Russie, l’élection présidentielle de 17 mars

L’élection présidentielle russe s’est déroulée du 15 au 17 mars 2024, et a consacré un plébiscite pour Vladimir Poutine. Avec officiellement 77,5 % de participation et 88,48 % des suffrages exprimés en sa faveur, il va pouvoir enchainer, à 71 ans, un cinquième mandat à la tête de l’État durant six ans. À la suite de la réforme constitutionnelle de 2020, lui accordant la possibilité de se représenter en 2030, sa longévité au pouvoir dépassera alors celle de Staline, dans un pays où la restauration du capitalisme est opérée depuis 1991-1992. Au 21e siècle, sa bourgeoisie assure son émergence impérialiste dans le monde. Dans sa sphère d’influence, notamment par l’agression militaire de l’Ukraine, Poutine tient tête à ses concurrents impérialistes occidentaux et s’allie au puissant impérialisme chinois.

Une parodie de pluralisme

L’union nationale nécessaire à l’invasion de l’Ukraine encadrait ce scrutin et ne laissait pas entrevoir un résultat très différent. Le seul opposant connu sur le plan national, Alexeï Navalny, a été retrouvé mort à 47 ans le 16 février dans sa cellule où il purgeait 19 ans de prison. De courageuses manifestations d’hommages ont eu lieu lors de ses obsèques début mars. Mais ce meurtre et les 387 personnes arrêtées dans 39 villes de Russie pour avoir participé à ces manifestations d’après l’ONG russe OVD-Info, montrent le renforcement de la répression. Depuis l’invasion de l’Ukraine, tout opposant à la guerre est menacé à des peines sévères de prison ferme. Ainsi, les trois autres candidats bourgeois validés par le régime n’étaient là que pour donner l’apparence du respect des formalités démocratiques.

  • Nicolaï Kharitonov du KPRF (Parti communiste de la fédération de Russie) est économiste et agronome et a obtenu 4,37 % des voix,
  • Leonid Sloutski dirigeant du LDPR (Parti libéral-démocrate de Russie) est aussi professeur d’économie, a reçu 3,24 % des suffrages,
  • Vladislav Davankov, de NL (Nouvelles Personnes) est à la fois vice-président de la Douma et de la société Faberlic a capté 3,90 %.

Seul ce dernier a fait entendre une petite dissonance, expliquant qu’il voulait négocier avec l’Ukraine, disant que l’« opération militaire spéciale » ne devait pas être une question laissée « à nos enfants ». En fait, il ne faisait que rappeler que la guerre n’était pas bonne pour les affaires !

Tous sont intégrés dans l’appareil institutionnel russe comme députés de la Douma, ils n’ont donc pas eu besoin de passer le filtre du recueil de parrainages. De plus, ils partagent les positions nationalistes de Poutine, et sont tous favorables à la guerre en Ukraine.

Contrairement aux six autres candidats, dont certains opposés à la guerre en Ukraine, qui ont vu leur candidature à l’élection rejetée par la Commission électorale (CEC). Sa présidente, nommée en 2016 par Poutine, Ella Pamfilov, qui occupait déjà de hautes fonctions du temps de l’URSS, met depuis l’appareil électoral de la Russie au service de Vladimir Poutine, facilitant les fraudes et masquant les bourrages d’urne.

L’enjeu de ces élections résidait pour Poutine dans le fait d’assoir sa mainmise sur tous les rouages du système politique russe, et d’obtenir un blanc-seing, particulièrement sur la guerre en Ukraine. Il s’agissait de dépasser les résultats du précédent scrutin, quand il avait obtenu 77 %, et de réduire ses rivaux, même factices, en dessous de 10 %. Affront pour le milliardaire du Kremlin, en 2018, Groudinine présenté par le KPRF avait obtenu 12 %. Il a perdu par la suite la majorité dans les parts d’une vaste exploitation agricole, ainsi que plusieurs mandats locaux.

Des fraudes électorales massives

Tous les moyens ont été employés pour assurer des scores conformes aux attentes du pouvoir. Poutine a obtenu jusqu’à 99 % des voix en Tchétchénie, et même 85 % à Moscou, où les mouvements de contestation sont les plus forts. Le vote électronique, véritable boite noire des résultats, a été utilisé dans un tiers des régions russes. De plus, les électeurs étaient conviés à se rendre aux urnes sur une période de trois jours, dont deux étaient des jours de travail. Une disposition calculée pour faire pression sur les retraités, les fonctionnaires et les salariés d’entreprises d’État, tout autant pour renforcer la participation que pour s’accorder leurs suffrages. Aeroflot, la compagnie aérienne d’État, a été elle-même conviée par les autorités à faire voter 80 % de ses salariés. Plus grotesque, les électeurs étaient invités à des loteries.

Les candidats retenus étaient les seuls à pouvoir missionner des observateurs, et l’accès aux caméras de surveillance des bureaux de vote très restreint. Contrairement à ses engagements internationaux, le gouvernement a décidé de ne pas inviter la mission d’observation du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les seuls invités étaient des individus, le plus souvent membres de partis fascisants.

Une fraude à grande échelle a été dénoncée par des médias indépendants russes : entre 22 millions de voix selon Golos et 36 millions selon Novaïa Gazeta sur les 76 millions de participants. Des bulletins fictifs ont été transférés entre des candidats entre le dépouillement et la publication des résultats. Golos, dont le président est emprisonné, a été banni. Sa méthode, nommée Chipkine, consiste à repérer les bureaux de vote dont les résultats ont changé de manière brusque et inexpliquée entre deux scrutins. Jusqu’à présent, ces manipulations restaient limitées. Mais lors de cette présidentielle, ils sont devenus systématiques.

Le chef de l’impérialisme russe en quête de légitimité

L’élection avait été programmée pour la veille de l’anniversaire des 10 ans de l’annexion de la Crimée, le 18 mars 2014, pour pouvoir affirmer que ses choix stratégiques sont validés par la population russe et également par la bourgeoisie dont il prétend incarner les intérêts d’ensemble. Le coup d’État de Prigogine de mai 2023 a montré que les oligarques sont divisés mêmes s’ils se taisent.

La tenue du scrutin dans les territoires pris à l’Ukraine en 2014 et en 2022 devait aussi conforter l’emprise définitive de la Russie. Les résultats enregistrés à Donetsk et Saporijia sont de 95 % et 92 % en faveur du président sortant. Dans l’oblats de Belgorod, proche de l’Ukraine, ils avoisinent 97 %.

Néanmoins, la poursuite de la guerre contre l’Ukraine impose aussi une nouvelle levée de mobilisation alors que l’acceptation par la jeunesse est loin d’être acquise. Celle opérée en 2022 avait déjà provoqué de fortes mobilisations et représente un risque de déstabilisations pour le pouvoir.

La campagne électorale, durant laquelle Poutine s’est refusé à tout débat, s’est résumée pour lui à un discours de deux heures. Il a énuméré, comme un chef de gouvernement, une litanie d’objectifs chiffrés, annonçant le nombre d’autoroutes à construire, de campus universitaires à bâtir, de lignes de bus et de tramways à mettre en circulation ou de gymnases à ouvrir, mêlés avec l’ambition du développement de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies et la protection de l’environnement. S’il a rappelé l’objectif de diviser la pauvreté par deux, les masses populaires savent à quoi s’en tenir, avec l’économie de guerre et les sanctions économiques. En opposition avec un « Occident » décrit comme décadent, il prêche les « valeurs traditionnelles » selon les canons de l’Église orthodoxe : « Une famille avec de nombreux enfants doit devenir la norme », a-t-il insisté. En fait, Poutine reste préoccupé par la démographie, seules les annexions ont permis à la Russie de ne pas perdre d’habitants.

Soumis à l’inflation (+13 % en 2022, +5 % en 2023), les travailleurs russes, eux, doivent toujours se satisfaire d’un salaire moyen mensuel de 71 420 roubles (720 euros), loin des promesses du candidat de 2008 d’atteindre les 240 000 roubles en 10 ans. Quant à l’engagement de porter l’espérance de vie à 78 ans en 2030, ce ne sont pas les 150 000 morts depuis février 2022 sur le front ukrainien qui vont permettre au menteur de tenir cet engagement.

Si la classe ouvrière se lève contre la guerre coloniale, tous les espoirs sont permis. Pour y parvenir, elle a besoin d’un parti révolutionnaire renouant avec le bolchévisme. Son programme sera de transformer la guerre impérialiste en guerre civile par le retrait des troupes russes d’Ukraine avec la constitution de comités de soldats et de conseils de travailleurs (soviets). C’est ainsi que le prolétariat russe a arrêté la première guerre mondiale et chassé le Tsar. Aidé par le Parti bolchevik de Lénine et de Trotsky, les ouvriers et paysans ont fondé le premier gouvernement ouvrier et paysan en octobre 1917.

5 mai 2024