de la production industrielle ne peuvent garantir la naissance d’un nouvel impérialisme. Seule la domination de ses capitaux et les capacités d’intervention politique et militaire pourraient faire de la Chine l’égal des Etats-Unis, de l’Allemagne ou du Japon. Une telle conquête n’est pas encore à l’ordre du jour sur le continent noir, encore moins sur la planète.
23 août 2008, Mathieu Fargo
1« CITIC est un groupe financier semi-privé créé en 1979 par Deng Xiaoping. Il possède des filiales bancaires dans 44 pays, déclare des réserves de 922 milliards de yuans (90 milliards d’euros) et a réalisé une centaine de projets géants sur les cinq continents : ponts, barrages, métros, ports, tunnels, stades. Son associé CRCC, que nous retrouverons en Angola, est la seconde plus grande compagnie chinoise, avec 220 000 employés. »(p.140)