Émeutes racistes au Royaume-Uni

Comme en France avec le meurtre de Crépol, des rumeurs servent de point de départ à des pogroms dans le monde entier

En novembre 2023, une émeute raciste secoue la capitale de l’Irlande après des diffamations de réseaux fascistes à partir d’un fait divers.

En aout 2024, le Royaume-Uni est touché à son tour, le mensonge étant encore plus gros et les troubles plus étendus dans le temps et l’espace.

D’un fait divers tragique aux mensonges et aux violences racistes

Le 29 juillet, à Southport, trois fillettes sont assassinées à coups de couteau et dix autres personnes sont blessées. Le meurtrier, mineur, né à Cardiff de parents chrétiens rwandais est un enfant de chœur autiste. Dans les heures qui suivent, les canaux fascistes haranguent leurs troupes via les messageries et les réseaux sociaux, faisant passer l’agresseur pour un immigré sans-papier de confession musulmane, profitant de l’interdiction faite par la loi de dévoiler l’identité d’un suspect mineur.

4 aout, Rotherham / photo Hollie Adams

Le lendemain, plus de 200 personnes attaquent une mosquée à Southport, ainsi que les policiers tentant d’intervenir. Le pogrom est organisé sur les réseaux sociaux. Plusieurs canaux appellent à des attaques contre les immigrés, les musulmans et plus largement les non-blancs. Selon la police, ce regroupement est dirigé par l’English Defense League (EDL), fondée en 2009 par « Robinson », un fasciste aujourd’hui réfugié à Chypre, dont les manifestants scandaient le nom.

Le 31 juillet à Londres, une manifestation est appelée sous le mot d’ordre « Enough is enough » (assez est assez), slogan du groupe fasciste Patriotic Alternative. Les manifestants tentent alors de s’approcher de Downing Street, la résidence du premier ministre travailliste Ker Starmer, et se heurtent à la police. Le même jour, à Aldershot, les fascistes s’en prennent à l’hôtel Potters International accueillant des demandeurs d’asile. Même chose à Manchester où un hôtel Holiday Inn est pris pour cible. À Hartlepool, ils incendient un véhicule de police. D’autres manifestations ont lieu ce jour-là, notamment à Middlesbrough.

Le 1er aout, un juge lève l’interdiction de dévoiler le nom et l’origine du meurtrier présumé pour contrer les rumeurs des groupes fascistes, anticipant d’une semaine les 18 ans du suspect. Le même jour, des manifestations contre les émeutes fascistes ont lieu à Cardiff, Glasgow, Édimbourg, Newcastle, Belfast. À Londres, 1 000 personnes manifestent devant le siège du parti fascisant de Nigel Farage, Reform UK.

Le vendredi 2 aout, à Sunderland, des nervis tentent de s’en prendre à la mosquée de St Mark’s Road, pillent des magasins et incendient un poste de police. Dans la nuit, l’hôtel Britannia abritant des réfugiés de Leeds est attaqué. Inversement, à Liverpool, des habitants protègent la mosquée Abdullah Quilliam contre les attaques fascistes.

Le samedi 3 aout, les rassemblements racistes se multiplient à Blackburn, Hull, Leeds, Leicester, Liverpool, Manchester et Preston. Partout ils s’en prennent à la police à coups de briques, de fusées d’artifice, pillent des magasins, incendient des véhicules.

Une esquisse de l’autodéfense

Mais c’est également le jour des premiers affrontements avec les antifascistes. À Blackpool, environ 1 000 nervis affrontent les antifascistes renforcés de la présence de participants à un festival punk. À Bristol, les contremanifestants se positionnent devant l’hôtel Mercure hébergeant lui aussi des demandeurs d’asile et repoussent les fascistes. À Stoke-on-Trent, ils protègent une mosquée. À Belfast, l’affrontement est interrompu par la police antiémeute, les nervis s’en prennent alors à des commerces supposément tenus par des étrangers. D’autres pogroms sont signalés à Nottingham.

Le dimanche 4 aout, à Rotherham et Tamworth, deux hôtels Holiday Inn Express hébergeant des migrants sont attaqués, les suprémacistes incendiant une partie du bâtiment. Des combats avec les antifascistes éclatent à Bolton, Lancaster et Weymouth. Les dispositifs policiers mis en place dans les centres-villes conduisent les hordes racistes à se déporter, ainsi à Middlesbrough, des quartiers à population majoritairement d’origine étrangère se voient pris pour cible.

Quelques affrontements ont encore lieu le lundi 5 aout comme à Belfast avec les antifascistes. Ce même jour, une liste de 39 membres d’associations d’accueil des immigrés ainsi que leurs adresses est partagée sur les réseaux fascistes ; la police dit craindre des attaques liées à cette diffusion alors même que la fuite semble venir de ses rangs.

8 aout, Bristol

Le mercredi 7 aout, des manifestations antiracistes se déroulent à Aldershot, Birmingham, Brighton, Londres, Liverpool, Newcastle, Oxford, Sheffield. Bristol.

À Bristol, la rue Old Market relie le centre à l’est où se trouvent les quartiers de travailleurs de toutes les ethnies. C’est le lieu des bars homosexuels, à proximité de plusieurs moquées et donnant sur la route de Stapleton, sièges d’entreprises et d’organisations communautaires noires et asiatiques… Toutes les tentatives de dirigeants communautaires pour que les jeunes restent à la maison furent vouées à l’échec. Spontanément, ils se sont rassemblés par centaines à le recherche des racistes qui, prudemment, restèrent à l’écart. (Workers Power, 5 septembre)

Au total, la police procède à plus de 1 000 arrestations.

Si les contremanifestations rassemblent souvent plus de participants que les émeutes racistes, la riposte est loin d’être massive et résolument prolétarienne. Pourtant, les étrangers représentent environ 20% de la main-d’œuvre de l’État britannique (Angleterre, Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord). Un tiers d’entre eux vient de l’Union européenne (même si leur nombre a diminué depuis le Brexit) et deux-tiers d’autres États.


Seule la journée du 7 aout rassemble des milliers de personnes sur tout le territoire mais loin d’être une réponse unitaire et déterminée des directions de la classe ouvrière, elle est davantage le fruit de la réaction légitime et spontanée face à la menace fasciste.

Le Parti travailliste ne mobilise pas les travailleuses et les travailleurs, mais s’en remet à l’appareil répressif de l’État bourgeois. Si le gouvernement Starmer s’enorgueillit des condamnations judiciaires de ce qu’il nomme « l’extrême droite », certains antifascistes sont également condamnés. C’est le cas de Sameer Ali et Adnan Ghafoor, condamnés pour s’être battus contre des nervis à Leeds, le premier à 20 mois de prison le second à 3 ans. Amer Walid, un jeune musulman, prend 20 mois de prison pour s’être défendu contre des racistes l’ayant aspergé d’alcool à Plymouth.

La constellation fasciste au Royaume-Uni

En fait des hôtels hébergeant des réfugiés ou soupçonnés de le faire sont pris pour cible depuis 2020 notamment par le groupe fasciste Britain First. En février 2023, 300 à 400 personnes attaquent déjà un hôtel pour demandeurs d’asile à Knowsley dans le Merseyside. Robinson continue d’abreuver la nébuleuse fasciste via ses réseaux sociaux.

Le 27 juillet, soit deux jours avant le drame de Southport, Stephen Yaxley-Lennon alias « Tommy Robinson », fondateur de l’EDL, appelle depuis Chypre à une manifestation à Londres qui rassemble 30 000 personnes. Le Parti travailliste, la direction de la centrale syndicale TUC, la majorité des responsables syndicaux ne ripostent pas. La contremanifestation appelée par Stand Up To Racism (SUTR), le front antiraciste du SWP, attire moins de monde.

Les mots d’ordre scandés dans ces rassemblements nazis ou publiés sur leurs réseaux ciblent tout ce qui n’agrée pas à la vision d’un Royaume-Uni blanc : « Mettez-les dehors », « Défoncez les Pakis », « Nous voulons récupérer notre pays », « Anglais jusqu’à la mort ! ».

Si les fascistes ne disposent pas d’un parti d’assise nationale, leur capacité de fomenter des émeutes racistes témoigne de la proximité des différents groupuscules du pays, unis dans la volonté de faire le coup de poing contre les immigrés, les musulmans et ceux qui les protègent.

Les différences d’opinion de ces forces, notamment sur la question d’Israël, pèsent peu au regard de la haine commune envers les musulmans. Ainsi dans ces émeutes, Britain First et l’EDL prosionistes côtoyaient le Patriotic Alternative et le National Front antisémites.

Les émeutes ont attiré des membres de l’EDL, de Patriotic Alternative, de Britain First et du National Front, des néonazis, des supporteurs violents de football, des militants antimusulmans, et des Britanniques en colère sans lien avec l’extrême droite. (Le Monde, 18 aout 2024)

Britain First a déjà tenté d’organiser des « patrouilles de solidarité » dans les quartiers juifs de Londres contre le « danger » islamiste, tandis que l’EDL de Robinson a essayé dans les années 2010 de nouer des liens avec les fascistes de la Ligue de défense juive, parvenant à sympathiser avec sa section canadienne.

La LDJ, un petit groupe juif controversé et fortement nationaliste, a organisé cette semaine à Toronto un « rassemblement de soutien » pour l’EDL, un groupe se présentant comme opposé au fondamentalisme islamique dont les membres comprennent des houligans de football condamnés et des dissidents de groupes extrémistes violents. (Toronto Sun, 12 janvier 2011)

Robinson a d’ailleurs tenté de participer à la marche contre l’antisémitisme de Londres le 26 novembre 2023 et il lui arrive d’arborer un badge « Je suis sioniste ».

Ce milieu fasciste s’organise sur les réseaux sociaux et les applications de messagerie, certaines boucles Telegram dépassent 10 000 inscrits. Le canal « Southport Wake Up » (« Réveille-toi, Southport ») lancé juste après les meurtres de Southport a été déterminant dans la logistique des émeutes racistes dans le Merseyside. Sur X/Twitter, la plupart des groupes fascistes précédemment exclus ont été réintégrés par le capitaliste Musk. Le compte X ActivePatriotUK totalise 138 000 abonnés ; Tommy Robinson, quant à lui, est suivi par plus de 900 000 personnes.

La scission avec l’Union européenne, et la propagande qui y a été mené notamment de la part de l’UKIP de Nigel Farage ont poussé ces velléités xénophobes et donné des ailes à ces groupuscules.

On est dans l’après-Brexit, et la campagne qui y a mené, on a bien insisté sur le fait que l’immigré est un ennemi. (Monia Castro, enseignante-chercheuse à l’université de Tours, TV5 Monde, 7 aout 2024)

Farage qui a depuis fondé Reform UK, a continué sur cette ligne et s’est hissé à la troisième place lors des élections générales de juillet 2024 avec plus de 4 millions de voix (14,29 %), derrière le Parti conservateur (23,70 %) mais devant les Libéraux-démocrates.

Cette porosité entre les groupes fascistes, les partis fascisants et le parti traditionnel de la bourgeoisie britannique s’illustre au travers d’organisations comme Turning Point UK, sorte d’association étudiante bourgeoise, rassemblant des membres du Parti conservateur, de Reform UK et des fascistes, à l’instar de l’UNI en France.

Farage a notamment déclaré à la BBC « Un migrant arrive chaque minute au Royaume-Uni. Cela nous rend plus pauvres ».

Les attaques contre les étrangers des gouvernements conservateur et travailliste

Les gouvernements du Parti conservateur ont mis plusieurs pièces dans la machine de la propagande raciste, du Brexit pour « reprendre le contrôle des frontières » à l’accord avec le Rwanda pour l’expulsion des immigrés « illégaux » (idée depuis reprise par le commissaire à l’immigration du gouvernement de front populaire allemand).

Les émeutes en cours soulèvent douloureusement la question de l’influence de l’extrême droite au Royaume-Uni, sous-évaluée, dans un pays qui aime rappeler ses traditions de modération politique et son passé de résistance au nazisme. En réalité, la mouvance raciste et antimusulmane y est active, prospérant avec d’autant plus de virulence que les conservateurs, au pouvoir jusqu’en juin, ont eux-mêmes joué avec le feu en usant du registre xénophobe. (Le Monde, 6 aout 2024)

Le premier ministre travailliste Starmer a mis fin au processus visant aux expulsions vers le Rwanda non pas en vue d’un accueil humain des migrants mais parce qu’il n’avait « rien de dissuasif » et qu’il n’était qu’une « mesure gadget ». D’ailleurs l’une des premières actions du nouveau gouvernement travailliste est d’augmenter le nombre d’expulsions du territoire, comme l’affirme la ministre de l’intérieur Yvette Cooper qui vise 14 000 expulsions d’ici la fin de l’année. Le gouvernement travailliste veut expulser les déboutés du droit d’asile et ouvrir 290 places supplémentaires dans les centres de rétention

La ministre promet d’augmenter les expulsions : « Des personnels sont redéployés pour augmenter le nombre de renvois de demandeurs d’asile déboutés, qui a chuté de 40 % depuis 2010 ». Yvette Cooper veut dans les six prochains mois atteindre le niveau d’expulsions de 2018. (Le Temps, 21 aout 2024)

La campagne des législatives du Labour était totalement bourgeoise, notamment sur la question des réfugiés. S’il a remporté les élections, ce n’est pas en siphonnant les voix du Parti conservateur mais parce qu’une partie des électeurs de ce dernier se sont tournés vers le parti fascisant Reform UK. Le 30 juillet, au parlement, une députée travailliste, Sarah Edwards, avait dénoncé l’utilisation de l’Holiday Inn Express pour accueillir des demandeurs d’asile. Cinq jours plus tard les assaillants fascistes l’ont exaucé en tentant d’incendier l’hôtel en question.

Ces élections comme le référendum sur le Brexit, n’ont fait que gonfler l’assurance et les rangs des troupes brunes.

Certains commentateurs et responsables politiques estiment plus généralement que la montée d’un discours anti-immigration dans la classe politique a légitimé les manifestants. (Le Monde, 5 aout 2024)

Front unique des organisations ouvrières pour écraser les bandes fascistes

Les directions syndicales historiquement empêtrées dans la collaboration de classe et compromises dans le social-chauvinisme détournent les travailleurs dans le pacifisme et appellent à une réforme des programmes éducatifs pour combattre le racisme.

En tant que mouvement, nous devons soutenir les rassemblements, les manifestations et les initiatives lancées par Stand Up To Racism pour contrer la haine de manière non violente. (Daniel Kebede, secrétaire générale de l’Union de l’éducation nationale au congrès du TUC 2024)

Les sbires fascistes ont à nouveau profité de ces émeutes pour se souder, pour déterminer qui dans leurs rangs était prêt à aller jusqu’au bout. Même si, demain, les entités juridiques actuelles sont dissoutes par le gouvernement, d’autres se reformeront plus déterminées, homogénéisées par la réaction qui les unit. Face à cela les appels pacifistes, les recours à la police et à la justice bourgeoise ne font que désarmer la classe ouvrière et encourager cette racaille.

Seule la constitution de milices antifascistes par les organisations de masse de la classe ouvrière et les minorités opprimées, pour l’autodéfense des quartiers, des entreprises, des lieux d’études peut tenir à distance les bandes racistes et gagner des forces dans les populations étrangères ou d’origine étrangère. Front unique ouvrier contre les fascistes pour parer au danger fasciste !

14 septembre 2024