Dès son investiture Trump annonçait « la plus grande opération de déportation dans l’histoire des États-Unis » baptisée Operation Shield (opération bouclier). Portée notamment par Stephen Miller, chef adjoint de cabinet de la Maison-Blanche, cette attaque contre les populations sans-papiers est durcie à la mi-mai dans l’Operation at Large (opération à grande échelle) qui prévoit de transférer 5 000 agents fédéraux, de la justice, du FBI, de l’agence antidrogue et de la protection des frontières à ces rafles, ainsi que 21 000 gardes nationaux supplémentaires.
Selon le Département fédéral de la sécurité intérieure (DHS), durant les 3 premiers mois de la seconde présidence de Trump, environ 600 personnes étaient arrêtées chaque jour par l’ICE, mais la Maison-Blanche a fixé courant mai l’objectif de 3 000 arrestations quotidiennes.
Une chasse à l’étranger qui s’amplifie
Parmi les décrets signés par Trump après son élection, beaucoup sont liés à la répression de l’immigration « illégale ». L’ICE (Service de l’immigration et des douanes des États-Unis) s’est vu gratifié du droit de rafler dans les écoles, les églises, les refuges ou les hôpitaux. Les millions d’immigrés sans papiers vivant aux États-Unis ont obligation de s’enregistrer et de fournir leurs empreintes digitales, les contrevenants ajoutant aux risques d’expulsion le risque de poursuites pénales. Même des enfants, des malades de cancer en cours de traitement sont expulsés.
Les victimes sont sans possibilité de défense et détenus loin de leurs domiciles. Les avocats spécialisés en droit de l’immigration sont « systématiquement privés d’accès à ces personnes ». Des sans-papiers sont envoyés au camp de Guantanamo (Cuba) ou au CECOT du Salvador, la plus grande prison du continent, les deux réputés pour les tortures et les traitements inhumains. Le pays de destination n’a souvent rien à voir avec celui d’origine. Les expulsions vers des pays en guerre ne sont plus un frein. Les militants syndicaux, associatifs et politiques sont particulièrement ciblés et les membres d’associations d’aide aux migrants sont poursuivis.
Ce matin, dans l’ouest de l’État de New York, des agents fédéraux de l’immigration ont intercepté un bus transportant des ouvriers agricoles de Lynn-Ette & Sons Farms. Ils avaient une liste de noms, dont ceux de dirigeants ouvriers de l’UFW qui s’organisent pour syndiquer leur entreprise. Ces ouvriers ont été arrêtés. (UFW, Union des travailleurs agricoles, 2 mai 2025)
La DHS fait état de 2 267 arrestations pour la seule journée du 3 juin et 2 368 le lendemain. L’administration Trump prétend que ces arrestations visent des criminels, ce qui est démenti par les associations de défense des droits des immigrés qui précisent qu’elles visent des personnes sans casier judiciaire.
Ces raids constituent un changement frappant de la part de l’administration par rapport aux déclarations de campagne de Trump selon lesquelles ses plans d’expulsion massive se concentreraient sur les criminels immigrés violents. (NBC, 10 juin 2025)
L’ICE utilise tous les mensonges et les subterfuges pour piéger les étrangers, bien aidé en cela par l’obligation de s’enregistrer.
L’homme, qui a été arrêté vendredi chez Ambiance Apparel à Los Angeles, a déclaré à ses parents qu’il pensait avoir signé un formulaire de consentement à un test de coronavirus, mais qu’il avait peut-être accidentellement signé son expulsion. (The Guardian, 10 juin 2025)
Même si la justice ne les a pas inquiétés, les demandeurs d’asile et ceux sous protection juridique sont également raflés.
Si les rafles du début de mandat ont d’abord concerné les lieux de vie comme les parcs, ont suivi les arrestations massives sur les lieux de travail. Souvent sans consentement des patrons qui, jouissant de la précarité des immigrants pour faire pression sur les salaires, goutent assez peu l’intrusion des forces armées sans mandat sur les lieux d’exploitation.
L’alarme s’est répandue dans les centres agricoles de Californie mardi, alors que des travailleurs paniqués ont signalé que les autorités fédérales de l’immigration – qui s’étaient largement abstenues de toute action coercitive majeure dans les communautés agricoles au cours des premiers mois de l’administration Trump – se présentaient dans les champs agricoles et les usines de conditionnement de la côte centrale à la vallée de San Joaquin. (Los Angeles Times, 10 juin 2025)
Une résistance spontanée
Le 30 mai, l’ICE fait une descente dans un restaurant (Buona Forchetta) du centre-ville de San Diego (Californie) pour embarquer 19 travailleurs sans papier, une foule s’est spontanément massée autour du véhicule pour l’empêcher de partir. Les manifestants traitent les policiers de fascistes.
Le samedi 31 mai, à Milford (Connecticut), un lycéen de 18 ans, Marcelo Gomes Da Silva, est arrêté par la police de l’immigration en se rendant à son entrainement de sport. Il a été placé en centre de détention. Des centaines de lycéens de son établissement manifestent le lundi pour réclamer sa libération, obtenue le jeudi 5 contre une caution.
Le mercredi 4 juin, à Chicago (Illinois), une dizaine d’étrangers sont contactés par les services de l’immigration qui leur fixe un rendez-vous de routine. À leur arrivée, ils sont cueillis par des agents de l’ICE suppléés par les forces de police de la ville, en violation de la loi qui interdit à une police locale de collaborer avec l’ICE dans l’arrestation de migrants. L’association OCAD (Organized Communities Against Deportations) alerte sur la situation et des élus et des manifestants se rendent sur place. Le rassemblement vire à l’affrontement.
Le même jour au matin, des agents de l’ICE lourdement armés débarquent avec des véhicules blindés et arrêtent des dizaines de travailleurs d’Ambiance Apparel (un grossiste en vêtements) et sur les parkings de deux Home Depots (mobilier de maison) dans le centre-ville de Los Angeles (Californie). Ces travailleurs, principalement d’origine mexicaine et sud-coréenne, s’y rendent pour être embauchés à la journée.
Des associations d’aide aux migrants et des habitants tentent alors de s’opposer à ces rafles, notamment en bloquant le départ des véhicules. L’ICE fait usage de grenades fumigènes et assourdissantes, les manifestants convergent ensuite vers le centre-ville, au centre de détention où 200 personnes sont visées par une procédure d’expulsion accélérée. Une centaine d’arrestations ont lieu ce seul jour.
Dès le lendemain, des policiers de l’ICE sont aperçus devant un autre Home Depot au sud-est de la mégapole. La nouvelle est vite relayée, associations et habitants de ces quartiers à majorité immigrée se rassemblent sur les lieux empêchant la descente de l’ICE. Plusieurs manifestations se déroulent à Los Angeles et dans ses environs. Face aux lacrymo et aux balles en caoutchouc, les jeunes principalement noirs et latinos dressent des barricades de fortune et s’arment de pierres et de bouteilles. Les affrontements s’étendent aux villes voisines, Compton, Long Beach, Inglewood. Trump annonce l’envoi de 2 000 soldats de la Garde nationale, en temps normal responsabilité du gouverneur de l’État mais une disposition du code des services armés (titre 10) permet au président d’outrepasser le gouverneur en cas de « rébellion ou risque de rébellion contre l’autorité du gouvernement des États-Unis ».
Le dimanche 8 juin, la Garde nationale protège les locaux de l’ICE dans la ville. Des affrontements ont lieu dans plusieurs quartiers et même sur une autoroute. En attendant le déploiement du reste des gardes nationaux, 700 marines sont envoyées en renfort, et Trump menace d’utiliser la loi de 1807 sur l’insurrection qui lui octroierait des pouvoirs étendus permettant de décréter des couvre-feux, l’interdiction des manifestations, d’instaurer la loi martiale et d’envoyer l’armée.
Los Angeles, la seconde ville du pays, et la Californie, l’État le plus peuplé où vit la plus grande communauté latino du pays, cristallisent l’attention, mais les manifestations contre les rafles ont lieu dans tout le pays. À Spokane, une ville de 230 000 habitants (Washington), un couvre-feu est décrété à compter du 11.
Le mouvement No Kings (Pas de rois) appelle partout à protester le 14 juin, date à laquelle le président organise un défilé militaire, officiellement pour le « jour du drapeau » mais également pour son anniversaire.
L’obstacle du Parti démocrate et des directions syndicales
David Huerta, président du SEIU (Union internationale des employés de service) de Californie qui agissait en tant qu’observateur communautaire pendant une des descentes de l’ICE du 6 juin est arrêté pour entrave. Le SEIU appelle à des rassemblements le 9 juin à Washington devant le ministère de la justice, mais aussi à Atlanta, Boston, Charlotte, Chicago, Denver, Harrisburg, Philadelphie, Pittsburgh, Portland, Raleigh-Durham, Sacramento, San Francisco, Seattle et St Paul, Minnesota. La confédération AFL-CIO réclame sa libération. Il est relâché le même jour contre une caution de 50 000 dollars (plus de 43 000 euros) et reste inculpé pour « complot visant à entraver l’action d’un agent de la force publique ». Mais les bureaucraties pressent pour maintenir les contestataires dans le carcan des élections et du bipartisme bourgeois.
Nous n’allons pas nous contenter de cela… Il y a toujours une prochaine élection, alors nous allons faire payer tout le monde dans l’isoloir au moment des élections. (Jaime Contreras, vice-président exécutif du SEIU 32BJ, section BTP du SEIU, The Guardian, 9 juin)
Même son de cloche à la direction des syndicats agricoles, alors qu’au moins la moitié des 255 700 du secteur sont sans papiers.
Nous ne pouvons pas rester les bras croisés pendant que nos voisins sont terrorisés, emprisonnés ou expulsés sans procédure régulière. Nous ripostons devant les tribunaux, mais nous devons voir davantage d’actions concrètes. Agissez dès maintenant et envoyez un message à vos membres du Congrès pour exiger qu’ils protègent les communautés immigrées, notamment les ouvriers agricoles qui travaillent déjà si dur pour nourrir les Américains. (UFW – Union des travailleurs agricoles, 24 avril 2025)
Comme à chaque échéance sociale et politique, les sociaux-démocrates répandent des illusions dans un État fort peu démocratique et dans la fausse alternative que constituerait le Parti démocrate.
Il poursuit en justice les médias qui le critiquent. Il s’en prend aux cabinets d’avocats dont les clients étaient contre lui. Il s’en prend aux universités qui dispensent des cours qu’il n’apprécie pas. Il menace de destituer les juges qui statuent contre lui. Et il usurpe les pouvoirs du Congrès américain. Cet homme veut tout le pouvoir. Il ne croit pas à la Constitution. Il ne croit pas à l’État de droit. (Bernie Sanders, CNN, 8 juin 2025)
En fait, le Parti démocrate prend grand soin de faire respecter l’ordre capitaliste. Si le gouverneur de Californie, Gavin Newson, et la maire Karen Bass, tous deux démocrates dénoncent Trump, le premier fustige « les anarchistes et fauteurs de troubles » et la seconde impose le 10 juin un couvre-feu.
Contre la montée de la barbarie et le régime policier, il faut :
- imposer la libération des sans-papiers, la levée toute inculpation pour eux et leurs soutiens ;
- déclencher la grève de tout établissement, de toute entreprise, de toute branche d’activité visée par la division raciste et les brutalités policières ;
- organiser l’autodéfense à partir des syndicats et des communautés d’opprimés, dans les entreprises, les quartiers, les lieux d’études ;
- réclamer la régularisation des travailleurs et étudiants sans papiers, l’égalité des droits pour tous les travailleurs ;
- combattre la soumission des bureaucrates syndicaux aux deux partis bourgeois, tant celui qui envoie la Garde nationale que celui qui envoie la police locale imposer le couvre-feu ;
- exiger la suppression de l’ICE, la fermeture de la base militaire à Cuba (et de son centre de torture).
Bien sûr, tant que la bourgeoisie dirigera, que le président soit « démocrate » ou « républicain », les immigrés serviront à la fois de boucs émissaires et de travailleurs surexploités. Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la monarchie présidentielle, le racisme et la violence policière, il faut renverser le capitalisme. Pour renverser le capitalisme, il faut l’unité des travailleurs, natifs et immigrés, un parti ouvrier révolutionnaire.