Les protestations étudiantes ont débuté le 1er juillet avec la réinstauration par des quotas de 53 % dans les institutions publiques réservés aux descendants des participants à la guerre de libération de 1971 (conflit ayant conduit à la séparation d’avec le Pakistan) qui avaient été annulés en 2018 sous la pression de la rue. Le gouvernement en place s’est mis à dos les étudiants ordinaires. La protestation est animée par les Étudiants contre les discriminations (SAD), une direction qui n’est pas élue. Le 15 juillet, les manifestations se sont intensifiées à Dacca, la capitale, et dans toutes les grandes villes. Le gouvernement a envoyé la police et la BCL (Ligue Chatra du Bangladesh, le mouvement de jeunesse de la Ligue Awami) a attaqué les étudiants. À la fin de la journée, 6 personnes avaient été tuées par la police et des dizaines avaient été blessées. Le 16 juillet, la police a effectué des descentes dans toutes les universités du pays. La police militaire a pris position dans les 5 plus grandes villes du pays. Le 17 juillet, le gouvernement a fait fermer l’ensemble des universités. Le 18 juillet, les agences de presse affirmaient que durant les 4 jours de ce processus, 39 militants ont été tués. Le 19 juillet, le gouvernement a fait couper Internet, fermer les usines et décrété le couvre-feu. Suite à cette décision, les étudiants ont combattu la police au corps à corps, des commissariats ont été pris pour cible et à Dacca, une prison a été incendiée.
Comme il n’existe pas un parti révolutionnaire capable de consolider la base populaire, la direction du mouvement étudiant est probablement restée sous le contrôle des partis bourgeois d’opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP, lié à l’armée) et le Bangladesh Jamaat-e-Islami (BJI, le principal parti islamiste, partisan du retour au Pakistan). Par conséquent, le mouvement étudiant n’a pu s’unir avec le mouvement ouvrier, ni se diriger vers la grève générale des travailleuses et des travailleurs.
Le 21 juillet, la Cour suprême a révisé la mesure et a abaissé les quotas à 7 %. Les manifestations ne cessent pas et entrainent bien plus que les étudiants. En secret, pour sauver l’État bourgeois, l’état-major négocie avec les SAD négocient. Le 5 aout, la première ministre Hassina (AL) démissionne et s’enfuit en Inde, comme le premier ministre du Sri Lanka Rajapaksa (SLPP) avait dû le faire en 2022. Au total, la répression a causé 1 000 morts et 10 000 blessés.
Le 5 aout, le chef de l’armée Waker-uz-Zaman destitue l’ancien chef de la police et annonce la formation d’un gouvernement provisoire. Il est dirigé par un économiste bourgeois, Muhammad Yunus (84 ans), fondateur de la banque Grameen. Le gouvernement comporte deux étudiants des SAD, une féministe bourgeoise, deux membres du BNP, un ancien gradé de l’armée.
Auparavant, le Bangladesh a connu 4 situations révolutionnaires, toutes trahies, dans les 70 dernières années :
- le mouvement pour la langue en 1952,
- les grèves de 1968-1969,
- la guerre d’indépendance de 1971,
- la lutte contre la dictature en 1990.
Faute de perspective socialiste, l’islamisme réactionnaire monte en puissance. De nombreux syndicats restent sous le contrôle des partis bourgeois (AL, BNP…). En Asie, le mouvement ouvrier reste imprégné de l’héritage stalinien. Les débris maoïstes et staliniens défendent toujours :
- la révolution par étape (mener seulement une révolution démocratique, sans commencer une révolution socialiste),
- le front uni antiimpérialiste (subordonner le prolétariat à telle ou telle fraction de la bourgeoisie).
Par exemple, au Népal, en 2006, les deux partis maoïstes ont refusé de prendre le pouvoir et ont sauvé l’État bourgeois. Au Bangladesh, en 1971, le stalinisme, très influent, s’est divisé en deux ailes, les staliniens pro-Moscou se sont alignés sur la Ligue Awami tandis que les staliniens pro-Pékin se sont opposés à l’indépendance malgré l’oppression nationale.
Depuis 2007, la plupart des organisations politiques issues du stalinisme (CPB, SPB, DRP, RCLB, SPB-M, BSP) ont constitué un bloc réformiste (Alliance de gauche démocratique, LDA), qui n’a tiré aucune leçon du passé.
L’Alliance exhorte les partis politiques démocratiques d’entamer des discussions sur les réformes… Le communiqué rappelle que, après le soulèvement conduit par les étudiants, les SAD ont déclaré que tous les partis politiques, la société civile et les enseignants devaient être consultés pour former le gouvernement. Le communiqué appelle le gouvernement à diriger le pays dans l’esprit du mouvement populaire. (Dakha Tribune, 11 aout 2024)
Sans construction d’un parti ouvrier révolutionnaire, la révolte étudiante et populaire sera trahie.
Le Bangladesh ne peut connaitre la démocratie que si la classe ouvrière s’émancipe de toutes les fractions de la bourgeoisie, s’unifie malgré les religions et les ethnies. Alors elle pourra rallier les paysans pauvres, les artisans et petits commerçants, les cadres, les étudiants, les minorités religieuses.
Le Bangladesh ne peut échapper à l’obscurantisme clérical, qui s’étend depuis la partition de l’empire des Indes, et qui se renforce dans le monde entier, qu’avec une révolution sociale.
Le Bangladesh ne peut se développer que si la révolution socialiste s’étend à toute la région (Inde, Pakistan, Birmanie, Sri Lanka, Népal, Boutan…) et à la Chine, lui permettant de collaborer avec les autres gouvernements ouvriers et paysans qui en seront issus. Le Bangladesh ne peut survivre que si la révolution socialiste mondiale arrête le réchauffement climatique et toute la crise écologique.
Par conséquent, il est impératif de construire une organisation ouvrière révolutionnaire qui réunira l’avant-garde de la jeunesse étudiante, des syndicats, des organisations de paysans travailleurs (Krishok, Kishani Sabha…), du féminisme, des partis de la LDA ayant décidé de rompre avec toutes les fractions de la bourgeoisie, etc.
Rupture de toutes les organisations ouvrières (syndicats, LDA) avec le gouvernement provisoire de la bourgeoisie et avec tous les partis bourgeois (AL, BNP, BJI…) ! Pour une confédération syndicale de tous les salariés !
Augmentation des salaires et réduction du temps de travail, indexation des salaires sur l’inflation, sécurité au travail ! Front international de solidarité de classe des syndicats de salariés de tous les pays qui travaillent dans la fabrication et la commercialisation de produits pour les grandes chaines de distribution : Inditex, C&A, H&M, Primark, Walmart, etc…
Emprisonnement des patrons qui arment des nervis contre les grévistes ou dont les établissements et locaux sont dangereux ! Expropriation des grandes propriétés foncières ! Expropriation sans indemnisation des grandes entreprises nationales et étrangères (agricoles, industrielles, financières, commerciales, etc.) sous contrôle ouvrier ! Monopole d’État sur le commerce extérieur !
Crèches et garderies de qualité pour les enfants des travailleuses ! Égalité de salaire entre hommes et femmes qui travaillent ! Interdiction de l’exploitation des enfants !
Droit à l’instruction pour tous les enfants des deux sexes ! Enseignement public universel, laïc et gratuit à tous les niveaux, y compris universitaire !
Respect de la minorité hindoue ! Séparation de la religion et de l’État ! Interdiction des mariages forcés ! Sanction pénale des « crimes d’honneur » contre les femmes !
Des soins de santé publics universels, laïcs et gratuits ! Éducation sexuelle des jeunes, contraception gratuite, droit à l’avortement ! Égalité juridique complète des hommes et des femmes !
Comités des masses dans les entreprises, les quartiers, les universités, les villages, les régiments ! Droits démocratiques pour les conscrits ! Désarmement de l’armée professionnelle, des gardes paramilitaires, de la police, des services secrets et des milices fascistes ! Armement du peuple !
Gouvernement ouvrier et paysan désigné par le congrès national des comités élus ! Fédération socialiste du sous-continent indien ! États-Unis socialistes d’Asie !