
Le protectionnisme est la politique économique qui entrave l’entrée de marchandises en provenance de l’étranger. L’État bourgeois procède ouvertement (des droits de douane, des quotas, des prohibitions…) ou indirectement (une dépréciation de la monnaie nationale, l’exigence de normes, l’octroi de subventions aux entreprises nationales, des procédures administratives…). Pour défendre la bourgeoisie nationale, l’État national peut prendre d’autres décisions économiques (restriction à l’investissement étranger, politique migratoire, fiscalité favorable au capital, mise en cause des acquis sociaux et des limites antérieures à l’exploitation…) et recourir à des moyens non économiques (menace militaire, guerre ouverte…).
À l’échelle de l’histoire humaine, le mode de production capitaliste a représenté une avancée car il a développé les forces productives, parce qu’il tend à internationaliser l’économie, parce qu’il a créé une classe révolutionnaire. Le protectionnisme peut freiner ces évolutions mais pas l’empêcher.
Vous ne pouvez pas faire autrement que de développer le système capitaliste, qu’accélérer la production, l’accumulation et la centralisation du capital et en même temps la production d’une classe ouvrière révolutionnaire. Et quel que soit le chemin que vous choisirez, le protectionnisme ou le libre-échange. (Engels, Préface au discours de Marx sur le libre-échange, 1888)

Le système du libre-échange pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire que je vote en faveur du libre-échange. (Marx, Discours sur le libre-échange, 7 janvier 1848)
Chez les électeurs, il ne pouvait pas ne pas se manifester çà et là des tendances protectionnistes, mais fallait-il en tenir compte ? (Engels & Marx, Lettre à Bebel, Liebknecht, Bracke, 118 septembre 1879)
La sociale-démocratie [l’étiquette alors des communistes] a toujours combattu le protectionnisme et le militarisme, sans attendre que leur caractère réactionnaire soit entièrement dévoilé. (Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ?, 1899, ch. 5)
Du point de vue du développement technique des forces productives, le protectionnisme est aujourd’hui superflu. (Luxemburg, L’Accumulation du capital, 1913, ch. 31)
C’est pourquoi les communistes internationalistes (Marx, Engels, Luxemburg, Trotsky…) ont appuyé la suppression des entraves féodales et la création d’un marché national en Allemagne ou en Italie, comme ils se sont systématiquement opposés au protectionnisme, à rebours des « réformistes » (Jaurès, Marchais, Mélenchon, Binet, etc. pour la France).

Les seules exceptions que les communistes envisageaient étaient :
- le droit pour une nation opprimée si elle accédait à l’indépendance, de se protéger du grand capital de la puissance coloniale (une hypothèse de Marx pour l’Irlande) ;
Ce qu’il faut aux Irlandais, c’est : 1. Autonomie et indépendance vis-à-vis de l’Angleterre. 2. Une révolution agraire… 3. Des tarifs protectionnistes contre l’Angleterre. (Marx, Lettre à Engels, 1867)
- la nécessité, pour un État ouvrier qui restait isolé d’instaurer un monopole du commerce extérieur, de contrôler les exportations et des importations (Russie après 1917).
La nécessité impérieuse de conserver et de consolider le monopole sur le commerce extérieur. (Lénine, Lettre à Trotsky, 13 décembre 1922)
En pratique, jamais un État bourgeois n’a renoncé à toute protection pour tous les produits, jamais un État n’a renoncé à contre-attaquer aux mesures de protection des autres. Un Etat qui tente d’émerger (Allemagne, États-Unis, Japon au 19e siècle ; Corée du Sud dans les années 1960-1970, Chine dans les années 1990-2000) recourt d’abord à la protection avant de muer en libre échangiste. Un pays sur la défensive penche plutôt vers le protectionnisme. Inversement, un État bourgeois dont le marché national est étroit (Suisse, Comores, Belgique, Uruguay, Singapour…) ou qui l’emporte sur les autres, grâce à la taille et à la productivité de ses entreprises (la Grande-Bretagne au 19e siècle, les États-Unis après la 2e Guerre mondiale, la Chine aujourd’hui), est plutôt favorable au libre-échange mondial ou régional. Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec un « dogme libéral ». Il y aura toujours des économistes pour leur fournir des arguments : mercantilistes dans un cas (Petty, List, Keynes, Navarro…), libéraux dans l’autre (Smith, Ricardo, Bastiat, Ohlin, Heckscher …).
Que le protectionnisme n’apporte rien aux travailleurs des villes et des campagnes a déjà été démontré à grande échelle. À la suite de la crise capitaliste mondiale de 1929, tous les États bourgeois restreignirent les importations et l’immigration. La planète s’enfonça dans le marasme dont les puissances impérialistes de l’époque ne sortirent qu’en préparant la guerre.
Partout, la politique est orientée vers une ségrégation aussi hermétique que possible de la vie nationale par rapport à l’économie mondiale… La tendance fondamentale de notre siècle est la contradiction grandissante entre nation et vie économique. (Trotsky, Nationalisme et vie économique, 30 novembre 1933)

Après la 2e Guerre mondiale, la croissance capitaliste mondiale s’accompagna d’un climat libre-échangiste favorisé par des accords multilatéraux (AGETAC/GATT) et par la mise en place d’un arbitre mondial (OMC). La nouvelle phase d’internationalisation de l’économie mondiale (la « mondialisation ») s’est manifestée par les migrations des étudiants et des travailleurs, la multiplication des échanges de biens et services, l’accroissement des investissements financiers et productifs. Chaque pays utilise de plus en plus des biens et des services venant d’ailleurs et écoule une partie de sa production ailleurs. Les entreprises étendent leur activité au-delà de leur pays d’origine.
Si les libre-échangistes ne peuvent pas comprendre comment un pays peut s’enrichir aux dépens de l’autre, nous ne devons pas en être étonnés, puisque ces mêmes messieurs ne veulent pas non plus comprendre comment, à l’intérieur d’un pays, une classe peut s’enrichir aux dépens d’une autre classe. (Marx, Discours sur le libre-échange, 7 janvier 1848)
Par conséquent, la bourgeoisie d’un pays n’exploite pas seulement son prolétariat (national et immigré) mais d’autres :
- en bénéficiant automatiquement de transferts de valeur quand ses entreprises sont plus productives que celle des autres pays ; l’établissement d’un prix de marché mondial et la péréquation spontanée du taux de profit s’opèrent d’autant mieux qu’il y libre-échange ;
- en décidant d’implanter des filiales à l’étranger, en ajoutant des filiales au groupe (par création ou, plus fréquemment, par rachat d’entreprise étrangère), parfois en fermant d’anciennes unités dans la pays d’origine (délocalisation) ; l’investissement direct à l’étranger (IDE) permet de contourner aussi le protectionnisme.
La vague de mesures protectionnistes en cours ralentira la croissance mondiale et précipitera une nouvelle crise. Bien que des secteurs grandissants de la bourgeoisie impérialiste recourent aujourd’hui au protectionnisme, l’interdépendance des économies nationales est irréversible. L’échec inévitable du repli national poussera au pillage d’autres pays, aux annexions, à la guerre.
Pour ne pas être entrainée dans la catastrophe qui s’annonce, la classe ouvrière doit s’unir dans chaque pays contre sa bourgeoisie, que le capital soit national ou étranger, que le gouvernement soit protectionniste ou libre-échangiste, pour se défendre et prendre le pouvoir, pour sauver la planète. Révolution socialiste mondiale !