Uruguay : le front populaire revient au gouvernement

Le 24 octobre 2024, dans ce pays de près de 3,5 millions d’habitants, 2,7 millions de citoyens sont appelés aux urnes pour

  • deux référendums (l’un à l’initiative de la majorité sortante, l’autre de la centrale syndicale)
  • les élections législatives directes aux deux chambres du parlement (sénat, chambre des représentants) ;
  • l’élection présidentielle (le président est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement).

Le 24 novembre, un second tour de la présidentielle a lieu, aucun candidat n’ayant obtenu la majorité absolue.

Le président finalement élu est celui du Frente Amplio (Front large, FA) et, plus précisément, d’un ancien mouvement de guérilla qui a depuis longtemps remplacé les fusils par les bulletins de vote.

2020-2025 un gouvernement des vieux partis bourgeois alliés à un parti fascisant

Le Frente Amplio n’a pas accédé au pouvoir en 2005 à la suite d’un mouvement de masse, si bien que la bourgeoisie nationale (et internationale) n’a pas exigé de lui des mesures de maintien de l’ordre ou n’a pas préparé son renversement. Le débat politique reste plus policé en Uruguay qu’aux États-Unis en 2016 (quand Trump mène sa campagne présidentielle) ou que dans le Venezuela déchiré en 2017 (entre l’aile nationaliste de la bourgeoisie s’appuyant sur l’armée et la bureaucratie cubaine moribonde et l’aile compradore soutenue par les Etats-Unis, l’Union européenne et la plupart des États d’Amérique du Sud).

Néanmoins, un parti fascisant, militariste, xénophobe et misogyne fait son apparition en mars 2019 : Cabildo Abierto (CA, Chapitre élargi, le nom renvoie aux états généraux des citoyens riches convoqués exceptionnellement durant la période coloniale). Il présente fin 2019 la candidature du général Manini (destitué par le président) à l’élection présidentielle de fin 2019. Dès sa première apparition, le CA obtient 11,04 % des votes, 3 sièges de sénateurs sur 30 et 11 de députés sur 99.

Lors de son second mandat (2015-2020), l’hostilité de Vázquez au droit à l’avortement, le ralentissement de la croissance économique, l’inflation (9,64 % en 2016), la montée du narcotrafic permettent, au candidat PN à la présidentielle, à nouveau Lacalle, de l’emporter de justesse (50,79 %) au second tour en 2019 face au candidat du FA, Daniel Martínez (PSU, 49,21 %). Lacalle constitue un gouvernement de coalition entre le Partido Nacional, le Partido Colorado et le Cabildo Abierto.

Taux d’inflation IPC / Instituto Nacional de Estadística

Dès son entrée en fonction en mars 2020, le gouvernement PN-PC-CA est immédiatement confronté à la pandémie de covid, à une vague d’inflation et à la récession capitaliste internationale. Ensuite, la reprise capitaliste mondiale s’accompagne d’une vague d’inflation qui n’épargne pas le pays. En 2023, une sècheresse, aggravée par le dérèglement climatique de la planète, fragilise le pilier de l’économie et des exportations : l’agriculture. Le gouvernement est aussi affecté par plusieurs scandales.

Les élections générales de fin 2024

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Le Frente Amplio de 2024 regroupe :

  • d’un côté le MPP (pour l’essentiel le MLN issu des ex-Tupamaros), le Partido Socialista PSU, le Partido Comunista PCU, le PVP anarchiste ;
  • de l’autre, une composante bourgeoise : Vertiente Artiguista et les Seregnistas (PDC, Fuerza Renovadora, Assemblea Uruguay, Movimiento Humanista, Izquierda Christiana…).

L’autre branche issue des anciens Tupamaros, le M22M, fait campagne sous l’étiquette Asemblea Popular. Ce micro-front populaire inclut le PCR (un groupe maoïste), le Partido de los Trabajadores (un groupe « trotskyste » lié au PO argentin) et le Partido Humanista, (un petit parti bourgeois). AP n’obtient que 2 207 voix.

Au premier tour de l’élection présidentielle, il y a ballotage entre Delgado du Partido Nacional (pour qui se désiste le candidat du Partido Colorado) et Orsi présenté par le Frente Amplio. Les deux candidats du second tour, invoquant la montée de la violence criminelle, veulent renforcer la police. Le 4 novembre, Orsi rencontre les syndicats de policiers. Le 18, lors du débat télévisé avec Delgado, Orsi promet « d’appuyer inconditionnellement la police ».

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Au parlement, le Frente Amplio obtient la majorité (16 sièges sur 30) au Sénat, mais pas à la Chambre des représentants (48 sur 99).

Les deux propositions soumises au référendum sont rejetées :

  • celle du gouvernement sortant (et appuyée par le Partido Ecologista Radical Intransigente) qui aurait accordé à la police le droit de perquisitionner la nuit sans autorisation d’un juge n’obtient que 39,4 % ;
  • celle, soutenue par la confédération unique PIT-CNT (que le candidat Orsi ne défend pas) qui aurait avancé l’âge de la retraite et en aurait chasser les fonds de pension privés (AFAP) sans en chasser le patronat (cogestion depuis la Seconde guerre mondiale) n’obtient que 38,8 %.

Le 24 novembre, au second tour de la présidentielle, Orsi l’emporte avec 49,8 % des suffrages contre 45,9 % à Delgado.

Je vais être le président qui convoquera encore et encore le dialogue national pour trouver les meilleures solutions… Je vais être le président qui construira une société plus intégrée, un pays plus intégré… (Yamandú Orsi, « Discours après la proclamation des résultats », MPP, 25 novembre 2024)

La passation de pouvoirs aura lieu le 1er mars. Le futur président et le MLT-MNN préparent un gouvernement de coalition dont on sait déjà qu’il comprendra des représentants de la bourgeoisie : Edgardo Ortuño (Vertiente Artiguista), ministre de l’environnement ; Gabriel Oddone (qui s’est prononcé contre la proposition syndicale sur les retraites), ministre de l’économie ; José Carlos Mahía (Seregnistas), ministre de l’éducation ; Mario Lubetkin (Seregnistas), ministre des relations étrangères…

Face aux trahisons qui s’annoncent, il est urgent de construire un parti ouvrier révolutionnaire qui défende les revendications des travailleurs, qui organise l’autodéfense contre la police et les narcos, qui combatte au sein des syndicats contre la collaboration de classes, qui appelle à la rupture de toutes les organisations politiques ouvrières avec les débris de la bourgeoisie.

Révolution sociale ! Gouvernement ouvrier et paysan ! États-Unis socialistes d’Amérique !

19 janvier 2025