D’où vient l’ICR ?

Le grantisme, une variante du révisionnisme qui ravage la 4e Internationale en 1949-1953

En 1949, le secrétariat de la 4e Internationale (Pablo, Frank, Mandel) commence à se rallier à Mao en Chine et à Tito en Yougoslavie. Au congrès de 1951, Pablo prédit une guerre mondiale à court terme qui poussera irrésistiblement la bureaucratie de l’URSS, des partis ouvriers réformistes et des partis nationalistes petits-bourgeois vers la révolution. Le « trotskysme » se mue en groupe de pression pour parachever cette évolution et conseiller les directions. Le SI préconise donc un « entrisme sui généris », c’est-à-dire prolongé, tant dans les partis ouvriers traditionnels que dans les mouvements nationalistes bourgeois d’Amérique latine.

Au sein de la 4e Internationale, il y a résistance contre l’adaptation au stalinisme, d’abord en 1951 dans les sections française (PCI) et suisse (MAS), puis en 1953 dans les sections américaine (SWP) et britannique (Club). La 4e Internationale vole en éclats en 1952-1953. Les « orthodoxes » constituent en 1953 le CIQI. En Grande-Bretagne, on trouve alors 3 groupes « trotskystes » qui font tous de l’entrisme au sein du Parti travailliste : le Club de Gerry Healy (section du CIQI), la RSL de Ted Grant et le SRG de Tony Cliff (qui a refusé de soutenir la Chine lors de la guerre de Corée).


La QI révisionniste se retrouve sans représentation dans un des principaux pays européens. Pablo se tourne vers la RSL de Grant, tout en stimulant un groupe plus petit mais plus docile, l’International Group (IG) de Purdie. En 1956, la RSL (Grant, Bornstein) devient la « section de la 4e Internationale » (SI pabliste). Il n’y aucune divergence stratégique. Grant converge avec Pablo (qui deviendra même conseiller du gouvernement bourgeois algérien) pour attribuer à des gouvernements nationalistes d’anciennes colonies ou semi-colonies (Mozambique, Birmanie, Irak, Syrie, Angola, Bénin…) la capacité d’aller vers le socialisme parce qu’il leur arrive de nationaliser des secteurs de l’économie et de parler de « socialisme » pour duper les masses. Grant baptise cette illusion « bonapartisme prolétarien ». L’adjoint de de Grant, Woods, deviendra au début du XXe siècle conseiller du colonel Chavez au Venezuela.

En 1958, la direction du Parti travailliste (LP) lance une offensive contre la SLL (ex-Club). En 1964, elle expulse son organisation jeune, les Young Socialists que dirige la SLL. La bureaucratie lance une nouvelle organisation de jeunesse, les LPYS, dans lesquels elle tolère les IS (ex-SRG) de Cliff et Kidron et la RSL de Grant qui lance le journal Militant.

En 1959, la révolution cubaine commence. L’adaptation commune au castrisme permet au SWP américain (Hansen), au SLATO d’Amérique latine (Moreno) et à la majorité du SI (Mandel, Maitan) sans Pablo de scissionner le CIQI et de se retrouver dans le SUQI en 1963 (telle est l’origine des actuels NPA-AC et RP). En 1965, le SUQI décide que l’IG (futur IMG) sera la section britannique et que la RSL deviendra une organisation sympathisante.

Alors, Grant quitte le SUQI sans combat programmatique (et pour cause !) et fonde son propre courant international qui prendra en 1974 le nom de Committee for a Workers International (Comité pour l’internationale ouvrière, CWI-CIO, animé par Roger Silverman, Alan Woods, Rob Sewell…).

Les caractéristiques du grantisme

Sur le plan de l’organisation, le grantisme ressemble au hardysme français. Sur le plan politique, il s’apparente au lambertisme français.

1/ Un fonctionnement antidémocratique

En France, personne ne parle d’UC, mais tout le monde a entendu parler de LO. Dans les années 1960-1980, tout le monde en Grande-Bretagne connaissait Militant, personne la RSL qui n’apparaissait jamais.

Comme VO-LO, Militant présente de forts traits de secte. À cause des statuts et de l’attitude de la direction réformiste, l’entrisme de la RSL est forcément clandestin. Cela facilite un fonctionnement secret, de cercles d’initiation successifs où la sympathisante ou le sympathisant qui apprend à obéir, pas à prendre des initiatives, pense qu’elle ou il a rejoint une élite. L’activisme est forcené.

Les sympathisants doivent être séchés au vent, ensevelis dans la neige, cuits sur le gril, puis séchés au vent et ensevelis dans la neige de nouveau, et alors, seulement, nous pouvons les accepter. (Peter Taaffe, cité dans Michael Crick, Militant, 2016, p. 178)

Pas de débat de fraction ou de tendance qui concerne la base. En 1981, le CC de la RSL est composé uniquement de permanents (un phénomène inédit dans l’IC et la QI).

Militant et le CWI-CIO se nomment alors « marxistes », jamais communistes, une appellation pas très populaire dans le Parti travailliste. Comme chez LO et son clone NPA-R, l’autorité de la direction (Grant, Taaffe) est renforcée de la lecture des classiques du marxisme… qui ne sont guère appliqués dans l’orientation réelle de Militant, voir ci-dessous.

2/ L’entrisme de longue durée

Son entrisme est très différent de celui pratiqué par la 4e Internationale dans les années 1930 en Belgique, en France, aux États-Unis, qui était de court terme, s’appuyait sur un tournant du parti réformiste, misait sur une aile gauche qui cherchait la voie de la révolution. L’activité de la RSL au sein du Parti travailliste repose sur les mêmes prémisses que celles des pablistes dans les partis staliniens et des lambertistes dans les partis socialistes du continent.

Toute l’histoire montre que, aux premières étapes de la vague révolutionnaire, les masses se tournent vers les organisations de masse pour essayer de trouver une solution à leurs problèmes, surtout la jeune génération. (Ted Grant, Problems of Entrism, mars 1959)

La RSL table sur des hypothèses, pas forcément absurdes, mais transformées en lois fatales, en pronostics certains :

  • le capitalisme est dans une crise qui ne fait que s’approfondir,
  • les masses en lutte se tournent forcément vers leurs partis politiques traditionnels (le LP réformiste en Grande-Bretagne, l’ANC bourgeoise en Afrique du Sud, etc.)
  • l’aile droite du Parti travailliste est définitivement morte, les organisations traditionnelles sont irrésistiblement et irréversiblement poussées à gauche.

L’entrisme de Militant est dès lors justifié : il faut tout faire pour s’inscrire dans ce processus inéluctable, rester à tout prix dans le parti de masse ; l’organisation des « marxistes », ainsi, ne peut que grossir.

Les résultats semblent lui donner raison. À la fin des années 1970, Militant contrôle les LPYS, la mairie de Liverpool et a 3 députés.

Les opportunistes oublient la dialectique, négligent que, parfois, la bourgeoisie reprend la main, que, parfois, les luttes de masse débordent les vieux partis, que ces partis servent, toujours, de tampon contre une poussée révolutionnaire. En fait, c’est tourner le dos à la construction du parti ouvrier révolutionnaire.

3/ La capitulation devant son propre impérialisme

Cette adaptation au Parti travailliste les amène à un grave opportunisme.

  • En 1972, Militant, au nom de l’unité des travailleurs protestants et catholiques d’Irlande du Nord, refuse d’appeler au retrait des troupes anglaises d’Irlande.
  • En 1982, lors de la guerre des Malouines, Militant explique que l’Argentine est une dictature militaire, ce qui est vrai, pour justifier là encore ne pas faire campagne contre l’armée britannique.

Un gouvernement travailliste ne pourrait pas abandonner les habitants [britanniques] des Malouines et les laisser aux mains de Galtieri [le général à la tête alors de l’Argentine]. Mais il poursuivrait la guerre sur une ligne socialiste. (Militant International Review, juin 1982)

Mais la tâche d’une organisation ouvrière révolutionnaire en Grande-Bretagne était justement d’appeler au retrait des troupes et à la défaite de l’armée britannique, car c’est un État impérialiste qui maintient par la force un territoire d’un pays dominé.



4/ La révision de la conception communiste de l’État

L’abandon de la théorie marxiste sur l’État se révèle sous deux angles :

  • Comme on l’a vu, pour les pays dominés, le « bonapartisme prolétarien » qui fonderait des États ouvriers parce qu’un chef suprême (généralement issu de le nouvelle armée bourgeoise) mise sur l’État pour développer le capitalisme national,
  • Au Royaume-Uni, l’adoption de la conception réformiste selon laquelle une transition pacifique au socialisme est possible si le gouvernement du Parti travailliste nationalise suffisamment et s’appuie sur les masses,

Confirmant que ce n’est pas le Parti travailliste qui devient communiste sous l’influence des « marxistes », mais la RSL qui devient réformiste au fil des ans, Militant n’avance jamais les conseils de travailleurs et son programme d’action prétend même que la Grande-Bretagne de la fin du 20e siècle peut passer pacifiquement au socialisme.

Une transformation entièrement pacifique de la société est possible en Grande-Bretagne. (Militant, What we stand for, 1981, p. 25)

Par conséquent, les flics seraient des travailleurs comme les autres. La « tendance marxiste » (sic) rejoint la bureaucratie syndicale pour les syndiquer.

Par conséquent, Militant se garde de participer aux mobilisations de front unique ouvrier contre le BNP fasciste puisque le Parti travailliste condamne tout violence et s’en remet à la police et à la justice bourgeoises.

L’expulsion du Parti travailliste et l’explosion de Militant

Même si Militant fournit des militants infatigables aux campagnes électorales de tous les candidats réformistes, la bureaucratie du Parti travailliste trouve qu’il se développe trop (4 300 à son zénith en 1982), d’autant qu’elle ne peut plus fournir de miettes à la classe ouvrière.

Confronté au dénigrement anticommuniste et aux exclusions menés par la bureaucratie réformiste, Militant ne combat pas frontalement, ne défend pas le programme communiste, essaie de ruser, saisit la justice bourgeoise. La direction travailliste dissout les LPYS (10 000 membres, dont très peu restent avec Militant) et fonde une nouvelle organisation de jeunesse. Tous les membres identifiés (grâce aux bureaucrates locaux mais aussi aux services secrets et à la presse bourgeoise) sont peu à peu exclus entre 1982 et 1991.

L’expulsion provoque en 1991 une scission entre les partisans minoritaires de la poursuite de l’entrisme à tout prix, menés par Grant et Alan Woods, et la majorité qui proclame l’organisation indépendante Militant Labour dirigée par Peter Tafee.

Alan Woods, le fondateur du RCP de Grande-Bretagne et le chef de l’ICR, trinque avec le colonel Chavez à Caracas en 2005

La majorité (Sheridan, Taaffe…) garde l’organisation internationale (CWI/CIO) et fonde un « Parti socialiste » en Ecosse (SSP) et un autre dans le reste du Royaume-Uni (SPEW ou SP). Le CWI/CIO scissionne en plusieurs tronçons en 2019. La minorité (Grant, Woods…) lance un nouveau journal Socialist Appeal et une nouvelle franchise internationale, l’International Marxist Tendency (Tendance marxiste internationale, IMT/TMI).

En 2024, SA change son étiquette pour RCP et l’IMT se renomme Revolutionary Communist International (Internationale communiste révolutionnaire, RCI/ICR) dont toutes les sections se rebaptisent actuellement Parti communiste révolutionnaire quand le nom n’est pas déjà pris. Une telle mutation, si on prend au sérieux le communisme révolutionnaire, impose un bilan sérieux des décennies antérieures. On l’attend encore…