La conclusion de la stratégie réformiste du NPA
En 2009, la direction pabliste de la LCR lançait le NPA, Krivine et Besancenot souhaitant prendre la place laissée libre par l’affaissement du PCF dans le gauche du réformisme. Affaiblie par plusieurs départs liés à la scission du PS autour de Mélenchon, la direction historique du NPA se retrouve en difficulté et concurrencée par d’autres courants au sein de sa propre organisation jusqu’à perdre sa majorité absolue au 4e congrès de 2018.
En 2020, un de ses membres Philippe Poutou est élu au conseil municipal de Bordeaux sur une liste commune avec les sociaux-démocrates de LFI. Dès lors l’ex-majorité va manœuvrer pour se rapprocher des Insoumis. En avril 2021, RP issu d’une tendance moréniste quitte le navire sans batailler et sur une question de casting électoral. Aux législatives 2022, le NPA ne présente pas de candidats face au front populaire fraichement constitué, la NUPES, exception faite des candidats du PS ou transfuges du macronisme. En décembre de la même année, le cinquième congrès affiche encore davantage la crise de direction du NPA, la majorité relative Besancenot-Poutou, qui ne dispose pas des mains libres pour ces ambitions d’alliance avec LFI, casse l’organisation avant la fin du congrès. L’opposition regroupée autour de la plateforme C se retrouve alors aux manettes d’une organisation amoindrie sans l’avoir désiré.
L’occasion était donnée de convoquer un congrès pour se débarrasser du programme liquidateur du NPA, c’était là la tâche des communistes. Mais Convergences révolutionnaires qui dirige, et Alternative et révolution qui s’y est alliée par opportunisme ne comptent pas laisser les militants décider de ce que doit devenir la nouvelle organisation avant d’en avoir cimenté l’appareil. C’est donc sans démarcation programmatique d’avec le réformisme de Besancenot-Poutou que les militants du NPA-R vont participer aux mobilisations de 2023 pour les retraites, à celles contre le génocide en Palestine et vont courir pour les élections européennes et législatives de 2024. Une absence de démarcation d’autant plus inconséquente que l’ex-majorité maintenant à la tête du NPA-A finalise sa mue réformiste en intégrant la dernière mouture du front populaire, le NFP.
Le congrès d’un appareil consolidé
Dans les grèves de 2023, la direction du NPA-R ne se distingue pas de ce qu’était la ligne pabliste de l’ex-NPA, soutien aux journées d’action et à l’isolement des secteurs combattifs dans des reconductibles orchestrés par les directions syndicales. Elle refuse d’affronter les bureaucraties de la CGT ou de Solidaires. Toutefois, si les militants ont pour une bonne part été formés à l’école pabliste, la direction de CR a, elle, une autre boussole, le hardysme de Lutte ouvrière. Tout aussi alignés sur les directions syndicales, ces deux courants du centrisme n’en sont pas moins différents sur leur fonctionnement interne, le pablisme divise la classe ouvrière jusqu’à l’épuisement dans le mouvementisme tandis que la ligne LO lui fait miroiter la révolution dans l’au-delà. Mais la participation d’A&R lui-même issu du SU pabliste va servir d’aide à la transition. CR est d’ailleurs à ce point admiratif de LO qu’il est capable de la qualifier publiquement comme « la plus sérieuse des organisations révolutionnaires de ce pays » dans une lettre du 19 décembre 2023. Décrédibilisant l’existence même du NPA-R comme organisation indépendante pour qui prend ces mots un tant soit peu au sérieux.
Sans ignorer aucun désaccord d’orientation, nous menons une politique prioritairement tournée vers l’organisation révolutionnaire qui est à la fois la plus proche politiquement et la plus grande numériquement, à savoir Lutte ouvrière. Cette politique s’est incarnée par une participation systématique de notre part à leur fête en leur ayant proposé de reprendre les débats communs NPA-LO. Elle s’est aussi déclinée dans les propositions de campagne électorale commune en 2024 aux Européennes puis aux Législatives, dans les débats communs lors de nos deux rencontres d’été révolutionnaires, et dans la proposition de meeting internationaliste commun, y compris avec le Parti des travailleurs (PT), le 1er mai dernier. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Malgré tout et après deux ans de tractation bureaucratique, CR et A&R estime avoir suffisamment solidifié leur mainmise sur le NPA-R pour jouer la carte du congrès. Sans surprise la direction s’avance unie sous une même plateforme. Deux autres courants issus de la plateforme C de l’ancien NPA déposent également la leur, Démocratie révolutionnaire, une autre secte issue de LO et Socialisme ou barbarie, une tendance moréniste liée au Nuevo MAS argentin.
Une absence de programme bien confortable
La plateforme de la direction, la seule qui comprend trois textes, s’applique à dresser un bilan de la situation internationale et nationale en se bornant à la description d’ensemble. Elle acte la montée de la réaction et des partis fascisants tant en France que dans le monde sans en analyser les possibilités d’irruption du fascisme ni dresser la perspective de l’autodéfense ouvrière. Elle énonce le génocide en Palestine sans aucun mot d’ordre clarifiant ce qu’il convient de faire à la classe ouvrière pour y mettre un terme. Elle échoue à expliquer le NFP à la lumière des analyses de Trotsky sur les fronts populaires. Elle titube sur la qualification à appliquer aux directions syndicales qui sont présentées comme « en deçà », ou comme « corps intermédiaires », corporatistes ou nationalistes mais jamais comme des agents de la bourgeoisie dans la classe ouvrière. Cette absence de programme explique quelques hésitations comme sur le capitalisme chinois qui n’est jamais clairement qualifié d’impérialiste mais dont plusieurs formules le laissent pourtant penser et qui démontre les hésitations au sein même de la direction sur des questions d’importance et qui ne seront donc pas tranchées dans un congrès.
A rebours de ce que doit être une organisation révolutionnaire, le programme est repoussé aux calendes grecques ou éventuellement à un prochain congrès, alors que la direction a disposé de deux années complètes pour le formuler.
Nombre de vérifications et de débats sont encore devant nous avant de pouvoir synthétiser ce programme dans un document, ce qui pourrait être un objectif pour le prochain congrès. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Démontrant s’il était nécessaire que la fusion CR-A&R ne repose sur aucune base programmatique mais bien sur un accord bureaucratique de directions. Constat d’ailleurs partagé par les deux tendances minoritaires
Sur ce point la situation est quand même un peu inédite, parce que nous ne retrouvons pas d’autres cas de fusions opérées sur la base d’unification des instances organisationnelles sans aucun accord sur le programme et la stratégie. (Plateforme 3, SoB, 20 décembre 2024)
Une fusion par en haut telle qu’elle se déroule depuis deux ans sans discussion ouverte à tous.tes les militant.es, publique, sans qu’il soit possible de comprendre les divergences qu’ils auraient surmontées et de partager l’expérience qu’ils qualifient d’inédite, ne porte aucune dynamique pour le mouvement révolutionnaire. (Plateforme 2, DR, 12 décembre 2024)
Si un programme semble facultatif pour le NPA-R, il est indispensable pour une organisation révolutionnaire et pour ses militants.
Le programme, c’est un obstacle sérieux pour la fraternisation générale des petits-bourgeois, des intellectuels, des pessimistes, des sceptiques et des aventuriers, et nous autres croyons que le programme détermine tout. (Trotsky, Lette au comité central du GBL, 4 décembre 1935)
Mais ce défaut programmatique masque l’objectif, ne pas être tenu d’affronter les appareils syndicaux. De là découle l’importance accordée aux compatibilités dans les « pratiques militantes ».
Nous sommes ouverts aux discussions avec les courants et organisations dont les positions et les pratiques peuvent nourrir notre compréhension des situations, et qui sollicitent comme nous des échanges. Nous ne souhaitons pas opérer de rapprochements sur la base de seuls textes. Les références programmatiques doivent être éclairées par les pratiques militantes et organisationnelles, mises à l’épreuve des implantations et interventions dans la classe ouvrière, et aussi la jeunesse. (Plateforme 1, texte 1, 12 décembre 2024)
Une prévalence antimarxiste de la pratique sur le programme qui a servi d’argument à la direction du NPA-R de refuser l’adhésion du GMI sans toutefois oser l’affirmer publiquement.
Une organisation calquée sur sa grande sœur
Confiante sur l’issue du congrès l’alliance CR-A&R, présente dans son troisième texte ses vues sur le fonctionnement de l’organisation et là encore pour elle, le mètre étalon se nomme LO. Le texte de la plateforme majoritaire ne masque même pas sa volonté de mener ses jeunes dans les mêmes travers ouvriéristes que l’organisation hardyste alors même qu’elle reconnait que ceux-ci sont principalement présents dans « les facs (et dans une moindre mesure les lycées) ».
La réalité de notre implantation dans la jeunesse nous permet d’envisager sereinement une double besogne : renforcer notre implantation dans les secteurs ouvriers où nous sommes déjà mais aussi envisager réellement l’implantation dans les secteurs industriels où nous sommes beaucoup plus fragiles comme l’automobile, la chimie, la microélectronique ou l’aéronautique. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
D’ailleurs LO ne tolère pas en son sein d’organisation autonome de la jeunesse aussi CR souhaite reprendre la main sur celle du NPA-R, en en contrôlant l’activité.
Une partie des militants du secteur jeunes, souvent en fin d’études, se tournent vers le monde du travail, animés par l’envie d’y mener une activité politique et d’implantation. Nous devons accompagner ces camarades, en lien avec les instances de l’organisation. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Ou en lui soustrayant la formation de ses nouveaux membres.
La formation des militants a jusqu’à présent été assumée quasi totalement par le secteur jeunes au niveau central […] Notre mandat d’ici au prochain congrès est la prise en charge de la formation pour tous les membres du parti. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Une formation qui sera d’ailleurs différenciée en fonction de sa position dans le nouvel appareil, selon le cloisonnement étanche des militants pratiqué par les Arthaud et Mercier.
Cela implique des stages adaptés à différents milieux et différents niveaux. Les étapes étant différentes que l’on soit étudiant, « établi » ou camarade d’entreprise gagné à notre organisation. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Et c’est bien de bourrage de crâne façon LO qu’il s’agit puisque les sachants devront expliquer aux nouveaux ce qu’ils doivent retenir de leurs lectures.
Nous avons aussi une certaine exigence en termes de culture politique commune, de connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier, de l’histoire du trotskisme. Un socle commun d’ouvrages, même limité en nombre, et agrémenté des nécessaires discussions théoriques et pratiques, parait à cet égard à concevoir. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Mais le plus sinistre héritage du hardysme est sans nul doute la volonté de s’immiscer dans la vie privée des militants et ce en « permanence ».
L’engagement nécessaire à la construction d’un mouvement révolutionnaire dans une période qui ne l’est pas encore implique la mise en cohérence de nos choix et modes de vie avec nos perspectives. Il faut donc que l’organisation mette en commun et à disposition de tous les sympathisants et militants des moyens pour se former en permanence. (Plateforme 1, texte 3, 12 décembre 2024)
Une nouvelle organisation centriste officialisée
A l’issue du congrès, la direction arrivée en tête publie un communiqué que l’on pourrait sortir tout droit du journal d’Arlette Laguiller, il y est question du « camp des travailleurs », de sa nécessité de se « faire entendre », que « les travailleuses arracheront leurs revendications par leurs grèves et par leurs luttes ». Il n’est pas fait mention cependant de l’exclusion de Socialisme ou barbarie durant le congrès. La nouvelle direction doit penser que DR suffit comme alibi démocratique tout en constituant un repoussoir suffisant pour ne pas lui faire de l’ombre. DR explique en effet dans sa plateforme que le capitalisme s’est dégagé « des contraintes des États nationaux comme de la propriété privée ». Le NPA-R aurait tout de même pu proposer à SoB de constituer une fraction privée de recrutement, une manœuvre antidémocratique que LO avait soumise à CR avant son exclusion.