L’État français entend écraser le mouvement indépendantiste
Le 19 juin, 11 militants indépendantistes de la Cellule de coordination des actions de terrains (CCAT) ont été arrêtés par la police française. Si les barrages et les pillages du mois dernier avaient largement échappé à la CCAT, sa fermeté contre le dégel du corps électoral opéré par Macron, ses appels à poursuivre la mobilisation malgré la mise en pause de la réforme le 13 juin en ont fait la cible prioritaire de la répression. Au-delà de la CCAT, l’État impérialiste veut mettre au pas la résistance nationale kanake. En parallèle, le siège de l’Union calédonienne, la composante du FLNKS qui a lancé la CCAT, et des locaux syndicaux de l’UTSKE étaient perquisitionnés
Durant les émeutes de mai, consécutives au processus de minorisation électorale des Kanaks, le gouvernement Macron-Attal-Darmanin s’était contenté d’assigner de nombreux responsables indépendantistes à résidence. Maintenant que les tensions se sont calmées et que les législatives occupent la surface médiatique, il passe à la répression policière et judiciaire contre les responsables qui ont osé défier l’impérialisme français, avec le soutien plein et entier des Loyalistes, du RN et des milices de colons tous défenseurs des intérêts du capitalisme français.
Nous sommes favorables au dégel du corps électoral. Le RN est et restera un défenseur de la Nouvelle-Calédonie. L’État doit répondre avec toute la force nécessaire (Jordan Bardella, CNews, 20 mai 2024)
En réalité, au plus fort de la crise, la répression s’était déjà abattue sur la base : plus de 1 000 arrestations ont eu lieu pour une population d’un peu plus de 270 000 personnes, 3 000 policiers et militaires sont encore déployés et les colonnes de blindés Centaure patrouillent toujours en Kanaky.
Outre les troupes, la République coloniale dispose de tout un arsenal juridique lui permettant de suspendre les libertés notamment l’état d’urgence. Décrété le 15 mai, celui-ci permet au gouvernement, sans décision de justice, l’assignation en résidence et le blocage des réseaux sociaux. Cette mesure date de la présidence Hollande, aujourd’hui candidat du Nouveau front populaire
Le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. (Loi n° 55-385 relative à l’état d’urgence, modifiée en 2015)
L’état d’urgence a été levé le 28 mai mais le couvre-feu et l’interdiction des rassemblements restent de mise pour les Kanaks.
Du côté des miliciens caldoches ou métros qui ont assassiné plusieurs Kanaks, aucune arrestation. L’État colonial ne compte pas s’aliéner ces supplétifs armés tant qu’ils œuvrent en faveur des intérêts de la bourgeoisie française. La présidente de l’assemblée de la province sud et ancienne secrétaire d’État de Macron-Borne, Sonia Backès, les couvre : « il n’y a pas de milices », dit-elle.
Les arrestations du 19 avaient déjà entrainé un regain de mobilisation sur les barrages, mais la déportation des prévenus en métropole met le feu aux poudres. Le principal animateur de la CCAT, membre de la direction de l’Union calédonienne, Christian Tein, est incarcéré à Mulhouse. Brenda Wanabo est envoyée à Dijon, Frédérique Muliava à Riom. Le même procédé avait été utilisé dans les années 1980 par le gouvernement Mitterrand-Chirac pour briser le mouvement kanak. Éloigner les militants indépendantistes de leur base est une technique éprouvée des colonialistes. Sur les 11 interpelés le 19 juin, 7 sont déjà en métropole d’autres attendent encore d’être fixé sur leur sort. La rapidité du transfert démontre que la présentation des détenus samedi au palais de justice de Nouméa n’était qu’une façade masquant que leur déportation par avion militaire était déjà actée.
Le Nouveau front populaire contre l’indépendance de la Kanaky
Alors que cette répression se déroule en pleine campagne électorale, la question kanake est passée au second plan du calendrier médiatique.
Si Renaissance, le RN et LR font bloc pour réprimer les Kanaks, le NFP s’en tient à la « mission de dialogue » mise en place par Macron en même temps qu’il envoyait des renforts de police et de gendarmerie.
À travers la mission de dialogue, renouer avec la promesse du « destin commun », dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa et d’impartialité de l’État, en soutenant la recherche d’un projet d’accord global qui engage un véritable processus d’émancipation et de décolonisation. (Programme du Nouveau front populaire, 13 juin 2024)
C’est dans la droite ligne du social-impérialiste Blum (PS-SFIO), dont toutes les composantes du NFP se réclament.
Nous avons trop l’amour de notre pays pour désavouer l’expansion de la pensée et de la civilisation françaises. Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. (Léon Blum, Discours à la Chambre des députés, 17 juillet 1925)
Les concessions faites aux travailleurs, face à la grève générale, en 1936 par le gouvernement du premier Front populaire présidé par Blum sont limitées par le maintien de l’interdiction du syndicalisme au Maroc et en Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge). Au Sénégal, seuls les titulaires du certificat d’études bénéficient du droit d’association. Les colonies doivent être maintenues, de gré ou de force, dans l’empire colonial. Le gouvernement FP interdit en 1937 l’organisation algérienne ENA (qui avait pourtant adhéré au Front populaire), l’organisation nationaliste marocaine CAM et l’organisation syndicale UGTT tunisienne. La Ligue des droits de l’homme ne proteste pas.
En janvier 1937, l’ENA est interdite. Messali est condamné le 2 novembre à deux ans de prison… En Afrique du Nord en particulier, toutes les oppositions au Front populaire sont taxées par le PCF de complicité avec le fascisme… En Tunisie, le 4 mars 1937, une fusillade contre les grévistes de Métlaoui faisait près de 20 morts. Le 27 septembre 1938, une grève est brisée dans le sang à Thiès au Sénégal. (Claude Liauzu, Histoire de l’anticolonialisme en France, Pluriel, p. 348)
En Indochine, les grèves sont de plus grande ampleur et durée. Elles sont réprimées de la même manière. Les injonctions de soumission au Front populaire venues du PCF et de l’Internationale communiste conduisent à la rupture du front unique entre le PCI stalinien et le groupe La Lutte (section indochinoise de la 4e Internationale). Deux de ses cadres, Ho Huu Tuong et Ta Thu Thau (déjà torturé par la police républicaine en 1932), sont condamnés le 2 juillet 1937 à deux ans de prison. Ta sera emprisonné dans le bagne de Poulo Condor en 1939 par le gouvernement du Parti radical (membre du FP de 1935 à 1938) et assassiné par les staliniens du PCI en 1945.
En 1937, en France, seuls la GR du PS-SFIO et le Parti ouvrier internationaliste (section française de la 4e Internationale) se prononcent pour l’indépendance des colonies.
Aujourd’hui, contre les partis bourgeois de tous types et contre le NFP qui ligote le prolétariat à sa bourgeoisie, les organisations ouvrières doivent se prononcer pour :
- Libération immédiate de tous les militants indépendantistes ! Retrait du projet de loi constitutionnelle française !
- Retrait des militaires, des gendarmes et des policiers français ! Démantèlement des milices de colons !
- Indépendance de la Kanaky ! Pour le gouvernement ouvrier et paysan de Kanaky ! Pour les États-Unis socialistes d’Océanie !