Les femmes afghanes sous le joug du patriarcat féodal et clérical des talibans

Invisibles et maintenant muettes

En trois ans de pouvoir taliban, les droits des femmes ont été écrasés sous les décombres du ministère de la condition féminine, remplacé dans la foulée de la prise de Kaboul (15 aout 2021) par un ministère « pour la promotion de la vertu et la prévention du vice » d’où ont bien-sûr été chassées toutes les employées. Les femmes ont perdu de fait le droit de travailler en dehors de leur domicile. Elles n’ont plus accès à la plupart des emplois dans le secteur public. Les hôpitaux et dispensaires déjà exsangues sont mis à genoux par la restriction drastique de ce personnel féminin. Selon Amnesty International (Rapport Afghanistan 2023), 4 500 femmes qui travaillaient dans le secteur de l’éducation ont été licenciées en juin et juillet. 80 % des femmes journalistes n’exercent plus. Les femmes ne sont plus autorisées à travailler pour des organisations non gouvernementales ou pour l’ONU, ce qui diminue encore le contrôle et la distribution de l’aide humanitaire qui échapperait aux griffes des rapaces barbus. La fermeture des salons de beauté n’est pas anecdotique puisqu’elle a privé de travail au moins 60 000 femmes.

Depuis le 23 mars 2022, les filles ne sont plus autorisées à poursuivre leurs études après l’âge de 12 ans ; les universités ont été fermées en décembre de la même année. À ces entraves intolérables au droit à l’instruction, est venue s’ajouter en juin une décision interdisant aux ONG internationales, notamment aux programmes dirigés par l’UNICEF, de dispenser des cours auprès des populations locales : selon , 2,5 millions de filles en âge d’aller à l’école ne sont pas scolarisées.

Les femmes sont également interdites de cours de conduite, d’entrée dans les parcs, les jardins, les salles de sport et les bains publics. En mai 2022, les talibans ont « demandé » aux femmes de rester chez elles, «sauf en cas de nécessité », la liberté de mouvement de la moitié de la population n’entrant évidemment pas dans le cadre du « nécessaire » pour la caste au pouvoir, émanation des propriétaires fonciers, des mollahs et des chefs tribaux, ceux que Trotsky qualifiait déjà, il y a un siècle, comme «les éléments les plus sinistres et les plus réactionnaires, imbus des pires préjugés panislamiques » (21 avril 1924). Obligées d’être chaperonnées dans la rue par un membre masculin de la famille, interdites de voyages (72 km maximum du domicile), le corps et le visage dissimulés, les femmes subissent l’apartheid sexiste décrété par les talibans. Les contrôles de leurs nervis sont incessants, la police des mœurs traque les faits et gestes de chacun et surtout de chacune.

En mai, l’ONU s’est inquiétée de ce que les talibans continuaient de procéder à des exécutions et des châtiments corporels en public, 58 femmes ont été ainsi flagellées entre novembre 2022 et avril 2023. … Plusieurs organismes des Nations unies ont signalé une augmentation des mariages d’enfants et des mariages forcés, ainsi que des violences fondées sur le genre, des féminicides, commis en toute impunité. Les talibans ont dissous progressivement le cadre institutionnel d’aide aux victimes de violences fondées sur le genre qui était en vigueur sous le gouvernement précédent, exposant ces femmes à la charia (loi islamique) et au risque de subir de nouvelles violences. Selon de multiples témoignages, de nombreuses femmes et filles souffraient de dépression, certaines allant jusqu’à mettre fin à leurs jours. (Amnesty International, Rapport Afghanistan, 2023)

Les talibans s’acharnent à effacer les femmes de la sphère publique, à les priver de toute vie sociale. Le 21 aout 2024, le barbare en chef Akhundzada a ratifié 114 pages et 35 articles d’interdits et sanctions afférentes, par lesquels le mouvement islamiste a décidé de rendre aussi muettes, les invisibles : interdiction de chanter, de réciter de la poésie, de lire à voix haute en public.

Un émirat sous perfusion financière américaine

Kandahar, 24 aout / photo Wakil Kohsar

En signant en 2021 avec les talibans les accords de Doha initiés par Trump, le gouvernement américain s’est engagé à alléger les sanctions prises contre le régime islamiste et à devenir son principal bailleur de fonds en échange du retrait des troupes de la coalition impérialiste qu’il dirigeait et de l’assurance que les talibans empêcheraient l’État islamique ou autre jumeau à s’implanter sur leur territoire et à menacer les États-Unis. Ni la défense des conditions de vie des populations sur place, ni les droits des femmes n’ont pesé dans le deal.

Selon les services de l’Inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar), les États-Unis ont affecté ou mis à disposition 20,7 milliards de dollars d’aide depuis le retrait de leurs forces… En raison de l’interruption des transferts bancaires internationaux et des problèmes de liquidité depuis la prise de pouvoir par les talibans, les Nations unies font désormais office de « transporteurs de fonds ». Selon le département d’État, 80 millions de dollars, en moyenne, arrivent, en espèces, à Kaboul tous les dix à quatorze jours… En octobre 2023, le Sigar alertait déjà sur le fait que les mollahs afghans faisaient main basse sur une partie de l’aide financière envoyée de l’étranger en faveur de l’éducation. (Le Monde, 29 aout 2024)

Le PIB réel s’est réduit de 26 %. Aujourd’hui, 29 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire (plus de la moitié de la population), elles étaient 18 millions en 2022. L’OMS a alerté sur le fait que des millions de personnes ayant peu ou pas accès aux soins médicaux et à la nourriture risquaient de souffrir de malnutrition et de maladie, dont 2,3 millions d’enfants menacés d’insécurité alimentaire aiguë. Ni l’accès à l’eau ni à l’électricité n’est garanti.

Les libertés démocratiques ont disparu avec les masques de « talibans modérés » accrochés sur les trognes des fondamentalistes, dès leur retour au pouvoir. Arrestations arbitraires, tortures, exécutions sans procès, disparitions : la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) en a documenté des centaines. En trois ans, les trois quarts des médias reconnus officiellement ont fermé leurs portes et les deux tiers des journalistes ont quitté leur emploi. Des dizaines d’autres ont été arrêtés et harcelés pour avoir critiqué les talibans ou ne pas avoir respecté les règles imposées. Au moins 64 journalistes ont été détenus, pendant des durées diverses, entre août 2021 et août 2023. Mortaza Behboudi, journaliste franco-afghan, a été libéré après neuf mois de détention. Des militant(e)s féministes, des défenseur(e)s des droits humains sont actuellement emprisonné(e)s pour s’être opposé(e)s à la barbarie moyenâgeuse.

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexes paient aussi un lourd tribut à la réaction islamiste, obligées à une clandestinité stricte pour sauver leur peau. Les relations consenties entre personnes de même sexe sont passibles de la peine de mort.

Les minorités ethniques et religieuses, notamment les communautés chiites, sikhs, hindoues, chrétiennes, ahmadies et ismaéliennes, connaissent aussi la répression, seul le sunnisme taliban à faciès pachtoune ayant droit d’existence.

Les gouvernements du Pakistan, de Turquie et d’Iran apportent une aide criminelle aux talibans en expulsant par centaines de milliers les femmes, enfants et hommes réfugiés ou déplacés. Le 30 aout, le gouvernement du Front populaire allemand (SPD-Verts-FDP) a commencé à expulser des demandeurs d’asile vers le sanglant califat.

La responsabilité de toutes les organisations ouvrières du monde, à commencer par celles de France, est d’ouvrir les frontières à toutes les réfugiées et tous les réfugiés afghans.

La résistance

Selon l’ONU, 95 manifestations menées par des femmes ont été recensées à travers le pays entre mars et juin 2023. Les talibans ont utilisé des armes à feu, des canons à eau et des pistolets à décharge électrique pour disperser ces protestations, dont le rassemblement organisé par des femmes, le 18 juillet à Kaboul, pour protester contre la fermeture obligatoire des salons de beauté.

Le 8 mars 2024, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, des Afghanes ont osé manifester. Dans plusieurs provinces, elles se sont réunies en petit nombre pour demander que les restrictions de droits les frappant, comme leur exclusion de l’enseignement secondaire et des universités, soient levées. Dans la province de Takhar (nord-est), des images publiées par des militantes féministes montrent sept femmes tenant des papiers devant leur visage, avec l’inscription « Droits, Justice, Liberté ». Dans celle de Balkh (nord), plusieurs femmes ont posé devant une bannière avec les mots « Sauvez les femmes d’Afghanistan ! »

Des travailleurs de l’Union nationale des travailleurs et des salariés d’Afghanistan (NUAWE, affiliée à la Confédération syndicale internationale) s’organisent dans la clandestinité imposée pour défendre leurs intérêts, en particulier pour le paiement intégral des salaires.

La seule force sociale qui soit réellement anti-impérialiste, car anticapitaliste, est la classe ouvrière, quels que soient le lieu de vie, la nationalité, la couleur de peau, les convictions, le sexe, l’âge ou l’orientation sexuelle de ses membres. Contre la réaction patriarcale, tribale, féodale et cléricale, la classe ouvrière afghane, la population laborieuse des villes et des campagnes, la jeunesse, les femmes, doivent s’organiser de manière clandestine en comités de quartiers, de villages, d’université, en syndicats, au sein d’une organisation véritablement communiste, pour se défendre, y compris en s’armant, et préparer la revanche. Ce combat est indissociable de la lutte pour construire un parti ouvrier révolutionnaire, pour un gouvernement ouvrier et paysan en Afghanistan, pour la fédération socialiste des peuples d’Asie centrale. (Collectif révolution permanente, Une défaite historique de l’impérialisme américain qui ne profite pas au prolétariat afghan, 3 novembre 2021)

2 septembre 2024