Les colons et les racistes triomphent trop vite
L’accord de Nouméa de 1998 renvoie l’autodétermination à trois référendums prévus en 2018, 2020 et 2022. Comme l’escomptait l’État français, les trois consultations successives rejettent l’indépendance [voir Révolution communiste n° 32 & 42].
En 2022, à l’approche du terme de l’accord de Nouméa qui prend fin en 2024, Macron confie au ministre de la police Darmanin la mission de préparer la nouvelle solution institutionnelle. Il ne parvient pas à un nouvel accord. En novembre 2023, le FLNKS-UC lance, pour disposer d’une marge de manoeuvre, la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). Le 13 avril, la CCAT appelle à une manifestation de 15 000 personnes à Nouméa alors que la population de l’archipel est évaluée à moins de 270 000 personnes. Les Loyalistes et LR en mobilisent autant le même jour.
Le dispositif néocolonial de Matignon-Nouméa arrive à son terme et un de ses piliers est ébranlé par « la crise du nickel ». En 2023, la principale industrie est victime de la concurrence indonésienne. Deux des trois groupes capitalistes concernés cherchent un repreneur pour leur usine locale : Glencore pour le site de Koniambo (Nord), Trafigura pour celui de Goro (Sud). Le troisième groupe, Eramet, cesse de financer sa filiale SLN qui exploite l’usine de Donimabo (Sud).
Pour contraindre les « indépendantistes » et les « loyalistes » à négocier et s’entendre, Macron déclenche en janvier 2024 un processus de révision constitutionnelle visant à « dégeler » le corps électoral. Son projet prévoit un corps électoral « glissant » qui accorderait le droit de vote aux électeurs déjà inscrits sur la liste générale qui justifient d’une domiciliation d’au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie, ou qui y sont nés. Une telle modification incorporerait 25 841 nouveaux électeurs.
Évidemment, les partis bourgeois les plus réactionnaires (Loyalistes, LR, RN) sont favorables à cet élargissement de l’électorat. Puisque la solution du gouvernement français leur est favorable, ils ne voient guère l’intérêt de négocier avec le FLNKS. Fort des trois référendums, ils réclament même la fin des concessions aux Kanaks accordées à la fin du siècle dernier pour que le FLNKS camoufle sa capitulation. Ils se permettent de boycotter le Congrès depuis mars.
Le 26 mars, le député Metzdorf (Renaissance) dépose une proposition de loi organique visant à restituer provisoirement la compétence du nickel à l’État.
Les émeutes et la répression
Le 13 mai, alors que le projet de loi constitutionnelle est discuté au parlement français, la CCAT appelle à des marches et des blocages de routes. La gendarmerie est aussitôt envoyée les réprimer, ce qui exacerbe les tensions. Les affrontements se généralisent dans l’agglomération de Nouméa, qui avait été à l’abri des « évènements » de 1984-1985 et 1988. Le contrôle du mouvement échappe largement au FLNKS et à la CCAT. Il dégénère, comme dans les banlieues françaises en 2023, les déclassés et les délinquants pillent et détruisent.
De jeunes Kanaks urbains qui n’ont rien à perdre, habitant les squats ainsi que les quartiers les plus défavorisés, sont mobilisés. Souvent sortis du système scolaire sans diplôme et sans perspective, ils en sont venus à se surnommer eux-mêmes les « cafards ». Alors que la situation est toujours hors de contrôle, des manifestants de la CCAT se démènent sur le terrain pour tenter de les ramener à la raison., de détruire les bouteilles d’alcool, volées en quantité phénoménale lors des pillages, qui fournissent le combustible nécessaire à l’embrasement de cette jeunesse. (Le Monde, 19 mai 2024)
Les partis coloniaux encouragent de leur côté l’armement « des Blancs », bien mieux dotés à cet égard que les Kanaks, qui servent de supplétifs aux flics en uniforme. Le 14 mai, les émeutes se poursuivent et amènent à des affrontements armés : 3 personnes meurent et 300 sont blessées. L’enseignement ne fonctionne plus, les hôpitaux sont entravés. Non seulement l’économie est temporairement paralysée, mais les déclassés en détruisent la base matérielle.
Le lumpenproletariat, cette lie d’individus dévoyés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans les grandes villes, est absolument vénale et importune. Quand les ouvriers français écrivaient sur les maisons, à chaque révolution, l’inscription : « Mort aux voleurs ! » et qu’ils en fusillaient même plus d’un, ce n’était certes pas par enthousiasme pour la propriété, mais bien parce qu’ils savaient très justement qu’il fallait avant tout s’en débarrasser. (Friedrich Engels, 11 février 1870)
Le 15 mai, l’Assemblée nationale française adopte le projet, ce qui est considéré par la masse des Kanaks comme une provocation. Macron réitère son chantage. Il ne soumettra pas le texte au Congrès (la réunion des deux chambres du parlement français indispensable à toute révision de la constitution) que si « les deux camps » s’accordent sur un projet commun.
Le gouvernement a promis que si les deux camps s’accordent sur un nouveau statut du territoire définissant une citoyenneté calédonienne, il suspendra son texte au profit du consensus local. Une promesse réitérée par Emmanuel Macron dans un courrier adressé, après le vote, aux représentants calédoniens. (Le Monde, 15 mai)
Le même jour, le gouvernement Macron-Attal décrète l’état d’urgence, il impose un couvre-feu, interdit la vente d’alcool et l’usage du réseau social TikTok, il charge l’armée de contrôler les infrastructures, il envoie par centaines des gendarmes mobiles et des CRS, plus des gendarmes du GIGN et des policiers du RAID. Au total, il y aurait 3 000 membres des forces de répression françaises pour moins de 270 000 habitants.
Le 16 mai, Darmanin taxe le CCAT de « voyous » et « mafieux », il accuse l’Azerbaïdjan « d’ingérence », comme si cet État avait créé le mécontentement des masses. Les blocages mais aussi les vols et les saccages se poursuivent. 400 sites commerciaux ou industriels seraient anéantis. La pénurie alimentaire menace. Le bilan humain s’alourdit : officiellement 7 morts directes plus des victimes indirectes du manque de soins de santé. Il est fort possible qu’il y ait plus de Kanaks tués ou blessés que ce que reconnait l’État français.
Le 23 mai, le président français se rend quelques heures sur place. Il réconforte les flics au commissariat de Nouméa. Il convoque les différentes composantes du FLNKS qui acceptent toutes de le rencontrer, sans exiger au préalable le retrait du projet de loi qui a déclenché les émeutes. Le seul engagement du chef de l’impérialisme français est d’accorder un délai de quelques semaines afin de « reprendre le dialogue » quand l’ordre sera rétabli.
Je voulais en tout cas vous dire que j’étais ici pour le retour à la paix, au calme, à l’ordre, que ça passe par un engagement de l’État sur le plan régalien et qui sera assumé dans la durée, que ça passe par une très grande clarté sur ce sujet. (Emmanuel Macron, Discours aux élus, 23 mai 2024)
La couardise du FLNKS et l’abjection des sociaux-impérialistes français
Le 18 mai, le FLNKS lance un « appel au calme ». Il se félicite que « le président de la république propose aujourd’hui de ne pas convoquer tout de suite le Congrès de Versailles afin de donner une chance au dialogue et au consensus ». Le FLNKS demande à l’État français de « réunir les conditions pour un dialogue apaisé et serein ».
L’illusion criminelle de la bourgeoisie kanake envers l’État français est évidemment enfourchée par les agents de la bourgeoisie au sein des travailleurs de la « métropole ».
Nous demandons qu’une mission de dialogue, constituée de personnalités incontestables et impartiales soit envoyée sur place sans délai, sous l’autorité du Premier Ministre… Le rétablissement de l’ordre public, nécessaire à la protection des biens et des personnes, doit se faire de façon proportionnée et dans le cadre de la loi. (PS, Lettre au président, 16 mai 2024)
Le président Macron a annoncé partir dès ce soir pour la Nouvelle-Calédonie… Nous saluons l’envoi d’une mission du dialogue… Cet accord ne peut advenir que sur la base du consensus entre les parties, avec un État impartial. (Groupe parlementaire LFI, Communiqué, 21 mai 2024)
Nous adressons à la famille du gendarme décédé, à ses proches, ses collègues ainsi qu’à l’ensemble de la Gendarmerie nationale toutes nos condoléances… Depuis 30 ans, les présidents de la République et leurs premiers ministres successifs ont su préserver le cadre d’un processus fondé sur l’impartialité de l’État, la concertation, l’équilibre et le respect mutuel entre les différents partis… Le PCF et ses parlementaires appellent à l’envoi immédiat d’une mission gouvernementale dirigée par le Premier ministre… (PCF, Communiqué, 15 mai 2024)
Le 25 mai, le FLNKS se plaint de « la fin de l’impartialité de l’État », comme si l’État bourgeois avait été, un seul jour, neutre. Il se félicite « que le sujet de l’avenir institutionnel de Kanaky Nouvelle-Calédonie est enfin traité directement par le président Macron avec tout le sérieux et l’engagement que cela implique ».
Le prolétariat des nations oppressives doit lutter contre le maintien par la force des nations opprimées dans les frontières. (Vladimir Lénine, La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, thèse 4, février 1916)
Le mouvement ouvrier français doit se prononcer sans aucune réserve pour le départ des forces de répression coloniales, pour l’indépendance de la Kanaky. C’est le seul internationalisme qui vaille.
Or, les deux NPA se contentent du « droit à l’autodétermination ». Quant à LO, elle s’en dispense totalement. Faussement radicale, Arthaud renvoie à un futur « renversement de l’impérialisme » (Lutte ouvrière, 20 mai). Une si grandiose perspective permet de faire avaler l’omission du retrait de l’armée, de la gendarmerie et des CRS de Kanaky ! Comment pourrait-on « renverser l’impérialisme » sans la lutte des nations opprimés, sans la revendication d’indépendance des dernières colonies de son impérialisme, sans se prononcer pour le retrait des mercenaires de son propre impérialisme ?
Le prolétariat révolutionnaire du monde entier soutient inconditionnellement la lutte pour l’indépendance nationale des pays coloniaux car, dans cette lutte, ils portent des coups sévères aux États impérialistes. (4e Internationale, Manifeste, mai 1940)
Kanaky libre et socialiste !
Depuis bientôt deux siècles, l’État de la bourgeoisie française s’est emparé d’un territoire éloigné, a asservi par la violence un peuple qui ne lui avait rien demandé. Il y a peu, son Conseil d’État prétendait que les colons doivent avoir les mêmes droits que le peuple autochtone à se prononcer sur l’avenir de la Kanaky (26 décembre 2023). Aujourd’hui, son gouvernement réprime à grande échelle le soulèvement provoqué par la colonisation et son champion actuel, Macron.
La responsabilité du mouvement ouvrier français est de rompre avec sa bourgeoisie :
Dehors, la police et l’armée françaises !
Rétablissement des libertés démocratiques, dont le droit de se déplacer et de manifester !
Démantèlement immédiat des bandes armées colonialistes et racistes !
Retrait du projet de loi constitutionnelle française !
Restitution des terres aux Mélanésiens !
Référendum de la population originaire de l’Océanie (Mélanésiens, Polynésiens, métis…) pour décider !
Kanaky démocratique, laïque, avec les mêmes droits pour tous ceux qui veulent y vivre !
La direction bourgeoise du mouvement nationaliste a trop peur de la révolution sociale pour mobiliser la classe ouvrière, la seule force démocratique conséquente de notre époque, car celle-ci risquerait de s’en prendre à toute la classe capitaliste (Kanaks inclus) et de balayer le vieux fatras (prérogatives des chefs tribaux, oppression des femmes cristallisée dans le droit coutumier, etc.).
Le FLNKS est voué, une fois de plus, à céder à la bourgeoisie française ou à se vendre à une autre bourgeoisie impérialiste, ce qui le rend incapable d’arracher l’indépendance. Sa nature de classe l’empêche de s’adresser aux travailleurs de la France métropolitaine pour paralyser la bourgeoisie française. Contre le front uni antiimpérialiste qui soumet les travailleurs à la bourgeoisie kanake, ceux-ci doivent prendre la tête de tous les exploités et opprimés, à commencer par les femmes travailleuses.
Assemblées générales dans les entreprises, les administrations, les lieux d’étude, les quartiers pour discuter, décider, se coordonner, se centraliser !
Autodéfense des travailleurs contre les forces de répression françaises, les bandes armées des colons, les réseaux mafieux !
Création de syndicats unifiés indépendants de l’État français, des provinces et du FLNKS, défendant les intérêts des femmes comme des hommes, des Kanaks comme des autres ethnies, contre tous les patrons ,!
Parti ouvrier révolutionnaire rassemblant tous les exploités de Kanaky, dont la première revendication est le départ de l’impérialisme français !
Gouvernement ouvrier et paysan !
Les communistes internationalistes avertissent les travailleurs kanaks des limites de l’indépendance politique d’un micro-État de la taille de la Kanaky, même si elle n’est pas victime d’une partition orchestrée par l’État français. Restés capitalistes dans un environnement capitaliste, les Fidji (890 000 habitants, indépendantes en 1970) ou Vanuatu (300 00 habitants, indépendant en 1980) n’échappent pas à la pauvreté, à la domination économique étrangère et aux rivalités dangereuses des puissances impérialistes, que ce soit les États-Unis et leurs alliés ou la Chine et les siens.
Internationale ouvrière révolutionnaire avec les prolétaires soeurs et les frères de France, de Wallis et Futuna d’Australie, de Nouvelle-Zélande/Aotearoa, de Papouasie-Nouvelle Guinée… !
États-Unis socialistes d’Océanie !