Élections américaines : pas de vote pour les partis capitalistes (L5I)

Nous publions ci-dessous la déclaration du 14 octobre de nos camarades de la Ligue pour la Cinquième Internationale avec laquelle nous sommes globalement d’accord.

Cependant,

Nous sommes réservés quant au terme confus de « la gauche » qui peut servir à désigner tantôt les seuls révolutionnaires, tantôt l’ensemble du mouvement ouvrier politique (incluant aux États-Unis le CPUSA et les DSA), tantôt tout ce qui est soi-disant progressiste (dont le Green Party et le Democratic Party aux États-Unis).

Elle est silencieuse sur l’autodéfense des travailleurs et des opprimés alors que ces dernières années les fascistes ont non seulement attaqué le Capitole mais agressé des centres d’avortement et des manifestations en défense des Noirs. Des groupes fascistes promettent de prendre les armes en cas de défaite de Trump, lequel entend s’attaquer « aux marxistes et aux communistes ». Le Parti démocrate (pour lequel le CPUSA appelle à voter et auquel appartiennent les DSA, dont les amis de RP/France) prêche la confiance dans les polices locales, la police fédérale, les services secrets, la garde nationale et l’armée de métier alors que de nombreux membres des groupes fascistes viennent de leurs rangs.

La traduction en français est la nôtre, ainsi que les crochets explicatifs.

30 octobre 2024, GMI

Depuis que Joe Biden s’est retiré de l’élection présidentielle après son débat catastrophique avec Trump, Kamala Harris s’est forgé une courte avance dans les sondages d’opinion. Mais il ne s’agit guère de majorités sures ou fiables. Par conséquent, parmi la gauche socialiste libérale et réformiste, il y a une anxiété à la limite de la frénésie à propos de la réélection de Trump. Pour ajouter de l’huile sur le feu, il y a le message diffusé par Biden et les médias libéraux selon lequel cela signifierait la fin de la démocratie américaine.

Bien sûr, il y a lieu de s’alarmer au sujet d’un homme qui a exhorté ses partisans à prendre d’assaut le Capitole pour tenter d’empêcher l’enregistrement de la victoire de Biden, qu’il refuse toujours de reconnaitre, et menace de répéter s’il perd. Trump a également promis une purge massive de la fonction publique fédérale et dresse une liste de quelque 50 000 employés actuels qui pourraient être licenciés.

Cependant, le discours des experts libéraux sur la « guerre civile » est une tentative de présenter les démocrates comme le seul espoir d’éviter l’apocalypse de Trump. En conséquence, le mouvement syndical américain, les mouvements sociaux et les DSA se sont dument rangés derrière Harris.

Les sociaux-démocrates

Les Sociaux-démocrates d’Amérique (DSA), qui revendiquent 90 000 membres, et le prestigieux magazine Jacobin, avec un tirage payant de 75 000 exemplaires et un site web qui compte plus de trois millions de visiteurs mensuels, représentent une renaissance du socialisme réformiste de gauche aux États-Unis, ce qui n’a pas été vu depuis des décennies.

Les DSA ont longtemps oscillé entre les promesses de construire un parti socialiste indépendant et la stratégie, poursuivie par la majorité de sa direction, de la soi-disant « rupture brutale » avec les démocrates à un moment indéterminé dans le futur. Cela signifie que même si certaines de ses sections et certains membres font campagne en tant que socialistes indépendants, les DSA soutiennent toujours à l’échelle nationale les démocrates qui se disent socialistes lors des élections législatives et présidentielles.

Ils sont représentés au niveau national par Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et la soi-disant « Squad » [« L’équipe », tous élus du Parti démocrate], neuf membres de la Chambre des représentants, ainsi que le sénateur vétéran du Vermont Bernie Sanders. Lors de la Convention démocrate, AOC a décrit Harris comme « la femme qui se bat chaque jour pour sortir les travailleurs de sous les bottes de la cupidité qui piétine notre mode de vie ».

Des amis du mouvement ouvrier ?

Le mouvement ouvrier américain fait partie intégrante de la « coalition » démocrate depuis le New Deal de Franklin Roosevelt. Cela comprenait le National Industrial Recovery Act, le National Labor Relations Act et le Social Security Act [trois lois de 1933 et 1935 adoptées au moment d’une puissante montée des grèves accordent des droits syndicaux et instaurent un organisme d’arbitrage nommé par le président, le NLRB] ainsi qu’une énorme expansion des projets du gouvernement fédéral. Le nombre de syndiqués est passé de 2,8 millions en 1933 à 14 millions en 1945, soit un tiers de la main-d’œuvre.

Plus tard, Lyndon Johnson, pour tous ses crimes au Vietnam, a également introduit d’importantes réformes de la protection sociale et des droits civiques. L’alliance démocrates-mouvement ouvrier a rendu un service majeur au capital depuis lors, malgré la baisse rapide des retombées pour les travailleurs sous Carter, Clinton et Obama. Cela a empêché les syndicats d’établir au moins une indépendance politique formelle, comme c’est la norme en Europe occidentale.

Le taux de syndicalisation aux États-Unis n’a cessé de diminuer, passant de 20,1 % en 1983 à 10 % en 2023. Malgré cela, le pays a connu une vague de revendications salariales et de grèves, entrainée par une flambée du cout de la vie qui a suivi la pandémie et, bien sûr, l’inflation. En conséquence, Biden s’est senti obligé de rénover le rôle des démocrates en tant qu’« amis du mouvement ouvrier », négligé par les administrations démocrates précédentes.

Il a promis d’être « le président le plus pro-syndical de tous les temps ». En effet, sa loi sur la protection du droit syndical, adoptée en mars 2021, a levé quelques-uns des obstacles les plus flagrants à la syndicalisation. Se faisant passer pour « Joe le col bleu », il a rejoint les piquets de grève des travailleurs de l’automobile l’année dernière. Harris a montré un engagement moins explicite envers les causes syndicales et n’a pas l’image populaire de Biden. Cependant, tous deux sont multimillionnaires.

De nombreux syndicats ont loyalement transféré leur soutien à Harris, y compris le SEIU (Syndicat internationale des employés du service), dont les deux millions de membres en font le plus grand syndicat du secteur privé du pays. Il en va de même pour la Fédération américaine des enseignants [AFT] aux 1,7 million de membres.

Les Travailleurs unis de l’automobile [syndicat de l’automobile], qui comptent 391 000 membres actifs, sont influents dans les principaux États pivots [les États dont le vote est indécis entre Trump et Harris]. Leur président au discours de gauche, Shawn Fain, a déclaré : « Lorsque GM a été en grève pendant 40 jours, Trump était introuvable. Kamala Harris était sur le piquet de grève avec les travailleurs. Trump est redevable aux milliardaires, ne connait rien à l’industrie automobile et ferait reculer le mouvement syndical s’il était réélu. »

Les Teamsters [syndicat du transport], qui comptent 1,3 million de membres, sont l’exception. Ils ont refusé de soutenir Harris ou Trump. Leur président, Sean O’Brien, a accepté une invitation à assister à la Convention nationale républicaine.

Parti de l’impérialisme

Lors de la primaire démocrate dans le Michigan en février, plus de 100 000 partisans du parti ont voté « non engagés » pour protester contre la politique pro-israélienne de Biden. Son soutien à l’opération israélienne a été un facteur important dans sa chute dans les sondages et donc dans son retrait. Un nombre croissant de jeunes, un groupe démographique majeur pour les démocrates, se soucient profondément du génocide en cours, comme l’a montré le mouvement des camps de Gaza sur les campus. Pew Research [institut de sondage] a constaté en avril que seulement 16 % des adultes de moins de 30 ans étaient favorables à ce que les États-Unis fournissent une aide militaire à Israël.

Kamala Harris est-elle plus attrayante sur ce point que Biden ? Certes, il est un « ami d’Israël » avoué depuis longtemps et a fréquemment réaffirmé son bidon « droit de se défendre ». Il n’a rien fait pour le contenir au-delà des mots, malgré les gifles répétées qu’il a reçues de Netanyahou. Certes, la vice-présidente Harris a appelé à un cessez-le-feu quelques semaines avant son patron, mais il n’y a aucune raison de penser qu’elle agirait différemment au pouvoir.

La campagne des « non-engagés » a tenté d’amener Harris à s’engager à imposer un blocus des armes à Israël ou au moins à garantir et à faire respecter les lois internationales et les droits de l’homme en vigueur à Gaza, mais cela a échoué lamentablement. La campagne met maintenant l’accent sur l’importance d’arrêter Trump et met en garde contre le danger de soutenir des candidats minoritaires comme Jill Stein du Parti vert. Bref, elle soutiendra Harris.

Sur la guerre en Ukraine, il y a une certaine distance entre Harris et Trump. Harris a déclaré qu’elle continuerait à soutenir l’Ukraine, tandis que Trump a exprimé une hostilité ouverte envers le soutien financier et logistique des États-Unis et de l’OTAN à Zelensky, indiquant qu’il ferait pression sur Kiev pour qu’il concède du territoire pour la paix. Il a même fait allusion à sa « relation étroite » avec Poutine, un autre « chef fort ».

Sur l’immigration, Harris a attaqué Trump —sur sa droite— pour s’être opposé au projet de loi anti-immigrants de Biden, qui aurait dépensé 20 milliards de dollars pour embaucher 1 500 gardes-frontières supplémentaires, 100 juges de l’immigration supplémentaires et des centres de détention élargis. Harris s’est également vantée de son bilan sévère en tant que « procureure générale d’un État frontalier » et a promis à plusieurs reprises d’« embaucher des milliers d’agents frontaliers supplémentaires ».

Pourquoi ne pas voter démocrate

Le Parti démocrate a longtemps été appelé le « cimetière des mouvements sociaux » dont l’Amérique n’a pas manqué. C’était le cas des mouvements antiguerre, des droits civiques et des droits des femmes des années 1960 et 1970. C’est un processus qui s’est répété avec les mouvements sociaux des années 2000: les mouvements anticapitalistes et antiguerre, Occupy, Black Lives Matter, #MeToo et le Green New Deal. En période électorale, ces mouvements sont domptés et transformés en un appareil de soutien pour la section libérale de la classe dirigeante impérialiste.

Ce qui est perdu dans ce processus, c’est d’une part l’élan critique indépendant et le côté radical de ces mouvements, et d’autre part l’opportunité de créer un instrument politique engagé pour leurs objectifs. Cela obscurcit la reconnaissance parmi les travailleurs que c’est le capitalisme lui-même qui est à l’origine de l’oppression raciale et de genre et de l’exploitation de l’humanité et de la nature, et qu’il doit être renversé et remplacé par le socialisme. Au lieu de cela, au moment des élections, les dirigeants de ces mouvements, la bureaucratie syndicale et les gauches à l’intérieur et autour des démocrates, se tournent tous vers leurs militants avec le slogan qu’il est nécessaire de soutenir le moindre mal.

Voter pour les démocrates bloque la voie vers la représentation politique de la classe ouvrière, qui doit se libérer de l’exploitation des milliardaires, des lois antisyndicales, de la décomposition de la santé, de l’éducation et des services sociaux. Cette lutte pour la libération ne peut même pas commencer sans une lutte pour un parti de la classe ouvrière. Voter pour un parti et une présidence capitaliste et impérialistes bloque la voie de la libération de ceux qui souffrent de l’oppression raciale ou de genre, de la fin du cauchemar du bellicisme impérialiste, de la lutte efficace contre le changement climatique.

La tâche qui attend la classe ouvrière américaine et les mouvements des opprimés sociaux est de faire rompre leurs organisations, surtout les syndicats, définitivement et irrévocablement avec les démocrates et d’aller de l’avant pour créer un parti de la révolution socialiste. Toutes ces forces doivent s’unir pour lutter contre qui que ce soit qui sera investi président des États-Unis le 20 janvier 2025.

14 octobre 2024

Ligue pour la Cinquième internationale

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