Commençons par le constat et il est accablant
À l’échelle mondiale, les femmes constituent 68,5 % des pauvres.
La Banque mondiale en 2022 a analysé les lois de 190 pays et établi que les femmes sont moins protégées que les hommes pour ce qui concerne la rémunération, les congés, la retraite, l’héritage ; elles ont 3/4 de leurs droits. L’écart salarial est globalement de 20 %, et 100 pays n’ont aucune loi imposant une rémunération égale à travail égal. Dans 24 pays (dont l’Iran, le Qatar, l’Arabie saoudite, le Yémen), les femmes doivent obtenir la permission de leur mari ou tuteur légal pour pouvoir travailler (rappelons qu’en France cette obligation n’a cessé qu’en 1965). En Afghanistan, les talibans interdisent aux femmes d’occuper la plupart des emplois situés à l’extérieur de leur domicile. Dans le monde, seuls 39 % des femmes en âge de travailler occupent un emploi. Et seulement 22 % d’entre elles ont un travail à temps plein. Essentiellement parce qu’elles assurent les 3/4 du travail domestique, incluant la prise en charge des enfants, des vieux, des malades (lorsque l’État met en place un système de garde d’enfants, on observe une augmentation de 18 % des femmes occupant un emploi salarié). Elles sont surreprésentées dans les travaux les plus précaires, forment les 2/3 des salariés dans le secteur du soin, constituent 50 % de la main d’œuvre agricole dans les pays les plus pauvres. Par contre, elles sont sous-représentées dans les postes de pouvoir économique et politique. 18 % des ministres et 24 % des parlementaires dans le monde sont des femmes. Parmi les 100 plus riches (classement Forbes 2024), il y a 14 femmes, une seule pas grâce à l’héritage de sa famille friquée ou au divorce d’avec un mari friqué. Les hommes détiennent en patrimoine 50 % de richesses de plus que les femmes.
Les 2/3 des analphabètes dans le monde sont des femmes. 129,2 millions de filles ne sont pas scolarisées. En Afghanistan, depuis un an, les talibans ont interdit aux filles de poursuivre leur scolarité au-delà de la sixième. Les statistiques montrent qu’un an d’études dans le secondaire réduit le taux de mariage forcé de 5 %. Ce qui n’est pas rien quand on sait (chiffres UNICEF 2022) que 650 millions de filles et de femmes aujourd’hui en vie ont été mariées avant l’âge de 18 ans. Cela représente 1 jeune femme sur 5 dans le monde ; 5 % des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans (essentiellement en Inde) quand 1 garçon sur 25 est marié avant l’âge de 18 ans, les unions avant 15 ans sont quasiment inexistantes pour les garçons. En Afrique subsaharienne, 34 % des femmes sont mariées avant 18 ans et cette proportion dépasse 50 % au Niger, au Mozambique, au Sud-Soudan.
La préférence pour la mise au monde d’un garçon a conduit pendant des siècles à assassiner des bébés filles et depuis les années 1970, à effectuer des avortements sexo-sélectifs. Si cette élimination prénatale des filles recule dans le monde, en Corée du Sud, en Chine, dans le Caucase et dans une moindre mesure en Inde, les démographes chiffrent aujourd’hui à 142,6 millions le nombre de femmes « manquantes ». C’est criant en Chine et en Inde où l’achat, voire le rapt de jeunes filles, pauvres évidemment, dans les pays voisins a crû (enquête de Human Rights Watch publiée en février 2019).
Un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) publié l’an dernier montre que 71 % des victimes de la traite d’êtres humains sont des femmes et des filles.
80 % des personnes déplacées climatiques sont des filles et des femmes.
Un rapport de l’UNICEF (Le Monde, 27 mars 2024) établit que 230 millions de petites filles, de jeunes filles et de femme subissent des mutilations génitales : 144 millions vivent en Afrique, 80 millions en Asie, 6 millions au Proche- Orient). Ce chiffre effroyable a même augmenté du fait de la croissance démographique dans les pays où se pratiquent ces abominations : clitoridectomie, c’est-à-dire ablation totale ou partielle du clitoris ; excision, c’est-à-dire clitoridectomie à quoi s’ajoute l’ablation totale ou partielle des petites et/ou des grandes lèvres ; infibulation, c’est-à-dire le rétrécissement de l’ouverture vaginale en sectionnant et repositionnant les lèvres parfois en suturant et en enlevant le clitoris. Les mortes d’hémorragies et d’infections se comptent en dizaines de milliers. Pour les survivantes, douleurs atroces, difficultés pour uriner, complications fréquentes à l’accouchement et absence de plaisir sexuel.
Par bien d’autres empêchements, la liberté de disposer librement de leur corps est déniée aux femmes : l’obligation de cacher ses cheveux voire tout son corps (en France, les femmes ont officiellement le droit de porter un pantalon depuis le 31 janvier 2013) ; le certificat de virginité ; la prostitution ; le non accès pour 270 millions de femmes selon l’OMS aux méthodes de contraception dont elles ont besoin. Ainsi 74 millions de femmes se retrouvent enceintes sans l’avoir choisi ; en 2024, selon le Center for Reproductive Rights, 753 millions de femmes en âge de procréer vivent dans des pays où la législation sur l’avortement est restrictive (112 pays où il est restreint ou interdit). 39 000 femmes au moins meurent chaque année du fait d’avortements exercés dans des conditions non sécurisées (chiffre OMS).
Des féministes malicieuses disent que si les hommes pouvaient se retrouver enceints, les services pour avorter seraient aussi nombreux que les MacDo, un par quartier, dans chaque aéroport, chaque gare ; la pilule du lendemain serait proposée dans différentes saveurs comme bacon ou houblon et divers parfums comme ranch ou gymnase…
26 % des femmes en France renoncent à sortir tard le soir (contre 6 % des hommes) parce qu’elles ont peur. 1/3 des femmes dans le monde ont déjà subi des violences physiques et/ou sexuelles d’après l’OMS. Les femmes africaines sont massivement touchées par les violences basées sur le genre, 40 % des femmes en Afrique de l’Ouest ont été victimes de violences (OMS 2018). L’indice d’inégalité de genre (IIG) de l’ONU mesure également la domination masculine dans de nombreux États subsahariens, où en 2022, le Sénégal est classé au 130e rang, le Burkina Faso au 147e et le Mali au 158e sur 162 pays. Dans le monde, toutes les 11 minutes, une femme ou une fille est tuée par un membre de sa propre famille (ONU Femmes, 2022). En France, en 2022, 108 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex compagnon ; en 2023, 103 ; à cette date en 2024, 50. Selon une note de l’Institut des politiques publiques publiée le 3 avril 2024 et qui a analysé les données des années 2012 à 2021, le taux de classement sans suite par les parquets s’élève à 86 % dans les affaires de violences sexuelles et à 94 % pour les viols au motif d’« infractions insuffisamment caractérisées. »
Les morts, les mutilations, les restrictions de libertés, au compte de la chasteté, de la virginité, de l’honneur, tout autant que de la disponibilité sexuelle permanente et autres exigences, sont les expressions les plus barbares de l’oppression des femmes. On doit y ajouter le sexisme ordinaire qui déstabilise, rabaisse, enferme dans des stéréotypes. Et ce n’est pas seulement au bistrot. Une étude française sur les différences de traitement selon le genre, en petite section de maternelle, a établi qu’une petite fille sur deux est reçue avec un compliment sur sa tenue vestimentaire ou sa coiffure (une fois sur 20 pour un garçon), que la violence des filles est réprimée immédiatement et plus sévèrement que celle des garçons jugée, elle, non anormale ; les manuels scolaires, l’orientation, les jouets, la publicité, le langage, la prise en charge de la douleur, l’envie du pénis de Freud et j’en passe, charrient préjugés et entraves, au détriment des femmes.
Alors qu’elles ne le méritent vraiment pas, puisque les hommes, sont responsables de la grande majorité des comportements asociaux : en France, les 96,3 % de la population carcérale sont des hommes (Ministère de la justice, 2018), 91 % des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident mortel sont des hommes (2024), leur taux de mortalité évitable est 3,5 fois plus élevé que celui des femmes (DREES, 2017).
La domination masculine a été forgée au long de millénaires de l’histoire humaine
Dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, publié en 1884, Engels expose avec enthousiasme les travaux de l’anthropologue Lewis Morgan (1877), qui avait étudié des tribus d’Indiens iroquois dans lesquelles les femmes occupent une place importante et ne sont pas discriminées. Le juriste et sociologue Bachofen (1861), dont Engels connaissait aussi les travaux, parlait de « pouvoir des femmes » (la gynocratie) comme organisation sociale originelle des premiers groupes humains. Ils ont utilisé le terme de « matriarcat » qui aurait précédé la propriété privée et la différenciation en classes sociales inégalitaires. Les marxistes du 19e siècle, à leur suite, ont théorisé que l’oppression des femmes était donc apparue avec la fin du « communisme primitif » qui aurait garanti une égalité entre les sexes. Or, aucune recherche menée au 20e et au 21e siècle n’a validé cette construction théorique.
Heureusement nous avons l’autorisation d’Engels pour rectifier ce qui doit l’être : dans la première phrase de L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, Engels confirme qu’il faut opter pour la démarche scientifique.
Morgan est le premier qui tente, en connaissance de cause, de mettre un certain ordre dans la préhistoire de l’humanité ; tant qu’une documentation considérablement élargie n’imposera pas des changements, sa manière de grouper les faits restera sans doute en vigueur. (Éditions sociales, p. 31)
Un siècle et demi après, ce moment est largement venu, grâce aux théories issues du travail de paléontologues, d’archéologues, d’ethnologues, d’anthropologues, de préhistoriennes et de préhistoriens, grâce à l’extension à la planète entière des études de sociétés dites primitives alors que Morgan, lui, a généralisé à partir d’une société qui est plutôt une exception du Néolithique et relativement tardive. La multiplication des fouilles, les possibilités de modélisations, la précision de la datation, l’analyse des os, des dents, l’ADN, l’étude comparée des grands mythes, apportent une connaissance bien supérieure des modes de vie de notre espèce à ses débuts et des rapports sociaux qu’ils modèlent et obligent à apporter des corrections importantes à ce que pensait Engels avec les matériaux dont il disposait alors. Je vous conseille d’aller sur le site de Christophe Darmangeat, La hutte des classes, pour puiser un matériel scientifique extrêmement intéressant (lien sur le site du GMI) et de lire son livre Le Communisme primitif n’est plus ce qu’il était dont je me suis largement servie pour cette partie de l’exposé.
D’abord l’échelle de temps n’a plus rien à voir avec celle de Morgan. Les extinctions d’hominidés, les mutations d’homo habilis à homo sapiens sapiens ont été scientifiquement établies. Le genre Homo né en Afrique, représenté par différentes espèces concomitantes et successives, a quitté très tôt son berceau africain (il y a au moins 1,5 Ma) et Homo sapiens l’a fait à plusieurs reprises, la dernière fois il y a environ 55 000 ans. L’Asie du Sud a été colonisée la première, puis l’Australie, l’Europe il y a 45 000 ans, et enfin l’Amérique il y a peut-être 25 000 ans. Les découpages en « stade sauvage » « barbarie » et « civilisation » n’ont plus cours. Le Paléolithique inférieur nous fait remonter de 2 millions d’années jusqu’à 300 000 ans avant le présent (AP), le Paléolithique moyen : de 300 000 à 40 000 ans AP ; le Paléolithique supérieur : de 40 000 à 10 000 ans AP / Le Mésolithique : de 10 000 à 6 000 ans AP / Le Néolithique de 6 000 à 2 300 AP.
Surtout, il n’y a nulle part trace d’un matriarcat originel et bienheureux, que l’on entende par ce terme une domination des femmes sur les hommes ou une simple égalité entre les sexes dans les sociétés primitives sans classes. La domination masculine n’est pas incompatible avec l’égalitarisme économique et n’est pas apparue tardivement. Chez les fameux Iroquois, bien que bénéficiant d’une considération dépassant largement celle attribuée dans d’autres sociétés, les femmes ne participaient pas au conseil de village ou de tribu ; quelques-unes, les plus âgées, pouvaient siéger mais non tenir les fonctions les plus hautes. Lors de l’unique repas quotidien, hommes et femmes mangeaient séparément. L’adultère était puni du fouet, mais seule la femme était punie, considérée comme unique fautive. Chez les chasseurs-cueilleurs nomades Inuits, les hommes imposaient leur volonté aux femmes, en particulier l’agression sexuelle sous la forme de viol ou de rapt était courante (Ernestine Friedl). Les Selk’nam, une tribu de chasseurs-cueilleurs qui vivait en Terre de Feu (Amérique du Sud) possédaient une religion à initiation réservée aux seuls hommes ; ils se grimaient pour terroriser enfants et femmes qui pouvaient être battues ou percées de flèches en cas d’infidélité ou de fuite (Lucas Bridges). En Australie, à la fin du 19e siècle, ont pu être observées des populations aborigènes sur un territoire aussi vaste que les États-Unis actuels, occupant donc des milieux aux climats et aux ressources très diverses, chasseurs-cueilleurs nomades, qui n’avaient eu aucun contact avec des sociétés aux techniques plus avancées (par exemple, ils ignoraient l’arc, continuant à chasser au propulseur). La sujétion des femmes y est générale (Catherine et Ronald Berndt). La polygynie (la possession de plusieurs femmes) est une option très commune dans les sociétés primitives dès les sociétés de chasseurs-cueilleurs sans richesse. Elle n’est pas « un produit de luxe de l’histoire » comme dit Engels et n’est pas apparue tardivement. Les dernières études génétiques suggèrent qu’elle était générale chez homo sapiens depuis 70 000 ans au moins.
La matrilinéarité (c’est à dire une affiliation qui repose sur l’ascendance maternelle et par lequel un enfant est affilié exclusivement au groupe des parents de sa mère) n’est ni universelle, ni l’explication des rapports non-inégaux : par exemple, chez les chasseurs-cueilleurs San des déserts du sud de l’Afrique, les Andamais du Golfe du Bengale, les Mbuti de la forêt équatoriale africaine, où les femmes ne sont pas maltraitées, il n’y a pas de clans, pas de matrilinéarité. Par contre, en Nouvelle-Guinée, en Australie, en Amazonie, plusieurs populations matrilinéaires montrent une infériorisation claire, souvent violente, des femmes, la coercition s’exerçant par les oncles, les frères et de là, le groupe de tous les hommes.
La division des tâches en fonction du sexe biologique est manifeste dès le paléolithique. Il existe une interaction permanente entre le biologique et le culturel, nous ne pouvons pas les séparer, nous ne pouvons pas occulter la part animale qui constitue aussi notre espèce. Aux origines, cette répartition qui permettait aux petits noyaux humains nomades de survivre n’impliquait sans doute pas nécessairement l’infériorisation des femmes qui d’ailleurs fournissaient logiquement une grande part de la nourriture (plus fréquent et plus facile d’avoir des escargots, des coquillages, des fruits qu’un auroch ou un cerf). Le clan restreint ne pouvait se passer de personne, ni d’aucun apport en cueillettes, chasses, pêches, découvertes, etc. pour couvrir ses besoins essentiels et le partage de ce qui avait été prélevé dans la nature était obligatoire pour maintenir la vie (ce qui là nous distingue des chimpanzés ou des bonobos et de tous les primates où mâles et femelles s’adonnent à des activités différentes mais ne fournissent pas systématiquement à l’autre sexe une partie de leur récolte). On ne connait pas un seul exemple de société primitive, si peu développée soit-elle où le sexe ne soit pas le critère principal, voire unique de la division du travail. Des peuples d’Amazonie, d’Australie, d’Amérique du Nord, désignent les deux genres par leur outil principal : les hommes sont des arcs, des lances, les femmes sont appelées paniers, bâtons ou tamis. Une base de données (Standard Cross-Cultural Sample), utilisée en ethnologie, qui rassemble 186 sociétés choisies pour former un échantillon représentatif a pointé la répartition des tâches réservées exclusivement ou principalement à l’un et l’autre sexe, pour les activités essentielles de l’économie primitive.
ACTIVITE | HOMMES | FEMMES | INDIFFERENCIE |
Chasse | 155 | 0 | 0 |
Travail du métal | 80 | 0 | 0 |
Construction bateaux | 76 | 1 | 0 |
Construction maisons | 108 | 19 | 4 |
Entretien animaux domestiques | 60 | 16 | 14 |
Pêche | 109 | 8 | 8 |
Agriculture | 55 | 42 | 25 |
Cueillette | 9 | 88 | 11 |
Poterie | 12 | 74 | 4 |
Tissage | 23 | 49 | 5 |
Travail du cuir | 33 | 35 | 1 |
Une règle universelle s’en dégage, certaines tâches sont interdites aux femmes (alors qu’aucune n’est interdite aux hommes), en particulier la chasse au gros gibier (nulle part les femmes en tant que groupe chassent en utilisant les armes tranchantes et perçantes ; quand elles participent aux grandes chasses, elles rabattent, elles pistent, elles dépècent, elles ne tuent jamais de gros animaux). Les préhistoriens Sébastien Villotte et Christopher Knüsel ont étudié en 2014, un ensemble de squelettes des deux sexes, dont les plus anciens dataient de 30 000 ans (Paléolithique supérieur). Cet examen a permis de mettre en évidence la présence, uniquement sur les coudes droits masculins, d’une déformation typiquement provoquée par des lancers répétés et caractéristique des joueurs de base-ball actuels, par exemple. Cette constatation confirme les observations ethnologiques du 20e siècle. Cette répartition des tâches a forgé une spécialisation et cette spécialisation a permis une efficacité plus grande que si chaque membre de la tribu effectuait indifféremment l’ensemble des occupations. Ainsi, la division genrée du travail a sans doute augmenté la productivité et a donc perduré. Cependant, que le travail des matières dures (pierre, os), l’allumage du feu et plus tard la métallurgie excluent les femmes ne s’expliquent pas rationnellement, en l’état actuel des connaissances. Ces interdits se sont accompagnés très tôt de croyances pour les justifier, en particulier, sur tous les continents, l’attribution d’un caractère maléfique au sang des règles.
Et pourquoi cette division du travail s’est-elle opérée en fonction du sexe ? La différence de force physique, quoique réelle, n’est pas une explication suffisante : dans un très grand nombre de sociétés primitives, ce sont les femmes qui portent les charges (transport du bois, de l’eau, des gibiers) ; au néolithique, les durs travaux agricoles, consistant à labourer le sol, récolter les céréales et surtout faire de la farine en broyant des graines à l’aide de lourdes meules en pierre, sont effectués par les femmes. Des chercheurs de l’université de Cambridge dans une étude publiée en 2017 dans la revue Science Advances ont établi, par comparaison des os, que l’humérus des femmes préhistoriques était 11 à 16 % plus puissant que celui des rameuses professionnelles actuelles. C’est plus globalement sans doute le dimorphisme qui a joué. Les différences physiques sont aisément observables chez les humains, il n’est donc pas étonnant pour des matérialistes de penser qu’elles aient pu fonder une différenciation des fonctions et des places dans les sociétés primitives, une distinction nette entre le groupe des hommes et le groupe des femmes. Le sperme se voit, pas l’ovule, ce qui a dû peser quand même sur les représentations des mâles créant la vie quand les femelles ne sont que le réceptacle dans lequel elle se développe. (Par parenthèses, savez-vous que ce n’est qu’en 1875 qu’a été observée la fusion des noyaux d’un ovule et d’un spermatozoïde et donc établi que mâle et femelle interviennent à égalité dans le processus de fécondation ?) De plus, pendant les périodes de grossesse, d’allaitement, de surveillance qu’exigent les petits pour survivre, les femmes dépendent du travail de la tribu et des hommes et de dépendantes à inférieures, il peut n’y avoir, aujourd’hui encore, qu’un pas.
Et pourquoi cette division sexuée du travail a attribué aux hommes une position dominante ? D’abord parce que dans toutes les sociétés de chasseurs, la viande est le met le plus apprécié et le plus valorisé. Donc avec elle, le chasseur. Ce dernier dispose du droit de répartir sa chasse, il crée ainsi son réseau comme on dirait aujourd’hui. Dans les sociétés horticoles, ce sont quasi toujours les femmes qui plantent et qui récoltent. Mais le prestige revient aux hommes qui accomplissent le plus gros du travail de défrichage avec machettes, haches, etc. dont les femmes ne disposent jamais. Le monopole masculin des armes les plus performantes indispensables à la chasse au gros gibier, des outils les plus efficaces s’accompagne du monopole sur les techniques et les activités qui réclament les connaissances les plus avancées : de la taille du silex, à la chasse, puis à la métallurgie et à l’agriculture attelée. On peut citer nombre d’activités au départ féminines devenues masculines après que leur contenu technique s’est complexifié : le broyage des graines au mortier, la poterie à la main, le tissage sur métier simple incombent aux femmes. Mais dans les sociétés néolithiques, les moulins, les tours de potier, les métiers mécaniques sont actionnés et possédés par des hommes. La domination masculine s’est aussi affermie avec le monopole sur la violence organisée, le pouvoir sur d’autres êtres humains, déjà dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs sans richesse. La violence permet d’acquérir des droits sur les femmes, un enjeu majeur dans les rapports entre les hommes d’un même groupe et dans les relations aux autres groupes d’humains.
Pour résumer, dans toutes les communautés étudiées où les forces productives sont très faibles et la division en classes non encore apparue ou structurée, quel que soit le continent, même chez les nomades, les hommes dominent les femmes, dans des proportions variables mais indiscutables. La division genrée du travail, tôt et universellement observée, doit être considérée comme un facteur important de l’installation de la domination masculine : nulle part les hommes sont chargés des enfants, des vieux ou des infirmes ; partout ils détiennent les armes les plus létales pour chasser et pour la guerre. Ils monopolisent le pouvoir politique, judiciaire et militaire, la politique étrangère, pour utiliser les termes d’aujourd’hui. Dans l’écrasante majorité des cas étudiés, ils président aussi aux rites religieux.
Chez les peuples observés du Néolithique, tirant au moins en partie leur subsistance de l’agriculture et de l’élevage, même quand les inégalités matérielles entre individus sont peu développées, la domination masculine est attestée. Chez les Na de Chine qui ne reconnaissent pourtant socialement ni le mariage ni la paternité, où la matrilinéarité est la norme, les femmes n’ont pas pour autant le pouvoir sur les hommes. Les sphères d’influence sont séparées et ce sont les hommes qui décident de la guerre et de la paix. Dans la société des Baruya de Nouvelle-Guinée étudiés par Maurice Godelier (entre 1967 et 1988), la supériorité des hommes était marquée partout : dénomination des lieux, des parentés, valorisation des activités économiques masculines, rites religieux incluant une maison spéciale interdite aux femmes où était inculquée la méfiance envers elles, sexe maléfique. Les femmes n’avaient pas le droit, entre autres, d’hériter de la terre, de porter les armes, de fabriquer les barres de sel ni leurs propres outils, de toucher aux instruments du culte. Elles ne pouvaient quitter leur mari sans s’exposer aux châtiments les plus sévères alors que les hommes pouvaient à tout moment répudier ou donner leur épouse.
Dans les changements majeurs qui s’opèrent au Néolithique (sur au moins 4 000 ans et pas de manière uniforme sur la Terre) la domination masculine est déjà ancienne. Avec le développement de l’agriculture, de l’élevage, imposant la sédentarisation, avec l’irrigation, le travail des métaux, l’accroissement de la population, les groupes humains transforment leur environnement et produisent plus que ce qui est immédiatement nécessaire et consommable. Les femmes travaillent aussi aux champs, comme on l’a vu, à la transformation des produits, à la garde des troupeaux, etc. mais le constat ethnologique montre que ce sont les hommes qui possèdent les moyens de produire (outils les plus performants et matières premières nobles, troupeaux). Au cours du développement de ces sociétés, une fraction masculine de la communauté qui détient déjà les armes s’exempte du travail pour surveiller puis accaparer une partie du surproduit. Les producteurs sont écartés de la possession des moyens de produire et du pouvoir de répartition. Les intérêts entre accapareurs-possédants et classe travailleuse sans propriété divergent. La division entre travail intellectuel et travail manuel s’instaure. Pour garantir et justifier les nouveaux rapports sociaux, un État va s’édifier avec ses hommes armés, ses lois, ses représentants de religions codifiées.
Donc, avec l’apparition de la richesse, l’appropriation privée des moyens de produire, l’accaparement d’une partie du surproduit, la généralisation de la division imposée du travail, l’État pour exercer la coercition afin que tiennent ces rapports sociaux de plus en plus inégalitaires, l’histoire de l’humanité devient l’histoire de la lutte entre les classes antagonistes. L’explication matérialiste de l’histoire, exposée par Marx et Engels n’a, elle, nul besoin de corrections.
La patrilinéarité (chacun relève du lignage de son père) et la patrilocalité (la femme vient habiter dans la famille de son mari) accompagnent l’appropriation privée. Elle aggrave l’assujettissement des femmes. Elles deviennent une source de revenus, de richesses pour les maris qui s’approprient une grande partie de leur travail, attendent qu’elles leur donnent des filles dont le mariage remplira leurs poches (le prix de la fiancée). Le chef de famille entend transmettre à sa lignée puis uniquement à sa descendance directe. Donc à s’assurer de sa paternité pour que l’héritier soit bien de son sang. Le contrôle sur les femmes se renforce, sur leurs déplacements, les activités autorisées, celles qui sont interdites (les métiers de la métallurgie en particulier). La sphère domestique les emprisonne davantage. La dépendance va s’étendre, tout au long de leur très courte vie, par l’accaparement des revenus de leur travail ou par la réduction de leur participation au travail social ou par sa dévalorisation (par exemple poteries faites par les femmes réservées à l’usage domestique et non à l’échange ou la vente).
Comme vous le savez, ces sociétés rurales vont connaître d’autres transformations et un mode de production fondé sur l’exploitation et la possession d’esclaves par une classe de propriétaires totalement coupée désormais du travail productif va se répandre, depuis le bassin méditerranéen. Dès lors, la condition d’une femme est intrinsèquement liée à son appartenance à une classe sociale et à la position de celle-ci dans le mode de production dominant. À l’oppression s’ajoute l’exploitation. Si toutes les femmes sont opprimées dans le mode de production esclavagiste antique, il n’y a évidemment aucune comparaison possible entre les conditions de vie de l’épouse d’un pater familias romain et une esclave ou une plébéienne qui survit dans les villes. De même, quelques siècles plus tard, aucune égalité entre l’enfer de la condition des paysannes, soumises au servage ou même « libres » et l’oisiveté de la femme du seigneur féodal. Mais l’oisiveté des femmes ne rimait pas toujours avec plaisir et rigolade. Ainsi, les petites filles de l’aristocratie chinoise la paient cher, leurs pieds sont bandés, atrophiés pour bien montrer qu’elles n’ont à fournir aucun travail ni productif, ni domestique, donc qu’elles appartiennent à une famille très riche. Chez certaines tribus Salishes du Canada, les filles des familles riches, au moment de la puberté étaient enfermées, obligées de rester assises dans une position qui finissait par leur faire développer un handicap, une déformation partielle des jambes qui leur donnait une démarche particulière, à jamais, leur père affichant ainsi aux yeux des prétendants de sa classe qu’elles étaient un parti de choix.
Et la classe dominante de ces temps anciens comme celle d’aujourd’hui a fabriqué simultanément l’idéologie qui habille l’appropriation privée, la soi-disant irréversibilité des rapports sociaux et ce système de valeurs, de pensée, cette vision du monde, cette culture deviennent celle de toute la société. Les religions prennent une part importante dans cette superstructure pour corseter les exploité(e)s et les opprimé(e)s. C’est pourquoi, nous communistes, si nous respectons le droit de chacun à croire ou pas ce qu’il veut, nous n’avons aucun respect pour les religions.
Remontant à 2 000 ans avant notre ère, l’hindouisme professe une soumission totale des femmes aux hommes.
Une petite fille, une jeune femme, une femme mure ne doivent jamais rien faire de leur propre autorité, même dans leur maison. Dans l’enfance la femme doit être dépendante de son père, dans la jeunesse de son époux, et si son mari est mort, de ses fils. (Sloka 5. 147)
Sa version plus récente, le bouddhisme (5e siècle avant JC), 4e religion la plus pratiquée actuellement dans le monde, parée de zénitude depuis la marijuana et les haschichs de Katmandou, a pour chef le Daï-Lama qui a eu le prix Nobel de la paix en 1989. Il cite avec dévotion le livre fondateur La précieuse guirlande des avis du roi :
L’attirance pour une femme vient surtout de la pensée que son corps est pur. De même qu’un vase décoré rempli d’ordures peut plaire aux idiots. Mais il n’y a rien de pur dans le corps d’une femme, la cité abjecte avec ces trous excrétant les éléments.
Tout particulièrement et pendant quelque 2 000 ans, les religions monothéistes qui sévissent encore aujourd’hui ont accompagné, justifié et aggravé l’oppression des femmes, dès l’origine puis férocement en adossant leur pouvoir aux classes exploiteuses ou en s’y incorporant. Toutes ont une figure masculine comme super puissance et des professionnels du culte masculins, toutes rejettent la science, toutes se sont opposées à ce que les femmes s’instruisent, travaillent en dehors du foyer, toutes sont sexistes et patriarcales, exaltent la virginité des filles et la soumission aux hommes, toutes limitent la sexualité à la reproduction de l’espèce ou au seul plaisir des mâles, toutes pourchassent les homosexuel(le)s, toutes sacrent le mariage où niche la famille hétérosexuelle à inégalité de droits et de devoirs.
À commencer, chronologiquement, par la religion des Hébreux. On leur doit le recyclage de légendes mésopotamiennes (1 800 avant JC) qui a donné le mythe d’Adam signifiant « fait de terre rouge » et Ève « source de vie ». À lui la terre, l’extérieur, à elle la perpétuation de l’espèce, soit la justification de la place respectivement assignée aux deux genres, aux rapports dominants existants. Dans la prière juive du matin, l’homme remercie Dieu de ne pas l’avoir fait naître « esclave, femme et non juif » et la femme de l’avoir « faite selon sa volonté ». Sous-entendu : tu changes quelque chose, tu offenses le Tout-Puissant. S’y ajoute la nécessité de l’écarter de la connaissance, elle qui a fauté et entrainé son mec à désobéir. Encore aujourd’hui, l’accès aux textes de la Torah (les cinq livres transmis par Jéhovah à Moïse selon cette religion) chez les juifs orthodoxes est interdit aux femmes. « Mieux vaut brûler la Torah que de la confier à une femme » dit un commentaire dans le Talmud de Jérusalem. Elle est considérée comme impure au moins la moitié de chaque mois, entre la semaine de règles et celle qui suit, lors de laquelle elle doit « ôter toute souillure » par un bain hyper ritualisé et sous surveillance. Non seulement les relations sexuelles sont prohibées pendant cette période, mais tout contact, y compris par l’intermédiaire d’un objet. Je ne parle pas de sex-toys, mais de l’interdiction de se passer une clé de la main à la main, de se tendre un verre, etc.
Un autre courant du judaïsme ne va pas rester la religion des seuls Juifs mais se développer dans tout l’empire romain puis au-delà, c’est le christianisme. Il sert à consoler les esclaves de leur terrible sort ici-bas en promettant qu’ils seront gâtés (sans jeu de mot) quand ils seront morts. En attendant, pas question de se révolter. « Si quelqu’un enseigne à l’esclave à mépriser son maître, à se soustraire à la servitude ou à ne pas le servir avec bonne volonté et amour, qu’il soit anathème ! » dit le Concile en 324. Il faut prêcher l’acceptation et la soumission à tous les opprimés, dont les femmes, puisque Dieu, lui, ne fait aucune différence entre eux et les accueillera égalitairement dans son paradis. « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme car tous baptisés vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Paul, le 1er chef de leur église, 1er siècle, épitre aux Galates). En attendant, soutien total au droit romain qui fait des femmes (« libres ») les possessions du pater, au même titre que ses enfants, esclaves, troupeaux, maisons, terres, etc. À toutes, cette religion enjoint de se couvrir les cheveux (et souvent tout le corps avec tissus longs ou manteaux). Le port du voile dans la Rome antique était imposé à l’extérieur de la villa, aux femmes mariées et non esclaves. Il signale aux autres hommes : ne pas approcher, propriété privée. Monsieur Paul déjà cité écrit dans la 1e épitre aux Corinthiens :
Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre ! L’homme lui ne doit pas se voiler la tête (il faut se démarquer des Juifs-Torah) parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme. Et l’homme n’a pas été créé pour la femme mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance, à cause des anges.
Si vous vous demandez ce que les anges viennent faire dans cette misogynie galopante, eh bien ils complètent le tableau : les femmes sont susceptibles de corrompre les innocents, elles sont les tentatrices. Pensez aujourd’hui aux « elles s’habillent trop court, trop décolleté, elles l’ont quand même cherché ». Quant à l’injonction de se faire tondre, l’église l’a appliquée avec zèle contre les sorcières au Moyen Age et, à ses côtés, le pouvoir politique contre les prisonnières et les condamnées à mort. 20 000 à 40 000 femmes entre le milieu de l’année 1944 et la fin de 1945, en France, accusées de collaboration avec l’occupant ou d’avoir couché avec des Allemands, ont été rasées au cours d’infâmes mises en scène publiques.
L’histoire de l’Église chrétienne toutes chapelles confondues sur vingt siècles rime avec exploitation comme grand propriétaire terrien de millions de paysannes et de domestiques, enfermement d’une multitude de femmes contre leur gré, exécutions de 30 000 à 60 000 comme sorcières, interdiction de travailler à l’usine, police des mœurs et surveillance étroite des femmes, glorification de la famille oppresseuse soumise au chef, opposition à l’instruction des filles, au divorce, au droit de s’organiser dans un syndicat, à la contraception, à l’avortement.
Au 7e siècle dans la Péninsule arabique, un chef de guerre, Mahomet, mute en prophète ; le dieu qu’il choisit parmi d’autres sur le marché polythéiste local et dont il fait l’Unique, Allah, lui dicte le Coran. Il l’agrémente (si on peut dire) de la sunna (ses injonctions, pratiques et commentaires) et fonde la religion des musulmans. Vis-à-vis des femmes, il se montre plus progressiste que les machos de son temps. Il chérit sa 1e épouse, riche héritière de 15 ans son aînée qui lui assure l’aisance et la protection. Il défraie la chronique comme bousculeur de l’ordre existant en demandant 1 part d’héritage pour la fille (qui n’avait auparavant droit à rien) contre 2 au garçon, en limitant à 4 les épouses d’un bon musulman (ce qui ne l’empêche évidemment pas d’en avoir, lui, une dizaine après la mort de Khadija), en conseillant : « Celles de qui vous craignez l’insoumission, faites-leur la morale, désertez leur couche, corrigez-les. Mais une fois ramenées à l’obéissance, ne leur cherchez pas prétexte » (Coran 4 ;34). Il se démarque de la religion juive et chrétienne en faisant du diable et non de la femme, le responsable du péché originel. Le voile (qui tient peu de place dans le Coran) a d’abord le même sens que dans la Rome antique, empêcher l’adultère, garantir que le transmetteur de l’héritage est bien le géniteur. Pour preuve, la sourate 34 verset 59 dit : « Nul grief aux femmes atteintes par la ménopause et n’espérant plus le mariage si elles déposent leurs voiles. » Quand il entreprend la conquête de toute la péninsule, il impose le voile aux femmes des tribus conquises, comme signe de reddition. La religion du vainqueur est imposée, comme les colonisateurs espagnols, français, hollandais, portugais, l’ont fait avec le christianisme. Pas de respect envers dieu, de pudeur à préserver, de protection des femmes, d’appartenance culturelle et autres justifications de faussaires que l’on peut entendre actuellement : depuis 2 millénaires, ce vêtement est imposé pour afficher la soumission des femmes, soit comme épouse, soit comme vaincue. Cette servitude se mesure à ce qu’il en coûte aujourd’hui à celles qui bravent l’obligation de porter le voile dans des pays comme l’Iran ou l’Afghanistan. Nous saluons et soutenons le combat de toutes les femmes dans le monde qui refusent cette atteinte à leur dignité, qui rejettent à juste titre ce diktat misogyne et archaïque.
Mahomet est un conquérant ; dès le départ, l’islam est à la fois un pouvoir religieux, politique et guerrier, la loi du Coran et de l’État qu’il bâtit ne font qu’un. Tous les schismes qui l’ont fracturé ont gardé cette marque de fabrique et affirment, s’ils ont le pouvoir, l’inégalité des hommes et des femmes : « Les hommes leur sont supérieurs d’un degré » (2/228) ; « S’il n’y a pas deux témoins hommes, alors un homme et deux femmes… » (2/282) ; « Les hommes ont tutelle sur les femmes en raison de la distinction établie entre eux » (4/34).
La « Loi relative au statut personnel », adoptée en Arabie saoudite le 8 mars 2022, et présentée comme une grande réforme par les dirigeants du pays, perpétue le système de tutelle masculine et inscrit dans la législation la discrimination à l’égard des femmes dans la plupart des aspects de la vie de famille (voir l’analyse détaillée d’Amnesty International).
La revendication de séparation stricte des religions et de l’État doit accompagner toute lutte d’émancipation.
Si, comme on l’a vu, le mode de production capitaliste, avec les rapports sociaux qu’il a engendrés, n’a pas inventé l’oppression des femmes, il l’a intégrée et modifiée, pour l’utiliser à son profit
Le tableau à très gros traits peut se résumer ainsi : les bourgeois ont constitué leur richesse au sein de la vieille société féodale, sur au moins 3 siècles, par le développement de l’artisanat pourvoyeur de marchandises et sa séparation d’avec l’agriculture, par le commerce, par la banque. Ces bourgeois ont eu besoin de se procurer une marchandise bien particulière pour accroître et faire perdurer leur capital : la force de travail, capable de produire plus de valeur que ce qu’elle coute. Pour échapper à leur misérable condition dans les campagnes, hommes, femmes et enfants, par milliers, viennent vendre leur seul moyen de vivre, leur capacité à travailler pour un exploiteur. Ils rejoignent les mines de charbon, ils s’entassent dans les villes pour servir les riches comme domestiques, ils embauchent dans les fabriques et manufactures. La prostitution des femmes qui ne trouvaient pas d’emploi a fait des ravages et leur espérance de vie était inférieure à 30 ans. En Angleterre en 1835, dans l’industrie du coton qui est centrale pour le développement capitaliste de l’époque, moins de 30 % de la force de travail est constituée d’hommes adultes, 70 % de femmes et d’enfants. Marx note que cette proportion est de 60 % en 1861 pour toute l’industrie de la confection. L’exploitation y est sans limite de 12 à 14 heures par jour. Engels écrit dans La Situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845) que 50 % des enfants de la classe ouvrière n’atteignent jamais leur 5e anniversaire.
À cette époque en France, l’Église catholique a organisé, bien-sûr par pure charité et pour les éloigner de la tentation, l’enfermement d’enfants et de jeunes filles, pauvres évidemment, dans des « providences », nombreuses à Lyon et sa région, à St Etienne, dans lesquelles ils et elles tordaient les fils, cousaient et tissaient sous la férule des nonnes, pour une rétribution absolument dérisoire. Ces ateliers furent largement détruits lors des émeutes ouvrières de 1848 au cours desquelles des ouvrières à St Etienne furent tuées par la troupe. Plus tard, dans les « couvents-usines », plusieurs congrégations ont reconduit cette exploitation très profitable et ont fourni aux capitalistes (on disait « manufacturiers ») des nonnes pour l’encadrement de la main d’œuvre féminine. La congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur ouvrit dans les mêmes années des maisons de correction où des jeunes filles et jeunes femmes, toutes issues de la paysannerie ou du prolétariat vont produire un travail gratuit. À Nantes par exemple, les quasi-prisonnières fabriquaient des dentelles pour les bordels du quai de la Fosse. Elles étaient privées d’instruction et de soin, subissaient brimades et sévices. Les tribunaux de l’État bourgeois laïc et républicain y placeront jusqu’au milieu des années 1970 des jeunes rejetées par leurs parents parce qu’enceintes, des coupables de délits insignifiants. Ce sont les révoltes des femmes elles-mêmes qui feront cesser les placements judiciaires. Allez voir Mauvaises filles, le documentaire d’Émérance Dubas s’il passe au cinéma près de chez vous.
Les femmes sont embauchées avec un salaire inférieur à celui des hommes. La concurrence intrinsèque au capitalisme divise les rangs ouvriers ce qui bénéficie au capital. Aujourd’hui encore, dans le monde, les femmes touchent 20 % de moins que les hommes selon l’ONU. La classe bourgeoise justifiait l’écart de salaire au 19e, avec l’argument qu’ainsi, les femmes n’étaient pas tentées de renoncer totalement à effectuer le travail domestique et à élever les enfants. Ces tâches reposent encore essentiellement sur elles, où que ce soit sur la planète.
Or ces activités qui consistent à nettoyer, nourrir, vêtir, soigner, aimer, donner la vie, importent au capital parce qu’elles permettent la reproduction et l’entretien de la force de travail. Elles maintiennent le et la prolétaire en état de retourner bosser le lendemain et le jour suivant.
La conservation et la reproduction constante de la classe ouvrière demeurent une condition constante de la reproduction générale du capital. (Karl Marx, Le Capital, I, PUF, p. 642)
La classe capitaliste verse sous forme de salaire le prix « des frais d’existence et de reproduction de l’ouvrier », calculé au plus juste tolérable afin que la part du travail qu’elle ne paie pas soit la plus grande possible (plus-value). Quand le prolétariat parvient à obtenir davantage, l’économie capitaliste essaie de contrebalancer cette ponction sur les profits par divers leviers, par exemple en faisant baisser la valeur des marchandises nécessaires à l’entretien de la force de travail, au moyen de l’augmentation de la productivité, de la production à grande échelle, des innovations techniques. Mais également par le renvoi des femmes à la maison pour contrer cette hausse des revenus de la famille ouvrière.
En Inde, 24 % des femmes contre 74 % des hommes occupent ou cherchent un travail. Des chiffres qui ont chuté depuis le début des années 2000, selon les données de la Banque mondiale alors que les revenus des ménages indiens avaient sensiblement augmenté sur cette période. (Les Échos, 25 aout 2023)
Les femmes font partie de l’armée de réserve, par laquelle le capital fait constamment pression sur tout le prolétariat pour faire baisser la valeur de la force de travail et dont il mobilise une partie quand ça l’arrange pour augmenter la quantité de plus-value produite. En Allemagne en ce moment par exemple, où 75 % des femmes ont un emploi salarié, la bourgeoisie fait donner ses économistes, ses médias, pour qu’encore davantage de femmes aillent vendre leur force de travail. Face au manque de main d’œuvre, il est de nouveau question de créer des crèches, de modifier la répartition de la journée scolaire… Les patrons utilisent le fait que les femmes travailleuses occupent majoritairement des emplois moins qualifiés, à temps partiel, pour les traiter en pions facilement déplaçables ou supprimables.
L’utilisation pour la consommation au sens large des produits indispensables à l’existence nécessite un travail (nettoyer le logement, préparer la nourriture, s’occuper de laver voire de repasser, de recoudre le linge, d’administrer les soins à ceux qui en ont besoin). Ce travail éminemment utile n’est pas payé. Si la classe capitaliste indienne, au moyen de son État par exemple, devait fournir comme services marchands l’ensemble des tâches effectuées par les femmes, sa State Bank a calculé en 2023 que cela représenterait 7,5 % du PIB, soit 287 milliards de dollars. Une estimation d’Oxfam de 2020 établit que 48 milliards d’heures de travail sont consacrées, gratuitement, à ces tâches annuellement dans le monde.
Si les femmes du monde entier avaient été payées au salaire minimum pour toutes les heures qu’elles consacrent aux tâches domestiques et à prendre soin de leurs proches, elles auraient gagné l’année dernière 10 900 milliards de dollars. Soit plus que les revenus annuels cumulés des 50 plus grandes entreprises de la liste Fortune Global 500, qui inclut Walmart, Apple et Amazon. (New York Times, 8 mars 2020)
Le travail domestique ne produit pas directement de valeur mais il accroit la survaleur que la classe capitaliste accapare, en réduisant le cout de l’entretien de la force de travail qu’il obtient pour une part par le travail domestique gratuit.
Pour les femmes de la classe laborieuse qui en accomplissent la plus grande part, il augmente l’enfermement dans la sphère privée qui reste à l’abri des regards et garantit l’invisibilité à la violence machiste qui peut s’y exercer. Il scelle la dépendance financière totale des « femmes au foyer » (1,3 million en France, Insee 2023). Il demande beaucoup d’effort mais se voit surtout s’il n’est pas fait.
Je me suis amusée à compter, les après-midis de désœuvrement, le nombre de fois où j’avais mis et desservi le couvert. Je suis arrivée au chiffre de mille neuf cent cinquante ! Mille neuf cent cinquante fois en dix ans ! Si tu calcules qu’il me faut chaque fois mettre, enlever, laver une moyenne de six assiettes, deux casseroles, deux plats, huit couverts, quatre verres, deux serviettes, une nappe, un protège-nappe, deux bouteilles, le sel, le poivre, le pain, le couteau à pain et le compotier, et ceci à condition qu’il n’y ait ni repas ni service spécial ; que je dois me lever et me rassoir à peu près six ou sept fois par repas ; aller de la cuisine à la table et de la table au buffet, le tout répété trois fois par jour, même si le petit déjeuner est moins important —mais par contre je t’ai fait grâce des deux fois par jour où je sers le café— eh bien, fais le compte ! Pour les déplacements, cela fait environ 21 par jour (et encore, je suis modeste) multiplié par 365 jours, ce qui donne 7 665, multiplié par mes dix ans de mariage, ce qui fait : 76 650 ! Tu imagines le nombre de briques que j’aurais posées si j’avais été maçon ! Cela ferait déjà pas mal de maisons ! Mais je n’ai, hélas, rien construit ! C’est comme si j’avais labouré l’océan. Demain, je recommencerai, et après-demain, et toujours… (Lidia Falcon, Lettres à une idiote espagnole, Éditions des femmes, 1975)
Le travail domestique éloigne de la sphère sociale, en premier lieu en poussant au temps partiel, mais aussi en réduisant le temps de loisirs des femmes, leur participation dans les syndicats, les partis.
Comment ne pas voir dans la répartition par secteur de l’emploi salarié féminin un rapport étroit avec une division genrée du travail, avec le poids de siècles d’esclavage domestique ? En France aujourd’hui (chiffres Insee 2023), les femmes sont 82,7 % dans le secteur médicosocial, 74,7 % dans la santé, 68,5 % dans l’enseignement, 65,5 % dans les services aux ménages. Chez les ingénieurs de moins de 30 ans, seulement 29 % de femmes, alors qu’elles sont plus nombreuses à être diplômées de l’enseignement supérieur.
Parce que c’est le pays dans lequel nous militons, je vais donner quelques autres chiffres sur le travail des femmes en France. Leur taux d’activité est de 71 % (77 % des hommes) et 28 % travaillent à temps partiel (c’est 3 fois plus que les hommes). Elles sont sur-représentées dans les emplois précaires, moins qualifiés et peu rémunérés : 75,6 % de celles qui travaillent. 23,5 % des femmes sont employées et ouvrières non qualifiées (contre 14,3 % des hommes). En 2020 toujours selon l’INSEE, 82 % des familles monoparentales (24,9 % des familles, 3 millions de personnes) sont formées d’une mère avec ses enfants. Leur taux de pauvreté approche les 20 %, contre 7 % pour les couples avec enfants. Ces femmes cumulent l’ensemble des tâches domestiques avec la charge de subvenir seules aux besoins des enfants en effectuant des travaux mal payés et méprisés. Elles sont en plus souvent stigmatisées comme accomplissant mal leurs devoirs de transmission des règles à respecter dans la société bourgeoise. Darmanin et Bergé ont récemment renforcé les sanctions financières contre celles qui n’ont déjà pas un rond et prévu de rajouter des travaux d’intérêt général à celles qui déjà finissent tard le soir.
Car la reproduction sociale commence par la famille et le capital est absolument intéressé au fait qu’elle s’effectue le plus rigoureusement possible. Dans la classe dominante, chez les capitalistes et avec plus d’aléas dans la petite bourgeoisie commençante ou paysanne, la transmission de l’héritage, de la propriété privée, assoit la reproduction de génération en génération. Les riches se marient entre eux, pour augmenter et/ou garantir le patrimoine. Il faut dire qu’il est considérable.
Le 1 % du sommet possède au moins 2,2 millions d’euros par ménage. Quant à la famille de Bernard Arnault, à la tête du groupe de luxe LVMH, ses 203 milliards d’euros correspondent à la valeur de l’ensemble des logements de Marseille et de Nantes, selon nos estimations. La concentration du patrimoine aux mains des plus fortunés augmente au détriment du reste de la population. Le poids des 500 plus grandes fortunes professionnelles a pratiquement décuplé en 20 ans. Elles représentaient 124 milliards d’euros en 2003 et atteignent un montant total de 1 170 milliards d’euros en 2023, selon le magazine Challenges. (Rapport sur les riches en France, 2024)
Respect des traditions, obéissance, apprentissage des rôles dévolus à chacun, crainte envers l’État et ses représentants sont donnés par l’idéologie bourgeoise pour des normes moralement supérieures, civilisées, universelles et indépassables : 70 % des enfants d’ouvriers occupent un emploi d’exécution, 70 % des enfants de cadres occupent un emploi d’encadrement (Camille Penguy, sociologue) ; 57,7 % des enfants d’employés et d’ouvriers peu qualifiés deviennent employés ou ouvriers ; 51,6 % des enfants d’employés et d’ouvriers qualifiés deviennent employés et ouvriers (INSEE, Mobilité sociale, 2022). Cependant, même s’il est difficile pour notre classe socialement donc idéologiquement dominée d’échapper au cadre oppressif, les familles de la classe laborieuse, de compositions très diverses aujourd’hui, où le patrimoine n’est pas la clé de voûte qui fait tenir l’édifice, constituent aussi des lieux où s’expriment amour et affection, où se manifeste la solidarité, où se transmettent en héritage non l’argent mais la nécessité de résister à l’oppression et à l’exploitation, la volonté de changer le monde.
Le mode de production et les rapports sociaux capitalistes charrient un flot immense de misères et d’oppressions. Mais de manière aussi contradictoire et puissante qu’il a donné naissance à la classe sociale dont la place dans ce système et les intérêts sont capables de le renverser, il a créé les conditions pour penser la disparition des oppressions de genre. Le capitalisme est en effet le premier système économique à reposer sur une sorte d’anonymat généralisé. Les produits du travail tendent tous à y prendre la forme de marchandises, c’est-à-dire à être échangés contre un équivalent appelé « monnaie ». La monnaie présente le travail humain comme indifférencié. Ainsi, le fait que les produits du travail soient dorénavant destinés à être vendus sur le marché mondial efface les caractéristiques particulières, dont l’endroit où la marchandise a été produite par exemple, mais aussi l’identité sexuelle du producteur. Ne subsiste que la quantité de travail qu’elle incarne. Surtout, en transformant la force de travail en marchandise, en rémunérant par le même équivalent (la même monnaie) les salariés, masculins et féminins, il établit l’égalité de nature entre le travail de tous les prolétaires. De plus, la nécessité de s’approprier de la main d’œuvre l’a conduit à réduire le travail domestique des femmes, montrant qu’une immense partie de ces tâches pouvaient être socialisées (éducation, santé, restaurants et laveries collectives, crèches, maisons intergénérationnelles, etc.). Ainsi, les modes de vie des femmes et des hommes se sont rapprochés. C’est une transformation radicale des rapports établis dans la nuit des temps, la possibilité de construire une société supérieure où la séparation en genres comme source de traitement dépréciatif rejoindra le vieux fatras.
Une formation sociale ne disparait jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir ; jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà, ou du moins sont en voie de devenir. (Karl Marx, « Préface », Contribution à la critique de l’économie politique, 1859,Éditions sociales, p. 5)
Le capitalisme a créé les conditions matérielles et la classe sociale à même de réaliser ce bouleversement, mais son caractère progressiste est mort depuis plus d’un siècle, il entraine au contraire l’humanité dans la barbarie. Il faut le détruire.
Pour nous communistes, le combat conséquent contre l’oppression des femmes est anticapitaliste. En cela nous divergeons d’avec le féminisme bourgeois
Les femmes sont la moitié de l’humanité. Elles ne sont pas une classe. Elles se répartissent dans les classes sociales que les rapports capitalistes ont produites. L’immense majorité appartient à la classe prolétarienne. Mais si les femmes travailleuses sont infiniment plus nombreuses, elles sont aussi infiniment moins visibles. Absentes des médias, des lieux de pouvoir, largement minoritaires dans les syndicats et les partis politiques, leur relégation laisse la parole essentiellement aux bourgeoises et petites bourgeoises. Certaines très radicales d’ailleurs, mais pour qui il s’agit de la lutte de toutes les femmes contre tous les hommes.
Or les femmes de la classe dominante ne sont pas exploitées car leurs revenus proviennent du surtravail des hommes et des femmes du prolétariat. Et l’oppression de genre est pour elle atténuée : pas de travail domestique, accès sans commune mesure à l’éducation, la santé, la culture, etc. Notre objectif à nous, contrairement au leur, n’est pas de crever « le plafond de verre » pour qu’il y ait plus de femmes dans les conseils d’administration des grands groupes capitalistes ou dirigeantes des États bourgeois parce que cela n’apporte aucune amélioration au sort de la classe laborieuse. Golda Meir et Margaret Thatcher étaient des femmes, Marine Le Pen et Maréchal-la-voilà en sont aussi, comme Giorgia Melloni ou Sarah Palin.
L’exigence « à travail égal, salaire égal » qui est portée par les femmes travailleuses depuis le 19e siècle, comme par les prolétaires sans papiers, immigrés, fait partie de notre programme ; elle se heurte aux intérêts des capitalistes. Mais nous savons que « l’égalité » dans la société bourgeoise, même quand elle est déclarée ou juridiquement actée n’est pas réelle. En France, le Code du travail stipule :
Tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes : ce principe interdit toute discrimination de salaire fondée sur le sexe. Tous les employeurs et tous les salariés sont concernés, qu’ils relèvent ou non du Code du travail. Les salariés du secteur public sont donc également visés. (février 2019)
La réalité est cependant tout autre.
Catégorie INSEE | Pension hommes en € |
Pension femmes en € | Écart en % |
Cadres supérieurs | 4 604 | 3 861 | -16 |
Professions intermédiaires | 2 618 | 2 299 | -12 |
Employés | 1 861 | 1 773 | -5 |
Ouvriers | 1 912 | 1 638 | -14 |
Ces écarts ont une répercussion sur les retraites. Les femmes perçoivent en moyenne 1 272 euros, soit 24 % de moins que les hommes (1 674 euros). Ce montant inclut, outre la pension de droit direct, la pension de réversion et la majoration de pension pour trois enfants ou plus. En prenant en compte uniquement la pension de droit direct, versée au titre de l’activité professionnelle passée, l’écart entre femmes et hommes s’élève à 39 % pour les 65 ans ou plus. Elles bénéficient moins du dispositif « carrières longues » à cause des temps partiels ou des interruptions pour élever les enfants (3 000 femmes sur 400 000 départs dits anticipés, par an). En 2020, les femmes sont parties à la retraite en moyenne un an plus tard que les hommes de leur génération, à 62 ans et 8 mois. Avec le passage à 64 ans pour prétendre à la retraite, l’effet des 8 trimestres accordés aux mères pour la maternité et la garde des jeunes enfants va être annulé et ce sont essentiellement des femmes qui devront attendre 67 ans pour toucher une pension à taux plein. Parmi les personnes qui perçoivent le minimum vieillesse, les 3/4 vivent seules, 7 sur 10 sont des femmes.
De même, « l’égalité » face au divorce est inscrite dans la loi française, mais comment faire quand on est économiquement dépendante ? Quand il y a si peu de logements d’urgence en cas de maltraitances ?
Il faut ajouter que pour protéger les femmes, nous revendiquons aussi « l’inégalité » : congés de maternité, allègement de la charge de travail pendant les derniers mois de grossesse, repos si les règles sont douloureuses, par exemple.
À côté de « l’égalité », la république bourgeoise proclame « la liberté ». Elle vient même d’ajouter ce 8 mars 2024 dans la Constitution française de 1958 « la liberté garantie des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ». Or, la liberté, ce n’est pas le droit. D’ailleurs les réactionnaires de tout poil connaissent la nuance. Ils se sont battus pour que le droit à l’avortement ne figure pas comme tel. Le droit réclame une application, donc que l’État fournisse les moyens de l’exercer. Dans la réalité les atteintes à l’exercice de ce qui devrait être un droit pour toutes les femmes sont multiples. Le Monde a recensé la fermeture de 45 établissements hospitaliers pratiquant l’IVG entre 2007 et 2017. Les centres d’orthogénie étant principalement adossés aux maternités des hôpitaux publics, les restructurations hospitalières qui ont fait passer, entre 1996 et 2019, le nombre de maternités en France de 814 à 461 (selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques Drees) ont mécaniquement provoqué une baisse des centres d’IVG. Le Planning familial déplore la disparition de 130 centres dans lesquels il intervenait, dénonce l’éloignement géographique que cela implique pour beaucoup de femmes. Cela aggrave les difficultés d’accès à l’information, à la contraception, à l’IVG. Si les avortements se font encore majoritairement à l’hôpital, avec 62 % des IVG réalisées en 2022, dans les 548 établissements hospitaliers recensés par la Drees, essentiellement dans le public, cette proportion est en baisse constante au profit des centres de santé, cabinet et même en téléconsultation. Non seulement cela fait courir un risque aux femmes, mais cela les expose incroyablement plus à la « clause de conscience » des médecins libéraux. D’après un rapport parlementaire de 2020, seuls 1 932 praticiens de ville conventionnés ont pratiqué des IVG : rapporté au nombre de praticiens installés en cabinet, cela représente 2,9 % des généralistes et gynécologues.
Nous savons d’autre part que n’importe quelle loi peut être remise en question. L’arsenal juridique a été forgé par la classe dominante pour protéger son pouvoir. Si le combat des exploités et des opprimés lui arrache des améliorations de leur sort, elle est avide de renverser la vapeur dès que le rapport des forces le lui permet. Les juges de la Cour suprême américaine l’ont encore montré récemment, contre le droit à l’avortement qui est maintenant interdit dans 14 États, menacé dans 5 et restreint dans 6 autres. La classe dominante sait également contourner « la loi ». Dans la grande démocratie bleu-blanc-rouge, État de droit et tout et tout, la législation valide les jugements qui bafouent allègrement les lois républicaines, jugements prononcés par les tribunaux des pays d’origine de femmes qui vivent en France. Grâce à des conventions bilatérales passées avec les gouvernements d’Algérie, d’Égypte, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Cameroun, elles se voient signifier répudiation, mariage sans consentement ou polygamique, annulation de la garde des enfants par les juridictions françaises (exéquatur).
L’injustice indigne faite à ces femmes est étiquetée « intersectionnelle ». Ce vocable est repris partout, non seulement dans les organisations féministes, mais en sociologie, dans les médias, dans les organisations « de gauche et d’extrême gauche » comme dit ATTAC qui tient conférence pour « réconcilier féminisme intersectionnel et féminisme universaliste » (voir sur son site), chez les patrons branchés où sont dispensées des formations à l’intersectionnalité en entreprise, jusqu’à la Commission européenne :
La stratégie poursuit une double approche associant l’intégration de la dimension d’égalité hommes-femmes à des actions ciblées, sa mise en œuvre reposant sur le principe horizontal d’intersectionnalité. (Commission européenne, stratégie en faveur de l’égalité hommes-femmes 2020-2025)
Ce terme d’intersectionnalité a été inventé par une juriste américaine, noire, Kimberlé Crenshaw en 1989 dans un article qui analysait la situation des femmes noires victimes de violences conjugales. Elle a montré que face au système judiciaire, non seulement leur genre mais leur couleur les desservaient. Et en cas d’infraction, les femmes noires subissaient des peines plus lourdes que les femmes blanches. Autrement dit, sexisme et racisme se cumulaient. On peut penser que ce constat, bien des femmes noires aux États-Unis l’avaient déjà fait. Angela Davis, par exemple, en 1983 avait écrit « Femmes, race et classe » et comptait d’ailleurs plus sur les luttes sociales que sur l’amélioration de la législation pour réparer les injustices. Crenshaw dénonçait aussi le fait que les mouvements féministes de l’époque invisibilisaient les femmes noires et que le mouvement noir ne les traitait pas mieux. Reprise et développée depuis lors par de nombreuses chercheuses et militantes féministes, notamment aux États-Unis, au Canada, en France et dans d’autres pays, l’intersectionnalité n’a rien de révolutionnaire.
Pour les citations, j’ai utilisé la documentation disponible sur le site Adéquations (Association, 2003, son objectif général est l’information, la réflexion et l’action autour des thèmes suivants : égalité des femmes et des hommes, développement humain durable, solidarité internationale, droits humains.)
Si l’existence des classes sociales n’est pas niée dans les discours du féminisme intersectionnel, c’est une référence abstraite, comme le capitalisme d’ailleurs. Il n’est jamais question des intérêts communs à tous les prolétaires quel que soit leur genre ni de la nécessité de détruire le système basé sur l’exploitation de la classe majoritaire.
Les femmes ne forment pas un groupe homogène, elles sont différentes par leur classe, leur race, leur orientation sexuelle, leur religion, leur handicap, leur âge, etc. Ces différences créent des inégalités et des rapports de pouvoir spécifiques entre les femmes et… les femmes. » Il y a donc lutte, entre la noire et la blanche, entre la riche et la pauvre, entre la vieille et la jeune, entre la bien portante et la malade, etc.
Alors, aux « puissantes » de se « déconstruire » : « Il faut tendre vers la déconstruction de mes réflexes de domination à l’encontre d’autres femmes pour intégrer et visibiliser dans ma manière de lutter les oppressions qui ne sont pas les miennes. »
Nous, nous ne misons pas sur « le changement des mentalités » mais sur la destruction des conditions matérielles qui sous-tendent exploitation et oppression. Ce n’est pas le « regard » sur les faits qui les transforme. Pour modifier la réalité, nous combattons pour l’unité des rangs de la classe qui a tout à gagner au renversement du capitalisme, hommes et femmes, de tous les secteurs de travail ou qui en sont rejetés par la loi du profit maximum, de toutes origines, de toutes nationalités, de toutes couleurs, contre la bourgeoisie et ses institutions.
L’intersectionnalité de manière assez paradoxale quand on a la vision de ces routes et vies multiples qui s’entrecroisent est en fait un individualisme : chaque femme est unique, ce qu’elle vit, personne d’autre ne le vit, tout est une expérience personnelle que nul ne peut raconter à la place de l’intéressée. Par conséquent, il n’est besoin ni de conscience de classe, ni de parti, ni de programme, l’intersectionnalité mise sur la sororité, le témoignage, l’écoute.
À l’individualisme s’ajoute le relativisme. Rokhaya Diallo, l’une des figures en France de l’intersectionnalité a déclaré que « la liberté peut aussi être dans le hijab ». Comme si la religion, la tradition, le poids des contraintes de famille, de groupe social, de quartier ou la volonté d’affirmer son identité de minorité opprimée par la république bourgeoise ne modelaient pas le dit-choix… De la même façon qu’il existe des prolétaires soucieux du bien-être de leur patron, il y a des femmes qui justifient le port du foulard. Qu’est-ce que ça change au fait qu’un patron bénéficie du travail volé ? qu’est-ce que ça change au fait que le hijab, la burka ou l’abaya sont sexistes, des instruments d’oppression des femmes, à Paris comme à Téhéran et qu’il faut les caractériser comme tels ? Est-ce que cela nous empêche de défendre ces femmes contre l’État bourgeois, de dénoncer les politiques d’interdiction dans l’espace public ? En rien. Nous disons que tous les gouvernements de la 5e république soi-disant laïque financent à millions l’Église catholique, ses institutions, ses cathédrales, autorisent les aumôneries, les croix dans les établissements publics d’enseignement, que la religion musulmane dans cette grande démocratie est vilipendée parce que c’est celle majoritaire dans la fraction du prolétariat d’origine étrangère, que Macron s’est rendu à la messe de Bergoglio, pape de profession, en tant que président de la république, sans avoir mal à sa laïcité. Nous soutenons que ni Macron, ni la 5e république ne veulent l’émancipation des femmes.
Même relativisme en ce qui concerne la prostitution qui serait là encore « un libre choix », d’où la nécessité de parler de « travailleuses du sexe ». Les slogans « Mon corps m’appartient » ou « J’ai le droit de disposer librement de mon corps » que nous avons scandés dans les manifestations défendant le droit à la contraception, à l’avortement, à la PMA pour toutes les femmes ou contre les violences sexuelles, sont dévoyés. Quelques chiffres pour examiner cette dite liberté : Voici ce que nous apprend l’association Le Bus des femmes, qui organise maraudes et accueils sur toute la France (chiffres 2022).
Origine :
- Afrique Subsaharienne : 28,2 %
- Asie : 26,3 %
- Amérique latine : 20,16 %
- Pays européens hors France : 12,4 %
- Maghreb : 8,6 %
- France : 6,2 %
Rien à voir, vraiment, avec l’impérialisme, les réseaux mafieux, la misère, le chômage, l’absence de papiers ?
Le nombre de mineures est en constante augmentation. Un choix de vie raisonné, vraiment, à 16 ans ?
En France, en 2015 (dernière stat trouvée) 64 % des prostituées ont déclaré avoir subi des violences, 38 % des viols. Un travail comme un autre, vraiment ?
Le féminisme intersectionnel demande que les femmes « racisées » soient plus visibles dans la société. En réalité, elles parlent surtout du monde de la culture et des médias. Ce courant n’organise ni sa propagande, ni son agitation en direction du prolétariat, parce qu’il ne part pas de la division de la société en classes antagoniques et ne considère pas la classe ouvrière, hommes et femmes, natifs et immigrés, bien portants ou pas, comme la seule à même de détruire les rapports sociaux bourgeois en prenant le pouvoir, en expropriant, en contrôlant la production et la distribution du nécessaire, en formant ses organes de lutte et de décision pour balayer préjugés et traditions.
Cela n’empêche pas que des femmes issues de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie ont initié des combats émancipateurs. En juillet 1848, dans l’État de New York, à Seneca Falls, une convention adopte une Déclaration d’opinions construite sur la Déclaration d’Indépendance des États-Unis. Initiée par des féministes et des abolitionnistes, elle est signée par 68 femmes et 32 hommes sur les 300 participants. Elle réclame l’égalité des droits sur les enfants, l’accès à l’éducation et en particulier à l’enseignement supérieur interdit alors, l’accès aux ministères des différents cultes (oui, je suis d’accord, c’est contradictoire avec la demande d’instruction…), le droit de vote. En Chine, en 1911, des milliers d’étudiantes constituent des armées de femmes pour participer au renversement du régime impérial, elles ont des armes et des revendications comme l’indépendance économique, la liberté de choisir son compagnon. Quand la république est proclamée en 1912, un groupe d’organisations composées uniquement de femmes adresse des pétitions au parlement provisoire pour que la nouvelle constitution accorde l’égalité en droits. Comme nul ne leur répond, elles attaquent le parlement et ses gardes. La république dissout vite fait cette armée jugée trop dangereuse. Quatre ans après, leur journal, La Nouvelle jeunesse, demande la libération totale des femmes de la corvée du travail ménager, proposant que soient organisés sur une base collective, le soin des enfants, la préparation des repas, le lavage du linge et l’entretien de la maison. Quel que soit le pays étudié, la lutte pour l’accès libre à la contraception et à l’avortement a d’abord été portée par des femmes issues de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie. Que ce soit ces couches sociales qui aient initié ces combats n’a rien d’incompréhensible. Leurs moyens financiers, réseaux, position dans la société, instruction leur offraient plus de possibilités de s’exprimer et de se faire entendre que n’en avaient les prolétaires. Et à juste titre, notre courant était dans les mêmes batailles pour l’extension des libertés démocratiques.
Ainsi, le programme adopté par le GMI en 2017 revendique :
Stricte égalité salariale et juridique avec les hommes ! Séparation totale de l’État d’avec les religions ! Éducation sexuelle de la jeunesse par l’enseignement public et le Planning familial ! Des moyens pour la libération, la formation et la réinsertion des esclaves des proxénètes ! Procréation médicalement assistée gratuite pour tous et toutes ! Création massive de crèches et accueil scolaire généralisé dès 2 ans ! Gratuité de la contraception pour les femmes comme pour les hommes ! Droit et gratuité totale de l’avortement, y compris pour les mineures !
Les femmes travailleuses ont lutté pour la défense de leurs intérêts, contre le capitalisme exploiteur
Pour ne s’en tenir qu’à la France, dès la fin de l’Ancien Régime, les fileuses de Rouen boycottent la machine de Barneville alors que celles de Troyes protestent contre l’arrivée des mule-jennies en 1791. Sous la Restauration, elles participent activement aux émeutes contre la mécanisation qui menace les modes de production domestiques. Il faut dire que, comme les femmes étaient considérées comme plus dociles et reléguées dans les tâches les moins qualifiées, leurs métiers étaient les premiers à être remplacés par des machines. En septembre 1831, les découpeuses de châles à Paris organisent un rassemblement qui dénonce leur mise au chômage programmé, la baisse des salaires alors que la crise économique a fait grimper le prix du pain. Les découpeuses de peaux, employées dans la chapellerie, envoient le 5 septembre une délégation au domicile des patrons Jouffret et Leblanc pour exiger « qu’ils maintiennent leurs prix de fabrication tels qu’ils existaient avant l’utilisation de la machine à découper ». Le prix de la journée de travail était tombé de vingt-deux sous à sept selon La Gazette de France du 8 septembre 1831. Des ouvrières à Lyon, à Saint Etienne, manifestent également. Les plaintes ne sont plus ni clandestines, ni pacifiques, la population des quartiers où le travail s’effectue, soutient les travailleuses. Des manifestations (jusqu’à 1 500 ouvrières rassemblées) réclament les augmentations de salaires et défient la police. Les bourgeois et la presse à leurs bottes conspuent « la sédition en jupons ». Jupon pour ne pas dire femme (que l’on entend encore dans l’expression « coureur de jupons »). Des femmes, surtout influencées alors par le saint-simonisme, amplifient l’écho de cette lutte de classe, dans des journaux et des pamphlets. Flora Tristan écrit en 1843 qu’il faut « l’union universelle des ouvriers et des ouvrières. » (Promenades dans Londres). En mars 1848, à Paris, une pétition de près de 3 000 ouvrières « coupeuses de poils » dénonce à nouveau les « mécaniques qui ont été adoptées par les maitres les plus riches […] ce qui coupe les bras aux ouvrières, aggrave leur triste position et leur ôte le pain de la main ». Mais dans la décennie suivante, l’industrialisation est irrémédiablement installée, la résistance ouvrière emprunte une autre voie. Dans cette phase de développement du capitalisme, jusqu’à la 1e guerre mondiale, les femmes prolétaires mènent bataille, en s’organisant elles-mêmes, pour l’augmentation des salaires, pour la limitation du temps de travail : moulineuses de soie, bobineuses de tissage de coton, ovalistes (soierie) à Lyon qui font grève sans soutien syndical, cabanières (qui manipulaient les fromages dans les caves de Roquefort), sardinières, ouvrières dans les usines d’allumettes, de tabac, transbordeuses de marchandises sur les quais de Cerbère, ouvrières agricoles bloquant de leurs corps le pont d’un village de l’Aude pour empêcher les gendarmes à cheval d’entrer briser la grève… Les femmes sont aussi présentes dans nombre de grèves de solidarité, que ce soit pour la réintégration d’ouvrières sanctionnées ou pour donner du poids à une grève déclenchée dans leur branche (textile). Elles ont montré leur courage et leur détermination dans les grèves de mineurs, se couchant sur la voie ferrée en 1881 à Commentry (dans l’Allier), déculottant et fouettant les briseurs de grève à Molières (dans le Tarn). En avril 1905 à Limoges, les ouvrières de l’atelier de peinture du porcelainier Haviland se mettent en grève contre les violences sexuelles d’un contremaitre couvert par le patron, les ouvriers porcelainiers des manufactures de la ville les rejoignent. L’armée intervient contre les manifestants, arrête des « émeutiers » : ouvrières et ouvriers défoncent l’entrée de la prison pour les libérer, la cavalerie tire sur la foule, un ouvrier de 19 ans est tué. La grève est finalement victorieuse, le contremaitre est viré.
Cette intense lutte de classe arrache des lois sociales qui limitent l’exploitation.
Le meilleur du mouvement ouvrier a intégré la lutte contre l’oppression des femmes à sa pratique militante et à son programme parce que les femmes prolétaires se sont mobilisées et ont revendiqué leurs droits
Le socialiste Fourier (1772- 1837) est le premier à théoriser la nécessité de transformer radicalement la société capitaliste, les relations entre les sexes pour en finir avec la domination masculine. Il propose la création de crèches, la prise en charge collective des tâches ménagères pour libérer les femmes.
Les progrès sociaux s’opèrent en raison des progrès des femmes vers la liberté et les décadences d’ordre social en raison du décroissement de la liberté des femmes. (Charles Fourier, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, 1808, Pauvert, p. 147)
Le 28 septembre 1864, 2 000 participants (dont des femmes ce qu’aucune illustration ne montre), des ouvriers et des ouvrières, des artisanes et artisans, principalement anglais et français, se retrouvent au Saint Martin’s Hall à Londres et lancent l’Association internationale des travailleurs, appelée rétrospectivement la 1re Internationale. Marx et Engels y animent l’aile la plus consciente, défendent la nécessité que le prolétariat prenne le pouvoir, renverse le capital. Contre les mutuellistes et tous les partisans de Proudhon qui s’opposent au travail salarié des femmes, le courant communiste désigne le capital, comme responsable de la misère de toute la classe ouvrière, et non les femmes quand elles sont embauchées à bas prix. Dans le Manifeste du parti communiste publié en 1848, Marx pourfend l’enfermement au sein de la famille qui reproduit la contrainte exercée par toute la société bourgeoise parce qu’il « s’agit d’arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production » (p. 19 de notre édition).
Le père de l’anarchisme, Proudhon, influence encore largement le mouvement ouvrier français. Sa misogynie est abyssale. Quelques citations pour juger : dans La Pornocratie (qui signifie l’influence des courtisanes et prostituées sur un gouvernement) ou les femmes dans les temps modernes, « La femme ne peut être que ménagère ou courtisane », « La femme est un joli animal, mais c’est un animal. Elle est avide de baisers comme la chèvre de sel », « Il faut absolument qu’un mari impose le respect à sa femme, et pour cela tous les moyens lui sont donnés : il a la force, la prévoyance, le travail, l’industrie. En aucune de ces choses, la femme ne saurait l’égaler ».
Dans De la justice dans la révolution et dans l’Église, en 1858 : « En elle-même, la femme n’a pas de raison d’être, c’est un instrument de reproduction qu’il a plu à la nature de choisir de préférence à tout autre moyen », « La femme, ne possédant pas de germe, la résorption des spermatozoïdes ne peut se faire dans le cerveau. Dès lors, le cerveau n’est pas fécondé chez la femme. C’est ce qui fait que les universaux lui échappent. Elle ne sait pas abstraire. On peut dire que la femme a l’esprit faux, d’une fausseté irrémédiable ». Et ma préférée pour finir : « Une femme qui exerce son intelligence devient laide, folle et guenon ».
J’ai dit que Proudhon a trouvé les communistes contre son arriération, comme Eugène Varlin, ouvrier relieur, qui intervient en défense des droits des femmes travailleuses dans le congrès de l’AIT à Genève en 1866, mais aussi des femmes jusque-là dans sa mouvance. Comme Jeanne Deroin, une ouvrière lingère qui va devenir institutrice. Avec l’appui de quelques démocrates, elle a l’audace de se présenter aux élections de 1849, pour réclamer le suffrage universel quand le phallocrate écrivait : « Nous ne comprenons pas plus une femme législatrice qu’un homme nourrice » (Le Peuple, mai 1849). Ou comme Eugénie Niboyet qui signe dans le journal La Voix des femmes en 1848 : « Si “la propriété, c’est le vol’’, l’appropriation des femmes par le chef de famille “c’est le viol” et donc “la plus inique des propriétés” ».
Le 4 septembre 1870, soit 2 jours après que l’empereur des Français est fait prisonnier à Sedan, les femmes participent en masse à une manifestation sur la place de l’Hôtel de ville et à la proclamation de la République. Le 8 septembre, la population qui ne fait guère confiance au gouvernement dit de défense nationale s’y rassemble de nouveau avec à sa tête Louise Michel et Léodile Champseix qui avait fondé en 1868 la Société de revendication des droits de la femme et adhéré à l’Internationale en 1869. Elles réclament des armes pour lutter contre les Prussiens (Louise Michel en portera une jusqu’à son arrestation). Le siège de Paris commence le 19 septembre. Le 7 octobre, les femmes réclament le droit de participer aux postes avancés de la bataille pour soigner les blessés – les « ambulances » (un droit qu’elles n’obtiendront que sous la Commune).
Pour imposer la résistance aux Prussiens, des Comités de vigilance se créent dans les arrondissements, avec des sections féminines (à Montmartre, Louise Michel en dirige une). Ces comités se fédèrent ; c’est la création du Comité des 20 arrondissements. Il siège rue de la Corderie où se trouve également le siège de l’Internationale. Le 7 janvier 1871, il placarde sur les murs « l’affiche rouge » qui proclame « Place au peuple, place à la Commune ». Le gouvernement capitule, un armistice avec la Prusse est signé, une assemblée à majorité monarchiste s’installe à Versailles, Thiers est nommé « chef du pouvoir exécutif » et s’en prend aussitôt à la population laborieuse, en supprimant le moratoire sur les loyers. Il se méfie des gardes nationaux dont il suspend la solde. Les bataillons se fédèrent, ils comprennent des milliers de Parisiens qui refusent la reddition. Le peuple de Paris s’est armé. Thiers donne l’ordre de désarmer la capitale. Le 18 mars, au petit matin, le général Lecomte et sa brigade se déplacent vers Montmartre avec l’objectif de récupérer les canons, mais les attelages manquent pour les enlever rapidement. La population de ce faubourg est alertée par le bruit des sabots sur les pavés et découvre l’intrusion des militaires. Les femmes, premières levées, sont au premier rang, certaines vont chercher Louise Michel et d’autres haranguent les soldats : « C’est indigne ce que tu fais là, tu ne vas pas tirer sur le peuple » (c’est ce que rapporte Prosper-Olivier Lissagaray, journaliste au temps de la Commune). Par trois fois, le général Lecomte ordonne de tirer sur la foule. Mais un sous-officier, le sergent Verdaguer, crie « crosses en l’air ». Les soldats l’approuvent et fraternisent avec la population, c’est le 1er jour de l’insurrection. Aux élections qui se tiennent le 26 mars, les femmes des quartiers populaires de Paris ne sont ni électrices, ni éligibles, mais elles sont déterminées à faire entendre leur voix. Elles s’organisent. Le 11 avril elles créent l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Par voie d’affiches collées sur les murs, elles cherchent à mobiliser les femmes et à leur présenter un programme révolutionnaire.
Nous voulons le travail pour en garder le produit, plus d’exploiteurs, plus de maitres. Toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes, constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes. (Union des femmes, « Manifeste », 11 avril 1871, cité par Jacques Rougerie, Paris insurgé, la Commune de 1871, Gallimard, p. 86)
À un autre groupe de femmes qui réclame la paix et en appelle à la générosité du gouvernement de Thierssailles, elles rétorquent :
Au nom de la révolution sociale que nous acclamons, au nom de la revendication des droits du travail, de l’égalité et de la justice, l’Union proteste de toutes ses forces contre l’indigne proclamation aux citoyennes parue et affichée avant-hier et émanant d’un groupe anonyme de réactionnaires… Comment peut-on en appeler à la générosité de Versailles, à la générosité de lâches assassins ? Il n’y a pas de conciliation possible entre la liberté et le despotisme, entre le peuple et ses bourreaux. La conciliation serait une trahison, la négation de toutes les aspirations de la classe ouvrière, c’est-à-dire la rénovation sociale absolue, la suppression de tous les privilèges, la substitution du règne du travail à celui du capital, l’affranchissement du travailleur par lui-même. Cette lutte ne peut se terminer que par la victoire du peuple, et Paris ne peut plus reculer, car il porte le drapeau de l’avenir… Toutes unies et résolues, grandies et éclairées par les souffrances que les crises sociales entrainent toujours à leur suite, profondément convaincues que la Commune, représentante des principes internationaux et révolutionnaires des peuples, porte en elle les germes de la révolution sociale, les Femmes de Paris prouveront, à la France et au Monde, qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême —aux barricades, sur les remparts de Paris, si la réaction forçait les portes— donner comme leurs frères, leur sang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est-à-dire du peuple. Alors victorieux, à même de s’unir et de s’entendre sur leurs intérêts communs, travailleurs et travailleuses, tous solidaires, par un dernier effort, anéantiront à jamais tout vestige d’exploitations et d’exploiteurs. Vive la République sociale et universelle ! Vive le travail ! Vive la Commune ! (Union des femmes, « Manifeste », 6 mai 1871, citée par Édith Thomas, Les Pétroleuses, 1963, Gallimard, p. 67-68)
Le gouvernement de la Commune associe les militantes de l’Union dans de nombreuses commissions et elles vont prendre une grande place dans l’élaboration et la mise en œuvre des mesures politiques, sociales et démocratiques que le premier gouvernement ouvrier de l’histoire décrète.
Les deux principales dirigeantes de l’Union se réclament du socialisme scientifique. Ce sont Nathalie Le Mel et Elisabeth Dimitrieff. Nathalie est brestoise, ouvrière relieuse. Elle participe en 1864 avec Eugène Varlin au syndicat des relieurs et obtient, pour cette profession, l’égalité de salaire entre hommes et femmes, acquis remis en cause l’année suivante. Elle gère avec Varlin le restaurant La Marmite. Pendant le siège de Paris, Nathalie réussit le tour de force de nourrir régulièrement des centaines d’ouvriers au chômage. Elle apporte une solide expérience de lutte prolétarienne et est spécialement chargée des questions sociales. Elisabeth est née en Russie qu’elle a quittée en contractant un mariage blanc. Elle contribue à organiser à Genève une section russe de la 1e Internationale. À la fin de l’année 1870 elle fréquente la famille Marx à Londres et ce dernier l’envoie à Paris en mars 1871 en mission d’information. Elle a 21 ans ! Elle prend aussitôt part à la Commune. Elle rédige un rapport pour une organisation socialiste du travail, sur la base d’associations de production fédérées, en réquisitionnant les ateliers laissés vacants par les propriétaires versaillais. Il s’agit de fabriquer des produits de première nécessité. Elle est aussi à l’origine de la convocation pour le 18 mai d’une assemblée de femmes afin de constituer des Chambres syndicales dont les déléguées élues formeraient la Chambre syndicale des Travailleuses. Mais à la date prévue, la survie se jouait dans l’organisation de la lutte armée de résistance. Elisabeth s’est tenue sur les barricades jusqu’au dernier jour.
L’Union, c’est aussi Marceline Leloup, Aline Jacquier, Thérèse Collin, Aglaé Jarry ou Blanche Lefevre : cette dernière est blanchisseuse au lavoir Sainte-Marie des Batignolles, dans le 12e arrondissement, elle porte toujours une écharpe rouge et un révolver. Blanche est membre de la Commission exécutive du Comité central de l’Union des femmes et du club de La Révolution sociale.
Les femmes ont été à l’avant-garde de l’action éducative et culturelle de la Commune. Elles organisent la laïcisation des écoles et des hôpitaux. Au passage, elles soutiennent les infirmières qui dénoncent des abus de la part des médecins et forment un comité de surveillance. Elles mettent en place des écoles professionnelles pour les filles. Marie Laverdure qui participe au mouvement de L’Éducation nouvelle présente un mémoire pour la création de crèches. Celui-ci débute par cette affirmation : « L’éducation commence le jour de la naissance. Elle demande des jardins, des fleurs et des jouets pour les enfants ». Elles mènent la lutte contre la prostitution, en fermant lesdites maisons de tolérance. Les motivations de l’arrêté promulgué à cet effet font valoir, en s’appuyant sur une comparaison avec la traite des Noirs, la nécessité d’aboutir à « la suppression du trafic odieux des marchands de femmes, et l’impossibilité d’admettre l’exploitation commerciale de créatures humaines par d’autres créatures humaines ». Le Bureau des Mœurs est supprimé au nom de la liberté des femmes. La délégation communale du XIe va plus loin en affirmant que la société est responsable et solidaire des désordres engendrés par la prostitution, que la cause générale du phénomène est à chercher dans le manque d’instruction et de travail et que le seul remède doit être l’organisation intelligente du travail des femmes. Louise Michel en particulier qui a connu plusieurs fois la prison et y a vu la manière dont les jeunes filles pauvres y étaient recrutées, dont les prostituées y étaient traitées, va militer pour qu’aucune de celles qui veulent servir la Commune ne soit rejetée. Contre tous les préjugés, elle les organise. Dans ses mémoires, Charles Jérôme Lecour, chef de la première division à la Préfecture de police et Versaillais réfugié auprès d’Adolphe Thiers en frémit encore de rage : « On comptait nombre de prostituées en armes dans les rangs des insurgés et qui prirent part aux barricades… »
Dès le début de la Commune, les femmes ont réclamé la pleine participation au combat de défense de Paris, y compris dans la Garde nationale : le club de la rue d’Arras du 5e arrondissement, à lui seul, recueillera 300 inscriptions pour « les légions des femmes ». Dans le 12e, la légion est commandée par Adélaïde Valentin, une ouvrière, et la capitaine Louise Neckbecker, passementière. Pendant la Semaine Sanglante, du 21 au 28 mai 1871, nombre de Communardes sont sur les barricades. Louise Michel sur celle de la Chaussée Clignancourt avec Marguerite Diblanc, confectionneuse, cantinière au 66e bataillon de la Garde nationale. Elisabeth Retiffe cantinière au 135e bataillon, Eulalie Papavoine, Léontine Suetens, Joséphine Marchais sont sur celle de la rue de Lille. Adèle Chignon, combattante de juin 1848, sur celle du Panthéon. Blanche Lefebvre dont j’ai parlé est tuée le 23 mai 1871, à l’âge de 24 ans, rue des Dames, sur la barricade des Batignolles. Celle de la place Blanche est défendue avec acharnement par une compagnie de 120 femmes. La barricade de la rue du Château d’Eau est tenue par un bataillon de femmes tandis que les gardes nationaux se sont repliés. Les 52 survivantes désarmées sont fusillées sur place par les Versaillais. Assassinées, réprimées, emprisonnées, déportées, exilées, les Communardes ont partagé le sort des Communards pour être montées à l’assaut du ciel. La répression républicaine sous drapeau tricolore fait 10 000 à 20 000 morts, des milliers de blessé(e)s, d’emprisonné(e)s, de déporté(e)s.
L’Association des amis de la Commune a regroupé documents et témoignages qui permettent de donner une image assez précise de ces femmes dont nous voulons garder la mémoire. Elles travaillent massivement, seuls 15 % se déclarent sans profession. Ce sont en majorité des prolétaires, 53 % d’ouvrières de l’habillement, couturières, modistes, blanchisseuses. Viennent ensuite des domestiques, des institutrices et des journalistes. Les couches les plus modestes de la petite-bourgeoisie artisanale et commerçante sont aussi représentées. Elles sont de tous les âges, la plus jeune a 14 ans et la plus vieille 71 ans. Seulement 10 % sont natives de Paris, les autres viennent de province, 12 % sont des étrangères, Belges, Polonaises, Russes.
En 72 jours, la Commune, « la forme enfin trouvée qui permettrait de réaliser l’émancipation économique du travail » (Marx, La Guerre civile en France, 1871, GMI, p. 40) met en œuvre un programme révolutionnaire ouvrier et prend des mesures de transformation radicale du sort des femmes : elle décide et met en œuvre la séparation de l’église et de l’État, instaure l’école laïque, gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons, l’égalité de salaire entre institutrice et instituteur, ouvre des crèches, reconnait l’union libre et les enfants nés hors mariage, le droit à la séparation, à une pension alimentaire, le droit au travail, interdit la prostitution, le travail de nuit, réquisitionne les logements vacants pour loger les sans-abris, réquisitionne des entreprises abandonnées.
En septembre 1871, pendant la conférence de l’AIT qui se tient à Londres, Marx rend un vibrant hommage aux Communardes. La conférence « recommande la formation de sections de femmes parmi les ouvrières. Il est entendu que ceci n’empêche nullement la formation de sections mixtes » (La Première Internationale, recueil de documents, Droz, t. 2, p. 167). Marx ajoute qu’elles devraient être « purement féminines dans les pays où l’industrie emploie des femmes en grand nombre. Elles aimeront mieux se réunir entre elles pour discuter. »
À Marseille, en 1879, les organisations ouvrières tiennent des assises lors desquelles une coalition collectiviste (marxistes, anarchistes et socialistes) bat les mutuellistes et proudhoniens majoritaires jusqu’alors. Elles vont déboucher sur la création de la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF). Après le discours d’Hubertine Auclert, une féministe bourgeoise qui a coopéré avec le journal Le Prolétaire et milite pour le droit de vote des femmes, le nouveau parti inscrit l’« égalité civile et politique des femmes » dans son programme. C’est le premer parti ouvrier à le faire.
Dix ans plus tard, au congrès de la 2e Internationale qui se tient à Paris, Clara Zetkin réclame l’organisation par tous les partis affiliés d’un travail en direction des femmes travailleuses. Mais sans l’axer sur des revendications qui concernent spécifiquement les femmes. Il s’agit plutôt de faire de la propagande pour le socialisme parmi les travailleuses. « La question de la femme » comme on disait alors ne suscite pas de désaccords affirmés mais n’est pas une priorité dans l’internationale. Le journal Die Gleichheit (L’Égalité) que Zetkin fonde en 1892 en Allemagne et animera jusqu’en 1923 est frileux par exemple sur le droit de vote. Surtout parce que Zetkin se méfie du féminisme comme de la peste : il est l’apanage, d’aristocrates, de dames patronnesses et de bourgeoises qui veulent une place dans la bonne société de leur temps. Le fait que l’exigence du droit de vote ait émergé dans la classe dominante et le peu d’empressement des dirigeants de la sociale-démocratie, des hommes pour l’écrasante majorité, à l’adopter dans leur programme, retardent l’organisation de la bataille pour ce droit démocratique indispensable. Rosa Luxemburg comprend mieux l’enjeu : le droit de vote est un levier pour que la masse des travailleuses se mêle de politique. Elle ne doute pas que leur mise en mouvement les amènera à adhérer à la révolution socialiste.
En janvier 1905 à Saint Pétersbourg en Russie, une puissante grève générale de 140 000 ouvriers et ouvrières, au départ pour la réintégration des ouvriers licenciés de l’usine Poutilov, établit un cahier de revendications qui doit être remis au tsar : libération immédiate de toutes les victimes de l’arbitraire, amnistie des prisonniers politiques, liberté de parole, de presse, de réunion, de conscience, de créer des syndicats, instruction publique générale et obligatoire aux frais de l’État, séparation de l’église et de l’État, arrêt de la guerre, journée de travail de 8 heures, augmentation du salaire minimum des manœuvres et des femmes jusqu’à un rouble par jour, salaire normal immédiat pour tous, remplacement des impôts indirects par un impôt direct et progressif sur le revenu, convocation d’une assemblée constituante élu au suffrage universel. Le dimanche 22 janvier est choisi pour remettre à Nicolas II les revendications contresignées par des centaines de milliers de prolétaires. La tête du cortège ressemble à une procession, elle chante des cantiques, emmenée par des popes, brandissant bannières russes, emblèmes religieux, portraits du tsar. Quand la foule sans défense approche du palais d’Hiver, elle est hachée par les tirs de milliers de soldats que le tsar a fait masser dans la ville. Les fantassins achèvent les blessés à la baïonnette, les Cosaques sabrent. Parmi les centaines de tués et les milliers de blessés, les femmes et les enfants constituent la majeure partie. Dans les mois qui suivent le Dimanche rouge, la grève reprend et se généralise. Contre le tsar, pour l’amélioration des conditions de travail, pour la réforme agraire, contre la guerre (avec le Japon), les masses prolétariennes ont commencé une révolution. Dans les usines textiles d’Ivanovo, en mai, le comité de grève élu comprend des femmes. En octobre, le soviet de Saint-Pétersbourg en compte aussi. Avec la participation des ouvrières aux grèves, aux manifestations, avec celles qui rejoignent les syndicats, les associations et les partis politiques, les plateformes des grévistes intègrent de plus en plus des revendications comme l’exigence du congé de maternité payé, l’organisation de crèche à l’usine, les pauses pour allaiter. Le mouvement de féministes issues de l’aristocratie, de la bourgeoisie, de l’intelligentsia démocratique russes, l’Union des femmes pour l’égalité des droits créée en 1905 s’en désintéresse totalement. Par contre, les partis qui se réclament du socialisme commencent à s’implanter parmi les ouvrières. Alexandra Kollontaï, membre alors du Parti menchevik, travaille à l’organisation des ouvrières du textile, Vera Sloutskaïa est membre des organes de combat du POSDR, de Minsk à Saint-Pétersbourg, elle mène l’agitation politique du Parti bolchevik auprès des femmes.
À Stuttgart en 1907, le congrès de la 2e Internationale adopte l’exigence du droit de vote universel et sans restriction pour les femmes, sur proposition de la conférence internationale des femmes qui s’est tenue juste avant, préparée par le comité de rédaction de Die Gleichheit (L’Égalité). Celuicidevient le journal de tout le mouvement des femmes sociales-démocrates. En 1909, le Comité national de la femme du Parti socialiste américain (fondé en 1901) adopte un Woman’s Day pour réclamer le droit de vote.
La 2e Conférence des femmes socialistes qui se tient à Copenhague en 1910 réunit 100 déléguées représentant 17 pays. Elle discute de la nécessité de l’interdiction du travail de nuit, avec des désaccords sur le fait que ça ne doit concerner que les femmes, et décide d’instituer « une journée internationale de la femme » chaque mois de mars. Elle a été célébrée pour la première fois le 19 mars 1911 en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse. Le 2 mars 1913, pour fêter en Russie la journée des femmes, des meetings se tiennent à Saint-Pétersbourg, Moscou, Kiev, Samara et Tiblissi. Le 8 mars 1914, sort le 1er numéro du journal L’Ouvrière, écrit et diffusé par les militantes du Parti bolchevik, parmi lesquelles Concordia Samoïlova, Anna Oulianova-Elizarova, Nadejda Kroupskaïa. Aux côtés de militantes venues d’Angleterre, d’Allemagne, de France, d’Italie, de Hollande, de Suisse, de Pologne, elles participent à Berne en pleine union sacrée à une convention de l’ISF en mars 1915 (donc avant Zimmerwald qui se tiendra en septembre).
Pendant que la grande Internationale socialiste, notre fierté à tous, notre espérance, s’effondrait sous le feu des petits calibres, des munitions, des projectiles, la petite Internationale des femmes témoignait de son inébranlable vie intérieure. Par-dessus les champs de bataille, les camarades-femmes de toutes les nations se retrouvèrent, dans la fidélité de leurs convictions. (Die Gleichheit, mars 1915)
Les déléguées bolcheviques y défendent leur orientation contre la majorité des militants et militantes présentes qui sont sur la ligne pacifiste de Zetkin : guerre à la guerre ! paix tout de suite ! Balabanoff qui traduisait les articles de Trotsky parus dans Nache Slovo (Notre Parole) et adhèrera au Parti bolchevik en 1917 raconte :
Elles réclamaient la rupture immédiate avec les directions des partis socialistes et ouvriers existants et la formation d’une nouvelle Internationale. Elles appelaient également à la transformation de la guerre en guerre civile. La majorité des délégués s’opposèrent à cette résolution, non pas parce qu’elle était trop radicale ou qu’elles approuvaient la Seconde Internationale, mais parce qu’ils souhaitaient rester membres de leurs partis respectifs afin d’exercer une influence à la base. Les bolcheviks, bien que parfaitement conscients de l’importance d’une unité de base, refusèrent de faire la moindre concession et de retirer leur résolution. Finalement, en présence de Lénine, un compromis fut accepté. Les bolcheviks voteraient pour la résolution de la majorité, mais on ferait figurer la leur dans le rapport officiel de la convention. (Angelica Balabanoff, Ma vie de rebelle, 1938, Balland, p. 144)
L’année 1916 en Russie voit le nombre de grèves enfler. Les militantes bolchéviques comme Alexandra Kollontaï, Inès Armand, Varvara Iakovleva militent pour que le parti s’adresse aux ouvrières et les organisent. Jusqu’au début de l’année 1917, elles sortent des journaux (L’ouvrière, et La vie de l’ouvrière) sans réel soutien de la direction. Pourtant, à Petrograd, la capitale de l’empire, les femmes salariées représentent plus d’1/3 de la main d’œuvre industrielle. Mais dans tous les syndicats et partis ouvriers de l’époque, sans exception, la bataille pour les droits des femmes et pour les organiser rencontre des résistances de la part de l’écrasante majorité masculine des adhérents et dirigeants.
Les ouvrières du textile de Pétrograd vont leur démontrer qu’ils retardent. C’est par leur action spontanée et décidée que la deuxième révolution russe commence.
Le 23 février (8 mars dans notre calendrier), c’était la Journée internationale des femmes. On projetait, dans les cercles de la sociale-démocratie, de donner à ce jour sa signification par les moyens d’usage courant : réunions, discours, tracts. La veille encore, il ne serait venu à la pensée de personne que cette journée des femmes pût inaugurer la révolution. Pas une organisation ne préconisa la grève pour ce jour-là…
En fait, il est établi que la révolution de Février fut déclenchée par les éléments de la base qui surmontèrent l’opposition de leurs propres organisations révolutionnaires et que l’initiative fut spontanément prise par un contingent du prolétariat exploité et opprimé plus que tous les autres, les travailleuses du textile, au nombre desquelles, doit-on penser, l’on devait compter pas mal de femmes de soldats. La dernière impulsion vint des interminables séances d’attente aux portes des boulangeries. Le nombre des grévistes, femmes et hommes, fut, ce jour-là, d’environ 90 000. Les dispositions combattives se traduisirent en manifestations, meetings, collisions avec la police. Le mouvement se développa d’abord dans le rayon de Vyborg, où se trouvent les grosses entreprises, et gagna ensuite le faubourg dit « de Pétersbourg ». Dans les autres parties de la ville, d’après les rapports de la Sureté, il n’y eut ni grèves, ni manifestations. Ce jour-là, les forces de police furent complétées par des détachements de troupes, apparemment peu nombreux, mais il ne se produisit point de collisions. Une foule de femmes, qui n’étaient pas toutes des ouvrières, se dirigea vers la Douma municipale pour réclamer du pain. Autant demander du lait à un bouc. Dans divers quartiers apparurent des drapeaux rouges dont les inscriptions attestaient que les travailleurs exigeaient du pain, mais ne voulaient plus de l’autocratie ni de la guerre. La Journée des femmes » avait réussi, elle avait été pleine d’entrain et n’avait pas causé de victimes. Mais de quoi elle était lourde, nul ne se doutait encore. (Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, 1932, Seuil, p. 143-144)
Quand en octobre les bolcheviks devenus majoritaires dans les soviets constituent à Moscou une direction chargée d’organiser la prise du pouvoir, Varvara Iakovleva est l’une de ses 5 membres. Après le succès de l’insurrection, le gouvernement des Commissaires du peuple est le 1er gouvernement au monde où siège une femme, Alexandra Kollontaï, en tant que commissaire du peuple à la protection sociale. Dès son installation et en 3 ans, il jette à bas la société bourgeoise : il met fin à la participation à la guerre, il supprime l’armée de métier et arme les milices ouvrières, il déclare le droit des peuples de l’ex-empire tsariste à disposer d’eux-mêmes, y compris le droit de se séparer. Le gouvernement de la révolution annule la dette, nationalise les banques, exproprie les grandes entreprises, les comités ouvriers sont chargés d’organiser et de contrôler la production et la distribution. Il appelle les paysans à s’emparer des terres (ce qu’ils ont commencé à faire spontanément dès l’été 1917), à les partager ou à se regrouper pour les cultiver. Il proclame le droit de réunion et d’organisation, d’éditer des journaux. Il décide l’obligation du travail productif, il règlemente la durée du travail, interdit les travaux souterrains et le travail de nuit des femmes et des moins de 16 ans, les heures supplémentaires, il instaure deux semaines de congés payés. Il supprime les castes sociales, décrète l’égalité complète entre les hommes et les femmes, le droit de vote (l’Assemblée constituante élue en novembre comporte des femmes), la séparation de l’Église et de l’État, de l’Église et de l’école, il crée un état-civil, le mariage civil lors duquel les époux choisissent le nom qu’ils veulent porter, celui du mari, de l’épouse ou les deux, l’égalité entre les enfants nés hors mariage ou pas, le divorce. Il dépénalise l’homosexualité, l’avortement. Il décide de lancer une immense campagne d’alphabétisation avec l’école laïque, gratuite et obligatoire. Il décide d’assurer les frais d’existence des femmes enceintes et des jeunes mères et l’alimentation des enfants jusqu’à 17 ans est gratuite. Il prévoit la socialisation du travail domestique via des équipements communautaires :
Laveries, cantines publiques, crèches, jardins d’enfants : voilà quelques exemples de ce qui est indispensable, voilà les moyens simples et quotidiens, sans grande pompe ni décorum, qui peuvent vraiment résorber et abolir l’inégalité entre hommes et femmes dans le domaine de la production sociale et de la vie publique. (Vladimir Lénine, « La grande initiative », juillet 1919, Œuvres, Progrès, t. 29, p. 433)
On peut faire ici une place à une communiste internationaliste née en France, Marie Labourbe qui mérite qu’on ne l’oublie pas. Elle est née en 1877 dans une famille pauvre, son père est journalier. Elle commence à travailler à 14 ans comme repasseuse dans la blanchisserie d’un hôtel. C’est là qu’en 1896, elle apprend qu’on recherche une gouvernante française pour les enfants d’une famille bourgeoise de Tomaszow, une petite ville industrielle de Pologne, qui appartient alors à la Russie tsariste. La jeune Marie Labourbe saute sur cette occasion de rompre avec la misère. Elle répond à l’annonce.
À Tomaszow, elle se fait de nombreux amis polonais et commence aussi à fréquenter un des cercles marxistes clandestins qui se développent alors dans l’Empire tsariste. À cette époque, le développement du capitalisme fait émerger en Russie des îlots d’industrie moderne essentiellement dans les capitales Moscou et Saint-Pétersbourg, mais aussi dans le Caucase et dans les provinces occidentales de l’Empire, notamment en Pologne. Un jeune mouvement ouvrier s’y développe. Des grèves éclatent et se multiplient, tandis que s’organisent de petits cercles marxistes d’ouvriers. Marie Labourbe s’engage très vite dans l’action politique et participe notamment à un réseau qui aide des militantes à quitter le pays pour fuir la répression du régime tsariste. Plus tard, son travail de professeur de français est une couverture parfaite pour son activité politique. Il lui permet en effet, sans attirer l’attention, de voyager entre les différentes villes de l’Empire où elle enseigne et de transmettre ainsi des messages et du matériel.
En 1905, Marie Labourbe participe avec enthousiasme au soulèvement et prend souvent la parole dans des meetings dans les usines. Après l’échec de cette révolution, la répression est intense. Marie est arrêtée, et après un passage en prison, expulsée de Russie comme « élément indésirable ». Quelques mois plus tard, elle y revient clandestinement et rejoint les bolcheviks. Pour tromper la police tsariste, elle adopte alors le prénom de « Jeanne », sous lequel elle va militer jusqu’à sa mort. Elle participe à l’activité politique révolutionnaire et à la révolution de 1917 à Moscou.
Dès octobre 1917, la plupart des grandes puissances impérialistes, effrayées par la révolution russe, apportent une aide massive aux forces contrerévolutionnaires vaincues. Des troupes britanniques débarquent dans le Caucase et dans le nord de la Russie. Les armées japonaise et américaine occupent l’Extrême-Orient russe. Les troupes allemandes envahissent l’Ukraine et les Pays baltes. Après la révolution allemande de novembre 1918 et la fin de la Première Guerre mondiale, l’armée française débarque à son tour en Ukraine pour y soutenir l’armée du général « blanc » Dénikine.
Cette nouvelle est un choc pour Jeanne qui participe alors à l’animation d’un groupe de militants français (dont Inès Armand) organisés au sein du Parti communiste russe (le nouveau nom du Parti bolchevik). Comme elle l’écrit elle-même, « l’idée que des fils des Communards de 1871, des descendants des révolutionnaires de 1793, soient enrôlés pour venir étouffer la grande révolution russe est tout simplement insupportable ». Elle demande donc au comité central de l’envoyer clandestinement dans la zone occupée par les troupes françaises, avec un groupe de propagandistes pour miner l’armée de la bourgeoisie de son pays d’origine.
Au début de janvier 1919, elle est à Odessa, ville ouvrière de la côte de la Mer Noire alors occupée conjointement par les troupes blanches et par l’armée française. Malgré la terreur qu’elles y font régner, le Parti communiste a réussi à y maintenir un réseau de cellules clandestines. Ses militants ont même installé une imprimerie dans les immenses catacombes d’Odessa. Jeanne Labourbe est une des principales animatrices du travail de propagande destiné aux soldats français. Elle et ses camarades les abordent et, dès que c’est possible, discutent avec eux et leur expliquent ce qu’est réellement la révolution russe et pourquoi leur gouvernement les a envoyés la combattre. Les soldats et marins gagnés cherchent à leur tour à en convaincre d’autres, pour organiser des cellules clandestines au sein même de l’armée française. Pour les y aider, un journal en français, Le Communiste, est édité clandestinement sous la direction de Jeanne. Il publie des nouvelles sur le mouvement ouvrier français ou sur la situation en Russie, mais aussi des lettres de soldats et de marins français qui dénoncent le comportement de leurs officiers et affirment leur solidarité avec la révolution russe. Ce travail de propagande a un succès certain. Dans ses souvenirs, le soldat Lucien Terion souligne la joie de ses camarades à chaque fois qu’il ramenait des tracts ou des journaux communistes. Dans un grand nombre de navires et de casernes, des « groupes d’action » communistes ont été créés, au grand dam des officiers français qui sentent monter l’hostilité de leurs hommes. Les services secrets français font donc de la lutte contre la propagande communiste et le groupe de Labourbe une priorité et y infiltrent un espion.
Le 1er mars au soir, des officiers russes et français font irruption dans les locaux où se trouvent notamment Jeanne, sa logeuse et ses deux jeunes filles de dix-neuf et vingt et un ans. Après perquisition et saisie du matériel imprimé, les femmes sont emmenées à la Sûreté militaire. Torturées, elles sont ensuite entraînées au cimetière israélite et abattues à coups de revolver. Les cadavres, défigurés, sont difficiles à identifier. Le 5 avril, les révolutionnaires reprennent la ville et des funérailles solennelles sont organisées en l’honneur de Jeanne Labourbe et de ses camarades.
À peine un mois plus tard, les troupes françaises démoralisées sont contraintes d’évacuer le port d’Odessa face à l’avancée de l’Armée rouge. La propagande révolutionnaire organisée par Jeanne et ses camarades y a sans aucun doute aidé : des unités françaises ont même refusé de combattre les troupes rouges. Un mois plus tard, ce sont plusieurs navires français qui vont être secoués par les « mutineries de la Mer Noire ». Sur la côte roumaine et en Crimée, des marins français se révoltent contre leurs officiers. Certains réclament de rentrer en France, d’autres veulent passer du côté soviétique et livrer leurs navires à l’Armée rouge. À la fin avril 1919, l’état-major français est contraint de négocier avec le gouvernement soviétique, pour pouvoir évacuer ses troupes encerclées en Crimée et la France doit mettre fin à son intervention militaire contre la République des soviets.
La même année est créé le Jenotdel, abréviation de « département pour le travail parmi les femmes », rattaché au CC et aux comités locaux du parti bolchevik. Il comprend Inès Armand, Alexandra Kollontaï, Sofia Smidovitch, Klavdia Nikolaïeva et Aleksandra Artioukhina. Son but est « d’éduquer les femmes dans l’esprit du socialisme et de les impliquer dans la direction de l’économie et de l’État ; de coordonner le processus de transformation des institutions du mariage et de la maternité ; de changer les conditions de vie ». Les déléguées du Jenotdel se heurte souvent au poids des traditions, des préjugés, du maintien des discriminations sexistes et patriarcales, surtout à la campagne, mais aussi dans les instances diverses des partis et des syndicats.
La 3e Internationale fondée dans la foulée de la révolution d’octobre rappelle pour cela dans ses premiers congrès la nécessité de faire avancer l’émancipation des femmes, comme une tâche essentielle pour construire une société socialiste. Des conférences de femmes communistes composées de déléguées élues se tiennent en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie, en France, dans les colonies néerlandaises, l’actuelle Indonésie. Une attention toute particulière est portée à la façon dont le programme communiste doit être défendu dans les pays coloniaux et semi-coloniaux et les régions de l’URSS où la religion musulmane est majoritaire. L’accent est mis sur la nécessité de soutenir l’action des femmes elles-mêmes, leur place dans les conseils. La conférence des sections féminines des peuples d’Orient des régions et républiques soviétiques en 1921 adopte la fin de l’obligation de porter le voile, l’interdiction du mariage des petites filles, de la polygamie, l’accès à l’instruction publique, l’égalité des droits politiques et juridiques.
En Russie, les dispositions prises pour ouvrir la voie à une égalité réelle, la démocratie directe des soviets et des comités amènent des femmes à prendre des responsabilités dans la révolution et sa défense. Elles occupent des fonctions dans lesquelles aucun pays dit avancé n’avait jamais vu une femme. C’est par exemple une femme qui préside le congrès extraordinaire des soviets paysans, Maria Spiridonova, membre du PSR (Parti des socialistes révolutionnaires). Larissa Reisner est nommée commissaire des services de renseignements de la 5e Armée rouge. Moins de 2 ans après Octobre, les femmes forment 40 % de la population active salariée, ouvrières et employées. Elles sont 2 millions dans l’industrie et les transports. Mais la guerre civile et son cortège de famine, d’épidémies, la nécessité d’engloutir pour la défense armée les maigres ressources du nouvel État accroit la misère, vide les soviets, fait refluer la classe révolutionnaire. L’argent, les militantes et militants manquent pour rendre réels et palpables les décrets révolutionnaires sur la prise en charge socialisée des tâches qui incombent toujours aux femmes. L’heure est à la survie. En 1919, l’échec de la révolution en Allemagne éteint l’espoir de rompre enfin l’isolement. Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, puis Leo Jogiches sont assassinés.
Je vais vous rappeler maintenant qui était Rosa Luxemburg, la dirigeante internationaliste révolutionnaire dont nous nous réclamons. Elle est née en mars 1871 dans une famille de commerçants juifs dans la partie de la Pologne alors possession de l’Empire russe. Elle connait l’antisémitisme, l’oppression nationale subie par les Polonais et les préjugés machistes qui voudraient lui barrer la route de l’université. Elle parle polonais, russe, français. À seize ans, elle adhère au groupe révolutionnaire Parti du prolétariat. La police la repère rapidement et elle s’exile en Suisse, le seul pays qui alors diplôme les femmes. Elle y étudie, en allemand, les mathématiques et les sciences, puis le droit et l’économie politique. Elle présente une thèse de doctorat sur Le développement économique de la Pologne (mars 1897). Comme militante, elle participe dès 1894 à la rédaction du journal La Cause ouvrière avec Leo Jogichès et elle est déléguée à ce titre au congrès de la 2e Internationale à Paris. Un an après, elle est l’une des fondatrices de la Sociale-démocratie de Pologne (SDKP), qui sera par la suite proche du parti russe (le POSDR, non encore créé à l’époque), du fait que la Pologne fait partie de l’Empire russe.
En 1897-1898, grâce à un mariage blanc, elle obtient la nationalité allemande, ce qui lui permet de prendre part à la vie du parti le plus prestigieux et le plus puissant de la 2e Internationale, le SPD. Elle se lie à Zetkin et Liebknecht. Elle est au premier plan dans les débats politiques et stratégiques pendant les congrès nationaux et internationaux. Elle est la première dès 1898, à réagir fermement à la montée du révisionnisme de Bernstein, dans des articles réunis sous le titre Réforme sociale ou révolution ?. À ce moment-là, elle reçoit encore le soutien du « centre » du parti (Bebel, Kautsky…). Mais même si officiellement le réformisme est rejeté et la théorie marxiste maintenue, la pratique de la sociale-démocratie est de moins en moins.
Rosa Luxemburg est une oratrice brillante qui anime des campagnes électorales dans la partie polonaise de l’Empire allemand puis est demandée dans toute l’Allemagne, une pédagogue pour l’école de cadres du SPD, une agitatrice et une propagandiste qui écrit tracts, articles en allemand pour des quotidiens et la revue théorique du SPD, articles en polonais pour la SDKP, livres. Elle reste très impliquée dans le mouvement révolutionnaire en Pologne et en Russie. En 1904, elle connait en Allemagne son 1er emprisonnement de trois mois pour « offense à l’empereur ». À l’annonce de l’éclatement de la révolution à Petrograd en 1905, elle se précipite à Varsovie aux côtés de la SDKP pour y participer, ce qui lui vaut d’être arrêtée et emprisonnée par le régime tsariste. En 1906, dans inexistante) »Grève de masse, parti et syndicat, elle en dresse le bilan, insistant sur l’importance décisive de la grève de masse, du mot d’ordre de grève générale et de l’auto-organisation. Elle a pour principal objectif de convaincre le SPD de mettre ses forces dans les grèves spontanées. Et elle se heurte à l’aile parlementaire du parti et à la bureaucratie syndicale. Cette dernière est assez forte, au congrès du SPD de la même année 1906, pour imposer au parti un principe de « parité » entre les deux organisations. Luxemburg ironise sur cette parité en la comparant à un paysan (le syndicat) qui dirait à sa femme (le parti) : « Quand nous sommes d’accord, c’est toi qui décides, sinon c’est moi. »
Au titre de la SDKP, elle intervient dans le POSDR, notamment au congrès de Londres (1907) où elle revient sur les leçons de 1905. Elle plaide également pour une action décidée contre le militarisme grandissant en Allemagne et en Europe, danger que l’aile droite du parti et la bureaucratie syndicale minimisent en comptant sur l’existence et l’accroissement du nombre de leurs députés et permanents pour rendre impossible la guerre.
En Allemagne, début 1910, des grèves massives apparaissent spontanément (mineurs de la Ruhr, métallurgistes, ouvriers du textile) à la fois économiques (contre les patrons) et politiques (pour réclamer le suffrage universel). Rosa Luxemburg se met alors à critiquer sans ménagement la passivité de la sociale-démocratie, qui ne cherche pas à pousser le mouvement en avant. Karl Kautsky, qui était considéré comme le principal théoricien marxiste après la mort d’Engels, se charge de lui répondre que l’heure n’est pas à la « stratégie d’anéantissement », mais à la « stratégie d’usure ». Luxemburg comprend les métaphores militaires mais surtout identifie le penchant de Kautsky à ne préconiser « rien de plus que le parlementarisme » comme elle le lui dit vertement. Quand, un an plus tard, Kautsky parle d’une possibilité que la bourgeoisie rejette la guerre, affirmant qu’elle n’est pas dans son intérêt et qu’il faut soutenir les pacifistes bourgeois, Rosa Luxemburg est une des seules à s’opposer vigoureusement à la dérive réformiste du parti allemand qui pèse si lourd dans la 2e Internationale. Lénine par exemple est aveugle à ce naufrage annoncé. Comme vous le savez, la 2e Internationale et ses partis à de rares exceptions près (comme les partis russes, bulgare et la plupart des partis polonais) capitulent et soutiennent leur propre bourgeoisie dans la boucherie qui commence en 1914. En décembre 1914, Karl Liebknecht vote contre les nouveaux crédits de guerre de l’empereur, contre la ligne majoritaire du SPD. Luxemburg, Liebknecht, Zetkin, Mehring et Jogichès fondent alors une opposition au sein du SPD qui prendra le nom de Spartacusbund (Ligue Spartacus) ; en avril 1915, ils sortent leur journal Die Internationale (5 000 exemplaires à Berlin) dans lequel Rosa analyse les causes et les responsabilités de la guerre mondiale. Elle retourne en prison pour « appel à la désobéissance des soldats » et y écrit sous le pseudonyme Junius, La Crise de la sociale-démocratie. Puis encore l’emprisonnement, plus sévère, entre 1916 et 1918. Elle soutient pleinement les conférences de Zimmerwald (1915) et Kiental (1916). Elle suit avec passion depuis sa cellule les développements de la révolution prolétarienne qui a éclaté en Russie.
Dans cette situation, c’est à la tendance bolchevik que revient le mérite historique d’avoir proclamé dès le début et suivi avec une logique de fer la tactique qui seule pouvait sauver la démocratie et pousser la révolution en avant. Tout le pouvoir aux masses ouvrières et paysannes, tout le pouvoir aux soviets -c’était là en effet le seul moyen de sortir de la difficulté où se trouvait engagée la révolution, c’était là le coup d’épée qui pouvait trancher le nœud gordien, tirer la révolution de l’impasse et lui ouvrir un champ de développement illimité…
C’est ce qui explique également pourquoi les bolcheviks, au début minorité calomniée et traquée de toutes parts, furent en peu de temps poussés à la pointe du mouvement, et purent rassembler sous leurs drapeaux toutes les masses vraiment populaires : le prolétariat des villes, l’armée, la paysannerie, ainsi que les éléments révolutionnaires de la démocratie, à savoir l’aile gauche des socialistes-révolutionnaires.
Telle est la situation qui se produit très rapidement dans chaque révolution, une fois dissipée la première ivresse de la victoire, et qui découlait en Russie des questions brulantes de la paix et de la terre, pour lesquelles il n’y avait pas de solution possible dans les cadres de la révolution « bourgeoise ». La révolution russe n’a fait que confirmer par-là l’enseignement fondamental de toute grande révolution, dont la loi est la suivante : ou aller de l’avant rapidement et résolument, abattre d’une main de fer tous les obstacles, et reculer ses buts de plus en plus loin, ou être rejetée en arrière de son point de départ et écrasée par la contrerévolution. S’arrêter, piétiner sur place, se contenter des premiers résultats obtenus, cela est impossible dans une révolution. Et quiconque veut transporter dans la tactique révolutionnaire ces petites habiletés de la lutte parlementaire, montre uniquement qu’il ignore non seulement la psychologie, la loi profonde de la révolution, mais encore tous les enseignements de l’histoire.
Le parti de Lénine a été le seul qui ait compris le devoir d’un parti vraiment révolutionnaire, et qui, par son mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux ouvriers et aux paysans ! », a assuré le progrès de la révolution. Les bolcheviks ont, de même, posé immédiatement comme but à cette prise du pouvoir le programme révolutionnaire le plus avancé : non pas défense de la démocratie bourgeoise, mais dictature du prolétariat en vue de la réalisation du socialisme. Ils ont ainsi acquis devant l’histoire le mérite impérissable d’avoir proclamé pour la première fois le but final du socialisme comme un programme immédiat de la politique pratique. Tout ce qu’un parti peut apporter, en un moment historique, en fait de courage, d’énergie, de compréhension révolutionnaire et de conséquence, les Lénine, Trotsky et leurs camarades l’ont réalisé pleinement. L’honneur et la capacité d’action révolutionnaire, qui ont fait à tel point défaut à la sociale-démocratie, c’est chez eux qu’on les a trouvés. En ce sens, leur insurrection d’Octobre n’a pas sauvé seulement la révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international. (Rosa Luxemburg, La Révolution russe, septembre 1918, Le Temps des cerises, p. 46-52)
En novembre 1918, une mutinerie de marins déclenche la révolution en Allemagne qui libère Rosa. Grèves de masse, conseils, Luxemburg et Liebknecht cherchent à doter le prolétariat qui s’est mis en mouvement d’un parti qui lui serve d’état-major. Ils se séparent alors du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne (USPD) qui est majoritaire avec le SPD dans les conseils. L’USPD a une base ouvrière mais sa direction rassemble des pacifistes, des réformistes, des centristes. Luxemburg et Liebknecht fondent le Parti communiste d’Allemagne, le 29 décembre 1918, avec pour ligne la prise du pouvoir par les conseils ouvriers. Mais la première vague révolutionnaire a reflué. Le gouvernement social-démocrate déclenche une campagne haineuse contre Rosa et les Spartakistes, mêlant antisémitisme, misogynie, nationalisme, haine du communisme. Ils mettent sa tête et celle de Liebknecht à prix. La tentative d’insurrection prématurée (lancée contre l’avis de Luxemburg) le 5 janvier 1919, échoue. Le ministre SPD Noske confie la répression aux « corps francs », des groupes de militaires et paramilitaires monarchistes ayant refusé la démobilisation et continuant à se battre pour rétablir l’ancien régime ou conserver les provinces anciennement allemandes en Silésie. Les insurgés sont massacrés. Le 14 Rosa Luxemburg fait paraître son dernier article, amèrement intitulé L’Ordre règne à Berlin. Le lendemain les paramilitaires arrêtent Rosa et Karl, ils sont emmenés au quartier général, frappés à coups de crosse puis finalement exécutés d’une balle dans la tête. La dépouille de Rosa est jetée dans un canal, celle de Karl, anonyme, est laissée dans une morgue. Leo Jogiches tente de découvrir la vérité sur la mort de Rosa : en mars, il est arrêté à son tour, puis tué au quartier général de la police. Les assassins seront condamnés symboliquement et par la suite dédommagés par le régime nazi qui versera également une prime au procureur ayant étouffé l’affaire.
La prise du pouvoir par Staline et la bureaucratisation du premier État ouvrier de l’histoire écrase tout ce qui restait de pouvoir ouvrier dans une Russie exsangue. La répression s’abat sur les militants révolutionnaires, hommes et femmes. Les photos de famille de la caste dirigeante sont totalement masculines. Toutes les conquêtes d’Octobre sont menacées. En 1926, l’union libre est décriée. Staline chante les vertus du mariage, de la famille patriarcale en rétablissant l’autorité du père, en vantant les « valeurs maintenues dans les campagnes » ; il revient sur le droit au divorce en le rendant compliqué et coûteux et sur l’égalité des droits pour les enfants nés hors mariage. Il interdit l’avortement. L’homosexualité et la prostitution sont de nouveau pénalisées et passibles de peines de prison. Dans le Jenotdel qui compte 620 000 déléguées en 1927, des voix de femmes s’élèvent pour critiquer le retard dans la prise en charge collective des tâches domestiques, le climat de répression au sein du Parti. Après la mise à l’écart, le découragement ou la mort de ses principales dirigeantes, il est dissous en 1930 par Staline, qui déclare que « la question des femmes a été résolue en URSS ». La pédagogie, la nécessité de modifier les rapports entre les genres sont taxées de « perversions produites par un groupe de pseudo-marxistes qui ont tout fait pour souiller notre législation avec des immondices pseudoscientifiques. » (Vysinskij, le procureur général de Staline). Tous les partis dits communistes s’alignent : le PCF de 1945 se présente comme « le défenseur de la famille française » ; en 1949, Kanapa qualifie Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir d’« ordure qui soulève le cœur » ; en 1956, les premières propositions de loi pour la contraception et l’avortement sont rejetées par le PCF :
Les communistes condamnent les conceptions réactionnaires de ceux qui préconisent la limitation des naissances et cherchent ainsi à détourner les travailleurs de leur bataille pour le pain et le socialisme. (Maurice Thorez, L’Humanité, 2 mai 1956)
Depuis quand les femmes prolétaires luttent-elles pour les mêmes droits que les dames de la bourgeoisie ? Jamais.Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais. (Jeanine Vermeersch, L’Humanité, 4 mai 1956)
Au sortir des guerres mondiales, alors qu’elles ont tenu des emplois dans quasi tous les secteurs d’activité, les femmes travailleuses ont été massivement renvoyées à la maison. Les partis de la bourgeoisie qui ont sur les mains le sang de millions de tués dans leurs guerres impérialistes appellent à repeupler. En 1920 en France et dans les colonies, une loi interdit toute information sur le contrôle des naissances, interdit l’avortement et condamne lourdement celles qui y ont recours ou qui les pratiquent. Des lois en Europe limitent la durée autorisée du travail pour les femmes mariées, à elles le « salaire d’appoint » qui empêche l’indépendance économique. De Mussolini à Franco, de Staline, d’Hitler à Pétain, les bouchers célèbrent le culte de la mère, de l’épouse corvéable et font la chasse à tout signe d’émancipation des femmes.
Toutes les périodes pendant lesquelles le prolétariat a reculé sous les coups de la classe bourgeoise ont rimé avec abandon des revendications féminines spécifiques. Le gouvernement de Front populaire n’accorde pas aux femmes le droit de vote, ne prend aucune mesure favorable aux femmes sur le plan de la contraception et de l’avortement et ne touche pas non plus aux lois très répressives de 1920 contre l’avortement. Les accords de Matignon entérinent l’inégalité salariale en légitimant l’existence de la double grille.
Un texte central qui compose le programme de la 4e Internationale publié en 1938, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, témoigne d’une certaine façon quand il est minuit dans le siècle, du recul infligé à la cause des femmes travailleuses et à l’avant-garde rouge du combat pour leur émancipation : il n’y a pas de chapitre consacré à cette question ; les femmes travailleuses voisinent (p. 39 de notre édition) avec la jeunesse (bon, ce n’est pas avec les enfants, mais quand même…) ; sur les 10 lignes qui affirment la nécessité que les sections de la 4 s’adressent à elles, pas une seule revendication, pas un seul mot d’ordre pour ce faire ne sont formulés. Et j’échangerais bien « l’enthousiasme frais et l’esprit offensif » prêté à la jeunesse contre « les sources inépuisables de dévouement, d’abnégation et d’esprit de sacrifice » qui définissent dans le Programme de Transition, les femmes travailleuses. Aujourd’hui, au 21e siècle, alors que le prolétariat à l’échelle mondiale subit les attaques du capital sans qu’une direction révolutionnaire ne se soit construite, de nouveau des discours et des actes ultra sexistes insultent et bafouent les femmes, de Trump à Bolsonaro, Milei ou Zemour, de Vox en Espagne à Chega au Portugal.
Conclusion
Au contraire, les périodes de montée du mouvement des masses et de surcroit les révolutions prolétariennes ont galvanisé la lutte pour les droits des femmes et elles y ont gagné la satisfaction de revendications très importantes. Il en a été ainsi des années 1960-70, où les revendications féministes que les bourgeois avaient enterrées avec la reconstruction des États et des économies après la 2e guerre mondiale ont enflé avec la vague révolutionnaire qui a vu une révolution prolétarienne à Cuba, la défaite de l’impérialisme américain au Vietnam, la lutte des Noirs américains pour les droits civiques, l’indépendance de l’Algérie, la grève générale en France, le soulèvement révolutionnaire à Prague, une révolution prolétarienne au Portugal. D’immenses mobilisations ont mis en cause la soumission dans la famille traditionnelle, ont revendiqué la liberté sexuelle, le droit de disposer de son corps, en particulier l’accès libre et gratuit à la contraception, à la PMA, à l’avortement. Ces combats sont toujours actuels, vous le savez, et ce sont les nôtres.
Nous avons à les porter dans les associations, les collectifs dans lesquels il est possible de militer, dans les organisations syndicales où le machisme est plus condescendant que violent de nos jours, mais toujours aussi insupportable. Nous avons à veiller dans nos propres rangs à ce que les militantes puissent prendre la place qu’elles veulent dans l’élaboration, la critique, la mise en œuvre de notre politique.
Nous sommes des communistes, nous luttons pour le soulèvement victorieux des masses exploitées et dominées, pour liquider le capital et ses États, pour produire dans le but de satisfaire les besoins légitimes de celles et ceux qui créent toutes les richesses, font fonctionner tous les services utiles. C’est le seul moyen d’établir les conditions de l’émancipation de toute l’humanité, pour la disparition de l’exploitation et de toutes les oppressions. Avec la dictature du prolétariat sur la bourgeoisie, la mobilisation et l’organisation des femmes seront indispensables.
Nous disons que la libération des ouvriers doit être l’œuvre des ouvriers eux-mêmes ; et exactement de la même façon, l’émancipation des ouvrières doit être l’œuvre des ouvrières. (Vladimir Lénine, « Discours à la 4e conférence des ouvrières sans parti de Moscou », 23 septembre 1919, Œuvres t. 30, p. 38)
Faire aboutir les exigences légitimes de véritable égalité, de réelle liberté et de relations humaines qui rejetteront dans les cavernes du temps les rapports de domination basés sur le genre, la couleur, l’ethnie ou les croyances, voilà ce pour quoi nous militons, femmes et hommes, à égalité de droits et de devoirs. Prenez-y toute votre place !