La répression du mouvement étudiant au Bangladesh

Le Bangladesh est gouverné depuis 2009 par Sheikh Hasina, de la Ligue Awami, le parti nationaliste bourgeois traditionnel. En 2018, un puissant mouvement étudiant contraint le gouvernement de Hasina à suspendre le quota de de 30 % des postes publics réservés aux héritiers des « combattants de la liberté », autrement dit aux descendants des membres de la Ligue Awami ayant conduit la séparation avec l’Etat bourgeois pakistanais en 1971. Le 5 juin 2024, la cour suprême rétablit le quota. La décision met le feu aux poudres dans les universités.

Un puissant mouvement de la jeunesse étudiante

Le rétrécissement brutal de l’accès à la fonction publique est d’autant plus mal ressenti que c’est une voie pour les étudiants d’entrée dans la petite bourgeoisie. Le chômage touche durement les jeunes prolétaires et paysans : 40 % des 15-24 ans n’ont ni travail ni formation, soit 18 millions de précaires dans un des pays les plus pauvres au monde. Grâce à leur concentration dans des lieux de formation, les étudiants ouvrent une brèche. Début juillet, leurs manifestations deviennent massives. Leur direction, non élue, se nomme Etudiants contre les discriminations (SAD).

Globalement, le mouvement étudiant reste isolé de la classe ouvrière et de ses organisations. Il se heurte aussitôt à la répression étatique et aux supplétifs de l’AL. Le 14 juillet, de retour de Chine, Hasina provoque la jeunesse en demandant s’ils sont des petits-enfants des Ravakars, les opposants à l’indépendance de 1971. Les étudiants se rassemblent massivement, des affrontements ont lieu avec des bâtons et pierres d’un côté, lacrymogènes, balles en caoutchouc de l’autre. Le 15 juillet, la répression fait 6 morts et des dizaines de blessés. L’organisation de jeunesse de l’AL, la Ligue Chhatra du Bangladesh (BCL), s’en prend aux manifestants et les grévistes, aidée par la police. Le 16 juillet, la police attaque les campus. La police militaire est déployée dans 5 grandes villes. Le 17, le gouvernement ordonne la fermeture des universités. Le 18, les agences de presse dénombrent 39 morts. Le 19 juillet, le gouvernement coupe internet, interdit toute manifestation, ferme les usines et établit un couvre-feu.

Des dizaines de milliers de manifestants font face à la police, visent les commissariats. Une prison de Dacca est incendiée. Le 21 juillet, la cour suprême revient sur sa décision et propose de réduire à 7 % les postes réservés. Le 22 juillet, un dirigeant des SAD est arrêté à l’hôpital, torturé. En date du 24 juillet, le gouvernement fait état de 3 policiers tués, plus de 1 100 policiers blessés, 281 véhicules policiers vandalisés, 235 postes de police attaqués.

Le 26 juillet, 3 responsables du mouvement étudiant sont arrêtés à l’hôpital. Le 27 juillet, on compte 201 morts, des centaines de blessés, plus de 9 000 arrestations., des centaines de torturés. Le 31 juillet, les SAD organisent une « Marche pour la justice » réunissant des dizaines de milliers de manifestants dans le pays, dont des enseignants et des travailleurs. Le mouvement subit encore une fois les coups de bâtons, les grenades. La police procède à des dizaines d’arrestations.

Contre la répression : unité travailleurs-étudiants !

La répression fasciste, policière et militaire protège le pouvoir en place de Hasina. La fermeture massive des usines textile du pays durant le couvre-feu et la corruption des directions syndicales empêchent toute jonction entre la grève générale étudiante et le mouvement ouvrier.

Pourtant, leurs revendications économiques et politiques pourraient converger sur fond d’inflation (10 % en 2023), chômage, salaires, droit de grève, droits démocratiques. Le secteur du prêt à porter (4 millions d’ouvriers, très majoritairement des femmes) représente plus de 80 % des exportations du pays. Ces exportations dépendent de grandes multinationales des centres impérialistes (étasuniennes, européennes et chinoises principalement).

La classe ouvrière lutte quotidiennement pour augmenter les salaires (le salaire minimum du textile est fixé à l’équivalent de 75 euros par mois), baisser le temps de travail (il va de 65 à 72 h par semaine) et améliorer les conditions de travail. En novembre 2023, la grève générale du secteur a permis, malgré la répression patronale et celle de l’Etat bourgeois, une augmentation de 56 % du salaire minimum mais les grévistes demandaient 300 % de hausse.

Il n’existe pas de parti ouvrier de masse pour aider les travailleurs à prendre la tête de la lutte contre l’Etat bourgeois. La classe dominante se partage entre l’AL, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) et le Jamaat al-Islamia islamiste qui s’était opposé à l’indépendance. Vu la faiblesse de la bourgeoisie nationale, l’état-major de l’armée intervient régulièrement dans la vie politique.

Le BNP, le Jamaat al-Islamia et le mouvement ouvrier ont boycotté dernières élections législatives, en janvier, car le pouvoir avait emprisonné auparavant 20 000 opposants politiques. 80 000 sont en attente de jugement.

L’incapacité d’en appeler aux travailleurs et le pacifisme affiché par la direction des SAD, probablement à cause de l’influence des partis bourgeois d’opposition en son sein, sont catastrophiques. Il faut une organisation révolutionnaire de jeunesse, liée à l’avant-garde des travailleurs, pour imposer la démocratie de la lutte étudiante, former ses services d’ordre.

La responsabilité des organisations ouvrières, partis et syndicats, est de se prononcer en solidarité avec la lutte étudiante, de constituer des comités d’action et d’autodéfense pour faire face à la police et à l’armée. En aucun cas, le mouvement ouvrier ne peut s’en remettre à l’un des deux partis bourgeois, qui, par milices interposées ou à la tête de l’Etat, maintiennent l’ordre capitaliste dans le pays. Seule l’unité des travailleurs et de la jeunesse peut repousser les forces de répression.

Pour chasser Hasina, grève générale !

Pour faire face au gouvernement Hasina, les travailleurs du pays doivent s’allier à la jeunesse et aux paysans. Leur force politique, dans un moment de luttes de classes intenses, est leur capacité à bloquer le pays entier. Cette force, c’est la grève générale. S’imposant aux directions corrompues des syndicats (souvent liés aux deux partis bourgeois), aux débris du stalinisme et du maoïsme, la grève générale pose la question du pouvoir. Par l’élection de délégués et leur centralisation dans un comité central de la grève, le pouvoir capitaliste sera contesté et une situation révolutionnaire se développerait.

Pour avancer cette perspective, la classe ouvrière bangladaise a besoin d’un parti ouvrier révolutionnaire. Il tirera les leçons des trahisons des partis « communiste », « travailliste » et « socialiste ». Ces derniers, réunis dans la coalition électorale d’Alliance démocratique de gauche (LDA), s’en tiennent à demander la démission de la première ministre et comptent sur l’Etat bourgeois pour obtenir justice exactement comme le fait la direction des SAD. Depuis des décennies et lors de chaque grande lutte de classe (mouvement pour la langue en 1952, grèves de 1968-1969, guerre d’indépendance de 1971, lutte contre la dictature en 1990), ces partis issus du mouvement ouvrier ont misé sur la collaboration avec l’une des ailes de la bourgeoisie.

L’avant-garde doit se regrouper sur la base du programme de la révolution permanente. Un parti est nécessaire aux travailleurs pour prendre la tête des lettes sociales, échapper à la mainmise de telle ou telle fraction de la bourgeoisie. Les revendications doivent converger vers l’établissement d’un gouvernement ouvrier et paysan, une fédération socialiste du sous-continent indien.

31 juillet 2024