Une guerre commerciale, en particulier contre l’impérialisme chinois

Avant même l’arrivée officielle de Donald Trump au pouvoir, le capital mondial se prépare à des modifications significatives des équilibres géopolitique, économique et financier. Dans un contexte de déclin de l’impérialisme américain, Trump veut le rendre « grand de nouveau » (great again), c’est-à-dire rétablir sa gloire passée, celle de l’époque où le monde capitaliste entier se pliait à ses désirs. Il a choisi la manière forte, en provoquant une guerre commerciale, peut-être le prélude d’une guerre militaire. Durant la campagne qui a précédé son élection, il promettait le protectionnisme, selon lui le plus beau vocable de la langue anglaise (il est vrai qu’il ne connait pas beaucoup de mots). De nombreux économistes bourgeois craignaient que l’inflation ainsi provoquée fragilise la croissance économique et surtout dissuade la Réserve fédérale américaine (Fed, la banque centrale des États-Unis) de poursuivre sa politique de baisse des taux directeurs qui est censée prévenir le risque de récession. Le faible niveau des taux directeurs nourrit surtout l’envolée du NYSE (Wall Street) depuis plus d’un an (plus de 14 % en 2024, pour une croissance économique de 2,6 %) et du NASDAQ, l’autre bourse de New York.
Trump met fin de fait au traité de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA-ACEUM). Une de ses premières annonces, à peine élu, est d’imposer, à partir du 4 février, des tarifs de 25 % sur les importations en provenance du Canada et du Mexique, qui sont aussi les deux principaux partenaires commerciaux des États-Unis puisqu’ils dépendent des États-Unis respectivement pour 77 % et 80 % de leurs exportations. Puis il a décidé de « sursoir » (30 jours) cette mesure, avant de renoncer à la suite d’accords d’exemption sur plusieurs secteurs (en particulier la santé et la sécurité pour la Canada, l’acier, l’aluminium et l’industrie automobile pour le Mexique). Il envisage ensuite de frapper les produits en provenance de Chine d’un droit de douane supplémentaire de 10 %. Il accuse la TVA de l’Union européenne d’être protectionniste (ce qui est faux car elle concerne tous les produits, importés ou produits localement). Il menace d’imposer des droits de douane de 200 % sur le champagne et les vins en provenance d’Europe, en réponse à l’imposition par l’Union européenne de droits de douane de 50 % sur quelques produits, dont le whisky, en représailles aux droits de douane américains de 25 % sur l’acier et l’aluminium. Trump a également signé, le mercredi 26 mars 2025, un décret imposant des tarifs douaniers de 25 % sur les importations de voitures.
Trotsky soulignait que, si les tarifs douaniers et les politiques nationalistes étaient totalement irrationnels d’un point de vue économique, ils suivaient une logique implacable pour ce qui était de préparer la guerre. Ils visaient à concentrer les forces nationales de production pour une économie de guerre.
Le 2 avril, Trump annonce que tous les pays avec lesquels les États-Unis souffrent d’un déficit commercial seront frappés d’un droit de douane minimum sur les biens. Le calcul (improbable) est le suivant :

Cela donne notamment des chiffres particulièrement élevés pour l’Asie (34 % pour la China, 46 % pour le Vietnam, 49 % pour le Cambodge…), pas pour la Russie qui est épargnée. Le taux de droits de douane effectif sur toutes les importations passerait de 2,3 % à environ 26 %, soit le plus haut niveau depuis plus d’un siècle. Trump a l’appui de la plupart des bureaucrates syndicaux, y compris ceux qui faisaient passer en 2023-2024 Biden pour un « ami du travail », comme ceux du syndical de l’automobile affilié à l’AFL-CIO.
Nous applaudissons le gouvernement Trump pour avoir mis fin au désastre du libre-échange… L’UAW a été claire, nous travaillerons avec tout politicien, quel que soit le parti, qui veut inverser la régression de plusieurs décennies… (UAW, Une victoire pour les travailleurs de l’automobile, 26 mars 2025)
La dernière fois qu’une telle pratique (hausse massive des droits de douane) a été adoptée par les États-Unis, avec la loi Smoot-Hawley en 1930, l’impact fut un effondrement du commerce mondial (division par trois en 1933), sachant qu’aujourd’hui les échanges commerciaux représentent une part du PIB bien plus importante qu’alors (15 % contre 6 %).
En augmentant massivement les droits de douane, et donc en menaçant ses concurrents économiques, l’impérialisme américain cherche certainement à attirer des capitaux, à relocaliser ses profits, et à conserver son hégémonie, au prix d’un chaos mondial qui n’épargnerait pas l’économie étatsunienne. En effet, selon le Financial Times, cela impliquerait par exemple une perte totale potentielle pour l’industrie automobile de 110 milliards de dollars (une baisse de 30 % de la production de véhicules), avec pour impact une réduction massive des effectifs et une intensification de l’exploitation.
Des capitalistes peu enchantés
Une partie de la bourgeoisie n’est pas sereine. La guerre tarifaire, mais aussi la promotion des cryptomonnaies, sont des sources d’inquiétude, surtout en raison des incertitudes qu’elles provoquent. Ces craintes sont illustrées par la chute de nombreux indices boursiers après les annonces de droits de douane. Du 2 au 4 avril, 5000 milliards de dollars ont été effacés de la capitalisation boursière totale. L’indice de la bourse de la principale bourse de New York perdait 11 % en deux jours, celui de la bourse de Paris perdait 12 % en quatre jours, celui de la bourse de Londres 11 %, celui de la bourse de Tokyo 8 %… En particulier, des groupes qui se sont enrichis sur l’internationalisation massive ces dernières années sont touchées (le cours de l’action Nike perd 14 % par exemple, Ford 14 %…). Tesla a également chuté de 5,8 % (44 % sur l’année).
Or, la classe capitaliste aspire à une certaine stabilité. Pour preuve, l’or atteint un nouveau record, son cours a augmenté de 15 % depuis le début de l’année, les banques centrales étant les plus gros acheteurs.
Alors que de nombreux capitalistes s’affolent –« on est proches du pire scénario que les marchés redoutaient », Ajay Rajadhyaksha, banque Barclays (Mediapart, 3 avril)–, l’état-major de Trump tente de temporiser –« le marché sous-estime systématiquement Donald Trump » (Scott Bessent, secrétaire au Trésor, NBC, 6 avril). Ceci est une illustration de tensions entre plusieurs fractions de la classe capitaliste, Trump se vantant par exemple qu’après ses annonces un de ses proches s’est enrichi de 2,5 milliards de dollars, image d’un capitalisme particulièrement carnassier, alors que les immenses fortunes de la plupart des capitalistes reposent bien plus sur l’exploitation des travailleurs des pays dominés (la « mondialisation ») que sur l’isolement économique ou la spéculation boursière. Ces tensions prennent également la forme de l’offensive de Trump contre Jerôme Powell, gouverneur de la Fed, qu’il menace de licencier, ce dont il est légalement empêché par le statut d’indépendance de la banque centrale. Il l’accuse de provoquer la récession : « il pourrait y avoir un ralentissement de l’économie à moins que “M. Trop tard”, un grand perdant, ne baisse les taux d’intérêt, dès maintenant » (Le Monde, 22 avril).
Trump a alors décrété, le 10 avril, une pause de 90 jours, aujourd’hui inachevée, tout en maintenant la hausse de 10 % des droits de douane sur toute la planète. L’État chinois de son côté a décidé de renforcer les contrôles sur les exportations de minéraux, de terres rares et aimants essentiels dans de nombreuses technologies de pointe pour la production d’automobiles, d’électricité et d’équipements militaires, si bien que le 22 avril Trump s’est dit prêt « à être très gentil » (Les Échos, 23 avril) avec la Chine et à engager des discussions pour diminuer les droits douaniers.

Le 13 mai, un compromis provisoire est trouvé avec la Chine : 30 % imposées à la frontière américaine aux importations venues de la Chine, 10 % imposées à la frontière chinoise aux importations venues des États-Unis. Les cotations du NYSE et du NASDAQ reviennent aux niveaux d’avant le « jour de la libération ».
Cependant, la stratégie de Trump risque d’entrainer des conséquences graves pour l’économie mondiale, y compris celle de son pays. Pour l’OMC, les perspectives du commerce mondial se sont fortement détériorées ; face aux menaces de hausse de droits de douane les importations de biens ont augmenté de 12,8 % au premier trimestre. Selon Bruce Kasman (JP Morgan), le risque de récession s’est accru lourdement, et la prévision d’évolution du PIB d’ici la fin de l’année a été abaissée de +1,3 % à -0,3 %. Le FMI a, de son côté, revu ses projections pour la croissance mondiale, en avertissant d’un « ralentissement majeur » de l’économie mondiale
Premières victimes : les transgenres et les travailleurs salariés
Le programme de guerre idéologique est de mettre en cause les médias quand ils osent critiquer et les tribunaux quand ils gênent l’exécutif. Il s’en prend au droit à changer de sexe. Il généralise la censure ; étouffant la recherche scientifique (sauf si elle est reliée à l’intelligence artificielle et aux armements), dressant des listes de livres interdits.
Le programme de guerre économique a pris la forme du premier plan budgétaire du gouvernement Trump ratifié par le parlement (le Congrès : Chambre des représentants et Sénat, tous les deux à majorité du Parti républicain) en mars. Il implique une hausse de 300 milliards des dépenses pour l’armée, contre l’immigration (qui est majoritairement prolétarienne) et pour l’application de lois sur les frontières, ainsi qu’une réduction jusqu’à 2 000 milliards de dollars pour toutes les autres fonctions gouvernementales qui servent à la population laborieuse (santé, éducation, coupons alimentaires, transports, environnement).
La politique de Trump est dévastatrice pour les immigrés et les effectifs de certains secteurs du privé avant même cette annonce.
Les employeurs américains ont annoncé 172 017 suppressions d’emplois en février, soit le total le plus élevé pour ce mois depuis 2009, année où 186 350 suppressions d’emplois avaient été annoncées… Le total de février représente une augmentation de 245 % par rapport aux 49 975 suppressions annoncées le mois précédent. Il s’agit d’une augmentation de 103 % par rapport aux 84 638 suppressions annoncées au cours du même mois de l’année dernière. (Cabinet Challenger, Gray et Christmas, Rapport sur le suivi de l’emploi, mars 2025)
C’est également du secteur public, puisque l’objectif affiché est d’amputer le budget fédéral de centaines de milliards de dollars pour financer l’économie de guerre et les cadeaux pour les plus riches. Le gouvernement Trump a supprimé plus de 100 000 postes dans la fonction publique fédérale.