Défaite de l’impérialisme… Le GRP à Saigon
Au moment où cet article est écrit, les troupes du Nord-Vietnam et du GRP entrent à Saigon. La présidence du général Minh, représentant de la soi-disant « troisième composante », n’aura été que très provisoire. Il a accepté la capitulation militaire sans conditions que le gouvernement de Hanoi et le GRP ont finalement exigée. Visiblement, il a assuré l’intérim de « l’autorité » entre le départ de Thieu et l’arrivée du GRP. Il y a eu transmission de pouvoir afin d’éviter au maximum le vide politique.
Cette guerre, révolutionnaire et juste du côté des masses du Vietnam et d’Indochine, se termine par une très dure défaite de l’impérialisme, de l’impérialisme américain en particulier. Les gouvernements compradors du Cambodge et du Sud-Vietnam ont été écrasés, liquidés. Leurs armées, leurs administrations, leurs « États » se sont totalement désagrégés. Rien n’a pu les sauver. Sous une forme déterminée, la révolution prolétarienne mondiale a remporté une victoire au Vietnam et en Indochine.
Mais à l’heure actuelle, tout n’est pas encore dit à Saigon. Le gouvernement de Hanoi et le GRP, après avoir exigé la transmission du pouvoir et la capitulation militaire va-t-il s’ouvrir à des ministres représentant la soi-disant « troisième composante » ? Malgré le désastre total des gouvernements compradores, la pression de l’impérialisme américain se manifeste encore par la présence de la VII° flotte au large des côtes sud-vietnamiennes, et surtout la pression du Kremlin et de Pékin continue à s’exercer sur le GRP et le gouvernement de Hanoi.
Le programme du FNL n’a pas été déclaré caduc. Or il garantit la propriété privée des moyens de production et, de ce seul fait, la division du Vietnam en deux. Déjà, sous la pression du Kremlin et de Pékin et au nom de la politique de coexistence pacifique, d’union nationale, furent signés en 1954 les accords de Genève et, il y a deux ans, les accords de Paris. Le peuple vietnamien et les peuples d’Indochine ont payé d’un prix effroyable la signature des accords de Genève en 1954 et ceux de Paris en janvier 1973, comme ils avaient déjà payé terriblement cher les accords de Fontainebleau d’août 1946 et la politique d’intégration à l’Union française que Ho Chi Minh et le Vietnam pratiquèrent jusqu’en 1947-1949.
Les millions de morts de cette guerre de trente ans, les incommensurables sacrifices des peuples du Vietnam et d’Indochine, les terribles destructions, les plaies et innombrables séquelles exigent impérieusement que le principe des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes soit pleinement et totalement appliqué au Vietnam et en Indochine. Les masses de ces pays reconnaissent dans le GRP, le gouvernement de Hanoi, le FNL et le Parti des travailleurs vietnamiens leur direction politique, mais elles veulent en finir avec la bourgeoisie compradore, les propriétaires fonciers, elles veulent l’unité du Vietnam et de l’Indochine.
Les régimes bourgeois compradores du Sud-Vietnam et du Cambodge se sont effondrés. Les classes exploiteuses de toutes ces régions d’Indochine sont socialement et politiquement décomposées. Un vide politique et social béant est ouvert, quelle que soit la précaution prise de la transmission du pouvoir à Saigon. Les masses, au Cambodge et au Vietnam du Sud respecteront-elles la propriété privée des moyens de production et de la terre ? Sera-t-il possible de leur imposer la présence politique, au gouvernement et dans le pays, de leurs bourreaux d’hier, et de maintenir la division du pays ? Au niveau le plus élevé du FNL, du Parti des travailleurs vietnamiens, du gouvernement de Saigon et du GRP, ces aspirations des masses trouveront une expression parmi les cadres dirigeants. Il est impossible qu’elles puissent être étouffées. Les dirigeants du FNL et du Parti des travailleurs vietnamiens ont déjà été contraints, à de nombreuses reprises, d’aller plus loin qu’ils ne le voulaient sur la voie de la rupture avec l’impérialisme et la bourgeoisie. Ils ont dû, notamment, passer finalement outre aux « accords de Paris ». Le GRP et le FNL sont entrés à Saigon et y assurent le pouvoir. Ils seront obligés, compte tenu de la situation, d’abandonner en pratique le programme du FNL et de s’engager politiquement beaucoup plus loin que celui-ci ne le prévoyait. À cela se mesure la victoire de la révolution prolétarienne.
« D’excellents accords » … ils n’en moururent pas tous
En dernière analyse, les accords de Paris de 1973 n’ont pu empêcher l’irrémédiable défaite du gouvernement comprador de l’impérialisme américain. Certains, pablistes, staliniens et autres, ont affirmé qu’il était donc juste et nécessaire de soutenir la conclusion de ces accords. Encore ces dernières semaines, le spécialiste maison, Pierre Rousset, écrivait dans Rouge qu’il fallait exiger l’application des accords de Paris. Ce raisonnement revient à tout confondre, la maladie et sa guérison. À ce compte, il faudrait dire que les accords de Fontainebleau d’août 1946, qui subordonnaient le Vietnam à « l’Union française » ont été une bonne chose puisqu’en fin de compte ils n’ont pu empêcher Dien Bien Phu et que, d’une certaine mesure, ils y ont même abouti. Les accords de Genève auraient été également une bonne chose. Ils organisaient la partition du Viêt-Nam, à la hauteur du 17 » parallèle, le retrait du Vietminh au Nord de cette ligne, retrait militaire et politique. Mais à l’issue d’une nouvelle guerre révolutionnaire, les troupes du GRP et de la RDVN sont entrées, le 30 avril 1975, à Saigon. Donc, la conclusion étant impliquée dans les prémisses : c’est grâce aux accords de Genève.
Que les dirigeants du peuple vietnamien aient été contraints de signer de semblables accords, s’ils n’avaient pas les moyens politiques et militaires de s’y opposer, se discute et peut se justifier. Lénine et Trotsky ont bien été contraints de signer, en 1918, le traité de Brest-Litovsk qui cédait l’Ukraine à l’Allemagne. Il faut pourtant se rappeler que Ho Chi Minh acceptait, en 1945-1946, le cadre de l’Union française, conformément à la politique du Kremlin ; que lui, Ho Chi Minh, acceptait le partage du monde en zones d’influence et la défense du système impérialiste mondial. C’est l’impérialisme français qui a contraint le Vietminh et Ho Chi Minh au combat, en prenant l’offensive politiquement et militairement, en bombardant Haiphong le 19 décembre 1946 et en occupant ensuite à Hanoi le siège du gouvernement de la république du Vietnam.
Le Vietminh dirigeait alors la guerre révolutionnaire du peuple vietnamien. À partir de 1949, sous l’effet de la révolution chinoise victorieuse, le Vietminh reprenait l’initiative politique et militaire. En 1954, c’était Dien Bien Phu. Ensuite, le gouvernement de la RDVN et le Parti des travailleurs vietnamiens se sont pour le moins accommodés de la partition du Vietnam. La décomposition sociale et politique des classes possédantes au Sud, du gouvernement de Ngo Dinh Diem, ont suscité et nourri sur place les premiers mouvements de la nouvelle guerre révolutionnaire. La situation politique qui se créait et l’intervention directe des troupes américaines ont amené Hanoi à s’engager et à commencer à intervenir militairement en 1960. Il n’y a pas lieu, pour autant, de célébrer ainsi qu’une grande victoire, les accords de Genève qui frustraient les masses vietnamiennes de leur victoire de 1954 et leur imposaient une nouvelle guerre révolutionnaire de plus de quinze ans.
Les défenseurs des accords de Genève affirment : Ces accords prévoyaient des « élections libres dans les deux ans » ; si cette clause avait été appliquée, tout se serait passé différemment. Dès 1954, chacun savait que c’était là une pure et simple fioriture diplomatique. Le fait essentiel, déterminant, était : la partition du Vietnam, le retrait du Vietnam du Nord, la concentration de l’armée française au Sud, l’établissement au Sud d’une structure gouvernementale et étatique compradore entièrement sous le contrôle de l’impérialisme américain relayant l’impérialisme français.
Les accords de Paris en échec
Les accords de Paris de 1973 doivent être considérés sous le même angle. Ils consacraient la renonciation de l’impérialisme américain à sa stratégie antérieure des années soixante qui conjuguait l’intervention américaine au Vietnam, plus de 550 000 soldats au Sud et la guerre aérienne au Nord, à la préparation de la guerre contre la Chine. À ce propos, il faut détruire une légende, car elle a de redoutables et multiples implications politiques : il est faux que l’impérialisme US ait été battu militairement au Vietnam. Après l’offensive du Têt de 1968, les forces américaines ont contrôlé militairement l’ensemble du Sud ; les troupes US étaient pour ainsi dire plaquées sans racines sur le sol vietnamien, bien que le FNL ait subi une terrible saignée.
Mais la situation politique mondiale et celle aux USA étaient telles que, politiquement, préparer la guerre contre la Chine devenait une folie. Il aurait fallu que le prolétariat des principaux pays capitalistes d’Europe soit écrasé, que le régime du talon de fer soit institué aux USA, que la bourgeoisie américaine et toutes les bourgeoisies des grandes puissances impérialistes soient étroitement soumises et disciplinées.
Avant la grève générale de mai-juin 1968 en France et le processus de révolution politique en Tchécoslovaquie, ces conditions étaient à établir. L’impérialisme US pouvait peut-être espérer qu’elles le seraient au cours de la préparation de cette guerre. Tout au contraire, en 1968, une nouvelle période révolutionnaire s’est ouverte en Europe. La coalition impérialiste était déchirée de contradictions. Les rapports sociaux et politiques aux USA étaient extrêmement instables. On était loin de l’État et du gouvernement forts. Dès lors, l’impérialisme américain a dû réorienter sa stratégie mondiale. Il a noué une nouvelle Sainte Alliance contre-révolutionnaire pour faire face à la révolution montante en Europe et dans le monde. La bureaucratie du Kremlin est toujours disponible pour ce genre d’accord. Celle de Pékin se révélera tout aussi disponible. Ce sera le voyage de Nixon à Pékin et ensuite à Moscou. Nixon ne pouvait plus maintenir d’importants contingents au Vietnam. Il s’orientera vers la « vietnamisation ».
L’impérialisme US pouvait compter sur Pékin et Moscou pour imposer au gouvernement de Hanoi et du FNL une « solution » qui respecte ses intérêts. Le programme du FNL permet les ouvertures politiques allant dans ce sens. Ce furent les accords de Paris de janvier 1973.
Tout comme pour les accords de Genève, on peut trouver dans ces accords tel ou tel paragraphe qui, isolé du contexte, peut faire prendre des vessies pour des lanternes. La réalité politique concrète était que l’armée américaine se retirait du Vietnam mais que le gouvernement et l’administration de Thieu étaient reconnus ainsi que ceux du Vietnam du Sud. Les centaines de milliers de prisonniers politiques restaient dans leurs geôles. La constitution d’un « gouvernement à trois composantes » cher au GRP était renvoyée aux calendes.
Le cessez-le-feu intervenait alors que le FNL n’occupait aucune ville importante (pas un chef-lieu de province) et qu’il était repoussé dans des campagnes plus ou moins désertiques. Les USA fournissaient à l’armée du Sud-Vietnam un fantastique arsenal. Des milliers de « conseillers » américains restaient. La puissance de feu de l’armée sud-vietnamienne était une des plus fortes du monde, son aviation la quatrième du monde.
En réalité, les accords de Paris ont mis en place un dispositif politico-militaire qui n’avait d’autre but que de broyer le FNL et le GRP. Les accords de Paris à peine signés, Thieu s’est employé à réaliser le plan que contenait en pratique ces accords Partout, l’armée sud-vietnamienne a attaqué les partisans du FNL, en même temps que la terreur policière s’étendait et se renforçait. Seul le soutien du Nord au FNL lui a permis de tenir au cours de la première année qui a suivi la conclusion des accords de Paris. Le prix sanglant des accords de Paris, ce sont des centaines de milliers de morts supplémentaires au cours des deux années qui ont suivi leur signature, un nouveau cortège de souffrances inouïes que subirent les Vietnamiens du Sud, et aussi du Nord au cours des bombardements US. De quoi « réjouir » Pierre Rousset… Et puis c’est l’effondrement.
Effondrement de l’appareil compradore
Toute la presse en convient : il n’y a pas eu d’offensive d’importance comparable, par exemple, à celle du Têt en 1968 ou à celle du printemps de 1972. La RDVN n’a pas envoyé d’importantes troupes puissamment armées au Sud en ce début d’année 1975. Ainsi la presse a rapporté que le premier chef-lieu de province occupé sur les hauts plateaux l’a été par 1 500 maquisards descendus des montagnes, très mal armés, qui ont mis en fuite 15 000 soldats de l’armée de Thieu, armés jusqu’aux dents. Thieu a donné l’ordre, alors, d’abandonner les hauts plateaux pour regrouper ses forces. Ce fut la débandade pratiquement sans combat.
Le régime Thieu (ainsi que celui de Lon Nol au Cambodge) s’est littéralement effondré sur lui-même, pourri de l’intérieur. Cela rappelle, en pire, l’effondrement de Tchang Kaï Tcheck en Chine, en 1947-1949. Les troupes, les officiers, ont abandonné sur place, sans combat, armes et bagages. L’administration, l’armée, se sont dissoutes. L’armée du Nord et du GRP a récupéré des centaines de millions de dollars d’armes, d’équipements militaires les plus modernes intacts et jusqu’à des centaines d’avions en état de vol, abandonnés sur les champs d’aviation. Désormais, l’armée du Nord-Vietnam et du GRP dispose d’un armement considérable et moderne qu’elle n’a jamais eu auparavant.
Manifestement, le gouvernement de la RDVN, le FNL, le GRP ont été surpris de cette victoire, sans offensive réelle, sans combats d’envergure, et cela leur pose des problèmes qui les embarrassent. Alors que les troupes du Nord et du FNL étaient à quelques portées de canon de Saigon, ils affirmaient encore qu’ils voulaient l’application des accords de Paris. Au nom de ces accords, ils demandaient à Saigon de réaliser les conditions de la constitution « d’un gouvernement à trois composantes », dernière formule qui pouvait sauver ce qui n’était plus déjà qu’un tragique souvenir : le maintien d’un pouvoir et d’un gouvernement faisant place aux représentants de la bourgeoisie compradore. Tout s’effondrait, ce n’était déjà plus possible. Et alors que Pierre Rousset, toujours au nom des accords de Paris, réclamait encore la constitution « d’un gouvernement à trois composantes » l’effondrement du gouvernement et de l’État compradores aboutissait à la réalisation des aspirations des masses : le GRP à Saigon, à la victoire sous une forme donnée de la révolution prolétarienne.
C’est une terrible défaite de l’impérialisme américain, de l’impérialisme en général, et, au-delà, de la politique de coexistence pacifique, de la Sainte Alliance contre-révolutionnaire. L’impérialisme américain, obligé de modifier sa stratégie et de se retirer militairement du Vietnam, subissait déjà un dur échec. Mais la politique de coexistence pacifique le limitait, en imposant au peuple vietnamien les accords de Paris. L’effondrement du gouvernement et de l’État compradores du Sud-Vietnam, et de ceux du Cambodge, est une catastrophe. Pendant vingt-cinq ans, l’impérialisme américain s’est acharné à maintenir sa présence en Indochine : il a fait de son maintien au Vietnam une question centrale de sa politique mondiale. Depuis plus de vingt ans, il s’est engagé directement, et il est balayé. La plus grande puissance impérialiste du monde est défaite sur un terrain qu’elle considérait déterminant. Plus encore, la Sainte Alliance contre-révolutionnaire n’est pas parvenue à le garantir, à empêcher cette défaite et la victoire des ouvriers et des paysans du Vietnam et d’Indochine.
La façon dont cette défaite s’est produite et les raisons profondes qui en sont la cause sont tout aussi importantes. Jamais l’impérialisme n’est parvenu à structurer un État réel, implanté dans le sol national du Vietnam (et dans les pays d’Indochine). L’impérialisme français n’y est pas parvenu. Le gouvernement et l’administration de Bao Daï n’étaient que des fantômes. Après les accords de Genève de 1954, au Sud, le gouvernement et l’État de Ngo Dhin Diem ont eu raison, grâce au soutien des Américains, des bandes pillardes de Hao-Hao, des Bixuens, des Caodaïstes, des bouddhistes ; mais l’armée, la police, l’administration de Diem ne formaient pas un État. Elles ne le cédaient en rien aux bandes de pillards qu’elles éliminaient.
Ce qu’a tenté l’impérialisme américain
Les coups d’État des années 1963 à 1965, au cours desquels Diem a été renversé et où Thieu a accédé au pouvoir, la nécessité de l’intervention américaine étant donné la décomposition des forces de Diem et de Thieu confrontées à une guerre révolutionnaire qui se rallumait, mais que les combattants du FNL menaient avec des moyens dérisoires, démontraient qu’il n’y avait pas d’État sud-vietnamien. Par contre, lorsque les armées américaines eurent pris le contrôle militaire du Vietnam en 1968, constitué et armé une armée sud-vietnamienne apparemment puissante, l’illusion de la constitution d’un État sud-vietnamien fort naîtra. Pourtant, des signes importants démontraient le peu d’efficacité et de solidité de l’administration, de l’armée, de l’État et du gouvernement compradores de Thieu.
Tout en procédant à la réduction des forces armées américaines, après avoir cessé les bombardements du Nord et engagé des négociations, ayant le contrôle militaire du Sud-Vietnam, Nixon a voulu acculer le Nord. La CIA a organisé au mois de mars 1970 un coup d’État au Cambodge. Il s’agissait d’attaquer et de chasser du Cambodge les troupes du Nord-Vietnam qui y stationnaient et y circulaient en direction du Sud-Vietnam. Une opération militaire conjointe, armée américaine, armée sud-vietnamienne, fut montée. Les résultats furent médiocres, bien que la voie fluviale du Mékong ait été dégagée. Après que les troupes américaines aient été retirées du Cambodge en juin 1970, les opérations sud-vietnamiennes échouèrent. Poursuivant toujours le même but, l’impérialisme US lança les troupes d’élite du Sud-Vietnam, en février 1970, au Laos et au Cambodge, dans le but de couper la « piste Ho Chi Minh ». Aux premiers engagements sérieux, les « troupes d’élite », étaient mises en déroute et ne durent leur salut qu’à l’intervention de l’aviation américaine.
En mars 1972, après le voyage de Nixon à Pékin et avant son voyage à Moscou, le FNL et l’armée du Nord ont déclenché leur première offensive puissante depuis celle du Têt en 1968. L’armée de terre américaine n’intervenant plus dans les combats, les troupes au sol sud-vietnamiennes ont eu à faire face toutes seules. Une fois encore, elles ont été mises en déroute. L’aviation américaine intervint alors avec une telle puissance qu’elle obligea les troupes du Nord et du FNL à renoncer à atteindre les objectifs de leur offensive : Hué, Kontum, Pleiku, An Loc. Elles durent reculer et évacuer Quang Tri, seule ville qu’elles avaient réussi à prendre. « La Vérité » écrivait en septembre 1973, en commentant les accords de Paris :
« Bien que le FNL et le GRP soient dans une situation très difficile, rien n’est encore stabilisé sérieusement. Le gouvernement Thieu est corrompu, son administration et son armée sont pourries et incapables. Les masses tout entières lui sont hostiles. Il n’est pas impossible qu’il se désagrège purement et simplement. »
Le FNL, la RDVN ne pouvaient abandonner le Sud-Vietnam purement et simplement à Thieu. Ils n’ont pourtant mené aucune grande offensive. Ils ont seulement résisté aux attaques de Thieu. La haine des masses n’a cessé de grandir contre Thieu. Thieu et son gouvernement n’aboutissaient pas. La situation économique devenait catastrophique. La corruption, la démoralisation, l’incompétence gagnaient… gagnaient sans cesse plus profondément. Cela a suffi pour que se décompose l’administration et la « formidable » (sur le papier) armée de Thieu.
Après quatre-vingts ans de colonialisme, trente ans de guerre révolutionnaire, il a été impossible, malgré les énormes moyens que l’impérialisme américain a mis en œuvre, de construire un État bourgeois au Sud ayant des fondations sur le sol national. La simple présence de l’État ouvrier du Nord-Vietnam, si déformé soit-il, minait toute base déjà extrêmement faible. L’appareil constitué à grands renforts de dollars a pourri sur lui-même et s’est effondré subitement ainsi qu’une vieille bâtisse, sous son propre poids, sous l’impact d’une très faible secousse. La Sainte Alliance contre-révolutionnaire n’a pu le sauver.
D’énormes conséquences en résultent. Au Vietnam et en Indochine, les limites du programme du FNL, du FUNK ne peuvent plus être respectées. Les gouvernements du Nord et du Sud-Vietnam seront amenés à exproprier le capital, les propriétaires fonciers, à unifier le Vietnam, à constituer la Fédération indochinoise, c’est-à-dire à réaliser certaines tâches qu’un gouvernement ouvrier et paysan doit réaliser, à instituer un État ouvrier extrêmement déformé, tout en faisant barrage à la constitution d’une authentique dictature du prolétariat.
Ils s’efforceront cependant de maintenir, en la rajustant, en Asie du Sud-Est et dans le monde, la politique dite de « coexistence pacifique ». De toute façon, cette terrible défaite que l’impérialisme américain vient de subir, cette extraordinaire victoire que viennent de remporter les masses exploitées d’Indochine, même si le prolétariat de ces pays ne peut saisir et exercer directement le pouvoir politique, donneront une nouvelle et puissante impulsion à la lutte de classe du prolétariat mondial. Tous les peuples d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique soumis à l’impérialisme, à commencer par ceux du Sud-Est asiatique et de l’Inde, seront poussés à engager la lutte. La victoire des ouvriers et paysans d’Indochine annonce et prépare un nouveau bond en avant de la révolution en Asie évidemment, mais aussi en Amérique latine, au Moyen-Orient.
Échecs de la Sainte Alliance
La victoire des ouvriers et paysans d’Indochine ne peut être séparée de tous les développements de la lutte des classes mondiale depuis 1943 notamment. Elle est le produit de la crise conjointe de l’impérialisme et des bureaucraties parasitaires et de la nouvelle période révolutionnaire ouverte en 1968. Elle démontre et souligne les limites de la Sainte Alliance contre-révolutionnaire qui se révèlent également sur d’autres terrains.
Conjointement à la faillite des accords de Paris, la triomphale politique étrangère de Kissinger d’il y a deux ans se désagrège. Au Moyen-Orient, elle est un échec. Au lendemain de la guerre des Six-jours, il semblait que la politique des « petits pas » aboutirait à la reconnaissance par l’Égypte et la Syrie de l’État d’Israël, à la formation d’un État croupion palestinien, en échange de quoi Israël aurait évacué les territoires occupés en 1967 au cours de la guerre des Six-jours.
La bureaucratie du Kremlin a vigoureusement appuyé l’impérialisme américain. La Sainte Alliance contre-révolutionnaire a joué à plein contre le peuple palestinien. Elle s’est même exercée à l’encontre du peuple kurde. Le régime « progressiste » d’Irak et le satrape oriental d’Iran se sont entendus pour liquider la lutte du peuple kurde pour ses droits nationaux. Mais ce genre de solution est beaucoup plus difficile à appliquer au peuple palestinien dont la cause a une grande résonance parmi les peuples arabes. La grande presse et Kissinger ont rejeté sur Israël la responsabilité de l’échec des dernières discussions. Certes, Israël répugne à abandonner ses conquêtes et une telle éventualité ne peut se concrétiser sans déclencher en Israël même une crise profonde. Il n’en reste pas moins que c’est aux masses arabes que la reconnaissance de l’État d’Israël et la création d’un État croupion est le plus difficile à faire accepter. Cet hiver, de grandes grèves ont témoigné de la vitalité du prolétariat égyptien. Sadate et les gouvernements des pays arabes représentent des régimes chancelants et craignent la réaction des masses, les contradictions à l’intérieur des classes et du système politique dominant. Ils ne peuvent, sans prendre des risques considérables, aller trop loin. À cela, la Sainte Alliance ne peut rien.
Certains milieux capitalistes nourrissaient l’espoir que la nouvelle Sainte Alliance contre-révolutionnaire permettrait l’ouverture d’immenses débouchés et des champs d’investissements de capitaux en URSS, en Europe de l’Est, en Chine, voire au Vietnam. Alors que la crise économique se précise, que le besoin d’exporter massivement marchandises et capitaux se fait plus pressant et plus urgent, la bonne volonté des bureaucraties parasitaires n’a pas suffit. C’est l’échec. Les accords déjà signés entre le Kremlin et Washington ont été vidés de tout contenu, la bureaucratie du Kremlin y a renoncé. Il semblerait pourtant que la coopération économique soit facile à réaliser : la bureaucratie du Kremlin et les autres bureaucraties ont besoin de quantités énormes de marchandises et de capitaux. Il n’en est rien car les rapports sociaux de production sont antagonistes. L’économie de l’URSS, de l’Europe de l’Est, de la Chine, du Vietnam, a besoin d’être réintégrée à la division internationale du travail, mais sur le plan d’une coopération véritable, qui organise, afin de satisfaire les besoins humains, le développement des forces productives, ce qui est totalement contradictoire à la rentabilité capitaliste.
Pour cela, le prolétariat des pays capitalistes doit prendre le pouvoir politique et exproprier le capital ; et celui des pays où le capital a déjà été exproprié et où une bureaucratie parasitaire monopolise le pouvoir politique, prendre ou reprendre le pouvoir et balayer la bureaucratie. Alors une nouvelle division du travail se constituera, répondant aux exigences d’une véritable coopération. En Europe notamment, l’Allemagne doit être réunifiée et les Etats-Unis socialistes d’Europe constitués. L’ouverture des frontières de l’URSS et des pays où le capital a été exproprié, une nouvelle et massive pénétration du capital, remettraient en cause les rapports de production fondés sur la propriété étatique des moyens de production, et signifierait le chômage et la famine de dizaines de millions de prolétaires. Par contre, la libre pénétration des capitaux et des marchandises dans ces pays serait source d’énormes profits pour les capitalistes. C’est cela qui intéresse l’impérialisme et non une « coopération » n’apportant que peu, ou presque pas de profits.
Les bureaucraties parasitaires ne peuvent accepter la pénétration du capital, la libre circulation des marchandises dans les pays qu’elles dominent sans déclencher une crise sociale et politique explosive qui les déchirent elles-mêmes. Les premiers, et encore timides pas qu’elles ont faits sur cette voie ont provoqué de profonds déchirements internes de la couche sociale dirigeante.
Récemment encore, à la fin de 1974 et au début de 1975, une importante crise politique a eu lieu au Kremlin, consécutive à la politique de soumission de plus en plus accentuée à l’impérialisme américain que mène Brejnev (bien que Brejnev ne puisse aller jusqu’au bout). Brejnev et sa politique ont été mis en cause. Il semble que l’élimination de Chélépine signifie que Brejnev a repris la situation en main. L’impérialisme américain n’en estime pas moins insuffisant l’appui politique que lui apporte le Kremlin dans le monde et sans intérêt les rapports économiques Washington-Moscou sur la base actuelle. C’est ainsi qu’il a réduit à rien les accords économiques passés et que le Kremlin y a renoncé. En ce qui concerne la Chine, il ne semble pas que les résultats soient meilleurs.
À la suite des accords de Paris, une entrevue entre Le Duc Tho et Kissinger avait lieu le 14 juin 1973 ; le communiqué publié se référait à une coopération économique entre Washington et Hanoi. Apparemment, la « coopération » en est restée au stade du communiqué. Les exigences politiques et économiques qu’en échange de leur « aide » les USA formulaient, étaient sans doute inacceptables pour Hanoi. De son côté, le Vietnam du Nord ne pouvait accepter jusqu’au bout les conséquences des accords de Paris qui, finalement, le menaçaient sérieusement ; ultérieurement, il a continué à apporter un soutien minimum au FNL, avant l’effondrement de Thieu. Décidément, la Sainte Alliance contre-révolutionnaire ne peut pas tout.
Le Vietnam et la lutte des classes mondiale
La gravité de la défaite de l’impérialisme américain s’éclaire à la lumière de la révolution portugaise qui a commencé le 25 avril 1974 et qui marque le début de la révolution européenne.
Il est utile de rappeler, sans y revenir en détail, que tous les événements décisifs qui ont eu lieu au Vietnam étaient intégrés à des événements mondiaux non moins décisifs de la lutte des classes. La République du Vietnam a été proclamée à la fin de la seconde guerre mondiale, alors que s’étaient effondrées les vieilles puissances impérialistes et disloqués les vieux empires coloniaux, que le Japon venait de s’effondrer, qu’une puissante vague révolutionnaire ébranlait l’Europe. La guerre révolutionnaire contre l’impérialisme français reprenait un nouveau souffle au moment où la révolution chinoise triomphait. Dien Bien Phu a été une bataille au cours de laquelle les forces armées françaises s’élevaient seulement à quelques milliers d’hommes et ne disposaient que d’un matériel limité. Mais la défaite des troupes françaises intervenait quelques mois après la grève générale française d’août 1953, quelques mois avant que la révolution n’éclate en Algérie, au moment où, en Afrique du Nord, l’agitation des masses s’accentuait, alors qu’une crise politique profonde déchirait la bourgeoisie française.
En Europe, un tournant politique commençait : la mort de Staline coïncidait avec une crise de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites qui réorientaient leur politique ; en juin 1953, te mouvement révolutionnaire du prolétariat de l’Allemagne de l’Est ouvrait la période de la révolution politique ; bientôt c’était le mouvement révolutionnaire de Pologne d’octobre 1956 et la révolution des conseils ouvriers hongrois de novembre 1956. Dien Bien Phu, dans ces circonstances, était un événement militaire et politique capital qui approfondissait la crise politique en France. La situation politique interdisait à la bourgeoisie française de réagir, d’envoyer de nouvelles troupes, de poursuivre la guerre, y compris en bénéficiant du soutien massif en matériel de l’impérialisme américain. Elle n’avait plus qu’une solution : abandonner le Vietnam et l’Indochine.
En 1968, bien qu’il contrôlât militairement le Sud-Vietnam (sans le contrôler pour autant politiquement), l’ouverture d’une nouvelle période révolutionnaire en Europe obligeait l’impérialisme américain à modifier toute sa stratégie mondiale. Cette fois, la victoire des masses opprimées d’Indochine, cette victoire de la révolution prolétarienne, la terrible défaite de l’impérialisme américain, s’enchaînent à l’éclatement et au développement de la révolution portugaise, qui ouvre la révolution prolétarienne en Europe. C’est infiniment plus grave pour l’impérialisme américain, les bourgeoisies de tous les pays et les bureaucraties parasitaires, que tous les développements antérieurs.
La révolution portugaise a montré la décomposition de la bourgeoisie portugaise et les limites de la Sainte Alliance contre-révolutionnaire. Le coup d’État du 25 avril 1974 a résulté de la crise politique de la bourgeoisie portugaise engagée dans une guerre coloniale sans espoir, inquiète de l’éveil et de la montée des masses. Mais le coup d’État militaire a contribué à lézarder l’État bourgeois. Par les brèches ouvertes, les masses se sont précipitées et ont disloqué l’État bourgeois. La politique du PSP et surtout du PCP vise à contenir les masses, à reconstruire l’État bourgeois, à redonner à la bourgeoisie le contrôle de la situation politique et l’initiative. Trois fois de suite en fomentant des coups d’État, préparés sous la couverture de la politique du PSP et du PCP, elle a tenté de reprendre le contrôle de la situation et d’engager le processus de la contre-révolution. Trois fois l’initiative des masses a fait échouer les tentatives de coup d’État et le processus révolutionnaire s’est au contraire approfondi. La bourgeoisie portugaise est, politiquement, complétement démoralisée. À partir de là, un processus de décomposition sociale et politique des classes dominantes ne peut que se manifester et s’amplifier. La victoire définitive du prolétariat n’est pas pour autant assurée, mais pour l’instant, l’impérialisme américain, la coopération de la Sainte Alliance voient les événements échapper à leur contrôle. On peut toujours, évidemment, envisager un débarquement de troupes américaines au Portugal. C’est assez peu probable. Autant jeter une torche sur un baril de poudre (le baril de poudre, c’est l’ensemble de l’Europe, sans compter les réactions aux USA).
Et maintenant, l’Europe
L’extension de la révolution portugaise à l’Europe, en passant par l’Espagne, la France, l’Italie, voilà la perspective que les bourgeoisies d’Europe et du monde, les bureaucraties parasitaires ont devant elles. L’avenir de l’Europe, toutes les forces de la contre-révolution l’aperçoivent ainsi qu’au travers d’une boule de cristal, dans les événements du Portugal et de l’Indochine.
Répétons-le : l’effondrement du gouvernement et de l’État compradores de Thieu a des raisons qui tiennent à l’histoire propre du Vietnam et de l’Indochine depuis la colonisation française, et plus encore depuis trente ans. Il ne s’agit donc pas de confondre. Cependant, sans le pourrissement de l’ensemble du système impérialiste mondial, jamais la décomposition au Sud-Vietnam n’aurait atteint ce degré extrême. C’est qu’en vérité depuis plus de trente ans, sous les apparences de la « prospérité », le parasitisme n’a cessé de progresser en profondeur, de ronger l’ensemble du système qui est miné jusqu’en ses fondements.
Les positions qu’au lendemain de la guerre le prolétariat a conquises ou reconquises sont insupportables aux bourgeoisies décadentes. Depuis trente ans, elles n’ont pas été capables de les remettre sérieusement en question. En outre, les rapports de production nés de l’expropriation de la bourgeoisie en URSS, à l’Est de l’Europe, en Chine et au Vietnam exigent d’être étendus au reste de l’Europe et du monde, que le prolétariat les prenne ou les reprenne en main, c’est-à-dire qu’il balaie les bureaucraties parasitaires liées au maintien du mode production capitaliste à l’échelle mondiale, ce que traduit la politique de « coexistence pacifique » et la « théorie » de « la construction du socialisme dans un seul pays » qui sont à la base de la Sainte Alliance contre-révolutionnaire.
Tout l’édifice européen peut brutalement s’effondrer, se disloquer, sous l’effet des crises politiques des différentes bourgeoisies, de la montée révolutionnaire et de la crise économique qui s’affirme de plus en plus et qui peut prendre d’un seul coup un tour catastrophique et plus certainement encore de la combinaison de ces facteurs. En ce sens, l’effondrement de Thieu au Vietnam est significatif peur l’Europe. L’impérialisme américain, les bourgeoisies européennes, les bureaucraties parasitaires, en sont conscientes. C’est à plus ou moins longue échéance la perspective la plus probable.
Pas de victoire définitive automatique
En conclure à la victoire automatique de la révolution prolétarienne serait néanmoins une grave erreur. La défaite de l’impérialisme américain en Indochine est une victoire extraordinaire des masses, c’est une victoire de la révolution prolétarienne, ce n’est pas encore la victoire définitive de la révolution prolétarienne. D’abord, y compris au Vietnam et en Indochine, le prolétariat n’a pas le pouvoir. Ensuite, les destructions sont immenses, les séquelles de la guerre se feront sentir de longues années, et de toute façon le socialisme ne peut être construit dans la seule Indochine. Enfin le sort de l’Indochine continue à dépendre du cours de la lutte des classes mondiale. L’exigence de construire le parti de la révolution socialiste au Vietnam, parti de la IV° Internationale, demeure, tout comme en Chine et en URSS.
En Europe, l’effondrement du système impérialiste, de l’ordre européen tel que l’impérialisme et la bureaucratie du Kremlin l’ont établi pour faire face à la révolution montante au lendemain de la deuxième guerre mondiale et la contenir, signifient encore bien moins la victoire automatique du prolétariat.
Au Vietnam, au Cambodge, alors même qu’ils prennent le pouvoir sur les décombres de l’État compradore de l’impérialisme, les dirigeants du GRP, du gouvernement d’Hanoi, du GRUNC, veulent éviter à tout prix que se constituent des organismes de type soviétique, des comités d’ouvriers, de paysans, de quartiers. L’évacuation de Phnom Penh n’avait pas d’autre but que d’empêcher la formation de comités (comités de libération ou autres). Le maintien au pouvoir de Thieu jusqu’à ce qu’il le cède au GRP avait comme objectif d’éviter la formation de comités et d’un pouvoir plus ou moins embryonnaire émanant des masses.
Au Portugal, le PCP, le gouvernement que dirige le MFA et auquel participe le PSP et le PCP aux côtés du PPD, a un objectif pressant : détruire les commissions de délégués ouvriers. En Pologne, à la fin de 1970 et au début de 1971, l’ennemi que la bureaucratie devait liquider, c’était les conseils ouvriers, tout comme en Hongrie en 1956. En Bolivie, il fallait abattre l’Assemblée populaire, au Chili, empêcher les « cordons » de se développer. C’est que les organismes de type soviétique sont ceux qui organisent le prolétariat et les masses exploitées, ce sont ceux qui, centralisés, dressent le pouvoir des masses, ceux qui sont indispensables à la réalisation de la dictature du prolétariat. Par eux, octobre 1917 revit dans toute sa signification le commencement de la révolution prolétarienne mondiale, contre laquelle, en fin de compte, tous font bloc.
Tout en soulignant la décomposition interne de chaque bourgeoisie d’Europe, la crise politique de chacune d’elle, il convient de prendre en considération qu’alors qu’au Vietnam la bourgeoisie était essentiellement une bourgeoisie compradore, en Europe les bourgeoisies ont de profondes racines, produit de tout un développement historique, social et politique les États bourgeois ne sont pas des constructions artificielles, ils ont aussi de profondes fondations. Même pourrissantes, décomposées, leurs États même disloqués, les bourgeoisies européennes ne disparaîtront pas. Elles combattront. En outre, les puissants appareils bureaucratiques des organisations et partis ouvriers les étayent tandis qu’ils s’efforcent da dévoyer le mouvement du prolétariat. Contrairement aux apparences, les bureaucraties parasitaires sont beaucoup plus fragiles. Elles ne constituent pas une classe ayant un rôle social nécessaire, une fonction nécessaire dans un mode de production social.
En tout état de cause, le cours et les formes de la lutte de classe en Europe ne peuvent pas être identiques à ceux qu’ils ont eus au Vietnam et l’effondrement du système social bourgeois ; la dislocation des systèmes politiques de domination de classe des bourgeoisies, n’est pas égale à leur défaite définitive. Il faut que le prolétariat soit en mesure de conclure. Le Portugal démontre que, si loin qu’il aille, si importantes et nombreuses que soient ses victoires, il n’aboutit pas, en l’absence du parti révolutionnaire dirigeant. Une lutte des classes, chaotique, confuse, faite d’alternances, et de très longue durée, au cours de laquelle devra se construire le parti dirigeant, résultera de l’effondrement du système impérialiste et de l’ordre établi au lendemain de la seconde guerre mondiale en Europe. Telle est la perspective que les événements d’Indochine et l’ouverture de la révolution prolétarienne au Portugal annoncent à l’Europe.
L’impérialisme US ne restera pas les bras ballants
L’impérialisme américain en est conscient. Il apprécie sa défaite au Vietnam, ses échecs au Moyen-Orient, l’impossibilité d’ouvrir de nouveaux marchés à ses marchandises et à ses capitaux, l’insuffisance à tout point de vue de la Sainte Alliance contre-révolutionnaire, à cette mesure. Les bourgeoisies européennes le criticaillent, elles lui décochent leurs flèches qui ne sont que piqûres de mouche. A la vérité, elles le supplient de faire un miracle qui les sauve et elles expriment leur amertume qu’il ne puisse le faire.
Mais l’impérialisme américain n’est pas « un tigre de papier ». Ces échecs, ces défaites, l’avenir sombre et menaçant ne le mettent pas à genoux. Il est actuellement contraint de réapprécier entièrement sa politique mondiale. Il doit tout réévaluer, y compris le fonctionnement et l’efficacité de la Sainte Alliance contre-révolutionnaire. L’appui du Kremlin et de Pékin lui est tout acquis face à la révolution montante, aux menaces d’effondrement en Europe, de développement de la révolution prolétarienne. Si l’aiguillon de la contre-révolution est quelquefois nécessaire à la marche à la révolution, l’aiguillon de la révolution agira sur la contre-révolution.
Une des causes de la défaite, subie au Vietnam, ce sont les rapports sociaux et politiques aux USA qui entravent la mobilisation des forces potentielles de l’impérialisme américain et limitent sa capacité d’action. L’administration Ford est l’expression de cette relative impuissance de l’Exécutif, c’est-à-dire de l’État, aux USA. Comment l’impérialisme va-t-il tenter de réagir, à la fois aux USA et à l’échelle du monde ? Il est trop tôt pour le dire. Mais il réagira, et puissamment.
Déjà, Schlesinger a prononcé, début avril, un discours en apparence surprenant. Il a expliqué que l’armée américaine était pratiquement surclassée sur terre, sur mer, dans l’air, en ce qui concerne les armements, par l’URSS. Selon lui, l’armée US est pratiquement désarmée. Or le budget de guerre américain s’est élevé officiellement à 85 milliards de dollars ; en réalité, il a dépassé les 100 milliards de dollars. Schlesinger prépare le lancement d’un nouveau et fantastique programme d’armement. Le but immédiat est clair : il s’agit de tenter d’entraver la marche à la crise, de « relancer l’économie », selon la bonne vieille méthode. Bien sûr, il en résultera une nouvelle poussée inflationniste.
C’est un aspect, ce n’est pas le seul. Il va falloir « justifier » ce nouveau programme d’armement, développer une politique qui vise à mobiliser le peuple américain pour défendre « l’Amérique menacée », et l’on sait, depuis Pearl Harbor, combien les dirigeants américains sont experts à monter ce genre de « justification ». Pour l’instant, les USA cherchent encore une nouvelle politique. Ils trouveront. Qu’elle réussisse est une autre affaire. Il faut seulement être pleinement conscient que l’impérialisme américain confronté à l’effondrement du système impérialiste, à la révolution montante en Europe et dans le monde ne restera pas les bras ballants.
La défaite retentissante de l’impérialisme américain, la victoire des ouvriers et paysans au Vietnam, est une victoire du prolétariat mondial. Elle participe de la marche en avant de la révolution prolétarienne qui, en Europe, a commencé au Portugal. Rien n’est encore réglé. La route reste longue et difficile. La victoire définitive au Vietnam, en Europe et dans le monde, dépend de la construction de partis de la IV° Internationale dans chaque pays, de la reconstruction de la IV° Internationale.
Stéphane Just
La Vérité n° 567 – 1975