Le droit, la justice et le FN-RN

Pour les pays avancés, le programme de « défense de la démocratie » est un programme réactionnaire. La seule tâche progressiste y est la préparation de la révolution mondiale. (Lev Trotsky, « Nouvelle leçon : sur les caractéristiques de la prochaine guerre », 10 octobre 1938, Contre le fascisme, Syllepse, 2015, p. 602)

Le FN-RN a volé de l’argent public

Un tribunal correctionnel a condamné 24 responsables du FN-RN, le premier parti politique français en voix et en députés, pour un vol de fonds publics de 2,9 millions d’euros au total. Parmi eux, l’ancienne avocate Le Pen est condamnée à 4 ans de prison et 5 ans d’inéligibilité.

Il ne s’agissait pas d’erreurs ou d’incompréhension des règles européennes mais de détournements dans le cadre d’un système… Au cœur de ce système depuis 2009, Marine Le Pen s’est inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père… Les élus, comme tout justiciable, ne bénéficient pas d’un régime de faveur. (Tribunal correctionnel de Paris, Jugement, 31 mars)

Les juges appliquent la loi (loi du 8 décembre 2016, loi du 15 septembre 2017, Code pénal, art. 432.7, art. 432.26.1). Le Parlement européen assure la rémunération des « assistants parlementaires » qui aident tous les députés au Parlement européen à accomplir leur tâche. Cet argent public a servi à enrichir le FN-RN, il est allé dans les caisses du parti pour payer ses salariés en France. Le détournement et la dissimulation sont bien établis.

L’échange de courriels du 22 juin 2014 entre le député Jean-Luc Schaffhauser et le trésorier Wallerand de Saint-Just, ne laisse aucun doute sur la compréhension qu’ont pu avoir les députés de ce qui leur était demandé. À l’issue de la réunion du 4 juin 2014, Jean-Luc Schaffhauser écrivait en effet au trésorier du parti, qui se trouvait par ailleurs être alors avocat de profession : « Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs et c’est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers même si c’est le parti qui en est le bénéficiaire… Je comprends les raisons de Marine mais on va se faire allumer car on regardera, c’est sûr, nos utilisations à la loupe avec un groupe si important. Je n’ai pas prévenu les autres du cadre légal car je créerai encore plus de bordel ». La réponse de Wallerand de Saint-Just est particulièrement claire aussi : « Je crois bien que Marine sait tout cela ». (Tribunal correctionnel de Paris, Jugement, 31 mars)

Le jugement n’interdit pas le RN, il ne l’empêche pas de présenter des candidats. La justice ne vise pas spécialement le RN :

  • un ancien ministre du budget (Emmanuelli, PS) a été condamné en 1997,
  • un ancien premier ministre (Juppé, RPR-LR) en 2004, aujourd’hui, ce repris de justice est membre du Conseil constitutionnel,
  • un ministre du budget (Cahuzac, PS) en 2013,
  • un autre premier ministre (Fillon, RPR-LR) en 2017,
  • un ancien président de la république (Sarkozy, LR) en 2020, 2023 et 2025, il n’est pas incarcéré mais doit porter un bracelet électronique…

  • 25 mars 2025, Tribunal correctionnel, Paris : les policiers et un repris de justice se saluent courtoisement / photo Hugo Mathy

    Faut-il croire, pour autant, à « l’État de droit », à la neutralité et à l’impartialité de la justice qui seraient à défendre contre « l’extrême-droite » ?

    Le mythe bourgeois de l’égalité juridique

    Inséparable de l’État bourgeois national, le droit du mode de production capitaliste a pour originalité, par rapport aux modes de production antérieurs, de reposer sur les principes de la « séparation des pouvoirs » (législatif, exécutif, judiciaire) et de « l’égalité des sujets de droit ».

    La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. (Assemblée constituante, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 20-26 aout 1789, art. 6)

    Cet « État de droit » était et reste un mythe. Les classes n’avaient pas plus disparu que l’oppression de genre.

    Dès le début de la tourmente révolutionnaire, la bourgeoisie française osa dépouiller la classe ouvrière du droit d’association que celle-ci venait à peine de conquérir. Par une loi organique du 14 juin 1791, toute concertation entre les travailleurs pour la défense de leurs intérêts communs fut stigmatisée d’attentat « contre la liberté et la déclaration des droits de l’homme », punissable d’une amende de 500 livres, jointe à la privation pendant un an des droits de citoyen actif. (Karl Marx, Le Capital, I, 1867, ES, 1976, p. 540)

    Ainsi, le principe de l’égalité ne s’appliquait pas aux femmes en matière civile ou politique et encore moins aux esclaves des colonies françaises. Chez les hommes, un tiers des « citoyens », les plus pauvres, étaient exclus du vote. Certes, depuis, l’esclavage été aboli (1794), le droit de vote a été étendu à tous les citoyens masculins (1799, 1848) et aux citoyennes (1944) mais l’inégalité économique et sociale, l’accaparement des moyens de production par une minorité (de plus en plus restreinte) empêchent une véritable égalité juridique. Par exemple, une partie significative du prolétariat de l’État français ne jouit d’aucun droit politique parce qu’il est « étranger ». Quand ces travailleuses et travailleurs sont « sans papiers », ils sont en outre susceptibles d’être incarcérés dans des centres de rétention administrative sans avoir commis de délit.

    Le droit de toute société capitaliste est bourgeois

    Le droit est un ensemble de normes issues de tâtonnements historiques. Bien qu’il soit indispensable au fonctionnement de toute société concrète, les juristes de métier surestiment inévitablement leur rôle.

    Les professionnels se font d’autant plus d’illusion sur la connexion qui relie leur métier artisanal à la réalité effective que cela est déjà conditionné par la nature du métier lui-même… Le juge, par exemple, applique le code et c’est pourquoi il considère la législation comme le véritable moteur actif. (Karl Marx, L’Idéologie allemande, 1845, ES, 2014, p. 249)

    Dans le mode de production capitaliste, les produits échappent aux producteurs directs (les salariés qui vendent « librement » leur force de travail) prennent systématiquement la forme de marchandise (aux mains des capitalistes qui les échangent librement). Le droit se sépare de la morale et de la religion.

    En même temps que le produit du travail revêt les caractéristiques de la marchandise et devient porteur de valeur, l’être humain devient sujet juridique et porteur de droits. (Evgeny Pachoukanis, La Théorie générale du droit et le marxisme, 1926, EDI, p. 102)

    Son domaine s’étend considérablement au fil du temps : le nom, l’emploi, la formation, le logement, le transport, la consommation, l’impôt, les entreprises, la concurrence, le déplacement, la politique, la famille, le divorce, la frontière, les psychotropes, la religion, le sport… sont encadrés par du droit.

    Comme la lutte entre les classes ne cesse jamais, le droit évolue sans cesse, tout en restant compatible avec les rapports de production capitalistes.

    Ainsi, chaque budget modifie le droit fiscal. Il affiche bien, pour duper les masses, des prélèvements sur les nantis mais il est limité au territoire de l’État français et il ménage sciemment des « niches fiscales », si bien que les grands groupes et les plus grosses fortunes y échappent largement. Même les concessions sociales antérieures, qui ne remettaient pourtant pas en cause le capitalisme, sont rognées depuis 30 ans au nom de la concurrence internationale et du « sauvetage de notre modèle social ». Actuellement, plusieurs partis bourgeois (dont le RN) détricotent le droit de l’environnement et facilitent la fraude fiscale et sociale : suspension de la « directive CSRD »au Parlement européen et discussion du « projet de loi de simplification de la vie économique » à l’Assemblée nationale française.

    L’évolution du droit bourgeois ne va pas sans contradictions, la société étant divisé en classes et la classe dominante elle-même étant fracturée entre de multiples couches, sans parler de la rivalité entre les hommes et les femmes providentiels et de la concurrence entre partis politiques qui doivent tenir compte de l’activité et du vote des classes subalternes.

    Tout parti soi-disant populaire défend les « droits éternels de l’homme ». Cette apparence superficielle dissimule la lutte des classes. (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, ES, 1972, p. 46-47)

    Les capitalistes sont soit des rentiers, oisifs, soit des manageurs de grandes entreprises qui ont en général autre chose à faire qu’à s’occuper des « affaires publiques ». Par conséquent, les capitalistes délèguent la gestion des intérêts d’ensemble de leur classe aux sommets de l’État (technocrates, état-major, gouvernants…).

    Ce ne sont pas « les idées » qui les mènent ou un « dogme libéral » qui les aveugle. Dans la réalité, des classes sociales sont aux prises et d’abord pour des intérêts matériels.

    L’État organise et régule à la fois les intérêts contradictoires des individus et des fractions de classes qui composent la classe dominante, et les rapports antagoniques qui opposent la classe dominante dans son ensemble aux classes dominées. (Ludovic Hetzel, Commenter « Le Capital », 2021, ES, p. 523)

    L’appareil judiciaire de l’État bourgeois

    Université numérique juridique francophone (ce schéma ne omet les juridictions administratives qui s’occupent des affaires impliquant l’État central, ses administrations ou les collectivités territoriales). Les juges des cours d’assises, des conseils des prudhommes et des tribunaux de commerce ne sont pas des magistrats professionnels.

    Les litiges sont susceptibles d’être soumis à des juges. L’armée a sa propre justice. En fonction de sa nature et des préjudices, le conflit est confié à tel ou tel tribunal qui a l’obligation de trancher.

    Si vous lisez attentivement les manuels d’introduction au droit, vous ne manquerez pas d’observer la grande discrétion avec laquelle il est parlé des juges durant la période de la Révolution française, quand ils étaient pour la plupart élus. (Michel Miaille, Une introduction critique au droit, 1976, Maspero, p. 267)

    La Commune de Paris, en 1871, a décidé à nouveau l’élection des juges, après la Révolution française de 1790 à 1802. Aujourd’hui, la justice est rendue par des magistrats professionnels, à l’exception de la plupart des crimes, de certains litiges du droit du travail ou du droit des affaires. La sphère du droit comprend donc un appareil judiciaire qui fait partie intégrante de l’État bourgeois. En outre, pour être effectives, les décisions de justice nécessitent des forces armées et un appareil carcéral (qui n’emprisonne quasiment jamais des capitalistes).

    Nous sommes gouvernés par des fonctionnaires bourgeois, des parlementaires bourgeois, des juges bourgeois. Voilà la vérité simple, évidente, incontestable, que connaissent grâce à leur expérience de la vie, que sentent et perçoivent chaque jour des dizaines et des centaines de millions d’hommes des classes opprimées dans tous les pays bourgeois, y compris les plus démocratiques. (Vladimir Lénine, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, 1918, ES, p. 26) 

    Une « juridiction du premier degré » examine l’affaire qui lui est soumise de manière publique et contradictoire puis elle justifie sa décision (le jugement du 31 mars sanctionnant Le Pen et ses complices fait 152 pages).

    La majorité des conflits ne sont pas soumises à un tribunal, le plus souvent à cause de la résignation des travailleuses et des travailleurs qui, « par leur expérience de la vie » (Lénine), savent à quoi s’en tenir sur « l’égalité juridique », ne serait-ce que parce que les grands groupes capitalistes et les capitalistes individuels disposent aujourd’hui en interne de services juridiques et en externe de cabinets d’avocats. Au pire, ils versent de l’argent pour éviter le procès public.

    Officiellement pour éviter les erreurs et protéger « les justiciables », un jugement est susceptible d’appel. Dans ce cas, une cour d’appel rejuge complètement l’affaire, ce qui prend souvent du temps (deux ans en moyenne). Enfin, la Cour de cassation (une seule pour toute la France) peut casser une décision antérieure si elle estime que le droit a été mal appliqué. Cette complexité permet au sommet de la magistrature (qui fait partie intégrante de la bourgeoisie) d’annuler des décisions de juges trop sensibles à la pression populaire.

    Des « institutions républicaines » devant lesquelles la classe ouvrière doit s’incliner, selon le PS, LFI et le PCF : 10 janvier 2025, Cour de cassation, Paris, le ministre de la justice Darmanin entre le premier président et le procureur général / photo Anne-Christine Poujolat

    La croissance de l’appareil judiciaire, le recrutement par concours et la crise révolutionnaire de 1968 ont créé des contradictions inédites chez les magistrats, dont témoigne l’apparition en juin 1968 du Syndicat de la magistrature (environ un tiers des voix aux élections professionnelles). Mais un tiers sont recrutés hors concours par l’État parmi les avocats, officiers de police, officiers de gendarmerie, juristes d’entreprise, etc. Les magistrats du parquet (les juges qui sont censés représenter la société, comme les procureurs) sont nommés par le ministre de la justice. Dans tous les pays capitalistes, plus on s’élève dans la hiérarchie judiciaire, plus intenses sont les liens avec le sommet de l’État bourgeois et la classe dominante. Ainsi, en France, le premier président de la Cour de cassation est nommé par le président de la République.

    La justice pénale épargne les grands patrons et leurs laquais

    Que ce soit sous les régimes monarchiques ou les différentes républiques, les classes dominantes, le clergé catholique et le personnel politique de la bourgeoisie échappaient généralement à la justice pénale, celle qui est censée punir les fautes à l’égard de la société (classées en droit français en trois catégories suivant leur gravité : contravention, délit, crime).

    Longtemps, l’exigence d’égalité juridique a cependant connu une application toute relative jusqu’au dernier quart du XXe siècle, elle se heurte, notamment, à un singulier privilège de « notabilité » qui assure une relative impunité aux membres des classes dirigeantes dont la responsabilité pénale est mise en cause. (Vincent Sizaire, magistrat et enseignant chercheur à l’université de Nanterre, Le Monde, 2 avril)

    L’impunité restait la règle sous la 5e République, succédant à la 4e qui avait autorisé la torture en Algérie, succédant à la 3e qui était née de l’écrasement de la Commune de Paris.

    Jusqu’en 1993, il existait ce qu’on appelait « le privilège de juridiction ». Si, en tant que juge d’instruction, j’envisageais d’inculper un maire, un officier de police judiciaire, un préfet, il fallait saisir la Cour de cassation pour savoir si je gardais ou non le dossier. À l’époque, je ne les gardais pas souvent. Dans les années 1970, quand un juge dérangeait un puissant, le dossier lui était retiré « pour une bonne administration de la justice ». (Serge Portelli, alors magistrat à la cour d’appel de Versailles, Siné mensuel, 5 avril 2017)

    En 2023, 193 travailleurs salariés sont morts d’accident du travail (en dehors des malaises et des accidents de trajet), sans compter les décès au travail de nombreux faux travailleurs indépendants (micro- entrepreneurs). Aucun patron n’est en prison pour cela. La cascade des sous-traitances dans le bâtiment, le secteur le plus dangereux, permet de diluer les responsabilités des grands groupes capitalistes.


    En 2018-2019, 23 Gilets jaunes ont été éborgnés, aucun policier n’a été condamné alors que les bureaucraties syndicales ouvrent les portes des confédérations aux organisations professionnelles de policiers et que le PCF ou le PS ont manifesté le 19 mai 2021 avec des organisations contrôlées par LR et le RN (comme Alliance affiliée à la confédération CFE-CGC, 44 % des voix aux élections professionnelles). Les organisateurs s’en prenaient au « laxisme » de la justice, réclamaient plus de moyens pour la répression et la restriction des droits démocratiques.

    En 2024, environ 100 personnes sont mortes en Méditerranée et 75 dans la Manche. Les responsables de ces crimes, responsables de Frontex (l’agence de l’UE) et gradés de la marine française, chefs d’État ou de gouvernement, ne sont pas inquiétés par la justice. Leggeri, directeur de Frontex entre 2015 et 2022, est aujourd’hui député RN au Parlement européen.

    La politique modifie le droit

    La lutte entre les classes n’est pas seulement économique, elle ne se borne pas aux lieux d’exploitation, elle n’est pas seulement idéologique, elle explique aussi la « vie politique » d’un État donné. D’où l’importance, pour l’organisation communiste, de mots d’ordre politiques comme la laïcité, le front unique ouvrier, l’armement du peuple, le gouvernement ouvrier, les États-Unis socialistes d’Europe… qui sont absents chez les économistes de LO et du NPA-R.

    Par exemple, l’éclatement de la révolution italienne contre le régime fasciste en 1943 et l’armement des travailleurs français en 1944-1945 obligent la bourgeoisie française à concéder des mesures politiques et sociales qui se traduisent dans une constitution, des lois, des décrets. Le droit entérine le rétablissement des libertés démocratiques, l’extension du droit de vote aux femmes, la généralisation de la sécurité sociale, la création de l’enseignement professionnel, l’existence de comités d’entreprise…

    Il s’agit pour la classe dominante ralliée au général de Gaulle de sauver l’essentiel avec l’aide du PS-SFIO et du PCF, des directions de la CGT et de la CFTC : désarmement des masses, stabilisation du capital, tentative de restauration de l’empire colonial… Le droit bouge mais reste bourgeois, et même colonial et patriarcal : les peuples colonisés n’ont pas le droit de vote, les femmes mariées doivent demander l’autorisation de leur mari pour être salariées, les juges ne sont pas élus, les médecins conservent la liberté de s’établir, les travailleurs doivent payer des cotisations sociales, les employeurs ont droit de regard sur la sécurité sociale qui gère la partie collectivisée du salaire, les capitalistes (sauf un qui paie pour les autres, Renault) conservent leurs entreprises, ils peuvent licencier, l’homosexualité reste un délit, etc. L’État créée les CRS, la nourriture est rationnée, les bidonvilles sont le seul logement des travailleurs venus des colonies. Les anciens pétainistes « abbé Pierre » et Mitterrand commencent leur carrière.

    26 aout 1944, de Gaulle participe à une cérémonie religieuse à la cathédrale de Paris

    L’Église catholique, qui avait appuyé à fond le régime fasciste de Pétain, reste subventionnée au nom de « l’école libre ». La lutte contre la menace de la révolution sociale nécessite de mobiliser cette vieille institution réactionnaire que la bourgeoisie française de la fin du XVIIIe siècle expropriait et que la bourgeoisie française de la fin du XIXe expulsait encore de l’État et de l’enseignement public.

    La force du clergé chrétien, l’influence du MRP, de la CFTC, de la JAC-JOC-JEC, c’est que la majorité des travailleurs a encore des superstitions religieuses. Mais de l’Église catholique n’est pas menée par Dieu, ni même par des idées religieuses. Il est secondaire que le pape, les cardinaux, les évêque et « l’abbé Pierre » croient réellement en leur dieu. De même, tout gouvernement bourgeois, tout parti bourgeois dans l’opposition a besoin d’idées mais c’est pour appuyer une pratique. Ils mènent une politique. Du droit en sort : lois du parlement, décrets du gouvernement), comme ceux qui font de centaines de milliers de travailleurs étrangers des parias obligés d’accepter des conditions de travail, de transport et de logement ignobles. Un aspect décisif de la politique bourgeoise est d’essayer d’empêcher la classe ouvrière de s’organiser de manière indépendante, de s’unifier.

    Par exemple, en 2012, à Hénin-Beaumont (Pas de Calais), le hâbleur Mélenchon (Parti de gauche, soutenu par le PCF et le NPA) est candidat contre la raciste Le Pen (FN). Mais il tente de la déborder en redoublant de chauvinisme, selon la stratégie du « populisme de gauche » définie par les idéologues « postmarxistes » Mouffe et Laclau. Finalement, c’est une victoire politique pour le parti fascisant. L’ancien ministre lui abandonne alors le terrain et va se faire élire à Marseille. Hénin-Beaumont devient un tremplin pour le FN-RN.

    Quand les partis bourgeois piétinent « l’État de droit »

    Les multiples partis qui affichent leur respect de « l’État de droit » prêchent aux exploités et aux opprimés de rester désarmés et de faire confiance à l’État bourgeois qui les espionne, les intimide et les réprime. Les gouvernants ne s’embarrassent pas, pour autant, de principes démocratiques.

    La liberté de l’individu privé parait s’évanouir devant l’autorité de l’État qui incarne la volonté générale. Pour l’idéologie politique bourgeoise, il ne peut exister aucune limite de droit à l’activité et aux empiètements de l’État. (Nicos Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales, 1968, Maspero, 1971, t. 2, p. 41)

    Le général de Gaulle, qui est la référence obligée des partis bourgeois français (y compris le RN actuel) et des partis « réformistes » (PS, PCF, LFI), est allé consulter des généraux durant la crise révolutionnaire de 1968. Ses sbires du SAC ont dressé les listes illégales des militants ouvriers à arrêter. Pasqua, leur chef, est devenu plus tard ministre de l’intérieur, sous Chirac.

    Quand la république bourgeoise tenait l’Algérie sous sa botte, la discrimination juridique dont était victime la majorité arabe de la colonie s’appliquait, officiellement aux « musulmans ». Aujourd‘hui, les musulmans (un nom codé pour « Arabes ») peuvent remplacer les Juifs comme boucs émissaires des vicissitudes du capitalisme pourrissant.

    C’est le créneau du RN. Ainsi, quoique des pétainistes et des SS furent parmi les fondateurs du FN-RN, quoique Le Pen père fut notoirement antisémite, Le Pen fille peut défendre Israël et Bardella s’y rendre. Le succès électoral du RN, dans une période où la croissance capitaliste est faible, où la place de l’impérialisme français se rétrécit dans le monde, poussent des partis bourgeois classiques comme LR à l’imiter. Quand des ministres veulent aggraver la « politique de l’immigration » et augmenter les prérogatives de la police, quand des partis bourgeois placent au centre de leur politique la haine d’une minorité pour diviser et paralyser la classe ouvrière, pour détourner le mécontentement des déclassés et des petits bourgeois, le danger s’accroit.

    Si des aventuriers et des bandes ajoutent à la xénophobie la dénonciation des concessions démocratiques antérieures aux classes subalternes (le parlement, certaines lois…) et surtout la violence physique (contre le mouvement ouvrier et les minorités), on a affaire à un processus encore plus dangereux, le parti bourgeois fasciste. Encouragés par le succès du RN, des bandes de nervis occupent ce terrain. Une clique importante du RN peut, en cas de scission du parti raciste, les rejoindre et aggraver la menace fasciste.

    « Mains propres et tête haute » ?

    Poignard des Jeunesses hitlériennes de Le Pen père, le fondateur du FN-RN, quand il torturait

    Les tortures et les assassinats de civils infligés par Le Pen père durant la guerre coloniale de la république française en Algérie étaient des crimes autrement graves que les délits financiers du FN-RN. Pourtant, il n’a jamais été condamné par un tribunal pour cela, pas plus que ses supérieurs qui ont fait une belle carrière dans l’armée de la bourgeoisie française que les députés du PS, de LFI et du PCF financent allègrement.

    Le droit français de la vie politique a évolué avec des lois adoptées par le parlement en 1995, 2011, 2013, 2016, 2017 qui visent essentiellement à assoir la légitimité des élections et des élus. Ce sont ces lois, généralement approuvées par le FN-RN, qu’a appliquées le tribunal correctionnel de Paris le 31 mars.



    Le FN-RN avait pour habitude de dénoncer le laxisme des juges, d’exiger des peines plancher et de refuser des alternatives à l’incarcération. En 2014, le gouvernement envisage de ne pas incarcérer certains délinquants dont les peines étaient inférieures à 5 ans d’emprisonnement (au lieu de 2 ans).

    C’est un nouveau signal de faiblesse qui est envoyé aux délinquants, et une indéniable marque de mépris à l’endroit de toutes les victimes, abandonnées à leurs souffrances et ignorées dans leurs exigences légitimes de justice. Le Front National prône en matière pénale une politique ferme et juste, qui se traduise d’abord par l’application stricte de toutes les peines prononcées. (FN, Communiqué, 6 juin 2014)

    Le FN-RN se présente comme différent des autres partis (que Le Pen père appelle « bande des quatre » ou « UMPS »), le seul qui aie « les mains propres ». Il est intransigeant vis-à-vis des politiciens condamnés pour malversations financières. En 2004, quand la Cour d’appel atténue la peine de Juppé, Le Pen père proteste contre « une mesure de clémence émanant d’un système judiciaire dont la servilité n’a d’égale que la corruptibilité ». En 2015, Le Pen fille demande des peines d’inéligibilité à vie pour les élus condamnés pour détournement de fonds publics.

    Quand allons-nous tirer les leçons et mettre en place l’inéligibilité à vie pour tous ceux qui ont été condamnés pour des faits commis grâce ou à l’occasion de leur mandat ? Moi, ma veste, elle est immaculée. Ils auront beau essayer de s’agiter, ils n’arriveront pas à me salir, parce que j’ai une éthique, j’ai une morale, que je m’y tiens. Et moi quand je la réclame, je me l’applique à moi-même. (Public Sénat, avril 2013)

    Elle récidive lors de la discussion de la loi de 2016, en exigeant l’inéligibilité pour « laver plus blanc que blanc ». Mais il fallait comprendre que c’était pour les autres.

    Cela n’empêche pas le PS, le PCF et LFI, après avoir appelé en 2017 (avec le NPA) et en 2022 à voter contre « l’extrême–droite » au second tour de la présidentielle de joindre au parlement leurs votes avec les députés bourgeois du « centre gauche » (EELV), du « centre droit » (LIOT) et… de « l’extrême-droite » (RN) à plusieurs reprises en 2023 et de 2024.

    Le RN pour le rétablissement des privilèges

    Une fois prise la main dans le sac, la cheffe du parti fascisant change de registre. Son comparse Ciotti, ancien président de LR, soumet à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour supprimer l’exécution des peines d’inéligibilité. Le RN adopte la règle de Trump : ne jamais reconnaitre une erreur, mentir effrontément, se poser en victime du « système ». Le 1er avril, les chaines CNews et Europe 1 du grand capitaliste Bolloré s’ouvrent à Bardella et aux autres ténors racistes : « oligarchie », « système », « tyrannie de juges », « juges rouges ». Les députés RN, jusqu’alors si policés, se déchainent.

    Jamais l’oligarchie n’a accepté que le peuple ne décide ni ne vote… Voilà qu’un quarteron de procureurs et de juges prétend sortir du droit pour exercer la vendetta du système… Il y a des tyrannies qui enferment leurs opposants, il y a désormais des juges-tyrans qui exécutent l’état de droit en place publique. (Jean-Philippe Tanguy)

    Le parti fascisant, appuyé de plus en plus par des grands capitalistes comme Bolloré, sature les écrans car la « démocratie française » serait « exécutée » par des juges qui empêcheraient « le peuple français » de s’exprimer. Le RN convoque une manifestation de rue à Paris le 6 avril qui ne réunit que 7 000 personnes selon la préfecture et plus vraisemblablement 4 000 (chiffres de la presse).

    Ce n’est pas seulement Marine Le Pen qui est injustement condamnée : c’est la démocratie française qui est exécutée. Ce n’est plus le gouvernement des juges, mais la dictature des juges, qui souhaite empêcher le peuple français de s’exprimer. (Pétition du RN)

    Le RN reçoit l’appui du président russe, qui emprisonne et assassine ses opposants, et du président américain, qui a lancé les bandes suprémacistes et fascistes contre le parlement américain quand les urnes lui étaient défavorables.

    Juste avant ce qui serait une grande victoire, ils s’en prennent à elle sur une accusation mineure dont elle ne savait probablement rien. (Donald Trump, 3 avril)

    Le Pen ne se flatte pas trop de l’appui intempestif de Trump au moment où il veut étrangler l’Union européenne, ce qui va fatalement nuire à nombre de petits paysans et de patrons français, sa base électorale de toujours avec les corps de répression et l’armée de métier.



    En France, le RN bénéficie d’une grande indulgence de partis bourgeois que le Nouveau Front populaire inclut dans ce qu’il nomme « l’arc républicain » et pour qui il appelle à voter contre « l’extrême-droite ». Le premier ministre MoDem Bayrou (qui a sur les bras une affaire semblable) se déclare favorable à une modification de la loi. Le ministre de la justice LR Darmanin, qui fait la course à la répression avec le ministre de la police veut pour Le Pen un traitement de faveur, « un délai le plus raisonnable possible » pour que la cour d’appel de Paris rejuge l’affaire, comme son rival Retailleau : « Je souhaite que Marine Le Pen puisse être jugée en appel le plus vite possible ». L’actuel président de LR, Wauquiez, trouve que le tribunal correctionnel va trop loin : « Il n’est pas sain que, dans une démocratie, une élue soit interdite de se présenter à une élection ».

    Quel autre justiciable obtiendrait qu’on avance son procès en appel ? Les caciques des partis bourgeois « républicains » sont rejoints de fait par un parti « réformiste » : « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple » (Jean-Luc Mélenchon, 31 mars).

    Combattre « les idées de l’extrême droite » ?

    Lutte ouvrière, 24 février 2018
    Lutte ouvrière, 3 mars 2021

    Le RN récuse l’étiquette « extrême droite » qui lui est généralement attribuée. Personne n’a jamais pu définir clairement « la droite » et « la gauche » et encore moins distinguer « l’extrême droite » de « la droite ». Par exemple, certains classent LFI dans « la gauche », d’autres dans « l’extrême gauche » : certains classent le président, ancien ministre d’un gouvernement de « la gauche », dans « la droite », tandis que lui-même se désigne à l’occasion comme l’incarnation de « l’extrême centre ».

    Les trois quarts des électeurs se sont exprimés pour trois projets. Un projet d’extrême droite. Un projet d’extrême gauche. Un projet d’extrême centre, si on veut qualifier le mien dans le champ central. (Emmanuel Macron, France culture, 18 avril 2022)

    Contrairement au théâtre d’ombres de l’idéologie dominante, la politique n’est pas le terrain de la confrontation entre des idées, entre des « idées de gauche » ou des « idées de droite », ni d’ailleurs des « idées d’extrême-gauche » ou des « idées d’extrême-droite ».

    De même que, dans la vie privée, on distingue entre ce qu’une personne dit d’elle-même et ce qu’elle est et ce qu’elle fait réellement ; il faut distinguer entre la phraséologie, les prétentions des partis et leurs intérêts véritables. (Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, ES, 1972, p. 48)

    La bourgeoisie domine la société contemporaine, avant tout, par sa mainmise sur l’économie et par le biais de son État. Tous les partis bourgeois nient farouchement la lutte entre les classes, le plus souvent au nom de l’appartenance commune à « la nation ». Parfois, pour se distinguer et l’emporter sur leurs concurrents, ils prétendent défendre l’environnement commun de toute l’humanité (les partis écologistes) ou, ce qui est plus mensonger mais plus efficace, ils prétendent incarner une volonté divine (des partis monarchistes aux fondamentalistes religieux). Tous les partis politiques de la bourgeoisie sont démagogiques parce qu’ils ont besoin de trouver une base populaire, ne serait-ce que pour des raisons électorales.

    Le mensonge, la flatterie, des belles phrases, des promesses sans nombre, des aumônes d’un sou, des concessions pour garder l’essentiel. (Vladimir Lénine, « Projet de plateforme », 10 avril 1917, Œuvres, Progrès, 1973, t. 24, p. 56)

    Suivant les classes sociales et couches des classes que les démagogues et les partis bourgeois ciblent, les médias les étiquètent soit dans « la gauche », soit dans « la droite ». Les chefs syndicaux, les partis réformistes et leurs adjoints centristes leur emboitent le pas.

    Le clivage gauche-droite reste fondateur de la démocratie. (François Hollande, Le Monde, 16 septembre 2016)

    Certes, les communistes révolutionnaires accordent la plus grande importance aux idées (le socialisme scientifique). Ce sont même les seuls qui prennent véritablement les idées au sérieux. Mais c’est pour mieux intervenir dans lutte des classes. Dans une conjoncture donnée, les communistes révolutionnaires appliquent ces idées de manière politique, en définissant une stratégie et des tactiques (un programme révolutionnaire).

    Le réformisme ne provient pas d’idées fausses, mais de l’apprivoisement, de l’intégration et de la corruption par la classe dominante des appareils d’organisations ouvrières (mutuelles, syndicats, partis).

    Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère, au parlement et dans diverses commissions, dans les rédactions de journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers d’obédience bourgeoise, voilà ce dont use la bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des partis ouvriers bourgeois. (Vladimir Lénine, « L’Impérialisme et la scission du socialisme », octobre 1916, Œuvres, Progrès, 1974, t. 23, p. 129)

    Les « idées », instables, des réformistes n’ont rien de spécifique. Les chimères telles que « la séparation des pouvoirs », de « l’État de droit », « l’intérêt général », « la république », « la nation »… sont reprises de la classe dominante. Les nuances entre les partis ouvriers bourgeois dépendent de la fraction de la bourgeoisie nationale sur laquelle ils s’alignent.

    L’opportunisme se différencie en fonction des couches de la bourgeoisie sur lesquelles il cherche à s’appuyer et auxquelles il essaie de subordonner le prolétariat. (György Lukacs, Lénine, 1924, GMI, 2019, p. 37)

    D’où la convergence flagrante entre le discours de Mélenchon et celui Le Pen, au moins jusqu’au génocide entrepris par Israël à Gaza, et la porosité entre le PS et En marche-Renaissance.

    La classe dominante ne vit pas en vase clos. Elle se trouve dans des rapports déterminés avec les autres classes. Dans le régime « démocratique » de la société capitaliste développée, la bourgeoisie s’appuie en premier lieu sur la partie de la classe ouvrière apprivoisée par les réformistes. (Lev Trotsky, « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », 27 janvier 1932, Contre le fascisme, Syllepse, 2015, p. 201, l’article est publié intégralement dans Comment vaincre le fascisme, Buchet-Chastel, 1973)

    Le mythe bourgeois de « la gauche » permet d’effacer la frontière entre certaines représentations de la bourgeoisie et le mouvement ouvrier, de justifier les fronts populaires. Le mouvement ouvrier est divisé depuis la 1re Guerre mondiale entre réformistes sociaux patriotes et révolutionnaires internationalistes. Entre les deux, oscillent un marais intermédiaire, révolutionnaires en paroles, réformistes en pratique. Les centristes du mouvement ouvrier dénoncent « la gauche institutionnelle », mais le prolétariat n’a pas besoin d’une « gauche non institutionnelle » mais d’une nouvelle direction, d’une internationale ouvrière révolutionnaire (et d’un parti communiste internationaliste dans chaque État).

    La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat. (Lev Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GMI, 2025, p. 5)

    Enfin, « l’extrême droite » des bourgeois libéraux et des démocrates petits bourgeois mélange des partis qui restent apparemment dans le cadre de la démocratie bourgeoise et des partis qui veulent détruire le mouvement ouvrier. Or, la classe ouvrière a intérêt à les distinguer car elle ne peut y faire face de la même manière.

    Le fascisme (« Ni droite, ni gauche ») a pour trait distinct de transformer les déclassés et les petits-bourgeois en troupe de choc contre la classe ouvrière en recourant au populisme et au nationalisme exacerbés.

    Le fascisme a pour fonction principale et unique de détruire tous les bastions de la démocratie prolétarienne jusqu’à leurs fondements. (Lev Trotsky, « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », 27 janvier 1932, Contre le fascisme, Syllepse, 2015, p. 202)

    Le fascisme n’est pas caractérisé par l’antisémitisme. Celui de Mussolini, le premier à avoir instauré un régime de parti unique en Italie en 1925, n’était pas anti-juif jusqu’en 1938. Le fascisme se distingue des autres partis bourgeois en proposant à la classe dominante de ne plus financer les bureaucraties du mouvement ouvrier, d’en finir avec les libertés démocratiques conquises antérieurement par les travailleurs, de détruire toute organisation ouvrière.

    L’échec des parti uniques italien et allemand durant la deuxième guerre mondiale, la croissance économique du capitalisme après et la collaboration de classes qu’elle permettait ont mis cette solution bourgeoise en sommeil. Le fascisme est pourtant réapparu, en Iran, contre la révolution de 1978-1979, sous la forme de l’islamisme.

    S’il fallait seulement combatte des « idées d’extrême-droite », l’éducation, appuyée sur de bonnes lois, suffirait. Mais il ne s’agit pas que d’idées.

    Aucune illusion légaliste face aux partis fascisants et aux nervis fascistes !

    S’il est correct d’interdire toute violence et tout insulte contre des personnes, surtout les plus vulnérables, demander l’interdiction juridique de certaines idéologies est inefficace.

    Laissons les ennemis du peuple ouvrier énoncer leurs propres idées, nous pourrons ainsi leur répondre et les masses laborieuses pourront réfléchir elles-mêmes à qui sont leurs amis et qui sont leurs ennemis. (Rosa Luxemburg, 1906, citée dans Actuel Marx n° 71, 2022, p. 31)

    Ainsi, le machisme vient de l’infériorisation des femmes dans la division du travail, l’origine n’est pas dans les mauvaises idées ou dans la grammaire française qui n’en sont que l’expression. De même, le racisme ne vient pas d’idées fausses, mais il est inhérent au système impérialiste mondial, à la hiérarchie entre États capitalistes. La xénophobie est en germe dans le patriotisme bourgeois qui reste légal et même dominant (si son État est supérieur aux autres, c’est que les autres sont inférieurs). Appeler à des lois qui restreignent la liberté d’expression se retourne toujours contre les exploités et les opprimés.

    La loi qui s’en prend aux convictions n’est pas une loi de l’État faite pour les citoyens, mais une loi faite par un parti contre un autre parti. (Karl Marx, « Notes sur la récente règlementation de la censure prussienne », 1842, Œuvres, Gallimard, 1982, t. 3, p. 124)

    Par exemple, l’interdiction par l’État bourgeois des idées racistes et antisémites (1er juillet 1972, 13 juillet 1990…) sert aujourd’hui à intimider et à réprimer les soutiens à la cause palestinienne.

    19 juin 1936, le quotidien national du PCF appelle le gouvernement de Front populaire à dissoudre les organisations fascistes

    Les lois contre « l’extrême-droite » des parlements, les décrets de dissolution par des gouvernement bourgeois sont des leurres car ces organisations restent appuyées par des secteurs du grand capital et de l’appareil militaire, policier et judiciaire de l’État qui, eux, restent intacts. Ainsi, la loi de janvier 1936 contre « l’extrême-droite » a servi au gouvernement du Parti radical (le parti bourgeois du Front populaire) pour interdire le PCF en 1939.

    La mise hors la loi des groupes fascistes aurait inévitablement un caractère fictif… Dans les conditions du régime de la bourgeoisie, toute suppression des droits politiques et de liberté, peu importe contre qui elle est dirigée au début, finit par se retourner inévitablement contre la classe ouvrière. (Lev Trotsky, « Pourquoi j’ai accepté de comparaitre devant la commission Dies », 11 décembre 1939, Œuvres, ILT, 1985, t. 22, p. 190)

    Le PS a fourni depuis 1914 plus d’un ministre « de l’intérieur », « des armées » et de « la justice ». Le PS et le PCF ont plus d’une fois participé à des gouvernements front populistes (Blum en 1936, Mitterrand en 1981, Jospin en 1997, Hollande en 2012…) ou d’union nationale (comme adjoints du général de Gaulle de 1944 à 1947) qui ont toujours renforcé l’appareil judiciaire et carcéral, la police et l’armée bourgeoises.

    Aujourd’hui, tous les partis sociaux impérialistes (PS, LFI, PCF) sèment des illusions dans la justice bourgeoise.

    La justice a rendu son verdict et sa décision s’impose à tous et toutes. Personne n’est au-dessus des lois. La justice ne doit pas faire de distinction entre les puissants et les citoyens. C’est là un fondement inébranlable et la garantie de la démocratie. La séparation des pouvoirs doit être respectée. Les institutions républicaines doivent fonctionner librement sans pression politique. (PCF, Communiqué, 31 mars)

    LFI appelle avec le parti bourgeois vert kaki converti au militarisme LE (ex-EELV) à une contremanifestation le 6 avril à Paris « contre l’extrême droite et ses menaces contre les institutions », avec le soutien du NPA-AC et le POI, deux organisations qui prétendent opposer à « l’extrême droite » un bloc « large » avec la bourgeoisie « démocratique » contre « l’extrême droite » qui a fait faillite en Espagne en 1936-1939 comme au Chili en 1971-1973.

    La question est celle de la capacité de la gauche sociale et politique à construire un front unitaire large contre l’extrême droite. (L’Anticapitaliste, 17 avril)

    Le PCF, le PS, la direction de la CGT, celle de la FSU, l’UNEF, la LDH, le Syndicat de la magistrature, etc. en convoquent une autre le 12 avril en « défense de l’État de droit », reprenant aussi l’antienne de l’idéologie bourgeoise qui mythifie les institutions judiciaires comme l’expression de l’intérêt général. Les travailleurs ont à juste titre tourné le dos à ces deux initiatives qui sont restées squelettiques.

    Nous savons également que l’État de droit nous protège d’un autre fléau. Car, garantie de l’exercice des droits et des libertés fondamentales, l’État de droit est également ce qui contribue à ce que les relations qui se nouent entre les citoyennes et les citoyens ne soient pas abandonnées à la violence, à la force, aux pouvoirs sans limites, aux mauvaises passions, mais puissent être régulées par des normes juridiques. (Appel de la société civile pour la défense de l’État de droit, 12 avril)

    Révolution socialiste internationale ou contrerévolution despotique et raciste ?

    Face aux partis xénophobes qui prospèrent des défaites de la classe ouvrière comme celle de 2023, il ne suffit pas d’opposer des « idées », même « solidaires et révolutionnaires », aux « idées de l’extrême-droite » ou de se réconforter avec des « luttes » (LO, les deux NPA, RP…).

    Les idées du RN, non seulement sa xénophobie, mais aussi son nationalisme et ses appels au repli protectionniste, alimentent l’évolution militariste et guerrière de toute la société. (Lutte ouvrière, 2 avril)

    Pour faire reculer l’extrême droite, il va falloir défendre haut et fort nos idées. (Révolutionnaires, 3 avril)

    Face aux groupes fascistes, aucune illusion dans la police et les tribunaux, ni dans les urnes et dans l’État bourgeois, dans ses béquilles tricolores des fronts populaires d’hier, d’aujourd’hui et de demain !

    La lutte et l’autodéfense prolétariennes contre le fascisme exigent le front unique prolétarien… C’est pourquoi les travailleurs doivent s’unir pour lutter sans distinction de parti ou d’affiliation syndicale. (Clara Zetkin, « Rapport sur le fascisme au comité exécutif international de l’Internationale communiste », juin 1923, Batailles pour les femmes, ES, 1980, p. 417)

    En se défendant contre les coups économiques du capital, il faut savoir défendre en même temps ses organisations contre les bandes mercenaires du capital. Il est impossible de le faire autrement que par la milice ouvrière. (Lev Trotsky, « Encore une fois, où va la France ? », mars 1935, Contre le Front populaire, GMI, 2019, p. 23)

    Pour vaincre, il faut un programme d’action dont l’axe est d’unir le prolétariat contre ses exploiteurs, de rallier une grande part des classes intermédiaires, d’armer les travailleurs et leurs alliés potentiels, d’éradique la racine du racisme et de la xénophobie, le capitalisme. Il faut le défendre au sein des syndicats contre la bureaucratie. Imposons l’alliance des organisations politiques, syndicales et associatives des exploités et des opprimés :

    • Aucune dérogation judicaire ou carcérale pour Le Pen et les autres délinquants du RN, inculpation des responsables des morts au travail et sur les voies migratoires !
    • Aucune voix pour le RN, que sa candidature présidentielle soit Le Pen ou Bardella, ou pour les autres candidats bourgeois (de Tondelier à Zemmour en passant par Philippe, Wauquiez ou Attal) !
    • Expropriation de Bolloré et de tous les groupes capitalistes, élection des juges !
    • Ouverture des frontières aux travailleurs, aux étudiants et aux réfugiés, mêmes droits pour tous les travailleurs !
    • Autodéfense du mouvement ouvrier, des étudiants, des opprimés contre les flics et les fachos !
    • Licenciement des corps de répression et de l’armée de métier, armement du peuple !
    • Gouvernement ouvrier, États-Unis socialistes d’Europe !

    25 avril 2025