La bourgeoisie française en difficulté

L’impérialisme français en voie de déclassement

La classe dominante française est confrontée à un risque de déchéance par rapport à ses rivales européennes et mondiales. La France pèse moins de 1 % de la population mondiale et son taux de natalité (1,68 enfant par femme) ne suffit plus à assurer le renouvèlement de la population.

Solde naturel (c’est-à-dire sans immigration et émigration) de la population de la France / INSEE, 16 janvier 2024


Le PIB français ne représente plus que 3 % du PIB mondial. La part de l’industrie dans le PIB de la France est tombée aux alentours de 10 %, soit presque deux fois moins qu’en Allemagne. La « part de marché » de la France —la place de ses exportations de biens dans les exportations mondiales— est tombée à 2,7 % en 2023.

Comparaison de parts de marché de quelques pays / INSEE, 7 juillet 2023


L’affaiblissement de la base économique de l’impérialisme français et ses prétentions militaires grandissantes incitent l’État bourgeois à vivre à crédit, au plus grand bénéfice des groupes financiers français et étrangers.

Tout le monde financier moderne, tout le monde des banques, est très étroitement intéressé au maintien du crédit public. (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, ch. 6)

Le déficit public a atteint 154 milliards d’euros en 2023, soit 5,5 % du produit intérieur brut, loin de la règle de l’Union européenne qui impose un plafond de 3 %. La dette publique s’élève à 3 101,2 milliards d’euros fin 2023 soit 110,6 % du PIB, presque le double de la limite de 60 % fixée par l’UE. Pour LR, c’est seulement la faute du gouvernement actuel.

On nous a beaucoup accusés d’être semblables à Emmanuel Macron alors que nous mènerions une politique économique et budgétaire très différente. (Geoffroy Didier, organisateur de la Nuit de l’économie de LR, Les Échos, 10 avril 2024)

Pour le président, la responsabilité du déficit public revient aux partenaires économiques de la Franc

La France s’est mieux tenue que les autres, mais nous avons connu une croissance et surtout des rentrées fiscales moins importantes à la fin de l’année en raison notamment du ralentissement brutal qui touchait l’Allemagne et l’Italie. (Emmanuel Macron, La Tribune dimanche, 5 mai 2024)

Deux des « outre-mer » de l’ancien empire colonial sont en crise : Mayotte dans l’océan Indien, la Nouvelle-Calédonie dans l’océan Pacifique. L’État français voit son pré-carré africain se réduire encore. Le continent est le terrain de la lutte d’influence que se livrent les puissances impérialistes petites et grandes. Au Sénégal, la victoire du candidat Diomaye Faye dès le 1er tour de l’élection présidentielle risque de mettre à mal ce qui reste des positions de l’impérialisme français. Le Sénégal vient de se joindre à plusieurs États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine qui remettent en cause le franc CFA. Le nouveau premier ministre met vertement en cause Macron qui avait soutenu son prédécesseur contre l’opposition.

Ousmane Sonko a accusé Emmanuel Macron d’avoir accueilli et félicité son homologue sénégalais au pire moment de la répression. « C’est une incitation à la répression, une incitation à la persécution et à l’exécution de Sénégalais qui n’avaient commis d’autre crime que d’avoir un projet politique ». (Le Monde, 17 mai 2024)

En outre, il a aussi évoqué la possibilité de fermer les bases militaires françaises sur le territoire, lors d’un discours prononcé jeudi 16 mai à une conférence de presse conjointe avec Mélenchon (LFI/France), à Dakar.

L’Union européenne prise en tenaille

La défaite militaire de l’Allemagne et de l’Italie et l’effondrement de l’empire colonial français avaient contribué à la mise en place de la CEE-UE en 1957. Mais l’UE, après de nombreux succès, est en difficulté depuis le départ de la Grande-Bretagne. Elle est victime de la guerre économique qui fait rage entre la Chine et les États-Unis. En outre, l’État français et l’État allemand ne réagissent pas de la même manière.

En Europe, nous ne sommes pas unanimes sur la Chine car certains acteurs voient toujours dans la Chine essentiellement un marché de débouchés. Je plaide pour un aggiornamento… Nous avions une Europe lotharingienne, qui produisait beaucoup, était tirée par l’automobile, disposait d’une énergie peu chère (le gaz russe), d’un hinterland productif (l’Europe centrale et orientale), d’un marché de débouchés (la Chine) et d’un parapluie géopolitique (les États-Unis). Tout cela est à terre. Le gaz russe n’est plus accessible. En dehors de certains secteurs comme le luxe, le marché chinois n’est plus un marché de débouchés pour ce qui est produit en Europe. Quant aux États-Unis, si on a de la chance de les avoir en Ukraine aujourd’hui, regardons les choses avec lucidité : leur priorité est axée sur eux-mêmes et la Chine. Notre modèle est profondément bousculé. (Emmanuel Macron, La Tribune dimanche, 5 mai 2024)

La visite du président chinois Xi en France les 6 et 7 mai confirme la discorde. À la différence de sa dernière visite en 2019, le chancelier Scholz n’a pas participé aux entretiens. Sur ce, Xi s’en va signer d’importants contrats avec la Serbie et la Hongrie (membre de l’UE).

L’effort budgétaire ne concerne pas tout le monde

Les difficultés du capitalisme français incitent plus que jamais le gouvernement à s’en prendre à la classe ouvrière.

La décision des agences Fitch et Moody’s de maintenir inchangée la notation de la dette souveraine de la France doit nous inviter à redoubler de détermination pour rétablir nos finances publiques (Bruno Le Maire, Le Monde, 26 avril 2024)

Au lieu d’augmenter la construction de logements sociaux de type HLM, le gouvernement vaut alléger les obligations actuelles (assez peu contraignantes) des communes (loi SRU, 13 décembre 2000). Dans ce but, le 3 mai, le conseil des ministres a adopté le projet de loi Kasbarian.

L’austérité (« rétablir les finances publiques ») ne s’applique pas aux groupes capitalistes.

L’État s’engage formellement dans le plan de sauvetage d’Atos en sécurisant l’avenir des activités sensibles et souveraines du groupe d’informatique avec un prêt de 50 millions d’euros. (Le Monde, 9 avril 2024)

L’austérité ne s’applique pas aux capitalistes agrariens qui contrôlent la FNSEA, libres en outre d’empoisonner les consommateurs et les ouvriers agricoles comme de détériorer l’environnement.

Ils l’ont écrit quasiment main dans la main. Le projet de loi d’orientation agricole est en quelque sorte une oeuvre commune. Celle du gouvernement et celle des syndicats agricoles… Le texte n’aborde pas la question des pesticides… Des omissions mais aussi des reculs, estiment certains experts, notamment sur la requalification des sanctions pénales en sanctions administratives pour certaines atteintes à l’environnement. (Les Échos, 3 avril 2024)

Chômage au sens du Bureau international du travail / INSEE, 17 mai 2024


L’armée de réserve du capital semble se gonfler à nouveau. Prenant prétexte de l’échec de la négociation entre les syndicats et le patronat sur les parcours professionnels, le gouvernement va définir par décret de nouvelles règles d’indemnisation du régime de l’assurance-chômage. Elles aggraveront encore la situation des travailleurs chassés de l’emploi par le capital.

Le gouvernement est sorti du bois sur sa nouvelle réforme de l’assurance chômage… La principale mesure est le durcissement des conditions d’affiliation au régime. À partir du premier juillet prochain, il faudra avoir travaillé 8 mois au cours des 20 derniers mois contre 6 mois sur 24 actuellement. (Challenges, 23 mai 2024)

À cette fin, la ministre du travail Vautrin « a engagé une série de rencontres avec des responsables syndicaux et patronaux » (Le Monde, 24 mai).

Évidemment, l’austérité ne s’applique pas à l’armée, à la police, au système carcéral : le budget 2024 prévoit 2 600 postes supplémentaires pour le ministère de l’intérieur, près de 2 000 pour le ministère de la justice, plus de 1 500 pour celui de la défense.

Les forces d’espionnage et de répression de la population, de plus en plus nombreuses, constituent un vivier pour le RN. Elles ont été employées récemment à réprimer les étudiants qui soutenaient les Gazaouis et elles servent une fois de plus à maintenir par la force la « Nouvelle-Calédonie » au sein de l’État français.

Par contre, l’austérité pèse sur le droit aux soins (franchise médicale augmentée), sur les hôpitaux, sur l’enseignement public… Des économies à réaliser servent de prétexte à fusionner l’audiovisuel public et mettre au pas les radios publiques, alors que les grands capitalistes resserrent leur contrôle sur la presse écrite et l’édition.

Attaques en cours contre les collégiens, les enseignants et les chercheurs

L’enseignement public est ponctionné de 0,6 milliard. Comme il n’y a pas assez de candidats aux concours de professeurs, à cause de la faiblesse des salaires, de la paupérisation de quartiers entiers, des effectifs, de la caporalisation du métier, le gouvernement décide de les recruter à bac + 3 au lieu de bac + 5.

Alors que les enseignants de Seine-Saint-Denis se sont levés vaillamment contre le manque de moyens et la contreréforme du « Choc des savoirs », les dirigeants de l’intersyndicale CNT-CGT-SUD-FSU les ont isolés dans le département et les ont épuisés en multipliant des « initiatives locales » et des « journées d’action ». À l’échelle nationale, les bureaucrates FSU-UNSA-CGT-SUD-CFDT-FO complètent en décrétant le 25 mai une troisième journée d’action, suivant la même méthode qui a abouti à la défaite du mouvement des retraites en 2023.

La recherche et l’enseignement supérieur publics (ESR) qui sont ponctionnés de presque 1 milliard d’euros. Le gouvernement poursuit son remodelage de la recherche publique au compte du grand capital. Comme pour la répression, les retraites, la Nouvelle-Calédonie, la politique migratoire, etc. il s’inscrit dans la filiation de Sarkozy et de Fillon. Il appelle rétrospectivement « acte 1 » de l’autonomie la LRU de Pécresse. Les établissements d’enseignement supérieur (université, école d’ingénieur, école militaire…) sont sommés de fusionner avec d’autres établissements, possiblement privés, en adoptant notamment le statut d’établissement public expérimental. Les EPE permettent de déroger au Code de l’éducation et transforment de plus en plus la nature des établissements d’enseignement supérieur. Ainsi, ces établissements se transforment en véritables entreprises où la recherche et la formation doivent être rentables et au service du capital. Les frais d’inscription peuvent être facilement augmentés, bien plus que dans les universités traditionnelles. La cogestion instaurée en 1968 s’étend aux patrons.

« L’acte 2 » de Macron-Attal-Retailleau s’affiche comme un plan pour « l’autonomie » en deux axes. Il s’agit premièrement de flexibiliser et précariser les travailleurs de la recherche en attaquant leurs statuts, de transformer les organismes de recherche publics en « agences de programme » pour faire respecter les priorités économiques dictées par le gouvernement.

Le deuxième axe vise à modifier le positionnement et l’organisation de mon ministère pour qu’il adopte une posture plus stratégique vis-à-vis de ses opérateurs. (Sylvie Retailleau, Discours à la Cité internationale universitaire de Paris, 26 mars 2024)

Il s’agit d’accentuer la concurrence et la soumission au profit. Le gouvernement commence à appliquer son plan.

L’objectif est clair : mettre en place les conditions d’une autonomie renforcée chez quelques-uns durant une année et commencer à en tirer des enseignements pour un véritable acte 2 de l’autonomie. Retailleau, 26 mars 2024)

La plupart des organisations syndicales dénoncent à juste titre ces projets. Pourtant, les chefs de la FSU, de SUD, de la CGT, de l’UNSA… continuent à se rendre aux convocations du gouvernement pour en discuter. Le 9 avril, à 17 h, il n’en manquait aucun au ministère pour écouter poliment Retailleau.

Plan contre l’ensemble des travailleurs de la fonction publique

Effectifs selon le statut / INSEE, 23 mai 2023


Les contractuels représentent 1,2 des 5,7 millions de travailleurs de la fonction publique, plus de 20 % de l’effectif. Moins de cinq ans après la « loi de transformation de la fonction publique » qui a créé un nouveau contrat précaire de longue durée et imposé un allongement du temps de travail, le gouvernement convoque le 9 avril les fédérations syndicales de la fonction publique (d’État, des collectivités territoriales, de la santé) pour négocier une nouvelle « réforme ». Le gouvernement Macron-Attal-Guerini veut réduire la protection de ceux qui ont un statut et les diviser en systématisant le « salaire au mérite ».

C’est un dévoiement du statut de la fonction publique que de considérer qu’au nom de la garantie de l’emploi on ne puisse pas se séparer d’un agent qui ne ferait pas son boulot. La justice, c’est de récompenser les agents qui sont engagés et de sanctionner ceux qui ne font pas suffisamment leur travail. (Stanislas Guerini, Le Parisien, 9 avril 2024)

Pourtant, au lieu d’exiger le rattrapage du pouvoir d’achat, la création des postes en particulier dans la santé et l’enseignement publics, la titularisation des travailleurs précaires, les chefs syndicaux, sauf ceux de FO (qui réclament de meilleures négociations), se rendent depuis le 9 avril aux convocations pour mettre au point l’attaque gouvernementale. Il faut attendre le 21 mai pour que quatre d’entre elles (CGT, FO, FSU et Solidaires) boycottent un rendez-vous au ministère.

La collaboration de classe et les élections au Parlement européen

Les élections « européennes » à la proportionnelle et à un seul tour se tiennent le 9 juin. Elles vont confirmer que l’assise du macronisme s’est rétrécie, que LR n’arrive pas à sortir de l’étouffement entre Renaissance et le RN. La suprématie électorale du parti bourgeois le plus réactionnaire est alimentée par la perception par la petite bourgeoisie (indépendants, cadres) du déclin de l’impérialisme français, par le recul de la conscience de classe causé par les défaites successives éprouvées par la classe ouvrière, par l’abstention électorale des travailleurs douchés par l’expérience répétée des gouvernements fronts populistes.

LFI a brisé elle-même le front populaire (NUPES) qu’elle avait fondé en 2022. Aujourd’hui, une partie des anciens adjoints du chef suprême de LFI relaie la pression des médias, qui l’accusent d’être clivant, voire antisémite.

En réalité, Mélenchon défend toujours la légitimité d’Israël, comme le PS, le PCF et LO. Il conserve la position du gouvernement Jospin (PS-PCF-EELV) dont il était membre : partager la Palestine entre un État colonial surarmé et des réserves d’indigènes désarmés (que l’ONU affublerait du nom d’État palestinien). De même, LFI s’inscrit dans le regain de protectionnisme des bourgeoisies américaine et européennes, qu’elle peint simplement en vert.

La Commission européenne s’obstine plus que jamais dans le libre-échange… Nous voulons passer au protectionnisme écologique et social… Il faut relocaliser l’industrie et garantir notre indépendance sur les ressources clés… empêcher la captation ou la participation d’entreprises étrangères à des industries stratégiques pour notre souveraineté. (LFI, Programme, ch. 3) ; Défendre l’exception culturelle française. (ch. 6) ; Maintenir le caractère national de la dissuasion nucléaire française (ch. 8).

Le social-patriotisme de LFI (partagé par Ruffin, Autain, Garrido, Coquerel, Corbière…) n’empêche pas les « trotskystes » du NPA-AC et du POI de s’y rallier.

Le mot d’ordre d’unification prolétarienne de l’Europe est une arme très importante dans la lutte contre le chauvinisme abject des fascistes. La politique la plus dangereuse est celle qui consiste à s’adapter à l’ennemi, à se faire passer pour lui. Aux mots d’ordre de désespoir national et de folie nationale, il faut opposer les mots d’ordre qui proposent une solution internationale. (Lev Trotsky, « Le tournant de l’IC et la situation en Allemagne », 26 septembre 1930, Contre le fascisme, Syllepse, p. 129-130)

LFI fait campagne avec un groupe écologiste, REV, et des transfuges d’EELV. Le PS fait campagne avec l’officine bourgeoise et prosioniste de Glucksmann, PP. Le PCF fait campagne avec une survivance du Parti radical, LRDG, et le groupuscule bourgeois et souverainiste de Montebourg. Les travailleurs conscients ne peuvent pas voter pour de tels attelages.

Seuls LO, le NPA-R et le PT présentent des listes sans représentant politique des exploiteurs.

Pour l’indépendance de classe, pour la lutte de classe


Cahier révolution communiste n° 22

Aucune élection, surtout pour une institution qui n’a de parlement que le nom (les décisions essentielles sont prises par le Conseil européen, c’est-à-dire les gouvernements des États-membres), ne résoudra les problèmes brulants du prolétariat français et européen.

Pour faire face à la dislocation de l’économie mondiale, à la montée de la xénophobie et du militarisme, à la crise climatique, il faut que la classe ouvrière cesse de perdre à cause des gouvernements au service de la bourgeoisie et des trahisons des mobilisations par les bureaucraties syndicales. Il faut tracer une perspective radicale, celle de la révolution sociale, de la prise du pouvoir par les travailleurs, d’un gouvernement ouvrier en France et des États-Unis socialiste d’Europe. Il faut s’organiser pour mettre les syndicats à notre service et se doter d’un parti et d’une internationale qui expriment nos intérêts quotidiens et historiques.

Arrêt des licenciements ! Abandon du plan du gouvernement contre les chômeurs ! Boycott par les confédérations syndicales de toute négociation du plan du gouvernement !

Rétablissement des horaires d’enseignement au collège, suppression des groupes de niveau ! Création de tous les postes nécessaires à l’enseignement public en Seine-Saint-Denis et partout !

Fin de l’expérimentation du projet gouvernemental contre la recherche et l’enseignement supérieur ! Boycott des négociations sur « l’acte 2 » !

Retrait du plan contre les travailleurs de la fonction publique ! Boycott de toute négociation de ce plan !

Arrêt des fournitures d’armes à Israël ! Abandon de toute poursuite contre les militants qui défendent le peuple opprimé de Palestine ! Abrogation du délit d’incitation au terrorisme !

Retrait des forces de répression impérialistes françaises en Nouvelle-Calédonie/Kanaky !

24 mai 2024