Une crise économique se profile alors que la crise politique n’est pas surmontée
Après que la motion de censure du NFP (Verts-PCF-PS-LFI) votée par le RN a fait chuter le 4 décembre le gouvernement de Barnier (LR), Macron se rabat le 13 sur Bayrou, 73 ans, maire de Pau et président du MoDem (36 députés sur 577 dans l’Assemblée nationale).
Aussitôt, le patronat et la plupart des chefs syndicaux s’adressent, ensemble, à tous les partis pour leur demander de lui laisser une chance.
À l’attention de nos élus et responsables politiques : L’instabilité dans laquelle a basculé notre pays fait peser sur nous le risque d’une crise économique aux conséquences sociales dramatiques… Nous appelons, au nom de la confiance que les millions de salariés et chefs d’entreprise que nous représentons placent en nous et de l’esprit de responsabilité qui nous guide, à retrouver au plus vite le chemin de la stabilité, de la visibilité et de la sérénité… (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CPME, FO, Medef et U2P, 18 décembre)
À quoi bon des syndicats, si les intérêts des travailleurs et des patrons convergent tant ? « Notre pays » est, pour l’instant, aux mains des exploiteurs et de leur État. Ce que montre l’appel est que cette bourgeoisie est inquiète :
- effondrement de son pré carré en Afrique au profit de la Russie,
- concurrence économique grandissante de la Chine et des États-Unis,
La Chine a dépassé en décembre mille milliards de dollars d’excédent commercial. (François Bayrou, BFM, 17 janvier 2025)
- menaces protectionnistes des États-Unis, affaiblissement de l’Union européenne,
- multiplication des faillites d’entreprise, risque de récession (les prévisions de croissance du gouvernement sont ramenées à 0,9 % pour 2025, celles du FMI à 0,8 %),
- dette publique (113,7 % du PIB pour un montant de 3 303 milliards d’euros),
- augmentation des taux d’emprunt de l’État français (celui des obligations assimilables du Trésor à dix ans est passé début janvier à 3,4 %).
S’il n’y avait qu’une façon de répondre à ces problèmes, il n’y aurait pas tout un éventail de partis bourgeois, allant des Écologistes à Reconquête. Le problème est que, pour assoir la légitimité d’un gouvernement, il repose sur des élections au suffrage universel et que celles-ci n’ont rien tranché. La classe dominante fait pression pour que le gouvernement soit en mesure non seulement de tenir plus de quelques mois mais de préserver les mesures pro-capitalistes de Macron.
Des grèves se multiplient pour les salaires : Demathieu Bard, Hutchinson, Citerniers bretons, SBM, Saints-Frères Enduction, TechnicAtome, OREP-Packaging, Covea (MMA-GMF-MAAF), Thales… mais entreprise par entreprise, ce qui limite leur portée.
Tractations du PS et du PCF avec le premier ministre réactionnaire
Bayrou convoque le 19 décembre tous les partis présents au parlement, sauf LFI et le RN selon la doctrine Macron des « deux extrêmes ». Le PS et le PCF (un parti qui était « extrême » pour le général de Gaulle) se rendent à la convocation, sans que la contreréforme des retraites de Macron-Borne soit mise en cause, ni que des moyens soient garantis à l’enseignement public et à la santé publique.
Le premier ministre annonce le 25 décembre un gouvernement LR-Renaissance-Horizons-MoDem-UDI-Parti radical qui reconduit 19 ministres du gouvernement Barnier. Y figurent aussi la première ministre de la loi de 2023 contre la retraite des salariés (Borne) et son ministre de l’intérieur, le matraqueur et xénophobe (Darmanin) ainsi que trois anciens membres des derniers gouvernements de type front populaire (Méadel, Rebsamen, Valls).
Bayrou annonce un « conclave » (un terme emprunté à l’Église catholique) des « partenaires sociaux » pour discuter des retraites.
La première urgence : adopter les budgets de l’État et de la Sécurité sociale. Une délégation se réunira pendant trois mois afin de rechercher une voie de réforme nouvelle. Seule une condition : le respect de l’équilibre financier. Sans accord, c’est la réforme actuelle qui continuera de s’appliquer… Les entreprises françaises doivent être prémunies contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges… Poursuivre la réforme de l’enseignement professionnel… Il est de la responsabilité du gouvernement de maintenir et faire respecter l’ordre, à Mayotte comme en métropole. Il est donc de notre devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de retour dans leur pays de ceux dont la présence met en péril par leur nombre la cohésion de la nation… (François Bayrou, Discours de politique générale, 14 janvier)
LFI, qui mise comme le RN sur des élections anticipées, dépose alors une motion de censure qui n’a aucun caractère de classe et qui est votée par le PCF et les Verts.
Le Président de la République récidive dans le déni de démocratie. Il aurait pourtant dû retenir les leçons de l’échec cuisant de sa première tentative pour contourner le vote des Françaises et des Français… L’entêtement présidentiel à imposer des gouvernements minoritaires fait perdre un temps précieux au pays… Dès lors, la censure est une mesure de protection des Françaises et des Français. (Députés LFI, Motion de censure, 14 janvier)
Comme il faudrait 288 députés, un seuil impossible à atteindre sans le RN, personne ne croit que le gouvernement va tomber, sauf les fronts populistes déguisés en trotskystes du PCR, du NPA-AC et du POI qui placent tous leurs espoirs dans Mélenchon.
Si Bayrou tombe, cela posera immédiatement et très concrètement la question d’élections présidentielles anticipées. Or les dirigeants de l’aile droite du NFP redoutent cette possibilité, car elle ne leur donnerait pas le temps d’organiser de grandes manoeuvres contre une candidature de Jean-Luc Mélenchon. (Révolution, 15 janvier)
À Bayrou, répondra peut-être la censure, le jeudi 16 janvier. (L’Anticapitaliste, 16 janvier, p. 2)
Abrogation ! Censure ! Qu’ils dégagent tous. (Informations ouvrières, 16 janvier, p. 1)
Le premier secrétaire du PS tend une perche au premier ministre.
Ce que je demande au premier ministre, c’est qu’il soit clair et qu’il dise que le Parlement sera saisi de la question des retraites sur la base des propositions qui auront été faites par les uns et par les autres. (Olivier Faure, TF1, 14 janvier)
La secrétaire générale de la CGT, qui a fait ses classes dans l’UNEF-SE cogestionnaire dirigée par le PCF, abonde dans son sens.
Il faut que le premier ministre clarifie ce point et qu’il dise que, quelle que soit l’issue des discussions, c’est la démocratie qui parlera et que les parlementaires pourront voter sur cette réforme et pourront l’abroger s’ils le souhaitent. (Sophie Binet, Ouest-France, 14 janvier)
Elle n’attend même pas le résultat de la motion de censure LFI-PCF pour se satisfaire du discours de politique générale de Bayrou.
Je me félicite que près de deux ans après notre mobilisation historique la réforme des retraites soit encore au coeur de l’actualité. Le problème c’est qu’à ce stade, le compte n’y est pas, parce que dans la forme des discussions annoncées, le premier ministre met le patronat en position de force. (Sophie Binet, RTL, 15 janvier)
Bayrou fracture le Nouveau front populaire
Le 16, le premier ministre s’engage à retirer du projet de budget le déremboursement des médicaments et des consultations médicales, la suppression des 4 000 postes dans l’enseignement et des 500 postes à France Travail. Il ne serait plus question non plus d’instaurer deux jours de carence supplémentaire aux fonctionnaires. Il confirme la convocation du conclave.
Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, les avancées issues des travaux seront quand même présentées via un nouveau projet de loi, à la seule condition que l’équilibre financier soit maintenu. Le Parlement aura, en tout état de cause, le dernier mot. (François Bayrou, 16 janvier)
Cela suffit au PS qui ne veut pas être accusé de semer le désordre… et qui oublie que le NFP a voté plus d’une fois avec le RN (en 2023 et même en 2024).
Nous avons choisi de ne pas pratiquer la politique du pire parce qu’elle peut conduire à la pire des politiques, c’est-à-dire l’arrivée de l’extrême droite. (Olivier Faure, 16 janvier)
De son côté, Macron réitère qu’il faut augmenter l’effort militariste.
En une décennie, le budget de nos armées aura doublé… Mais dans un monde où les règles s’effacent et où les arsenaux se remplissent, il nous faut aller plus loin et plus vite… Si la nation est prête à faire ce choix, qui, dans les temps que nous vivons, est un choix grave, profond, couteux, en opportunité par rapport à d’autres choix que nous pourrions faire, c’est bien pour nous protéger, c’est bien pour nous équiper et c’est aussi pour créer de la valeur dans notre pays. (Emmanuel Macron, Voeux aux armées, 20 janvier)
Le 18, la motion de censure est rejetée (131 pour sur 577 députés).
Les agents de la bourgeoisie vont en conclave
« L’Intersyndicale » de toutes les bureaucraties a réussi a empêché la grève générale au printemps 2023, avec l’aide des partis réformistes (PS, PCF, LFI…) et des centristes friands de « journées d’action » et de « grèves reconductibles » (LO, NPA-AC, NPA-R, RP, PCR, UCL…). Le 17 janvier, tous les cardinaux invités se rendent au conclave.
Il était acquis que les leaders des trois organisations patronales -Medef, CPME et U2P- ainsi que ceux et celles des cinq confédérations -CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC- seraient de la partie. L’UNSA, surtout présente dans le public mais qui est aussi implantée, même si c’est faiblement dans le privé, a aussi été conviée. (Les Échos, 17 janvier)
Les dirigeants des SUD refusent de se fâcher pour si peu avec leurs « copains de la CGT ». Ces jésuites présentent le conclave comme une sorte de concession de la part de Bayrou.
L’ouverture de ces discussions confirme qu’il y a un problème majeur avec cette réforme injuste, rejetée clairement par la population, et adoptée sans vote du Parlement. (Solidaires, 17 janvier)
Les chefs de la FSU se plaignent de ne pas être invités.
La FSU demande au Premier ministre de respecter la représentativité que lui ont donnée les élections professionnelles dans la fonction publique. (FSU, 16 janvier)
Pourtant, il n’y a pas beaucoup de travailleuses et de travailleurs salariés qui croient que le patronat va leur accorder une meilleure retraite !
Bayrou gagne du temps grâce au PS et au syndicalisme de proposition
L’idée du gouvernement Bayrou-Retailleau-Borne est de gagner du temps tout en renforçant le copinage entre la bureaucratie syndicale et le patronat qui avait préparé tout au long de 2022 le projet de loi Macron-Borne et qui se poursuit toujours dans tout un tas d’organes comme le Conseil d’orientation des retraites.
Cette idée qu’ils vont partager des mois et des mois de travail en commun, pour moi c’est une idée fructueuse. Je fais confiance à la responsabilité du dialogue social qui est une autre forme de préparer l’avenir que l’affrontement politique. (François Bayrou, BFMTV, 17 janvier 2025)
Le choix de nommer le haut fonctionnaire Marette comme animateur du conclave témoigne de la volonté du gouvernement de s’appuyer sur la cogestion. Marette a dirigé le régime de retraite complémentaire AGIRC-ARCO de 1997 à 2015, diminuant les montants des retraites grâce au système à points cher à la CFDT.
Pendant les conciliabules de collaboration de classes, la loi Macron-Borne continue à s’appliquer. Les plans de licenciements se succèdent, le chômage remonte : +3,7 % de chômeurs inscrits sur un an (+9,4 % sur un trimestre pour les femmes de moins de 25 ans). La précarité s’étend grâce aux lois Macron et au statut de microentreprise qui concurrence de plus en plus l’intérim.
Pendant que LFI rassemble les signatures nécessaires à la candidature de Mélenchon, que le PS discute avec Bayrou, pendant que l’Intersyndicale papote avec le patronat, les dirigeants kanaks sont toujours incarcérés, la gendarmerie arrête une adolescente sans papiers dans son collège.
Dès l’instant que vous avez le sentiment de submersion, de ne plus reconnaitre votre pays… il y a rejet. (François Bayrou, LCI, 27 janvier)
Le Sénat maintient la réduction des indemnités maladie des fonctionnaires et continue à détricoter les mesures de protection de l’environnement, conformément aux exigences de certains secteurs du grand capital relayées par LR et le RN, la FNSEA et la Coordination rurale.
Comme tous les cléricaux, le premier ministre MoDem est hostile à la possibilité de choisir librement sa mort.
Ne faisons pas un service public pour donner la mort. (François Bayrou, Le Figaro, 3 mai 2023)
Il manoeuvre en tentant de découper en deux le modeste projet de loi dont la discussion a été interrompue en juin 2024.
Retailleau durcit encore les conditions de régularisation des sans-papiers par une nouvelle circulaire envoyée aux préfets et déclenche partout des contrôles au faciès des Noirs et des Arabes. Pendant que le RN veut supprimer l’aide médicale aux étrangers (AME), les grands patrons qui se déplacent en jet privé glapissent qu’ils paient trop et menacent de s’installer aux États-Unis.
Là où Barnier misait sur une économie globale de 60 milliards d’euros pour ramener le déficit à 5 % du PIB, son successeur affiche une ambition de 8 milliards de moins. Mais les projets de budget (LFP 2025 et LFPSS 2025) restent des budgets de restriction pour les travailleuses et les travailleurs, une corne d’abondance pour les patrons. En tout cas, l’aide publique au développement accuse un recul supplémentaire de 781 millions d’euros. La culture voit son budget amputé de 150 millions d’euros contre 100 millions dans le projet de Barnier…
Par contre, l’armée et la police seront épargnées par l’austérité, avec la bénédiction des partis ouvriers bourgeois. Leurs sénateurs ont participé à la mission sénatoriale aux outre-mer qui publie ses conclusions le 23 janvier.
L’insécurité « alarmante et multiforme » dans les départements et régions d’outre-mer nécessite un « choc régalien » passant par la densification des forces de sécurité et un renforcement de la justice, préconise un rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer. (Le Monde, 23 janvier)
La dégradation par le capitalisme mondial de l’environnement se poursuit, affectant la « métropole » (inondations en Provence en 2023, dans les Hauts de France en 2023-2024, en Bretagne en 2025 ; partout « polluants éternels » dans l’eau), la Martinique et la Guadeloupe (chlordécone), Mayotte (sècheresse en 2023, cyclone en 2024) …
Ni Bayrou-Retailleau-Darmanin, ni Le Pen-Bardella-Ciotti, gouvernement des travailleurs !
Le gouvernement Bayrou-Retailleau-Darmanin a passé sans encombre sa première épreuve. Reste à franchir l’obstacle des budgets sur lequel son prédécesseur a trébuché.
Toute crise politique peut déboucher sur une solution autoritaire et réactionnaire (que prépare consciemment le RN) ou sur une solution radicale et progressiste (que l’Intersyndicale et le NFP tentent d’empêcher).
Les éléments prolétariens conscients de l’urgence d’une révolution sociale et de la nécessité d’un parti pour la mener à bien doivent se regrouper sans tarder au sein des syndicats et dans une seule organisation communiste, internationaliste et démocratique :
- Boycott du conclave, du Conseil d’orientation des retraites, des conseils d’administration des groupes capitalistes !
- Abrogation de la loi contre les retraites, interdiction des licenciements, diminution du temps de travail sans baisse de salaire !
- Fin des exemptions de cotisations sociales et d’imposition des groupes capitalistes ! Suppression des impôts sur la consommation populaire, impôt progressif sur le patrimoine et les revenus sous contrôle des travailleurs !
- Fermeture des centres de rétention administrative ; liberté de circulation pour les réfugiés, les travailleurs et les étudiants ; régularisation des travailleurs sans papiers ; mêmes droits pour tous les travailleurs, pour tous les étudiants !
- Aucune subvention aux institutions religieuses, interdiction de l’enseignement privé hors contrat ! Enseignement scientifique à la sexualité, droit à la contraception gratuite et à l’avortement, droit de choisir sa fin de vie !
- Libération immédiate de Georges Abdallah, abrogation du délit d’apologie du terrorisme, arrêt de la collaboration militaire avec Israël !
- Libération des militants kanaks emprisonnés, indépendance de la Kanaky !
- Expropriation des groupes capitalistes sous contrôle des travailleurs ; plan d’urgence pour le logement social, l’enseignement public, la santé publique !
- Autodéfense contre les flics, les fachos et les narcos ; dissolution des corps d’espionnage et de répression ; armement du peuple !
- Assemblées générales qui décident, conseils de travailleurs élus par les AG, gouvernement ouvrier basé sur les conseils, États-Unis socialistes d’Europe, socialisme mondial !