
Le 27 janvier 1945, l’Armée de l’URSS libéra le camp nazi d’Auschwitz-Birkenau (Pologne). En dehors des victimes des opérations militaires, le régime nazi avait assassiné plus de 10 millions de personnes, soit dans les « camps de concentration » esclavagistes, soit dans les « centres d’extermination », soit à l’arrière du front de l’Est par les Einsatzgruppen. Les victimes étaient, outre les adversaires du nazisme, les handicapés , les homosexuels, les Tziganes et les Juifs.
Le 24 janvier 2025, la cérémonie commémorative a comporté des représentants des gouvernements israélien et américain ainsi que le chef de l’État français.
Le nazisme fut l’exaspération de la réaction bourgeoise du XXe siècle
L’extermination de 6 millions de Juifs d’Europe (sur 9,5) par les nazis n’est pas un accident incompréhensible, un évènement inexplicable, mais une expression de la barbarie que porte en lui le capitalisme, à laquelle la bourgeoisie recourt sans vergogne quand elle se sent menacée. Le fascisme allemand n’a fait qu’exacerber des tendances déjà présentes au sein de la société bourgeoise.
Le capitalisme en déclin a opéré un brusque tournant vers un nationalisme exacerbé dont l’antisémitisme est un aspect. (Lev Trotsky, « Entrevue au journal Der Weg », 18 janvier 1937, Oeuvres, t. 12, p. 111)
Le mouvement nationaliste juif créé par Theodor Herzl en 1897 préconisait « le retour » des Juifs dans leur région d’origine historique, au Proche-Orient. Le sionisme prenait à contrepied les aspirations de la plupart des Juifs à vivre et à s’épanouir dans le pays où ils étaient nés ou qu’ils avaient choisi.
La révolution russe d’Octobre 1917 confortait cette dernière option, en émancipant les Juifs, victimes de discriminations et de pogroms sous le tsar. Dans le pouvoir des soviets, figuraient des commissaires du peuple d’origine juive (Zinoviev, Trotsky…). Mais la révolution russe resta isolée. Face à la révolution prolétarienne en Allemagne, en Hongrie, en Finlande, en Bulgarie, en Italie, en Pologne… la bourgeoisie européenne recourut à la réaction et à la contrerévolution extrêmes, ranimant l’antisémitisme. Les armées russes « blanches », que la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis appuyaient, pratiquèrent les pogroms lors de leur guerre contre le pouvoir des soviets. Le dirigeant du Parti conservateur Churchill tenait alors lui-même des propos antisémites (Sunday Herald, 8 février 1920).
L’exaspération du nationalisme pour cimenter les États nationaux bourgeois, la recherche de boucs émissaires transforma les Israélites, de victimes jusqu’alors d’une discrimination à justification religieuse, en Juifs conçus comme race, une catégorie pseudo-biologique, rendus responsables tout à la fois des crises économiques, des défaites militaires et des révolutions prolétariennes. Hitler exprima cette mystification.
Pour élever la nation au-dessus de l’histoire, on lui donne le soutien de la race. L’histoire est vue comme une émanation de la race… le nazisme descend au matérialisme zoologique. De même que l’aristocratie ruinée trouvait une consolation dans la noblesse de son sang, la petite-bourgeoise paupérisée s’enivre de comptes sur les mérites particuliers de sa race. (Lev Trotsky, « Qu’est-ce que le nazisme ? », 10 juin 1933, Contre le fascisme, p. 360, 362)
L’échec de la révolution prolétarienne à l’ouest, faute de parti révolutionnaire de type Parti bolchevik, puis à l’est, en Chine, en 1927, à cause de la subordination du PCC au Guomindang, a démoralisé le prolétariat soviétique et a permis à la bureaucratie de l’État ouvrier, incarnée par Staline, de s’émanciper de tout contrôle de sa part. Le règne de la bureaucratie russe chauvine s’accompagna d’antisémitisme.
Si la vague révolutionnaire a réveillé les plus nobles sentiments de la solidarité humaine, la réaction thermidorienne a attisé tout ce qui est bas, obscur et arriéré… La bureaucratie n’hésite pas recourir de façon à peine voilée aux tendances chauvines et surtout à l’antisémitisme. (Lev Trotsky, « Entrevue au journal Der Weg », 18 janvier 1937, Oeuvres, t. 12, p. 112)
La montée du parti fasciste NSDAP, financé par le grand capital, soutenu par des secteurs de la police et de l’armée, résulta de l’échec de la révolution en Allemagne. Hitler prit le pouvoir en 1933 à cause de la paralysie politique du prolétariat, causée tant par la vaine recherche par le SPD d’une alliance avec les partis « démocratiques » bourgeois que par la politique de division forcenée des rangs ouvriers par le KPD qui considérait le SPD comme « social-fasciste » et même plus dangereux que le NSDAP. Les premiers jetés dans les camps par les nazis furent les militants ouvriers, rejoints par tous ceux que les fascistes allemands considéraient comme des « sous-hommes ».
Les traits les plus caractéristiques de la mentalité SS et de ses soubassements sociaux se retrouvent dans bien d’autres secteurs de la société mondiale… L’Allemagne a interprété avec l’originalité propre à son histoire la crise qui l’a conduite à l’univers concentrationnaire. Mais l’existence et le mécanisme de cette crise tiennent aux fondements économiques et sociaux du capitalisme et de l’impérialisme. (David Rousset, L’Univers concentrationnaire, 1945, Minuit, p. 186)
La persécution conduisit de nombreux Juifs à tenter de fuir leur pays d’origine, en particulier l’Allemagne et l’Autriche. Pour les chefs sionistes, les Juifs étaient un corps étranger en Allemagne, dans le reste de l’Europe et partout ailleurs sauf en Palestine. Ils tentèrent de s’accommoder d’Hitler et refusèrent d’engager la lutte contre le 3e Reich. Leur Agence juive (Yishuv) passa un accord avec le gouvernement nazi en aout 1933 pour organiser l’émigration en Palestine. En retour, la seule organisation juive tolérée était le mouvement sioniste, l’unique journal juif légal était sioniste.
L’avant-garde communiste, elle, n’a jamais pactisé avec le nazisme, auquel elle a payé un lourd tribut dans toute l’Europe, tout en dénonçant le sionisme comme une impasse pour les Juifs opprimés.
Chaque jour nous apporte la preuve que le sionisme est incapable de résoudre la question juive. Le conflit entre les Juifs et les Arabes en Palestine prend une tournure de plus en plus menaçante. (Lev Trotsky, « Entrevue au journal Der Weg », 18 janvier 1937, Oeuvres, t. 12, p. 111-112)
Avec l’annexion de l’Autriche, la conquête de la Pologne (où vivaient 3,3 millions de Juifs), la victoire sur la France, l’invasion de l’URSS, l’occupation de la Hongrie, les Juifs d’Europe, sauf les plus célèbres et les plus riches, se retrouvèrent à la merci des fascistes. En janvier 1942, devant les premières difficultés militaires de l’impérialisme allemand, Hitler décida la « solution finale », l’extermination des Juifs de toute l’Europe.
Quand l’État bourgeois français livrait les Juifs à l’appareil d’extermination nazi
L’État américain refusa d’ouvrir largement ses frontières aux réfugiés, malgré la campagne de la section américaine de la 4e Internationale, le SWP. La République française avait à partir de 1937 interné dans des camps les militants ouvriers d’Italie, d’Allemagne et d’Espagne. Elle les livra massivement aux bourreaux nazis, avec presque tous les Juifs réfugiés en France et 28 % des Juifs de nationalité française.
Après-guerre, secondé par le PS-SFIO et le PCF, le général de Gaulle entreprit de désarmer les travailleurs, de stabiliser l’État bourgeois, de reconstruire le capitalisme français. Dans ce cadre, bien des hauts fonctionnaires de Vichy poursuivirent une brillante carrière dans la 4e et la 5e Républiques.
Un cas bien connu est celui de Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de la Gironde de 1942 à 1944, qui avait organisé dix convois de Juifs à destination de Birkenau-Auschwitz. On le retrouve quelques années plus tard nommé en 1958 préfet de police de Paris par de Gaulle. Le 4 octobre 1961, Papon mit en place un couvre-feu concernant les « Français musulmans d’Algérie ». Contre cette mesure, le FLN appela à une manifestation le 17 octobre. 7 000 policiers de la République arrêtèrent plus de 10 000 travailleurs arabes et kabyles, les parquèrent dans des stades et en assassinèrent au moins plusieurs dizaines. Le 8 février 1962, la police aux ordres de Papon et de Gaulle tua 9 travailleurs manifestant à l’appel du PCF au métro Charonne.
Le haut fonctionnaire René Bousquet, à la tête de la police française de 1942 à 1943, organisa la majeure partie des déportations de Juifs français, dont la rafle du Vélodrome d’Hiver, incluant les enfants que Berlin ne réclamait pas, ainsi que les Juifs réfugiés en France. Bousquet fut intégré à la direction de la Banque d’Indochine. En 1958, il fut candidat à la députation dans la Marne, sous l’étiquette UDSR, un parti bourgeois colonialiste et anticommuniste dirigé par Mitterrand. Bousquet était un de ses intimes.
La barbarie nazie ne peut aucunement justifier la colonisation de la Palestine
L’ignominie fasciste a servi, après-guerre, aux sionistes de justification à leur projet bien antérieur d’édification d’un État juif en Palestine. Malgré tout, les survivants de l’Holocauste choisirent à 60 % de rester en Europe ou d’émigrer ailleurs qu’en Israël, principalement aux États-Unis (The Economist, 25 janvier 2020).
La construction d’un État basé sur l’ethnie et la religion a forcément un caractère réactionnaire. Israël a été fondé en 1948 par le terrorisme, par l’assassinat des Arabes de Palestine, la destruction de villages entiers, l’épuration ethnique par la terreur, avec le soutien de tous les partisans de l’ordre mondial dont l’impérialisme français. En 1956, quand le colonel Nasser nationalisa le canal de Suez, Israël s’allia aux anciens colonisateurs britannique et français pour envahir l’Égypte, opération qui fut bloquée par l’impérialisme américain. Les années suivantes, l’État français aida Israël à se doter de l’arme atomique, ce qu’il veut interdire aujourd’hui à l’Iran. Dans les années 1970, Israël s’entendait fort bien avec le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. Pourtant, le PS, le PCF, LFI, LO se plient à « la solution » de la bourgeoisie française « de deux États », reconnaissent la légitimité d’Israël.
Les travailleurs arabes et les travailleurs juifs d’Israël, de Gaza et de Cisjordanie doivent s’unir pour liquider l’État d’Israël, basé sur la ségrégation et la colonisation, pour gouverner ensemble une Palestine laïque, démocratique et multiraciale au sein de la fédération socialiste du Proche-Orient.
Les travailleurs du monde entier ne doivent pas accorder la moindre confiance aux dirigeants impérialistes, les Macron et Bayrou qui sont responsables de milliers de noyades en Méditerranée et qui accusent les soutiens à la cause palestinienne d’antisémitisme ou les Trump et Vance qui ont pour alliées les monarchies antisémites du Proche-Orient, qui propulsent l’AfD en Allemagne et encouragent le nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Il faut les chasser, renverser le capitalisme, prendre le contrôle démocratique de l’économie, marcher au socialisme mondial qui balaiera les frontières et mettra fin à tout racisme.
Annexe : Déclaration des communistes internationalistes (4e Internationale) du camp de Buchenwald, 20 avril 1945

Avec l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, l’Italie, l’Allemagne et le Japon perdent leur position en tant que grandes puissances impérialistes, alors que la France est gravement ébranlée… Cette évolution donne au prolétariat allemand la possibilité de se lever à brève échéance de sa défaite la plus profonde et de se mettre à nouveau à la tête du prolétariat européen dans la lutte pour abattre le capitalisme. La révolution russe, isolée par l’échec de la révolution en Europe, a pris une évolution qui l’a éloignée de plus en plus des intérêts du prolétariat européen et international. La politique du « socialisme dans un seul pays » représentait d’abord les seuls intérêts de la clique bureaucratique dominante et conduit actuellement l’État russe à une politique de nationalisme côte à côte avec les puissances impérialistes. Quelle que soit l’évolution en Russie, le prolétariat international doit se libérer de toute illusion concernant cet État et arriver par une analyse marxiste claire au constat que la caste de bureaucrates et de militaires actuellement au pouvoir défend exclusivement ses propres intérêts et que la révolution internationale doit renoncer à tout soutien de la part de ce gouvernement…
Le prolétariat ne peut réaliser sa tâche historique que sous la direction d’un nouveau parti mondial révolutionnaire. La construction de ce parti est la tâche immédiate de tous les éléments les plus avancés de la classe ouvrière. Dans la lutte contre le capitalisme et ses agents réformistes et staliniens, des cadres révolutionnaires internationaux se sont déjà rassemblés pour la construction de ce parti mondial… Toutes les théories et illusions concernant un « État populaire », « Démocratie populaire », ont conduit la classe ouvrière au cours des luttes de classes sous la société capitaliste dans les défaites les plus sanglantes. Seule la lutte intransigeante contre l’État capitaliste jusqu’à sa destruction et l’instauration de l’État des conseils ouvriers et paysans peuvent empêcher d’autres défaites. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie déracinée ont porté le fascisme au pouvoir. Le fascisme est une création du capitalisme. Seule l’action indépendante et victorieuse de la classe ouvrière contre le capitalisme peut anéantir le mal du fascisme avec ses racines. Dans cette lutte, la petite bourgeoisie hésitante suivra le prolétariat révolutionnaire dans sa poussée, comme l’histoire des grandes révolutions nous l’a appris.
Pour rester victorieuse dans les luttes de classes à venir, la classe ouvrière allemande doit se battre pour la réalisation des revendications suivantes : Liberté d’organisation, de réunion et de presse ! Liberté d’association et rétablissement immédiat de toutes les conquêtes sociales d’avant 1933 ! Suppression complète de toutes les organisations fascistes ! Saisie de leurs fortunes en faveur des victimes du fascisme ! Tous les représentants de l’État fasciste doivent être jugés par des tribunaux populaires librement élus ! Dissolution de la Wehrmacht et son remplacement par des milices ouvrières ! Élections immédiates et libres de conseils ouvriers et paysans dans toute l’Allemagne et convocation d’un congrès général des conseils ! Tout en utilisant toutes les institutions parlementaires de la bourgeoisie pour la propagande révolutionnaire, il faut maintenir et élargir les conseils ! Expropriation des banques, de l’industrie lourde et des propriétaires fonciers ! Contrôle de la production par les syndicats et les conseils ouvriers ! Pas un homme, pas un pfennig pour les dettes de guerre et de réparations de la bourgeoisie ! La bourgeoisie doit payer ! Pour la révolution socialiste dans toute l’Allemagne, contre le démembrement de l’Allemagne ! Fraternisation révolutionnaire avec les prolétaires des armées d’occupation ! Pour une Allemagne des conseils dans une Europe des conseils ! Pour la révolution prolétarienne mondiale !