ABC du marxisme : programme

Les politiciens et les formations politiques qui servent la bourgeoisie nient la lutte entre les classes qu’ils amalgament dans le « peuple » ou « la nation ». Pas plus que les noms qu’ils adoptent, il ne faut prendre au pied de la lettre ce qu’ils racontent. Un « programme » est pour eux un document de circonstance, le plus souvent électoral, pour accéder au pouvoir, à l’échelle locale ou nationale. Il comporte deux types de signaux. D’une part, un message est envoyé à la classe dominante (la bourgeoisie) pour lui prouver que le personnage ou l’organisation est plus apte que ses concurrents à servir ses intérêts face aux bourgeoisies étrangères et aux autres classes du pays ; d’autre part, des promesses sont adressées aux classes subalternes (classe ouvrière, travailleurs indépendants, encadrement salarié, fonctionnaires…) dont il importe de rallier une partie significative pour gagner les élections.

Dans tout parti bourgeois, la masse est toujours un cheptel… Il va de soi que tout parti bourgeois qui s’appuie ou veut s’appuyer sur les paysans et, si possible, sur les ouvriers, est obligé de se camoufler. (Lev Trotsky, Critique du programme de l’IC, juillet 1928, ch. 7)

Henri Queuille, un filou du Parti radical (PR), plusieurs fois ministre durant la 3e République et chef du gouvernement durant la 4e, aurait dit : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ». En 1944, le CNR (les partis bourgeois ralliés à de Gaulle, le PS, le PCF et les deux confédérations de l’époque CGT et CFTC) produit un « programme » typique de ce genre de supercherie.

Certes, il arrive aux dirigeants politiques de la bourgeoisie, sous la pression des exploités et des semi-exploités, de prendre des mesures qui leur déplaisent, voire qui gênent la classe dominante. Il s’agit alors d’empêcher une crise révolutionnaire, d’éviter le risque que la classe dominante perde tout. Les gouvernants limitent toujours la portée du compromis, en attendant l’occasion de l’annuler. Ainsi, la grève générale de juin 1936 a contraint le gouvernement Blum à accorder des concessions qui ne figuraient nullement dans le programme du Front populaire (PR-PS-PCF-CGT). De même, en 1944-1945, l’armement des masses et la mobilisation des travailleurs ont obligé un général réactionnaire, Charles de Gaulle, à des réformes politiques et économiques significatives.

Toute autre est la signification d’un programme pour une organisation ouvrière révolutionnaire. La classe ouvrière, n’exploitant aucune autre classe, n’a pas à mentir. Son avant-garde ne cache ni ses revendications, ni ses méthodes, ni son but.

Il est tout à fait naturel que le parti du prolétariat révolutionnaire soit par-dessus tout soucieux de son programme, définisse avec grand soin, longtemps à l’avance, son but final (l’émancipation complète des travailleurs) et se montre si hostile à toutes les velléités de rétrécir le but final. (Vladimir Lénine, Sophismes politiques, 1905)

Le programme communiste est guidé par la théorie (dialectique, matérialisme historique, loi de la valeur…) mais il est conçu pour l’action, pour assurer la direction de la classe ouvrière dans la révolution. Par exemple, les communistes ne prétendent pas imposer l’athéisme (contrairement aux bakouninistes) mais revendiquent fermement la laïcité, la séparation entre l’État et la religion.

Le programme s’enrichit de l’expérience du mouvement ouvrier mondial : le mouvement chartiste britannique de 1838 à 1848, la révolution européenne de 1848 à 1850, la Commune de Paris de 1871, la révolution russe de 1917, etc. Ainsi, la remarque « Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu’une douzaine de programmes » (Karl Marx, mai 1875) veut seulement dire que les larges masses apprennent par l’expérience, pas dans les revues ou les livres, et que le programme n’est pas un substitut à l’action. Son importance pour Marx est confirmée par la part qu’il a prise dans la rédaction de plusieurs d’entre eux : manifeste du parti communiste (1847), circulaire aux cellules de la LC (1850), manifeste inaugural de l’Association internationale des travailleurs (1864), programme du Havre du Parti ouvrier (1880)…

Même si la conjoncture ne permet pas aux travailleurs de postuler immédiatement au pouvoir, même quand un parti ouvrier révolutionnaire utilise les élections et le parlement comme tribune, son activité est subordonnée à l’objectif de la prise du pouvoir par les travailleurs, à l’établissement du socialisme mondial.

À l’inverse, la formule « Le mouvement est tout, le but final du socialisme n’est rien » (Bernstein, octobre 1898) renvoie à la pratique opportuniste des partis ouvriers au programme d’emblée bourgeois (type Parti travailliste/Grande-Bretagne, Parti des travailleurs/Brésil, LFI/France…) ou corrompus ultérieurement (type SPD/Allemagne, PCF/France…). Le « réformisme » est le rejet du programme révolutionnaire par leur appareil de permanents, de journalistes, de maires, de députés, de sénateurs…

Quiconque se prononce en faveur de la réforme légale, au lieu et à l’encontre de la conquête du pouvoir politique et de la révolution sociale a en vue un but différent. (Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ?, 1898, ch. 3)

Quand le Parti bolchevik et la Ligue Spartacus se séparent des partis qui trahissent, qui soutiennent la guerre impérialiste en 1914 et qui secourent leur État bourgeois contre la révolution en 1917-1918, ils sont conduits à restaurer la stratégie révolutionnaire au sein du programme (Lénine, Pour une révision du programme du parti, octobre 1917 ; Luxemburg, Notre programme et la situation politique, décembre 1918).

Quand l’Opposition de gauche de l’Internationale communiste se tourne vers la construction d’une nouvelle internationale parce que l’IC stalinisée a rejoint l’IS dans la division et la collaboration de classes, la 4e Internationale ajuste le programme (La Nouvelle montée révolutionnaire, 1936 ; L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938 ; La Guerre impérialistes et la révolution prolétarienne mondiale, 1940…).

On peut résumer la substance de notre programme en deux mots : dictature du prolétariat. (Lev Trotsky, La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 1940)

Pour toute bureaucratie du mouvement ouvrier, qu’elle soit grande ou petite, la révolution, la dictature du prolétariat et le socialisme sont renvoyés à un horizon lointain. Au mieux, ils sont évoqués pour obtenir des voix et pour motiver les militants de base qui, eux, y aspirent.

Cet abandon, qui était commun à la sociale-démocratie et au stalinisme du 20e siècle, se retrouve désormais dans les formations « trotskystes » contemporaines qui s’intègrent aux bureaucraties syndicales corrompues ou qui rentrent dans l’orbite d’un parti social-impérialiste. Le centrisme n’a que faire d’un pont entre la situation présente du prolétariat et la révolution. Par conséquent, il se détourne du front unique ouvrier, de la grève générale, des milices ouvrières, du combat au sein des syndicats contre leur bureaucratie corrompue et traitresse, des conseils des travailleurs, du gouvernement ouvrier, du renversement de l’État bourgeois…

Le prolétariat, lui, a besoin d’un programme communiste car le déclin du capitalisme mondial met à l’ordre du jour la révolution socialiste.

Bibliographie

Il n’y a pas d’entrée Programme dans les dictionnaires consacrés au marxisme concoctés par les intellectuels proches du PCF ou du NPA. Pour en savoir plus :