Après qu’un des personnages centraux de l’opposition monarchiste et fasciste à la République espagnole, José Carlo Sotelo, eut été assassiné le 13 juillet 1936 par des membres de la Guardia de Asalto et de la Guardia Civil, l’un des fondateurs historiques de la Falange fasciste, Onésimo Redondo, déclara avec pathos : « Dans ce sang se noie la République ».
L’assassinat de l’activiste fasciste états-unien Charlie Kirk est cyniquement instrumentalisé par les forces fascisantes et d’extrême droite d’Europe dans une campagne politique visant à avancer leur propre radicalisation et à criminaliser « la gauche ». Dans la vision de ces forces, cette « gauche » vague englobe tout, des libéraux partisans de la démocratie bourgeoise jusqu’aux communistes authentiques. Dans une manœuvre dont la grossièreté rappelle les événements d’avant la guerre civile espagnole, Kirk est non seulement stéréotypé en martyr, mais sa mort est aussi mise en scène comme un signal pour une confrontation violente avec les forces « gauchistes radicales ».
La veuve de Kirk, Erika Kirk, fournit la munition idéologique pour cette offensive dans un discours provocateur. Ses paroles, qu’elle décrivit comme un « cri de guerre » pour le mouvement mondial de son mari, sont un appel direct à la mobilisation. « Les cris que vous entendez résonneront comme un cri de guerre à travers le monde », déclara-t-elle, annonçant ainsi un nouveau chapitre dans la guerre contre « les communistes » et « les islamistes ». Ce langage du sang et de la vengeance n’est pas une rhétorique fortuite ; c’est un instrument visant à déchaîner la colère de la base réactionnaire et à la canaliser vers une violence politique organisée.
Un « mouvement du sacrifice sanglant » est né
Les partis fascisants et ultra-réactionnaires d’Europe, de l’AfD en Allemagne au Rassemblement National en France en passant par les Fratelli d’Italia en Italie, ont saisi cette occasion à bras-le corps. Au Parlement européen, le groupe ECR a demandé une minute de silence pour Kirk et l’a nommé pour le prix Sakharov de la liberté de pensée. C’est une farce grotesque : un antisémite connu, qui a diffusé des théories du complot racistes, est célébré par des forces néofascistes comme défenseur de la liberté d’expression. Leur intention est claire : pervertir les termes et établir le fascisme comme une forme légitime « d’opposition ».
Des figures dirigeantes de ces courants, comme Alice Weidel, Jordan Bardella et Giorgia Meloni, s’associent aux hommages. Elles prétendent que la mort de Kirk est le résultat d’une supposée « rhétorique déshumanisante de la gauche » qui inciterait à la violence politique. Cette affirmation est une inversion honteuse de la réalité. Ce sont leurs propres partis qui, depuis des années, créent un climat social de violence par des incitations racistes, de l’hostilité envers les étrangers et des slogans antiféministes.
L’assassinat de l’activiste états-unien Charlie Kirk est délibérément instrumentalisé par les fascistes montants britanniques autour de Tommy Robinson pour mobiliser la plus grande manifestation d’extrême droite depuis des décennies en Grande-Bretagne. Le meurtre de Kirk est utilisé comme prétexte pour légitimer et alimenter un rassemblement à Londres planifié de longue date, promu comme un « Festival de la liberté d’expression ».
Les fascistes anglais et les identitaires autrichiens unis dans le deuil
Tommy Robinson, né Stephen Yaxley-Lennon, a diffusé dans une vidéo à ses partisans la thèse selon laquelle Kirk aurait été tué par un individu, une « organisation, une entité ou le gouvernement », bien que les motifs exacts et les auteurs fussent, à ce moment, incertains et qu’un suspect n’ait été arrêté que plus tard. Cette rhétorique vise à susciter une mentalité conspirationniste et à unir les partisans dans un récit de menace provenant d’une prétendue violence « de gauche » ou « d’État ».
Le rassemblement, qui attend des intervenants des États-Unis et d’Europe, attire un large mélange de forces extrême-réactionnaires. Les participant·e·s ne sont pas recruté·e·s seulement dans les cercles fascistes traditionnels, mais aussi parmi des groupes qui se sont radicalisés dernièrement lors de protestations contre l’hébergement de demandeurs d’asile. De plus, le rassemblement est soutenu par un réseau de supporters de football et de groupes de houligans ayant également des liens avec l’English Defence League (EDL).
En Autriche, les Identitaires, qui partagent beaucoup avec Kirk, tentent de profiter de la vague. Lors d’un rassemblement devant l’Ambassade des États-Unis à Vienne, ils « pleuraient » le prédicateur de haine assassiné, qui, comme eux, tremblait devant le « Grand Remplacement » et reprenait publiquement les théories de la « Nouvelle Droite ».
Contradictions dans le camp bourgeois
Le prétendu « cri de guerre » de la veuve n’est pas un élan spontané d’émotion : il est immédiatement intégré dans la superstructure de la lutte politique de classes. Il sert de moyen idéologique pour mobiliser le mouvement réactionnaire que représentait Charlie Kirk.
Charlie Kirk n’était pas un individu aléatoire. Il était une figure clé dans la mobilisation de la jeunesse au service des intérêts de l’aile la plus réactionnaire de la bourgeoisie américaine. Son organisation, Turning Point USA, n’est pas un club de loisirs mais un instrument pour assurer l’ordre dominant. Sa rhétorique de « patriotisme » et de « l’amour miséricordieux de Dieu » n’est rien d’autre qu’une superstructure idéologique qui dissimule les intérêts matériels réels — la défense de la propriété privée et de l’impérialisme. En même temps on donne l’impression d’un prétendu prédicateur paisible des rêves MAGA. Kirk a cependant prouvé, non seulement par des paroles mais aussi par des actes, qu’il était prêt à imposer sa version du rêve fasciste américain par la violence. Lui et son « mouvement » ont participé activement à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Sa mort est immédiatement instrumentalisée par son mouvement et ses alliés pour resserrer les rangs et approfondir les contradictions politiques du système.
La violence : une pratique courante dans la politique américaine
L’attentat contre Kirk et la récente vague de fusillades dans les écoles et universités aux États-Unis sont eux-mêmes l’expression des contradictions aiguës au sein de la société américaine. Alors que le capitalisme entre dans sa plus grave crise depuis les années 1930, non seulement les bases économiques mais aussi les rapports politiques et sociaux se désintègrent. La violence n’est pas un produit du hasard mais un accompagnement inévitable de cette désintégration. Elle jaillit de l’incapacité du système à résoudre les antagonismes fondamentaux de classe, et se manifeste dans des actes individuels que l’élite politique instrumentalise à ses propres fins. En juin, dans l’État du Minnesota, la politicienne démocrate Melissa Hortman et son mari ont été abattus par un évangéliste fasciste. La montée de Trump a été accompagnée par une vague croissante de violence réactionnaire. La marche nazie meurtrière à Charlottesville en août 2017, les tirs mortels du jeune Kyle Rittenhouse, alors âgé de 17 ans, sur des manifestant·e·s d’un rassemblement Black Lives Matter en août 2020, le complot planifié par des miliciens fascistes pour l’enlèvement et l’assassinat de la gouverneure démocrate du Michigan Gretchen Whitmer la même année, l’attaque au marteau contre Paul Pelosi, le mari de la présidente de la Chambre des représentants en 2022 — tout cela contredit les lamentations des politicien·ne·s des deux grands camps aux États-Unis selon lesquelles la violence politique serait « non-américaine ». La violence n’est pas un problème isolé mais le résultat inévitable de la crise de la bourgeoisie impérialiste.
Ce processus de radicalisation montre comment un acte singulier de violence peut être utilisé comme catalyseur de mobilisation et de consolidation des forces réactionnaires. À l’instar du cas de Calvo Sotelo en Espagne, un meurtre y est instrumentalisé politiquement pour exciter la colère et transformer un électorat diffus en un mouvement de masse militant qui se consolide et se radicalise par la création d’un « martyr » et d’une rhétorique émotionnelle du sang.
Les sociaux-démocrates, les « démocrates » et les libéraux effrayés comme assistants
Cette campagne ne pourrait réussir sans la collaboration directe ou indirecte des médias bourgeois et des partis réformistes. Au lieu de démasquer les idées fascistes de Kirk et les manœuvres politiques qui les soutiennent, des journaux « libéraux » comme The Guardian et Le Monde publient des nécrologies sonores et appellent à « l’unité » et à la « tolérance ».
Keir Starmer, le dirigeant du Parti travailliste britannique, exprime sa « profonde émotion » face à la mort de Kirk et affirme que « la violence politique » n’a pas sa place. C’est de l’hypocrisie au plus haut degré. Les mêmes politicien·ne·s qui versent des larmes pour Kirk criminalisent les protestations pacifiques contre le génocide en Palestine et font arrêter des militant·e·s. Keir Starmer utilise les lois antiterroristes pour lancer la police à matraque contre des manifestant·e·s solidaires de « Palestine Action ».
La nature dialectique de ce développement est évidente. Les mensonges persistants et les provocations réactionnaires de figures comme Kirk conduisent à la polarisation. Quand les tensions ainsi produites éclatent en violence, cette violence est immédiatement instrumentalisée par la classe dirigeante et ses forces réactionnaires pour enfoncer un coin idéologique dans la société et lancer une nouvelle chasse aux sorcières contre les antifascistes et les militant·e·s du mouvement ouvrier. La classe dirigeante est prête à pactiser avec les forces fascisantes pour réprimer les tendances révolutionnaires au sein de la classe ouvrière. La violence et la provocation de figures telles que Charlie Kirk (qui, entre autres, a propagé la théorie raciste du « Grand Remplacement » et qualifié le Civil Rights Act de « gigantesque erreur ») engendrent une polarisation qui fournit à son tour la base d’une escalade. Si cette escalade prend la forme de violence politique, elle sera utilisée par la droite pour justifier et accélérer sa propre radicalisation. C’est un cycle infernal de provocation, d’escalade et d’instrumentalisation.
Crise politique de la classe dirigeante
La scission entre les ailes « démocratique » et réactionnaire exprime la profonde crise de la classe dirigeante. Comme le montre la réaction à la mort de Kirk, c’est toutefois la solidarité de classe de la bourgeoisie qui l’emporte finalement. Aux États-Unis, comme dans d’autres pays capitalistes, la classe capitaliste dirigeante est divisée sur la voie qu’elle privilégie pour défendre au mieux ses intérêts — la voie traditionnelle pacifique de la démocratie bourgeoise ou des moyens autoritaires comme en Hongrie, en Italie et de plus en plus aux États-Unis. Sur un point ils s’accordent : il faut, par tous les moyens, contenir à temps l’explosion imminente du mécontentement des masses.
L’absence d’un parti prolétarien ancré dans les masses travailleuses aux États-Unis continuera d’entraîner surtout les jeunes, dans leur indignation, vers des actes faux et finalement nuisibles. Dans un article pour la revue social-démocrate autrichienne Der Kampf, Trotsky écrivait en 1911, à propos des attentats terroristes qui se multipliaient en Europe à la veille de la Première Guerre mondiale :
« Mais bien plus profonde est la confusion que sèment les attentats terroristes dans les rangs mêmes des masses ouvrières. Si l’on atteint son but en s’arment d’un pistolet, à quoi donc la peine du combat de classes ? Si l’on peut intimider les supérieurs par le fracas d’un coup de feu, à quoi donc un parti ? » (Trotsky, 1911)
La réaction et le fascisme ne peuvent être combattus par la classe ouvrière que par une action de masse commune, politiquement et programmatiquement fondée. Cela exige un parti révolutionnaire qui, sur la base du marxisme, ait tiré les leçons des luttes passées. La lutte pour un tel parti implique aussi la propagande et la mise en œuvre de l’autodéfense des organisations ouvrières contre le terrorisme fasciste et d’État qui se profile.
Les crimes sans précédent du fascisme suscitent une soif de vengeance pleinement justifiée. Mais l’ampleur de ces crimes est si monstrueuse que cette soif ne peut être assouvie par l’assassinat d’isolés bureaucrates fascistes. Pour cela, il faut mobiliser des millions, des dizaines et des centaines de millions d’opprimés dans le monde et les mener à l’assaut des fondements de l’ancienne société. Seul le renversement de toutes les formes d’asservissement, la destruction totale du fascisme, seule l’exercice d’une justice populaire implacable contre les bandits et gangsters contemporains peuvent offrir une véritable satisfaction à l’indignation des peuples. (Trotsky, Pour Grynszpan)