Un mouvement de masse aux mains des petits patrons
Depuis le 1er septembre, la Martinique, territoire de 361 000 habitants des Antilles (Caraïbes) rattaché à l’État français connait un important mouvement de masse contre la vie chère. De nombreux salariés du secteur public (fonctionnaires territoriaux en particulier) et privés (Vedettes Blue Line, SAMAC, dockers, personnels travailleurs des supermarchés…) ont débrayé ou ont fait grève en particulier les 26 septembre (600 grévistes) et 1er octobre (1 000).
Le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) a mené des manifestations, des barrages filtrants. Il a été débordé par des pillages de supermarchés et des destructions stupides d’autres sites d’entreprise.
Le RPPRAC, mouvement d’obédience indépendantiste né en juillet 2024, conduit cette mobilisation essentiellement par les réseaux sociaux. A l’image des Gilets jaunes, le mouvement du RPPRAC qui est dirigé par le populiste Rodrigue Petitot réunit en son sein des mères de familles, des prolétaires, des chômeurs mais aussi des petits commerçants, des petits patrons, des pécheurs, des agriculteurs…
À l’étape actuelle, les principales directions syndicales de l’ile (CGTM, FO, UNSA, FSU, CSTM sont absentes de ce regroupement même si elles ont décrété deux « journées d’action » (et jamais la grève générale) avec l’appui de CO (l’organisation sœur de LO).
Les travailleurs martiniquais s’enfoncent dans la pauvreté
Quinze ans après le mouvement contre la « pwofitasyon » qui avait touché principalement la Guadeloupe mais aussi la Martinique, la Guyane et la Réunion, rien n’est réglé dans cette ancienne colonie française.
Au contraire, l’inflation y est toujours plus forte qu’en métropole. L’ile connait un écart des prix avec la métropole de plus de 14 % (alors qu’il n’était que de 10 % en 2010) et parfois de plus de 40 % pour les produits alimentaires ou de premières nécessités. Or, 11 % de la population (dont la plus grande partie est descendante des esclaves importés d’Afrique par les colons blancs) est au chômage, 27 % de la population est considérée comme pauvre, un taux deux fois supérieur à celui de la métropole selon l’Insee. Le revenu médian y est de 1 647 euros par mois contre 1 916 euros en France, un chiffre qui intègre les revenus des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales à rémunération majorée (« prime de vie chère »). Ce n’est pas le cas pour tous les autres travailleurs de l’ile.
Les marges de la grande distribution doivent baisser. Aujourd’hui, une mère de famille qui élève ses enfants seule doit acheter sa boite de 8 steaks à 18 euros en Martinique quand la même boite coute moins de 10 euros en France métropolitaine. (Aude Goussard, RPPRAC, RFI, 8 octobre)
Une économie capitaliste sous-développée
De fait, la Martinique est victime non seulement de l’insularité mais de l’héritage du colonialisme. L’industrie ne pèse que 7 % de la valeur ajoutée. La Martinique importe plus de 80 % de sa consommation de la métropole. Les prix augmentent avec en moyenne 14 intermédiaires contre 3 dans l’Hexagone.
Ces prélèvements enrichissent des groupes capitalistes aux mains des « békés », descendant des premiers colons français, comme le puissant groupe Bernard Hayot (franchisé de Carrefour, Decathlon, M. Bricolage, Renault Trucks, Gamm Vert…) et la Safo (franchisé de Carrefour, 8 à Huit, Promocash…).
Le gouvernement bourgeois français réprime
La cocotte-minute a explosé. Après une première phase pacifique, la situation s’est rapidement tendue. Le gouvernement français a brutalement réprimé le mouvement, procédant comme en Kanaky et à Mayotte à des arrestations arbitraires et à des violences. Par exemple, le chef du RPPRAC a été blessé délibérément lors d’une charge sur un rondpoint.
Face aux émeutes dans les quartiers populaires des principales villes de l’ile, essentiellement du fait de jeunes déclassés, l’État français a décrété rapidement un couvre-feu dans toute l’ile. Des compagnies de CRS et de gendarmes ont été envoyées en nombre sur le territoire dont la trop fameuse huitième compagnie de CRS, une unité d’élite créée en 2021 et spécialisée dans la répression urbaine. À Mayotte, cette compagnie de sinistre mémoire a tiré contre les manifestants à balles réelles. L’envoi de forces de répression par le gouvernement Barnier a très mal été vécu par l’ensemble de la population car elle a remis en cause l’accord tacite entre l’État et le Conseil départemental suite aux exactions policières de décembre 1959. Cette arrivée de forces de répression supplémentaires par le gouvernement Barnier a très mal été vécu par l’ensemble de la population car elle a remis en cause l’accord tacite entre l’État français et l’outre-mer interdisant l’envoi de CRS.
L’accord du 16 octobre
Pour mettre fin aux troubles, le gouvernement français et la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) ont réuni les syndicats, les principaux partis politiques, le Medef local et le RPPRAC.
À l’arrivée, un accord a été signé le 16 octobre. Les prix de 6 000 produits vont baisser progressivement jusqu’à 20 % mais seulement à partir du 1er janvier 2025. L’octroi de mer, qui est un mécanisme initialement destiné à protéger la production locale mais qui est surtout l’une des principales ressources des collectivités locales, sera ramené pour un temps à 0 % sur 54 familles de biens courants (pâtes, lait, beurre, haricots rouges, fromage…) ne rentrant pas en concurrence avec les productions locales (riz, eau…). L’État appliquera une TVA à 0 % sur 69 familles de produits de grande consommation. Seul le RPPRAC a quitté la table des négociations.
Nous n’avons pas obtenu des garanties sur le calendrier et sur les possibilités de sanctions. Par ailleurs le RPPRAC réclame une baisse de l’ensemble des produits alimentaires ! (Gwladys Roger, L’Humanité, 17 octobre)
Les bureaucrates syndicaux empêchent la classe ouvrière de prendre la tête du mouvement
Il est clair que cet accord du 17 octobre ne résoudra rien car une des causes importantes de la vie chère réside dans le monopole des grandes entreprises capitalistes de la distribution. Dès lors, en période de forte inflation ou de crise économique, les travailleurs martiniquais ne peuvent que s’appauvrir encore plus rapidement qu’en métropole.
En l’absence d’un programme d’action et d’une action menée les organisations syndicales et les partis ouvriers (PCP, PCM, CO…), c’est l’organisation interclassiste et antidémocratique RPPRAC qui mène la danse pour l’instant. Vu sa nature sociale, elle est bien incapable d’appeler les salariés à se mobiliser, car cela toucherait aussi les petites entreprises.
Y a-t-il une alternative prolétarienne ? Selon la presse et LO, il y aurait en Martinique une organisation trotskyste, Combat ouvrier (CO) qui dirige d’ailleurs la CGTM. Mais, comme la bureaucratie de la CGT française, la direction de la CGTM, contre la grève générale, décrète des journées d’action avec le même résultat que dans tout l’Etat français.
Aucune organisation syndicale n’appelle à la grève générale des entreprises et des administrations, à créer des organismes de lutte démocratiques, à se défendre contre la police et les pillards. À défaut, le pourrissement du mouvement guette avec une reprise en main par l’État colonial français comme en Kanaky. Le RN, qui a réussi de très gros scores aux dernières élections présidentielles et législatives risque de tirer les marrons du feu. Les affiches de Bardella fleurissent actuellement sur l’ile ce qui montre que le parti fascisant et xénophobe tente de profiter de la situation tout en agitant le chiffon rouge de l’immigration haïtienne.
Exproprier le grand capital béké !
Tout comme à Mayotte ou en Kanaky, il manque au mouvement contre la vie chère une direction qui s’adresserait à la classe ouvrière, préparant la grève générale et encourageant l’autodéfense ouvrière.
Pour contrer l’inflation, aucune confiance dans le gouvernement Barnier des macronistes et des gaullistes, mis en place grâce au RN ! Il faut l’auto-organisation, l’élection et la révocabilité de ceux qui parlent au nom des travailleurs, la centralisation des comités ouvriers, étudiants et populaires.
Tant que l’ile est rattachée à l’Etat français que de nombreux Martiniquais vivent et travaillent en « métropole », le prolétariat martiniquais est lié à celui de France. L’avant-garde des travailleurs et des étudiants doit participer à la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire dans les Antilles et en France, d’une internationale ouvrière révolutionnaire
Sur les lieux de travail, de vie et d’étude, dans les syndicats, il faut que les travailleurs s’organisent pour exiger
- Autodéfense contre les forces de répression françaises ! Dehors, les forces de répression dont la sinistre CRS 8 !
- Ouverture des livres de comptes, levée du secret commercial !
- Alignement des salaires sur ceux pratiqués en métropole ! Blocage des loyers, des prix alimentaires et de l’énergie !
- Expropriation des grands monopoles capitalistes liés aux grandes familles « békés » et des grandes compagnies de transport !
- Suppression des impôts sur la consommation des travailleurs !
- Augmentation immédiate de 400 euros pour tous les salariés et retraités ! Indexation des salaires, des allocations chômage, des pensions de retraite, des minimums sociaux, des allocations familiales et des bourses d’études sur les prix !
- Droit à l’autodétermination ! Fédération socialiste des Antilles-Caraïbes !