Le Livre noir de Gaza : récit d’un génocide

Le 4 octobre dernier, Agnès Levallois faisait paraitre au Seuil Le Livre noir de Gaza, un recueil d’articles de journal, de rapports d’ONG ou d’organisations internationales et de témoignages sur le massacre entamé par Israël à Gaza au lendemain des attaques du Hamas.

Dans sa préface, Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, revient sur la situation en Palestine à la veille du 7 octobre 2023, alors que la Palestine n’accaparait pas les médias occidentaux.

Que se passe-t-il quand il ne se passe (médiatiquement) rien ? Tout : harcèlement des paysans palestiniens par des colons protégés par l’armée, destructions de récoltes, d’habitations, expulsions de villages, multiplication de check-point, assassinats, arrestations arbitraires et l’on en passe. (p. 9)

Rappelant qu’il ne s’agit pas d’un conflit existentiel pour les juifs, mais bien pour Israël, il décrit l’intensité de la barbarie dont a fait opportunément preuve l’État sioniste depuis.

Aucune population n’a subi des bombardements d’une telle intensité, aucune guerre récente n’a tué autant d’enfants, aucun massacre de cette envergure n’a reçu un tel soutien de la part des pays démocratiques. (p. 15)

Dans son introduction, Agnès Levallois nous éclaire d’ailleurs sur l’ampleur quantitative des bombardements sur Gaza qui durant le seul premier mois a totalisé 25 000 tonnes d’explosifs, soit l’équivalent des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki cumulées. (Euro Med Human Rights Monitor, 2 novembre 2023)

Sans remonter à la création d’Israël, l’auteure fait un rapide rappel historique de la bande gazaouie, de l’appui sioniste aux Frères musulmans d’Ahmed Yassine pour contrer l’OLP, des deux intifadas, de la décision d’Ariel Sharon d’abandonner l’occupation militaire trop couteuse au profit de la transformation en un ghetto dont l’État sioniste est maitre de ce qui rentre et sort (marchandise comme humain) ainsi que des différentes attaques d’Israël depuis avec un bilan humain à sens unique.

L’introduction relève la volonté du gouvernement israélien actuel d’un nettoyage ethnique, que prouvent l’explosion du nombre de colons en Cisjordanie (116 300 en 1993 contre 700 000 aujourd’hui), l’emprisonnement de 10 000 Palestiniens dans les geôles sionistes, la loi sur l’État-nation juif de 2018 qui vise les Arabes israéliens. Le 2 février 2022, Amnesty International déclarait d’ailleurs qu’Israël exerçait un apartheid à l’encontre du peuple palestinien.

Pour lui [Netanyahou], comme pour la droite et l’extrême droite, le moment est venu de mettre en œuvre son rêve, le nettoyage ethnique, c’est-à-dire l’expulsion des Palestiniens aussi bien de Cisjordanie que de Gaza pour réaliser et achever le projet sioniste intégral d’annexion de tout le territoire de la Palestine historique. (p. 30)

L’auteure nourrit de faux espoirs dans la justice internationale que craindraient les dirigeants israéliens et le poids que représenterait la reconnaissance de l’État palestinien par 147 des 193 pays de l’ONU alors même qu’elle rapporte le mépris de l’État sioniste envers ces institutions et qu’elle omet le rôle historique de l’ONU dans la situation actuelle.

La ghettoïsation de la bande de Gaza

Selon un rapport de l’ONG israélienne B’Tselem, l’objectif du retrait de 2005 était de scinder Gaza du reste des Palestiniens. Le blocus imposé n’a pas pour but la sécurité des Israéliens, mais bien de rendre la bande de Gaza invivable, en restreignant les marchandises, y compris les jouets, les bonbons, les instruments de musique, les crayons, le papier, les pattes, le ciment… L’aide alimentaire était réduite volontairement au minimum vital.

Il est apparu qu’Israël avait eu recours à une « politique de restriction délibérée » basée sur des calculs de l’apport calorique minimal nécessaire à la survie des habitants de Gaza. (B’Tselem, rapport du 11 novembre 2017 actualisé en février 2023, p. 43)

Ce rapport pointe également, l’explosion du chômage organisé par l’occupant, passant de 18,9 % en 2000 à 47 % en 2022, la vétusté des infrastructures vitales, 96,2 % de l’eau y est impropre, la destruction des centrales électriques, les barrières aux soins.

Lors du retrait des colons en 2005, une « zone tampon » a été instaurée le long de la frontière sur le territoire de Gaza confinant encore davantage les Palestiniens. Cette zone, principalement constituée des terres agricoles, a été décrétée zone interdite par l’armée sioniste avec une autorisation de tir à vue, restreignant encore les capacités alimentaires des Gazaouis. Elle pulvérise régulièrement sur ce « no man’s land » des herbicides, contaminant les zones agricoles voisines.

Et l’État israélien n’est pas seul à œuvrer à la transformation de Gaza en « prison à ciel ouvert », il peut compter sur la complicité de l’Égypte comme le confirme Human Rights Watch dans un rapport publié en juin 2022. Si l’État sioniste s’est chargé de détruire l’aéroport et les ports gazaouis, de scinder les Palestiniens en deux territoires sans possibilité de circulation de l’un à l’autre, l’Égypte a joué son rôle de valet en tenant sa frontière, l’état-major et l’actuel président profitant même de la situation pour s’enrichir par le biais de ventes de passe VIP permettant de quitter Gaza, ou via le monopole d’exportation de marchandises vers l’enclave.

Ce monopole est favorisé par Tel Aviv qui ne permet pas aux organisations humanitaires de se fournir en Israël et interdit même aux entreprises privées de Gaza d’importer de la nourriture.

Depuis 20 ans que la bande de Gaza est assiégée par l’occupant, l’armée sioniste a plusieurs fois perpétré des massacres dont les chiffres témoignent de l’hypocrisie de celle qui se nomme « l’armée la plus morale au monde ».

Période Nom Morts israéliens Morts palestiniens Dont enfants
décembre 2008 – janvier 2009 Opération Plomb durci 13 1 391 318
novembre 2012 Opération Pilier de défense 6 167 32
juillet 2014 – aout 2014 Opération Bordure protectrice 72 2 203 548
mars 2018 – décembre 2019 Marche du retour 0 223 46
mai 2021 Opération Gardien des murs 7 232 53
aout 2022 Opération Aube naissante 0 33 17

La famine comme arme de guerre

Israël s’applique à supprimer la faible capacité de production alimentaire de la bande de Gaza, en détruisant les champs et exploitations agricoles restantes, et ce, de manière assumée.

Quiconque reviendra ici, s’il revient, trouvera de la terre brûlée. Pas de maisons, pas d’agriculture, rien. Ils n’ont pas d’avenir. (Yogev Bar-Shesht, colonel de Tsahal, 4 novembre 2024, p. 186)

Et la destruction directe des terres agricoles est alourdie par la pollution des sols par le phosphore blanc des munitions israéliennes, par les montagnes de déchets des destructions qui pourrissent les nappes et finissent dans la mer, amoindrissant autant les ressources halieutiques de la région.

Avant le massacre actuel, 80 % des Gazaouis dépendaient de l’aide alimentaire. En décembre 2023, 93 % de la population était en situation de crise alimentaire et 15 % en situation de famine (selon le Famine Review Committee), ce chiffre va ensuite doubler en seulement 3 mois selon l’UNICEF.

En janvier 2024, 80 % des personnes souffrant de famine dans le monde se trouvait dans la bande de Gaza.

L’essentiel nécessaire à la population vient de l’aide humanitaire filtrée par Israël, cela représentait 500 camions quotidiens avant octobre 2024, contre moins de 150 depuis que les sionistes ont réouvert l’accès avec des périodes faméliques comme ces 17 jours en mai dernier durant lesquels seuls 100 camions furent autorisés à rentrer.

Et même lorsque les camions parviennent jusqu’à la bande de Gaza, l’armée israélienne tire sur les convois et assassine les civils venus chercher de quoi survivre. Le 29 février 2024, jour de ce qui sera nommé le « massacre de la farine », fusille la foule venue à la rencontre d’un convoi humanitaire abattant 122 personnes.

La fusillade nourrie déclenchée par les forces d’occupation israélienne a duré environ une heure et demie, et elle a coïncidé avec l’arrivée des camions d’aide aux abords du rond-point Al-Nabulsi, rue Al-Rashid, après qu’ils ont franchi un poste de contrôle israélien (Centre palestinien pour les droits de l’homme, 29 février 2024, p. 56)

Mais l’occupant ne mise pas que sur l’armée pour affamer les Gazaouis, il dispose également de troupes fascistes pour l’appuyer.

Selon plusieurs sources, des membres des forces de sécurité israéliennes informent les militants d’extrême droite et les colons de l’emplacement des camions d’aide qui livrent des fournitures vitales à Gaza, ce qui permet à ces groupes de bloquer et de vandaliser les convois. (The Guardian, 21 mai 2024)

Loin d’être des accidents, ces évènements s’inscrivent dans le plan de l’armée sioniste.

Nos organisations ont déjà documenté le ciblage délibéré par les forces d’occupation des Palestiniens attendant les camions d’aide, ce alors même qu’Israël persiste à utiliser la famine comme tactique génocidaire et comme arme de guerre. (Centre palestinien pour les droits de l’homme, 29 février 2024, p. 57)

Poste de contrôle de Tarqumiya, 10 mai 2024, des fascistes détruisent des paquets d’aides alimentaires

Suite au 7 octobre, avant même de débuter le massacre, Israël organise la famine. L’eau et l’électricité sont coupées, la nourriture et l’aide humanitaire sont bloquées, ce qui en fait immédiatement exploser les prix.

Les denrées de base se sont aussitôt faites plus rares dans la bande de Gaza tandis que leur prix est monté en flèche. Le peu de nourriture disponible devenait tout simplement inabordable pour beaucoup de Gazaouis. (+972 Magazine, 31 janvier 2024, p. 61)

Cela est dénoncé par les ONG, comme Oxfam le 18 mars.

Nous sommes incontestablement en présence d’une privation intentionnelle de l’aide qui étouffe consciencieusement l’ensemble des opérations humanitaires, y compris les nôtres. (p. 131)

Les Gazaouis ne peuvent pas non plus compter sur les réseaux de tunnels pour acheminer des vivres par contrebande, l’armée sioniste les détruisant régulièrement ou les noyant sous de gros volumes d’eau, main dans la main avec l’armée bourgeoise égyptienne qui fait de même de son côté.

La destruction préparée du système de santé

L’OMS, dans un rapport du 12 décembre 2023, recense les blocages organisés par l’armée sioniste pour freiner les services de santé, son propre personnel est continuellement arrête, détenu et torturé, les convois sont systématiquement fouillés y compris les blessés en état critique. Ces retards augmentent évidemment la mortalité.

La pénurie organisée de médicaments fait que les opérations chirurgicales sont souvent pratiquées sans anesthésie et que beaucoup de soignants sont contraints à pratiquer des amputations de membres en l’absence des produits permettant de les soigner.

Nos collègues rapportent des pénuries d’antidouleur et nous parlent de blessés et patients qui hurlent de douleur, ainsi que d’interventions chirurgicales réalisées avec des demi-doses d’anesthésiants. (MSF, 22 mars 2024, p. 87)

MSF explique que « les attaques contre les hôpitaux, les ambulances et le personnel de santé sont devenues systématiques ». L’armée israélienne bombarde les hôpitaux et arrête les soignants qui parviennent à s’en échapper sous prétexte qu’ils abriteraient des QG et des armes du Hamas. Cette grosse ficelle est réfutée par MSF le 22 mars.

Depuis que nous travaillons à Al-Shifa, nous n’avons jamais eu connaissance de la présence d’armes à l’intérieur de l’hôpital. (p. 89)

La volonté de l’État colonial est bien d’empêcher la population de Gaza de se soigner. Dans un autre rapport, MSF pointe le côté intentionnel et préparé des attaques contre les hôpitaux.

Les éléments dont nous disposons mettent en lumière des attaques délibérées et répétées de l’armée israélienne contre l’hôpital Nasser, ses patients et son personnel médical. Dès novembre 2023, MSF avait documenté des attaques similaires contre les hôpitaux AL-Shifa, Al-Quds et Al-Nasr, dans le nord de Gaza. (MSF, p. 90)

Les sionistes entendent également détruire les maigres capacités de production médicale de la bande de Gaza, comme ils l’ont fait le 20 avril en détruisant à Deir al-Balah la plus grande usine de médicaments de l’enclave.

Le contrôle de la communication sur le génocide

Israël ne compte pas laisser sortir de Gaza des informations ou des images autres que celles de sa propagande, aussi elle a mis une cible sur chaque journaliste, média ou influenceur.

Depuis le 7 octobre 2023, plus de 140 journalistes ont été tués à Gaza par l’armée israélienne, selon le décompte réalisé par RSF le 5 novembre 2024. Lorsqu’elle ne parvient pas à les abattre directement, elle assassine leur famille Ainsi, Wael Al-Dahdouh, chef du bureau d’Al-Jazeera à Gaza, aujourd’hui réfugié à Doha, déplore le meurtre de sa femme de trois enfants et de deux petits-enfants. Lorsqu’ils ne sont pas tués, les journalistes sont torturés, fin juin, au moins 46. Les bureaux des différents médias ont été systématiquement détruits (50 rien que dans les 3 premières semaines de la guerre), Internet est régulièrement coupé pour éviter la diffusion d’images sur les réseaux sociaux. Les tours téléphoniques, les infrastructures de communication sont elles aussi rayées de la carte. La même méthode est depuis également utilisée au Liban.

Là aussi, le régime égyptien est complice de la boucherie sioniste en empêchant les journalistes d’entrée ou de sortir.

RSF appelle à l’ouverture du poste-frontière de Rafah et dénonce la complicité égyptienne dans le blocus informationnel imposé par Israël. (RSF, 20 octobre 2023, p. 111)

L’armée israélienne emprisonne les journalistes, les tortures et profite de leurs absences pour incendier leurs habitations et détruire leurs matériels. La situation est telle que beaucoup d’entre eux préfèrent masquer leurs casques et leurs gilets de presse, tandis que le reste des civils craint la présence des journalistes palestiniens de peur d’être ciblés avec eux, ce qui rend plus précaires encore leur survie et celle de leurs familles.

Certaines personnes, lors de l’évacuation de Gaza [en octobre 2023], ne voulaient pas que je sois à leurs côtés, de peur que je sois ciblé en tant que journaliste. D’autres ont refusé de nous louer des maisons pour nous loger, pour travailler, pour nous reposer, parce qu’ils avaient la conviction inébranlable que tous les journalistes de Gaza étaient des cibles. (Mahmoud AL-Hams, photojournaliste de l’AFP à RSF, 5 avril 2024, p. 120)

La calomnie est aussi employée pour servir le dessein génocidaire, les journalistes palestiniens sont accusés d’être des combattants du Hamas, ce qui a le double avantage pour l’occupant d’en décrédibiliser la voix et d’en justifier le meurtre. La censure s’étend également aux médias étrangers puisque Israël ne laisse aucun journaliste entrer sur le territoire.

L’objectif est simple que les seules images envoyées au monde soit celle des sionistes.

Malgré les appels répétés des ONG, comme RSF, à l’ouverture de la porte de Rafah, seuls des journalistes embarqués par Tsahal ont pu entrer dans Gaza, circonscrits à couvrir les zones autorisées par Israël. (RSF, 5 avril 2024, p. 105)

Le parlement israélien profite de la situation pour interdire des médias accusés de publier de la propagande terroriste. La loi ainsi votée le 7 novembre 2023 est assez floue pour interdire tous les canaux ne souscrivant pas au récit sioniste et criminaliser ceux qui les suivent. Une autre loi adoptée le 1er avril ciblait plus précisément la chaine d’information Al-Jazeera qui a par conséquent disparue du territoire courant mai. Cela n’est pas précisé dans ce livre, mais quand des journalistes veulent informer le monde des horreurs commises, des groupes fascistes les agressent physiquement.

Jérusalem le 5 juin 2024, des fascistes lynchent Saif Kwasmi, un journaliste palestinien / photo- Hazem Bader

L’extermination des enfants palestiniens

Au 28 octobre, l’UNICEF comptabilisait 14 100 enfants gazaouis tués par l’armée israélienne, sur les 42 718 morts totalisés et 35 000 enfants blessés (sur 100 282). Cette estimation ne prend pas en compte les 20 000 personnes disparues sous les décombres et n’est basée que sur les victimes directes de Tsahal. La destruction du système de santé et la famine provoquée par Israël alourdissent évidemment ce bilan et touchent principalement les enfants. Une étude de la revue médicale Lancet de début juillet estimait à un minimum de 186 000 le nombre total de victimes au 19 juin 2024. En projetant l’estimation de Lancet sur les chiffres d’infanticides de fin octobre, on arriverait à un bilan minimal de 70 130 enfants morts du fait du massacre israélien ((186 000/37 396) x 14 100), un chiffre glaçant, mais surement inférieur à la réalité, les enfants étant les principales victimes des famines. Le constat est implacable.

Le nombre d’enfants présumés tués en seulement quatre mois à Gaza est plus élevé que le nombre d’enfants tués en quatre ans dans l’ensemble des conflits dans le monde. (Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA, 12 mars 2024, p. 126)

Selon l’UNICEF, la bande de Gaza est l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant, les bienfaits de la « seule démocratie du Proche-Orient ». Un article du Guardian cite un groupe d’experts de l’ONU détaillant le ciblage intentionnel des enfants par les soldats israéliens et notamment les tireurs d’élite et les drones.

Nous sommes choqués par les informations faisant état de ciblage délibéré et de l’assassinat extrajudiciaire de femmes et d’enfants palestiniens dans des endroits où ils cherchaient refuge, ou pendant qu’ils tentaient de fuir. On nous a dit que certains d’entre eux agitaient des morceaux de tissu blanc au moment où ils ont été tués par l’armée israélienne ou par des forces auxiliaires. (The Guardian, 2 avril 2024, p. 134)

La consigne d’assassiner les enfants palestiniens ne date pas du présent massacre comme l’explique Miranda Cleland de l’ONG Defense for Children qui explique que depuis des années, il s’agit d’une « pratique régulière des forces israéliennes ». Selon la même ONG, l’État sioniste arrête annuellement entre 500 et 700 enfants soumis aux mêmes tortures que les adultes et reste le seul pays au monde à faire comparaître des enfants devant des tribunaux militaires.

Le massacre et la torture des Gazaouis

La guerre asymétrique présentée par les médias occidentaux comme un conflit entre Israël et le Hamas, est en réalité un massacre de la population civile, une épuration ethnique.

Bien que les médecins aient été choqués par le nombre d’enfants victimes de ce type de blessures, elles s’inscrivent à leur avis dans un contexte plus large de ciblage systématique des civils palestiniens, y compris des personnes âgées. (The Guardian, 2 avril 2024, p. 131)

Et pour cause, l’armée utilise des bombes d’une puissance disproportionnée avec l’objectif déclaré d’éradication du Hamas, certaines faisant jusqu’à une tonne sont capables de raser plusieurs immeubles. L’utilisation de projectiles sur des habitations surpeuplées, éradique sciemment des familles entières ne constituant aucunement des cibles militaires.

Du fait du type d’armement utilisé, il est facile d’en déduire que l’objectif réel de Netanyahou n’a jamais été de détruire cette armée d’ombre qu’est le Hamas – ni d’ailleurs de libérer les otages qui survivent en général assez mal à ces épisodes de bombardement – mais bien de transformer en tas de ruines cet étroit territoire surpeuplé de réfugiés palestiniens. (Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée française, p. 151)

La fréquence de bombardement est telle que l’armée israélienne a dû recourir à l’intelligence artificielle (Hasbora) pour détruire « tout ce qui était érigé sur la bande de Gaza ». Ce programme d’intelligence artificielle est suppléé par deux autres, Lavender et Where’s Daddy?, spécialisés dans la reconnaissance automatique des combattants potentiels et de leurs foyers et dont le bilan collatéral des frappes induites est funeste.

Le résultat comme en témoignent nos sources, est que des milliers de Palestiniens – pour la plupart des femmes, des enfants ou des non-combattants – ont été éliminés par les frappes israéliennes, en particulier au cours des premières semaines de la guerre, sur la base des décisions du programme d’intelligence artificielle. (+972 Magazine, 3 avril 2024, p. 168)

En plus des bombes, des chars et des tireurs, la population est victime des drones armés. La nouveauté de ce conflit est un quadricoptère muni d’une caméra, d’un haut-parleur et d’une arme à feu permettant un tir précis et laissant peu de doutes sur le caractère intentionnel de ces assassinats.

Bien que ce ne soit pas relevé dans ce livre, selon l’Observatoire méditerranéen des droits de l’homme, des drones diffuseraient des appels à l’aide et des pleurs de femmes et d’enfants pour attirer des civils.

Gaza sert aussi de vitrine aux entreprises d’armement et de surveillances, locales ou internationales.

Depuis des années, Israël teste et essaie un nombre considérable de technologies d’oppression sur les Palestiniens en Palestine, qui sont ensuite promues sur les champs de bataille tout autour de la planète. Gaza a souvent été considéré comme le terrain d’essai ultime pour les armes de destruction et de surveillance. (Antony Loewenstein, 12 janvier, p. 161)

Et la barbarie sioniste plaît aux États capitalistes, aussi la société d’armement israélienne Elbit Systems a fait appel à ses anciens employés en retraite pour satisfaire les commandes de la Suède, l’Allemagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne ou encore l’Italie. Tous impressionnés par les drones de ce vendeur de mort. L’armée génocidaire se sait également être le VRP de l’industrie de la destruction et se prête au jeu.

Il est à parier que Hasbora retiendra l’attention des clients de l’industrie militaire israélienne. « L’usine à cibles qui fonctionne 24 heures sur 24 » fait l’objet d’un communiqué flatteur sur le site de l’armée israélienne. (Mediapart, 31 janvier 2024, p. 165)

Au 5 novembre 2024, le nombre de personnes tuées depuis le début de la boucherie israélienne s’élève à 43 391 102 347 ont été blessées. 1,9 million de personnes ont été déplacées souvent à plusieurs reprises. Oxfam comptait fin septembre 20 000 corps non identifiés ou encore ensevelis sous les décombres. Les maladies liées au manque d’hygiène ou de nourriture ont explosé. 690 000 femmes menstruées sont privées des produits sanitaires de base, 45 000 femmes enceintes ne disposent plus de maternité pour le suivi de leurs grossesses et sont contrainte d’accoucher sans soutien médical (UNFPA – Agence des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, 5 novembre 2024). 10 000 palestiniens croupissent dans les prisons sionistes, soit le double d’avant le 7 octobre 2023.

Comme il le fait pour les journalistes, Israël ne compte pas laisser fuiter les conditions et les pratiques de détentions dans ses geôles, depuis le 7 octobre le Comité international de la Croix-Rouge est interdit d’accès dans les prisons israéliennes. L’UNRWA détaille mi-avril que des milliers de prisonniers palestiniens sont constamment menottés, les yeux bandés et maintenus à genoux en sous-vêtements.

L’armée israélienne est connue pour utiliser systématiquement la torture psychologique, laissant moins de traces, mais les passages à tabac sont aussi légion. L’ONU dénonce des attaques par des chiens, des simulations de noyade, des violences sexuelles (ONU, 31 juillet 2024). Les détenus n’ont aucun droit, leurs procès par des tribunaux militaires se font sans aucune défense présente.

Toutefois les témoignages s’enchainent et les images partagées par des soldats de « Tsahal » fiers de leurs exactions inondent les réseaux sociaux. Amnesty International réclamait déjà le 20 décembre 2023 :

Il est donc nécessaire qu’une enquête indépendante et efficace soit menée sur les décès en détention, les informations faisant état de disparitions forcées, d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à des Palestiniens de Gaza. (Amnesty International, 20 décembre 2023, p. 142)

Prison de Sde Teiman, 9 aout 2024 / CNN

Les soldats de « l’armée la plus morale au monde » sont bien souvent zélés et satisfaits des meurtres et des destructions.

Les dégâts colossaux dus aux opérations militaires sont de fait assortis d’innombrables dégradations et démolitions gratuites, souvent filmées par des soldats israéliens qui se réjouissent ouvertement des souffrances ainsi causées aux civils. (Peter Harling, ancien conseiller de l’ONU, p. 179)

La destruction

Le niveau de destruction de Gaza surpasse le bombardement de Dresde de février 1945, il n’a pas d’équivalent dans l’époque moderne. Selon l’ONU pour déblayer les 37 millions de tonnes de débris, déminer l’ensemble du territoire et reconstruire Gaza, il faudrait 14 années.

Israël a pour objectif de rendre cette maigre bande de terre inhabitable et d’en effacer toute trace des Arabes.

Ce n’est pas une opération ciblée contre le Hamas, mais bien une destruction systématique du territoire palestinien, immeuble, hôpitaux, écoles, mosquées… Tout ce qui permet à une société de vivre. (Guillaume Ancel, ancien officier, p. 152)

Les destructions visent de manière planifiée les lieux d’éducation, d’études, de linguistique, d’histoire ou de patrimoine palestinien. L’objectif est d’effacer tant leur avenir que leur passé. Selon les experts de l’ONU, les attaques contre les écoles « suivent un schéma systématique » ce qui implique la désignation par l’armée sioniste de celles-ci comme cibles militaires.

Ainsi, selon l’UNICEF, 84 % des écoles sont détruites ou fortement endommagées, 625 000 enfants ont été privés d’une année scolaire sur les 782 000 que compte la région, et entament leur deuxième année blanche.

Selon l’Observatoire méditerranéen des droits de l’homme (Euro-Med Monitor), le ciblage délibéré et généralisé d’établissements d’enseignement et de sites culturels par l’armée israélienne dans la bande de Gaza est une manifestation supplémentaire du crime de génocide dont Israël se rend coupable depuis le 7 octobre 2023. (p. 189)

Aucune des douze universités de Gaza n’a été épargnée. Tous les lieux de savoir sont pris pour cible, la dernière université de Gaza encore debout, l’université Al-Israa, qui avait été transformée en prison par Tsahal a été détruite en janvier dernier. L’armée israélienne avait placé des explosifs sous les bâtiments afin de la faire sauter.

Israël œuvre également à la destruction de tout le patrimoine palestinien, les mosquées et autres édifices religieux dont certains sont millénaires sont rasés, des sites historiques classés par l’UNESCO ne sont plus que ruines et poussière, même les vestiges gréco-romains sont pulvérisés. Les musées, les centres culturels, les bibliothèques sont eux aussi détruits et pillés par l’armée sioniste. Les Palestiniens déjà invisibilisés par Israël à l’international doivent disparaitre de l’histoire et des mémoires.

Cette destruction du riche patrimoine culturel de Gaza concomitante du massacre à grande échelle de Palestiniens, témoigne de manière significative de l’intention des responsables politiques et militaires israéliens de détruire le peuple palestinien et d’effacer son identité. (Al-Haq, ONG palestinienne, 19 décembre 2023, p. 189)

Autre ignominie, la destruction systématique des cimetières de la bande de Gaza, et l’amoncèlement des cadavres dans des fosses communes.

Les illusions dans la justice internationale

Le dernier chapitre place les espoirs de paix dans les instances internationales et notamment la Cour pénale internationale. Les mandats d’arrêt contre Netanyahou ou son ministre de la défense Yoav Gallant n’ont nullement entravé le génocide. Les instances internationales telles que l’ONU, outre le fait qu’elles ont été utilisées par les puissances impérialistes occidentales (dont la France) pour imposer l’État d’Israël, ne peuvent guère freiner un État colonial financé, renseigné et armé par les Etats-Unis.

L’appel constant des partis réformistes et des ONG au respect des conventions censées régir les conflits armés et aux résolutions de l’ONU ne fait que souligner l’hypocrisie des règles qu’Israël et toutes les grandes puissances ont toujours enfreint.

Dès novembre 2023, les rapporteurs de l’ONU pouvaient bien indiquer qu’un « génocide est en cours », cela ne pesait rien face à la volonté des impérialismes occidentaux de continuer à s’appuyer sur les sionistes pour tenir la région dans leurs intérêts et donc de continuer mordicus à armer le boucher israélien.

L’invocation constante du droit humanitaire international contre les exactions sionistes participe de la même rhétorique visant à faire croire qu’il pourrait y avoir des règles supérieures à celle du profit dans un monde capitaliste. Cela fait plus de 70 ans qu’Israël s’assoit sur le droit humanitaire en Palestine, et ce, quels que soient les gouvernements dirigeants les principales forces impérialistes. La tartuferie est poussée à son paroxysme lorsque les tenants du droit international en sont réduit à adopter des résolutions demandant au génocidaire de tout mettre en œuvre pour empêcher un génocide.

Les déclarations de la justice internationale s’enchainent : « Israël bafoue », « Israël ne respecte pas », « Israël fait blocage à » mais Israël demeure et poursuit son projet.

Compte tenu des preuves recueillies et examinées par mon Bureau, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Benyamin Netanyahou, le premier ministre d’Israël, et de Yoav Gallant, ministre de la Défense d’Israël, est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ci-après commis sur le territoire de l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) à compter du 8 octobre au moins. (Karim Ahmad Khan, procureur de la CPI, 20 mai 2024, p. 223)

Cinq mois après les deux dirigeants sont toujours libres et aux manettes et l’État de Palestine continue d’être une idée désincarnée. Les précédents massacres, bien que de moindres ampleurs constituaient également des crimes relevant de la justice internationale, mais les enquêtes lorsqu’elles ont abouti en des condamnations n’ont jamais été autres choses que des vœux pieux.

Le sionisme souhaite l’épuration de toute la Palestine, et même au-delà de tous les non-juifs, il est armé massivement par les impérialismes au premier rang desquels les États-Unis. Un premier pas pour mettre fin au génocide des Palestiniens consisterait donc à stopper ces livraisons d’armes, ce que certaines ONG commencent à percevoir.

Les États doivent cesser leurs ventes d’armes et interrompre toute autre forme d’assistance en matière de sécurité qui faciliterait le risque de génocide et les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés par Israël à Gaza. (Oxfam, 18 mars 2024, p. 131)

Mais appeler les États bourgeois à cesser de défendre leurs intérêts est là encore soit une illusion soit une volonté délibérée de masquer les réelles nécessités. Seule la classe ouvrière mondiale peut mettre un terme à la boucherie en cours, seuls les travailleurs peuvent bloquer la production, les livraisons d’armes et de toute technologie de meurtre ou de surveillance à l’encontre du peuple palestinien. C’est le sens de l’appel répété des syndicats palestiniens que le GMI tente de porter dans les syndicats en France et le CoReP à l’international contre les bureaucraties qui s’alignent sur leur bourgeoisie.

Ce livre a le mérite de mettre en lumière les constats faits par les organisations sur place alors même que la bourgeoisie française impose une omerta sur le sujet à ses médias. Les éléments décrits au fil des pages, assassinats des civils et des journalistes, torture, famine organisée, destruction systématique des infrastructures vitales et du patrimoine palestinien, justifient la qualification de génocide. Les illusions petites-bourgeoises dans des institutions internationales n’effacent pas l’importance de la documentation regroupée dans cet ouvrage. Malheureusement, la poursuite de l’extermination des Palestiniens rend rapidement obsolètes les chiffres qu’il contient.

6 décembre 2024

Montag


Agnès Levallois, Le Livre noir de Gaza, Seuil, 2024, 21 euros