Italie : un pitre et un cheval de retour au centre du jeu parlementaire

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Les élections des 24 et 25 février pour la Chambre des députés et le Sénat ont été provoquées par la démission de Mario Monti le 9 décembre 2012, après que les parlementaires du Parti du peuple pour la liberté (PdL) eurent décidé de boycotter le vote de confiance à son gouvernement et de s’abstenir à la Chambre sur le vote du budget 2013 qui devait intervenir à la fin de l’année. En conséquence, le Parlement fut dissous le 22 après avoir, toutefois, adopté le budget. Les élections n’ont pas donné de majorité.

Un capitalisme en dépression

Dixième puissance économique mondiale et troisième de la zone euro, l’Italie représente 12 % de la population de l’UE et de sa richesse. Mais elle a sombré à son tour dans la dépression économique qui frappe d’autres États de l’Europe du Sud (Grèce, Portugal, Espagne).

Avec l’euro, l’État italien ne peut recourir à l’inflation et aux dévaluations de la lire, deux ruses des économies moins performantes. Le capitalisme italien a subi de plein fouet la crise mondiale (le PIB a reculé de -1,2% dès 2008 et de -5,5 % en 2009). Après un léger redémarrage de l’activité en 2010 (+1,1 %), le pays est entré de nouveau en récession à la fin de l’année 2011. Elle s’est prolongée en 2012 (le PIB a baissé de –2,7 %).

Il en découle un taux de chômage de 10,7 % de la population active (34 % chez les jeunes). Un million de travailleurs ont été licenciées en 2012, soit 13,9 % de plus qu’en 2011. L’économie souterraine se généralise. Elle est évaluée entre 250 et 270 milliards d’euros, soit 16 à 17,5 % du PIB. L’évasion fiscale est estimée entre 120 et 170 milliards d’euros. L’État subit la hausse des taux d’intérêt pour financer son déficit.

L’évasion fiscale qui abaisse les ressources de l’État et la hausse du taux d’intérêt contribuent à la montée de la dette souveraine qui atteint aujourd’hui 1 980 milliards d’euros soit 126,4 % du produit intérieur brut. En témoigne la dégradation des emprunts de l’État par les principales agences de notation.

L’offensive forcenée contre les masses du gouvernement « technique » de Monti

Monti, un ancien de Goldman Sachs, devient président du conseil le 16 novembre 2011, sans qu’il y ait d’élections. Il forme un gouvernement dit « technique » parce que constitué uniquement de membres de l’état-major, de hauts fonctionnaires et de banquiers. Le 17, il obtient la confiance du Sénat (avec 91,8 % des voix sauf 25 sénateurs de la Ligue du Nord) et le 18, celle de la chambre (moins les 59 députés de la Ligue du Nord et 2 du Peuple de la liberté).

Dès décembre, le gouvernement accouche du décret Salva Italia (Sauver l’Italie), un plan d’austérité chiffré à 63 milliards d’euros sur 3 ans qui attaque les retraites, en portant à 42 ans le nombre d’annuités à effectuer pour obtenir une pension pleine et repoussant l’âge de départ à 66 ans. En outre, le montant de la pension est désormais calculé sur l’ensemble de la carrière et non sur les derniers salaires.

Par ailleurs, le gouvernement Monti déréglemente les horaires d’ouverture des commerces. Il réduit les impôts sur les entreprises.

La deuxième étape est la « réforme du marché du travail » et l’abolition de l’article 18. Le statut des travailleurs (Statuto dei lavatori) adopté en 1970 comme résultat de la crise révolutionnaire de 1969 que les bureaucraties syndicales et le PCI avait réussi à contenir, limitait en son article 18 le droit de licencier des entreprises de plus de 15 salariés. En janvier 2012, la ministre du Travail Elsa Fornero consulte les « partenaires sociaux ». Il en sort une « riforma del mercato del lavoro » votée en juin qui modifie le droit du travail en facilitant le recours aux contrats à durée déterminée et au travail temporaire. Ce plan comporte une réduction de l’ordre de 50 % des cotisations sociales patronales en cas d’embauche de seniors au chômage  de longue durée ou de femmes au chômage depuis plus de 6 mois. Elle instaure une forme de « rupture conventionnelle » qui permet de se séparer d’un salarié en lui versant des indemnités.

En juin 2012 toujours, Monti privatise pour 30 milliards d’euros d’actifs publics.

En juillet, un nouveau train de réduction des dépenses publiques réduit le nombre de lits d’hôpital et diminue le nombre de fonctionnaires de 10 %. La baisse des effectifs, qui doit s’effectuer par la mise en retraite anticipée et en chômage technique pendant deux ans, pourrait toucher entre 100 et 300 000 travailleurs.

En novembre, un nouveau pacte de productivité est signé entre les « partenaires sociaux », à l’exception de la CGIL. Il lie une partie des salaires aux performances des entreprises. Les accords d’entreprise (« contrattazione ») se substitueront aux conventions collectives pour régir, « de manière prioritaire », les questions relatives à l’organisation du travail, sa « distribution flexible » et les horaires.

En décembre, le budget pour 2013 décide 10 milliards d’économies, avec la diminution des dotations aux collectivités locales (1 milliard d’euros) et à la santé (1,5 milliard) ainsi qu’un plafonnement du budget des universités.

Les élections témoignent de la désorientation de la classe ouvrière

Les électeurs se sont davantage abstenus, de l’ordre de +5 % pour ce qui est des législative, soit 2,6 millions de votants en moins qu’en 2008. Elles s’élèvent à 11,6 millions de voix et représentent 24,81 % des inscrits (nettement plus que la coalition arrivée en tête). Ce chiffre doit être augmenté des votes blancs et nuls soit respectivement presque 400 000 et plus de 800 000 pour totaliser 1,2 million. Encore faudrait-il ajouter le nombre de jeunes qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales pour avoir une idée du discrédit de tous les partis politiques. Bien évidemment la fraction étrangère du prolétariat, importante en Italie, est absente de tous ces chiffres.

Le Parti démocrate (constitué en 2007 par l’ancien parti stalinien PCI avec des débris du socialisme et de la démocratie chrétienne) s’est effondré. Il passe de 12 millions de voix à 8,6. De même, le Peuple de la liberté (PdL), le parti de Berlusconi, est passé de 13,6 millions à 7,3. Mais le grand perdant est l’ancien chef du gouvernement Mario Monti dont la coalition « Avec Monti pour l’Italie » ne totalise que 3,6 millions de voix.

Pour ce dernier, il s’agit bien évidemment du résultat des treize mois de sa gouvernance et de ses attaques contre les masses italiennes. Mais le Parti démocrate (PD) paie, lui aussi, son soutien jusqu’au bout à cette politique, alors que Berlusconi avait eu l’habileté de retirer son soutien à Monti au dernier moment.

L’élément nouveau, c’est le surgissement d’une force populiste et petite bourgeoise, celle du Mouvement 5 étoiles de l’humoriste Giuseppe Grillo créé en octobre 2009. Il a obtenu 8,7 millions de suffrages soit le plus grand nombre de voix. Il ne remporte pas le plus grand nombre de sièges de députés aux législatives car, dans ce scrutin proportionnel à un tour, une prime en sièges est attribuée à la coalition de partis majoritaire.

La coalition « Italie bien commun », c’est-à-dire la coalition qui regroupe le PD, Gauche écologie liberté (SEL, où se retrouve une fraction de l’ancien PRC, la fraction du PCI qui avait maintenu la référence au communisme quelques années) et le Centre démocrate (CD), avec seulement 10 millions de voix, se voit donc accorder un bonus en député de 54 % ce qui lui donne 340 élus au Parlement.

Cette consultation traduit la désorientation profonde des masses. Les partis ouvriers traditionnels, le Parti socialiste italien et le Parti communiste italien, le plus fort parti stalinien dans les pays capitalistes, ont littéralement disparu, victime du discrédit de leur participation aux gouvernements du Parti démocrate chrétien et de leur liquidation par leur propre appareil.

Une fois Amadeo Bordiga évincé par Staline en 1925 et Antonio Gramsci incarcéré par Mussolini en 1926, le PCI dirigé par Togliatti tend la main aux fascistes en 1936. En 1943, le PCF assassine Pietro Tresso, fondateur du PCI qui milite dans la 4e Internationale. Face à la révolution qui éclate en 1943, le PSI et le PCI subordonnent le prolétariat à la bourgeoise par leur participation au Comité de libération nationale en 1943 et aux gouvernements d’unité nationale de 1944 à 1947 qui désarment les travailleurs, défendent la propriété privée et reconstruisent l’État bourgeois. En 1943, Togliatti accepte la monarchie. À partir de 1962, le PSI gouverne avec la DC. En 1994, quand son dirigeant Craxi est poursuivi pour corruption, il se dissout. Dès 1976, le PCI collabore avec le parti bourgeois clérical DC. En 1991, le PCI se renomme Parti de la gauche démocratique (PDS) et abandonne le logo avec la faucille et le marteau.

Deux autres fractions issues de l’ancien parti stalinien, le Parti de la refondation communiste (PRC) et le Parti des communistes italiens (PdCI), ont occupé le terrain avec l’appui de tous les centristes et ont poursuivi, à plus petite échelle, les trahisons du PCI. Le PRC a été le principal organisateur de la mystification du Forum social européen. En 1996, le PRC et le PdCI ont soutenu le gouvernement bourgeois Prodi. Ils ont récidivé en 2006. Le PRC avait toutes les faveurs des pseudo-trotskystes du monde entier, les mêmes qui aujourd’hui sont fascinés par Syriza.

Les débris du PCI, le PRC maintenu et le PdCI, participent à la coalition Révolution citoyenne (sic) qui inclut des formations bourgeoises. Le seul parti issu du PRC qui se réclame de la révolution sociale, le Parti communiste des travailleurs (PCdL), n’a obtenu que 0,25% des voix (0,5 % en 2008).

Ainsi, s’explique le « succès », dans les régions « rouges », du M5E qui se présente comme une association de citoyens, prône un dépassement des clivages gauche-droite et rejette les syndicats.

La mise en cause de la démocratie parlementaire par le Parti « démocrate »

Pendant plusieurs semaines, l’Italie s’est trouvée sans gouvernement. Selon la constitution, pour constituer un gouvernement, il faut la majorité non seulement à l’Assemblée, mais aussi au Sénat. Or, dans ce dernier, la prime à la majorité relative s’exerce circonscription par circonscription, ce qui n’a pas permis de dégager une majorité.

La réélection de Giorgio Napolitano (ex-PCI) à la présidence de la République, la mise sur pied d’un gouvernement d’Union nationale et la réintroduction du PdL de Berlusconi dans le jeu politique d’où il avait été chassé en 2011, ont débloqué la situation. Le numéro 2 du Parti démocrate (le parti bourgeois fondé par les anciens staliniens), Enrico Letta (ex-DC), a présenté, samedi 27 avril 2013, la composition de son gouvernement de coalition auquel participe le Peuple de la liberté (PDL), le parti de Berlusconi, soulignant que ce « gouvernement politique » est « le seul possible » pour sortir l’Italie de l’impasse politique.

Dans la classe dominante, l’aspiration à un État fort, moins parlementaire, grandit. Le nouveau président du conseil a affirmé :

Nous devons nous engager solennellement à faire en sorte que la consultation parlementaire des 24 et 25 février soit la dernière organisée en vertu de la loi électorale actuelle.

Il essaie depuis d’utiliser le mécontentement manifesté aux élections pour gagner des marges de manœuvre face à la Commission européenne et au gouvernement allemand.

Les convulsions politiques de l’Italie soulignent le besoin pour Mme Merkel d’adapter son traitement. Jusqu’à présent, c’était beaucoup d’austérité et un peu de réformes ; cela devrait être un peu d’austérité et beaucoup de réformes. (The Economist, 2 mars 2013)

Letta s’engage dans les « réformes » : « la réduction de la pression fiscale sans endettement sera un objectif permanent de ce gouvernement dans tous les domaines », c’est-à-dire que les impôts vont encore baisser pour les patrons. Certains capitalistes, et non des moindres, tracent la voie du gouvernement du PD.

Le patronat contre les « rigidités du marché du travail »

Alors que le patronat n’a cessé d’être subventionné pour faciliter la mise en chômage technique (« cassa integrazione »), une fraction, sous l’égide de Sergio Marchionne, le patron de Fiat estime que les attaques des gouvernements sont lentes et insuffisantes.

En 2010, Marchionne, organise un référendum dans l’usine Fiat de Pomigliano, près de Naples : soit les travailleurs acceptent une augmentation de 120 heures  par an, une diminution des temps de pause, une révision à la baisse de leur droit de grève ; soit l’usine est délocalisée. Seule la FIOM-CGIL proteste. Une majorité de salariés plie. Fort de son succès, Marchionne décide de réitérer le même chantage à Mirafiori, l’usine historique de Fiat à Turin. Seule la FIOM-CGIL s’oppose. Une courte majorité, obtenue par le vote des cadres, vote « oui ».

Le site pourra tourner 24 h sur 24, jusqu’à six jours par semaine. Le temps des pauses sera réduit et le nombre d’heures supplémentaires sera triplé. L’absentéisme anormal ou de grève entraînera des sanctions… Le groupe peut désormais appliquer ces règles et faire sortir l’usine et ses salariés de la convention collective de la métallurgie en Italie. Un tournant historique pour l’industrie italienne. Sans compter que le principal syndicat du pays qui a refusé de signer l’accord ne sera plus représenté dans l’usine. (L’Usine Nouvelle, 20 janvier 2011)

Les bureaucraties syndicales, complices des régressions sociales

En mai 2011, le carrossier Bertone (filiale de Fiat située près de Turin) organise un troisième référendum. Cette fois, les responsables FIOM-CGIL de l’usine appellent à voter oui.

Le 28 juin 2011, l’UIL, la CGIL, la CISL signent un « pacte national pour l’emploi » c’est-à-dire à un accord interprofessionnel sur les mêmes bases qu’à Fiat. Cet accord supplante les contrats nationaux existants, comprend un triplement des heures supplémentaires obligatoires, et supprime des droits élémentaires –comme le droit de faire grève indépendamment d’un syndicat, ou de sélectionner les représentants syndicaux indépendamment de la bureaucratie syndicale.

En février 2012, toutes les confédérations acceptent de discuter du plan de Prodi-Fornero. Ensuite,  toutes les confédérations participent aux discussions sur le pacte de productivité. Susanna Camusso, la secrétaire générale, se prononce en sa faveur, mais la résistance monte dans la CGIL et la contraint à ne pas signer.

Après soixante-dix jours de discussions, les organisations syndicales et patronales sont parvenues, mercredi 21 novembre, à un accord pour « la croissance de la productivité et de la compétitivité ». Désormais, des accords d’entreprise ou territoriaux pourront se substituer aux accords de branche (conventions collectives), qui régissaient jusqu’ici les relations sociales transalpines en matière d’horaires, de salaires et de définition des postes de travail. (Le Monde, 22 novembre 2011)

Il est urgent de construire un parti révolutionnaire

Il n’y a aucune solution pour la classe ouvrière et la jeunesse avec le maintien du système capitaliste dans le cadre de l’Union européenne et encore moins dans un repli national.

Il faut en finir avec l’héritage pourri du stalinisme et du togliattisme qui a empoisonné la classe ouvrière italienne pendant 80 ans et avec celui des centristes qui leur ont toujours couru après.

L’avant-garde doit construire le parti ouvrier révolutionnaire, l’internationale ouvrière révolutionnaire en s’appuyant sur l’exemple historique de l’Internationale communiste fondée par Lénine et à laquelle se dévouèrent Bordiga, Gramsci et Tresso.