Des avancées parlementaires en trompe-l’oeil
Depuis le 14 octobre, les budgets 2026 de la Sécurité sociale et de l’État sont âprement discutés à l’Assemblée nationale. Ces deux projets sont un concentré de ce qui est nécessaire au capitalisme français, en perte de vitesse sur le marché mondial : augmenter son taux de profit en attaquant la classe ouvrière, renforcer les aides et exonérations dont il bénéficie, préparer la guerre impérialiste et accroitre les moyens de la police.
En même temps, le gouvernement n’a qu’une assise fragile. Dans sa déclaration de politique générale, Lecornu, en même temps qu’il annonçait renoncer à l’utilisation de l’article 49.3, avait donc déclaré : « le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez ». Mais tout cela n’est qu’un théâtre.
Au premier acte, ces projets de budgets sont amendés à tour de bras par tous les groupes parlementaires, selon des alliances de circonstances effaçant toutes frontières de classe. LFI vote avec le RN, le PS avec les macronistes, etc. Le décalage de la loi Borne sur les retraites, proposée par le gouvernement en échange de la mansuétude du PS, est adopté en première lecture. Ici, on vote le doublement de la taxe sur les géants du numérique (GAFAM) censée rapporter au moins 25 milliards d’euros. Là, on rétablit l’indexation des retraites et des prestations sociales, on vote une nouvelle taxe sur les bénéfices des grandes entreprises, on rallonge de 870 millions le budget des hôpitaux, on rétablit l’indexation du barème des impôts et l’abattement forfaitaire de 10 % sur les revenus des retraités, etc.
Hier soir nous avons obtenu du premier ministre le dégel des pensions de retraites et des prestations sociales, soit 3,6 milliards que n’auront pas à subir les familles, également un engagement encore trop flou sur le budget de l’hôpital et 2,5 milliards supplémentaires via la CSG sur le patrimoine financier. (Olivier Faure, LCP, 31octobre)
Il semblerait donc que, par la vertu des discussions parlementaires, nombre des attaques contre la classe ouvrière prévues initialement sauteraient les unes après les autres. Pure illusion !
Le 8 novembre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la partie recettes du budget de la Sécurité sociale (dont la réduction du cout des heures supplémentaires pour les patrons), grâce aux voix du PS et à l’abstention de députés du PCF, au motif de permettre ainsi à la discussion de se poursuivre sur la partie dépenses. C’est la couverture honteuse de la politique du gouvernement.
Au deuxième acte, le 21 novembre, 404 députés ont rejeté finalement l’ensemble de la partie recettes du budget de l’État, 84 se sont abstenus et un seul a voté pour, aucun groupe parlementaire ne trouvant assez de raisons pour en endosser la responsabilité. La discussion de la partie dépenses ainsi évacuée, c’est le texte initial du gouvernement qui part au Sénat, dont la majorité LR et macroniste a promis de le durcir plus encore !
Au troisième acte, après examen par une commission mixte paritaire, les projets de budgets seront de retour devant l’Assemblée nationale. Le gouvernement, qui a peu de chance alors d’obtenir un compromis acceptable par ses oppositions, avant le 12 décembre pour le budget de la Sécurité sociale et le 15 décembre pour le budget de l’État, sifflera la fin du jeu. Il fera passer ses budgets par ordonnances, par l’article 49.3 ou s’arrogera un nouveau délai avec une « loi spéciale ». Évidemment, il reste sous la menace d’une motion de censure brandie par LFI comme par le RN, qui, pour être majoritaire, devrait rassembler aussi bien les voix du PS, du PCF et de LFI que celles du RN…
LFI en défense du militarisme
LFI a beau jeu de dénoncer la complicité du PS avec le gouvernement. Hélas, ce n’est que concurrence entre réformistes. Ils sont d’accord pour faire croire au théâtre parlementaire, pour garder la Nouvelle-Calédonie, pour renforcer l’armée française. Son représentant en commission des finances explique pourquoi les députés LFI voteront contre les crédits militaires de 57,2 milliards d’euros : parce qu’ils sont insuffisants, malgré leur augmentation de 7 milliards, pour développer l’armée de l’impérialisme français
Les crédits de la mission Défense atteindront 66,7 milliards d’euros en 2026, ce qui représente une hausse de 11,3 %. Cette augmentation se décompose en une marche de 3,2 milliards prévue par la LPM et en une surmarche de 3,5 milliards. Je redoute que la surmarche ne serve qu’à absorber la surchauffe budgétaire du ministère plutôt qu’à développer de nouvelles capacités militaires. (Bastien Lachaud, Compte-rendu de la commission des finances n° 22, 5 novembre, p. 5)
Les députés LFI (Bex, Lachaud, Saintoul) réclament plus d’argent public pour l’armée.
Il s’agit de créer un nouveau programme visant à accélérer la dronisation navale… les montants ne nous semblent pas à la hauteur des besoins. (Aurélien Saintoul, p. 9-10)
Mon amendement vise à créer une ligne budgétaire nouvelle, destinée à développer un système d’alerte avancée. (Bastien Lachaud, p. 14)
Il s’agit de financer en urgence l’achat de systèmes de lance-roquettes unitaires… Il est indispensable de posséder une capacité souveraine, ce qui suppose d’acheter des produits français. (Bastien Lachaud, p. 17)
Pour utiliser tout ce matériel, il faut aussi recruter.
Si nous ne donnons pas la possibilité de recruter davantage, nous n’atteindrons jamais l’objectif fixé par la loi de programmation militaire. (Bastien Lachaud, p. 28)
Pour cela, il faut selon LFI (en accord avec le RN) mieux garantir les pensions des militaires qui, encore plus que celles des policiers, dérogent pourtant aux règles des autres fonctionnaires.
Le gel prévu par l’actuel projet de loi de finances n’est pas acceptable, surtout de la part d’un gouvernement qui met en avant le lien armée-nation, le réarmement, le devoir de reconnaissance envers ceux qui ont servi notre pays. (Christophe Bex, p. 33)
À chaque fois, les représentants du RN expriment leur accord avec LFI et votent ses amendements. La nuance entre le militarisme du président d’une part et celui de LFI ou du RN d’autre part est que ces derniers ne veulent pas de collaboration des capitalistes français de l’armement avec ceux de l’Allemagne.
Nous proposons de réaffecter 1,2 milliard d’euros vers une ligne nouvelle dédiée au financement d’un avion du futur souverain. En effet, le projet Scaf n’avance pas et livre notre industrie aux appétits des entreprises allemandes. (Bastien Lachaud, p. 7)
Lorsque le chef d’état-major des armées appelle le 18 novembre à préparer la guerre, à « accepter de perdre nos enfants, de souffrir économiquement » , le seul problème pour LFI c’est que « le débat » doit avoir lieu au parlement.
La France insoumise demande au président de la République, chef des armées, de rappeler publiquement à l’ordre le général Mandon et de réaffirmer que les orientations stratégiques de la France relèvent exclusivement du débat démocratique et des autorités civiles placées sous le contrôle du Parlement. (LFI, 19 novembre)
Aujourd’hui, LFI est pour augmenter « les capacités militaires » au-delà de ce que prévoit le gouvernement Macron-Lecornu. Demain, LFI votera les crédits de guerre dans un élan patriotique avec la bourgeoisie, pourvu qu’il y ait un bon débat à l’Assemblée !
Briser le soutien au gouvernement du parlementarisme et des journées d’action
Les partis réformistes PS, PCF et LFI demandent à la classe ouvrière de les laisser faire, ils l’enserrent dans les illusions parlementaristes, soit en lui faisant miroiter des avancées obtenues à coup d’amendements, soit en la renvoyant au vote d’une motion de censure. En réalité, la discussion budgétaire ne changera rien à la nature profondément réactionnaire des budgets de l’État et de la Sécurité sociale. La motion de censure, nécessairement en alliance avec le RN pour être majoritaire, ne ferait qu’ouvrir grand les portes à Le Pen ou Bardella pour accéder au pouvoir.
Des dirigeants syndicaux emboitent le pas aux partis ouvriers bourgeois, en décrétant une « journée d’action » le 2 décembre.
Rien n’est encore joué, car le débat budgétaire durera jusqu’à mi-décembre. C’est le moment d’amplifier nos mobilisations de la rentrée pour mettre la pression pour obtenir la justice sociale, fiscale et environnementale dans ce budget. (CGT, FSU et Solidaires, 6 novembre)
Voilà les travailleurs invités, une fois de plus, à faire pression sur les débats parlementaires. Quel est le bilan des appels aux journées d’action du 18 septembre, du 2 octobre, sinon d’avoir laissé le gouvernement développer son calendrier sans crainte alors qu’il est si affaibli ? C’est la même diversion que l’intersyndicale avait utilisée en 2023 et qui a permis la mise en application de la loi Borne contre nos retraites.
Ensemble, imposons une autre répartition des richesses, au national en mettant la pression sur le vote du budget et dans nos entreprises et services en gagnant des augmentations de salaires. (CGT, Tract pour le 2 décembre)
Les adjoints des bureaucrates apportent déjà leur soutien enthousiaste à ce dispositif.
L’occasion, pour notre camp social, de se mobiliser et de reprendre l’offensive contre les capitalistes et leur monde. (NPA-AC, 12 novembre)
Si les budgets du gouvernement passent, cela signifiera une aggravation importante de la situation des travailleurs, des étudiants, des retraités, des migrants et des sans-papiers, pendant que les crédits pour l’armée et la police seront renforcés. Pour leur barrer la route, il n’y a pas d’autre voie que la mobilisation de la classe ouvrière pour affronter le gouvernement et le vaincre, préparer la grève générale.
Unité de toutes les organisations ouvrières pour manifester à l’Assemblée nationale pour interdire le vote des budgets réactionnaire ou leur passage par ordonnances !
Certains dirigeants syndicaux appellent à la tenue d’assemblées générales. Utilisons-les pour imposer la volonté des travailleurs en faisant voter pour la rupture de toute collaboration avec le gouvernement Macron-Lecornu, pour la manifestation centrale à Paris contre le gouvernement et contre ses budgets !

