LO et la dissolution
L’éditorial signé par Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière du 21 juin commence par un coup de chapeau à la décision de Macron de dissoudre le parlement, comme si c’était là une avancée démocratique et non le fait du prince, un des pouvoirs exorbitants du président dans la 5e République à un moment où son discrédit atteint des sommets.
En décidant la dissolution, Macron a remis entre nos mains la future composition de l’Assemblée nationale. Détesté comme il l’est dans les classes populaires, il peut perdre la majorité au profit du Rassemblement national ou du Nouveau Front populaire. Le jeu est donc ouvert. (Lutte ouvrière n° 2916, 21 juin)
LO distille des illusions sur la possibilité pour les travailleurs d’imposer leur choix dans des élections où une grande partie d’entre eux s’abstient, où une fraction significative n’a pas le droit de voter, où le rouleau compresseur des médias écrase systématiquement toute voix exprimant les intérêts réels de la population laborieuse, au nom du « réalisme », c’est-à-dire de ce qui est tolérable pour le capital. Pas un mot sur le fait que le RN est en mesure de rafler la mise dans ce qui n’est pas un « jeu » pour les travailleurs conscients ni pour les plus précaires, comme les étrangers.
Une lamentable dépolitisation
La profession de foi parle de « droite » et de « gauche », plutôt que de définir en termes de classe d’où viennent ces partis, qui ils représentent.
Chacun prétend que la victoire de ses adversaires plongera l’économie et le pays dans la catastrophe. Mais la catastrophe, les ouvriers, les employés, les travailleurs et les travailleuses précaires la vivent déjà tous les jours. (21 juin)
Là encore, sans caractériser la nature de classe de ces « chacun » et ces « adversaires », la direction de LO affirme que la situation ne sera pas pire, aucune raison de s’inquiéter… Elle utilise (3 fois dans l’édito) le terme de « politiciens », participant ainsi à la dépolitisation. Elle colle aux « tous pourris » ; « tous les mêmes » des populistes qui ne dévoilent jamais la nature bourgeoise, pro capitaliste des organisations et de leur personnel politique.
Depuis une semaine, absolument tous les politiciens, Attal compris, disent qu’ils augmenteront notre pouvoir d’achat. Ils mentent comme des arracheurs de dents. (21 juin)
Pire, LO colle aux expressions les plus arriérées du désarroi politique ou de la banalisation des capacités de nuisances du RN qui tournent en boucle de micros trottoir en réseaux sociaux.
Il y a ceux que l’on a essayés, dont la gauche qui a trahi les intérêts des travailleurs pour servir la grande bourgeoisie. Et il y a le Rassemblement national. Celui-ci ne s’est pas discrédité car il n’a pas encore été au pouvoir. (Profession de foi)
Ah bon ? Le RN a vraiment la fraicheur du nouveau-né ? Il ne procède pas de Vichy ? Il n’a pas torturé en Algérie ? Il n’est pas la continuité du FN créé par des collaborationnistes proches de Déat ou Doriot, d’anciens membres de la Waffen SS, d’ex-membres de l’OAS (Organisation armée secrète, qui organisa de nombreux attentats en Algérie et en France), néofascistes de toutes variétés, et autres négationnistes ? Il n’administre pas dix villes depuis 2014 ? À Hayange, par exemple, le RN que LO n’a pas encore essayé, a privé le Secours populaire de gaz et d’électricité et l’a sommé de quitter les locaux municipaux parce que « trop politisé et trop pro migrants ». À l’Assemblée nationale, il n’a pas voté contre l’augmentation du SMIC ? Il n’a pas défendu le permis de tuer des flics ? Il ne s’est pas systématiquement opposé à l’égalité salariale entre hommes et femmes (vote contre en 2021 à l’Assemblée nationale et en 2022 au Parlement européen) ? Il ne continue pas de désigner « les étrangers » comme coupables de tous les maux dont les violences faites aux femmes alors que plus de 90 % des agressions et des meurtres sont commis par les compagnons ou ex compagnons ?
Pourquoi ces silences assourdissants ? Parce que LO considère que les ouvriers votent RN et qu’il lui faut donc marcher sur des œufs pour ne pas se couper du « monde du travail » (encore une expression non marxiste, vaticane et reprise par les staliniens).
Je pense que des candidatures ouvrières peuvent attirer tous ceux qui sont écœurés, j’espère qu’on va arracher un certain nombre de voix au RN. (Nathalie Arthaud, France info, 22 juin)
Ce sauveur suprême a longtemps été cherché à gauche. Aujourd’hui, beaucoup de travailleurs le voient dans le Rassemblement national. (Éditorial des bulletins d’entreprises, 1er juillet)
Mais ce n’est pas parce que tous les instituts de sondages et les médias le disent que c’est exact : en réalité, 11,1 % des étrangers vivant en France sont ouvriers sans droit de vote, 9 % des ouvriers qui peuvent voter ne sont pas inscrits, 46 % des ouvriers inscrits se sont abstenus, 57 % des ouvriers qui votent ont déposé un bulletin RN. Ce qui donne : 88,9 % × 91 % × 54 % × 57 % = 24,9 % de votants RN. Évidemment, pour les communistes, un quart, c’est encore beaucoup trop, mais rien à voir avec le matraquage quotidien qui décrit une classe ouvrière amoureuse de Bardella. Ce score baisse même quand on intègre les autres catégories qui forment le prolétariat, employés, professions intermédiaires, travailleurs et travailleuses privé(e)s d’emploi. Et il faut encore le relativiser par la différence entre le vote des campagnes et des villes, où se déroulent et se dérouleront les batailles décisives.
L’incapacité à définir une orientation de front unique ouvrier
La presse de LO se contente d’énoncer que le Nouveau Front populaire est une « énième version de l’union de la gauche » (Christian Bernac, Lutte ouvrière, 21 juin) sans expliquer quelles organisations composent ce front. Elle ne dit jamais à ceux qu’elle influence que c’est une alliance entre des partis issus du mouvement ouvrier et des organisations bourgeoises, le contraire de l’unité de classe dont nous avons besoin pour nous battre contre le capital et son gouvernement. Elle ne prend pas la peine d’analyser son « programme » pour montrer qu’il ne rompt pas, de ce point de vue non plus, avec la bourgeoisie. Elle ne combat pas pied à pied la légende qui attribue au Front populaire les acquis arrachés par la grève générale de 1936 et les occupations d’usines.
Et ce n’est pas parce que la gauche a ressuscité le Front populaire en une nuit qu’il faut lui accorder notre confiance : il n’y a aucune raison qu’elle fasse autre chose que ce qu’elle a fait pendant quarante ans. (Profession de foi)
Les dirigeants de LO qui ne sont pas ignorants, qui tirent leur autorité auprès de leur base en invoquant les classiques du marxisme (comme le PCF stalinien de la fin des années 1930 au début des années 1990), se montrent cependant incapables d’en tirer des leçons ou de traduire pour aujourd’hui celles incarnées dans la politique des fondateurs de l’Internationale communiste puis de la 4e Internationale. Ils se contentent d’évoquer des « idées révolutionnaires », ce qui ne constitue pas un programme, une stratégie, un parti pour l’action émancipatrice.
Les communistes, ceux qui, avec Lénine et Trotsky, étaient restés fidèles aux idées révolutionnaires et se sont retrouvés à la tête de l’Internationale communiste [à l’insu de leur plein gré ???], ont su définir une tactique pour surmonter la division de la classe ouvrière. Cette politique dite du front unique ouvrier n’avait rien à voir avec la tactique des « Fronts populaires » ou autres « Blocs des gauches », qui n’ont été qu’une manière d’enchainer les travailleurs derrière des politiques au service de la bourgeoisie. Les partis communistes devaient absolument garder leur indépendance politique, mais en même temps proposer des actions communes et concrètes à l’ensemble des travailleurs pour défendre leurs intérêts et revendications de classe et faire progresser leur conscience. (Christian Bernac, Lutte ouvrière, 21 juin)
Alors ? où sont les mots d’ordre d’« actions communes et concrètes » ? où sont les exigences lancées à la face des sociaux-traitres pour rendre manifeste leur capitulation devant la bourgeoisie, un aspect décisif de la politique du front unique toujours absent chez LO ? Il n’y en a pas. Ni dans le journal, ni dans les tracts, ni dans les communiqués, ni dans la profession de foi, ni dans les discours de Mercier ou d’Arthaud au cours du meeting parisien du 22 juin (voir Lutte ouvrière n° 2917, 28 juin).
Aux seuls commentaires de la situation, les travailleuses et les travailleurs conscients préfèreront la concrétisation du marxisme, une politique révolutionnaire.
La politique de front unique ouvrier a pour rôle de séparer ceux qui veulent lutter de ceux qui ne veulent pas ; de pousser en avant ceux qui hésitent ; enfin de compromettre les dirigeants capitulards aux yeux des ouvriers et, par-là, d’augmenter la combattivité de ces derniers. (Trotsky, « La seule voie », 14 septembre 1932, Vaincre le fascisme, p. 246)
Dirigeants des syndicats, sortez du Conseil d’orientation des retraites qui milite pour un nouvel allongement de la durée du travail ! Macron est battu, abrogation immédiate de la contreréforme des retraites, de la « loi immigration » ! Fermeture des camps de rétention ! PS, PCF, LFI et syndicats qui disent parler en notre nom, prenez position, appelez à manifester pour obtenir satisfaction ! Partout, dans les entreprises, les facs, les quartiers, dans les associations, assemblées générales pour s’organiser et décider !
LO ne combat jamais la direction de la CGT qui a saboté en 2023, avec toute l’Intersyndicale, le mouvement de lutte contre le passage de l’âge de départ en retraite à 64 ans, elle a sagement suivi et appelé à toutes les journées d’action mises en place contre la grève générale. Aucun de ses militants implantés dans les syndicats (et avec des responsabilités et des heures de décharge…) n’a pris la moindre initiative de motion, de regroupement contre les bureaucrates, pour dresser contre Macron tout le prolétariat en même temps, jusqu’à satisfaction. Elle ne dénonce pas inlassablement les obstacles à la mobilisation et à la victoire des travailleuses, des travailleurs, que sont les partis réformistes et leur politique de protection du gouvernement, des institutions bourgeoises, des intérêts des patrons. Le petit appareil de LO met, une fois de plus, la responsabilité de la survie du capitalisme sur le dos des travailleurs.
Le grand patronat fera sa loi tant que la classe ouvrière ne se donnera pas les moyens de se battre au point que celui-ci craigne de tout perdre. (Profession de foi)
Les adeptes du programme mini-minimum
Si nous ne voulons pas être trompés une fois de plus, nous devons faire entendre nous-mêmes nos revendications. Nous devons exiger que les richesses et les énormes profits que nous produisons servent à nos salaires, à nos retraites, à nos conditions de vie plutôt qu’à augmenter les fortunes d’une poignée de privilégiés qui ne font rien de leurs dix doigts. Oui, il faut que les travailleurs s’organisent pour formuler ensemble les exigences qui changeraient leur vie. (Lutte ouvrière n° 2916, 21 juin)
Le conditionnel exprime, en français, l’irréel du présent : LO conçoit le communisme comme objectif pour dans mille ans, non comme la seule politique pour en finir avec l’exploitation et l’oppression, aujourd’hui.
S’agit-il même du communisme ? L’éditorial se tient plutôt sur « une meilleure répartition des richesses » puisqu’il n’est question nulle part d’exproprier les capitalistes pour pouvoir enfin décider de produire pour la satisfaction des besoins de la population laborieuse et non pour faire du profit. Quant à « s’organiser », LO ne dit mot des AG, des comités à édifier, de l’autodéfense. Les revendications urgentes que les travailleurs « doivent faire entendre » ne sont pas formulées. Ah si, dans la profession de foi déjà citée, il est question de l’échelle mobile des salaires et de « l’annulation des reculs sur la retraite ou l’assurance chômage » pour ajouter aussitôt :
À quoi servira le droit de partir à la retraite à 62 ans si l’on meurt à 20 ans dans une nouvelle guerre ? À quoi servira un salaire indexé sur l’inflation si l’on se retrouve sous les bombes ?
Il faut donc expliquer, patiemment, à Arthaud, Mercier et compagnie, que si le prolétariat se dressait, surmontait les obstacles à sa mobilisation, à sa centralisation et parvenait à arracher l’échelle mobile des salaires, l’abrogation de la contreréforme des retraites, il ferait reculer la possibilité pour la bourgeoisie française de le soumettre, de l’écraser sous l’uniforme. LO depuis plusieurs mois tremble devant « la guerre qui vient » sans avancer, là encore, le moindre mot d’ordre, le moindre axe de mobilisation contre le militarisme grandissant. Très loin de ce que faisait l’Internationale ouvrière avant 1914 et la 4e Internationale avant 1939.
En résumé, le journal vendu avant les élections ne présente ni le programme communiste, ni le parti révolutionnaire, nécessaires pour « changer la vie » ? Arthaud considère-t-elle que cela effraierait les électeurs potentiels ?
Des candidat(e)s pour quoi faire ?
On l’a vu, pas pour utiliser la courte campagne électorale et les quelques temps de parole qu’elle ouvre, à proposer aux travailleuses, aux travailleurs une voie pour engager le combat, pour renverser les appareils traitres qui bloquent systématiquement leur lutte. Pas non plus à populariser le programme révolutionnaire, par exemple en exposant ce qu’ont été les gouvernements ouvriers dans l’histoire, de la Commune de Paris ou de la Révolution russe de 1917, comment ils ont réglé en très peu de temps ce que la bourgeoisie ne sera jamais à même de régler. LO a semé à sa manière des illusions sur la démocratie du suffrage universel qui ne l’est pas (pas trace d’ailleurs de la revendication du droit de vote pour les travailleuses et travailleurs étrangers qui vivent ici).
Alors, il faut mettre sous surveillance tous ces politiciens […] Il faut agir par nous-mêmes. Cela commence par choisir des représentants parmi nos camarades de travail, qui sont comme nous, qui vivent les mêmes problèmes que nous tous et que l’on sait dévoués aux intérêts de la classe ouvrière. […] S’il n’y avait ne serait-ce qu’un député issu du camp des travailleurs, il se ferait les yeux et les oreilles du monde ouvrier. (Lutte ouvrière n° 2916, 21 juin)
Des yeux et des oreilles à l’AN peut-être, mais on entend mal sa voix et on ne voit pas ses poings. Arthaud confirme sur France Info le 22 juin et les clips officiels de campagne répètent le rôle dévolu par la direction de LO à son député espéré. Elle ajoute que le parlement serait un lieu où on apprend des choses, cachées sinon, et où pourraient être votées des avancées sociales.
S’il n’y avait ne serait-ce qu’un seul député LO à l’Assemblée nationale, il serait les yeux et les oreilles des travailleurs et il voterait en faveur de tout ce qui va dans le sens du monde du travail.
Tous les débats de l’Assemblée nationale sont rendus publics et même ceux des commissions. « Surveiller », « s’informer », « voir venir les choses cachées », c’est exactement le discours des bureaucraties syndicales pour justifier leur présence, grassement rétribuée, dans les conseils d’administration des entreprises capitalistes et dans les organes de cogestion de l’État bourgeois. Pourtant, la présence de la CFDT, de la CGT, de FO, de l’UNSA, de la FSU, de la CFTC dans le Conseil d’orientation des retraites n’a pas empêché la défaite de 2023, elle a au contraire permis au gouvernement de justifier son projet de loi que tous les appareils de l’Intersyndicale avaient négocié avec lui auparavant. Le COR vient d’ailleurs de lancer une nouvelle alerte sur le déficit de la branche vieillesse de la Sécu. Les bureaucrates y siègent toujours, sans que LO y trouve à redire.
La direction de LO rêvait d’un espion dans le sérail, pas d’un député bolchevik portant l’agitation communiste jusque dans le parlement tsariste, pour préparer la révolution (et pas pour dans 1 000 ans) !
Le POSDR a su lever l’étendard de la révolution jusque dans la troisième Douma noire ; même du sein de cette assemblée, il a su aider à l’organisation et à l’éducation révolutionnaire des ouvriers, à la lutte des paysans contre les propriétaires fonciers… Maintenant encore notre parti ne va pas à la Douma pour y jouer « aux réformes », pour « défendre la constitution » […] mais pour monter à la tribune et appeler les masses à la lutte, pour enseigner les conceptions socialistes […] en un mot, pour préparer l’armée et des combattants conscients de la nouvelle révolution russe. (Lénine, « Sur la plateforme électorale du POSDR », mars 1912, Œuvres, t. 17, p. 517-518)
Il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire, dès maintenant !
Les éditoriaux des deux semaines qui précèdent le 1er tour (n° 2916 et 2917) ne mentionnent pas la nécessité de construire le parti ouvrier révolutionnaire. Bernac termine l’article déjà cité en attribuant aux révolutionnaires deux fonctions qui les maintiennent à l’extérieur du mouvement pratique : prévenir et surveiller.
Le rôle des révolutionnaires est dès aujourd’hui de prévenir les travailleurs face aux illusions qu’ils pourraient avoir dans les promesses des uns et des autres. Il sera aussi d’être à leurs côtés pour contrôler, surveiller les faits et gestes du nouveau gouvernement.
LO théorise le fait de ne pas définir d’orientation à proposer à la classe ouvrière. Qu’elle se débrouille. Ce genre de révolutionnaires flottera au fil des évènements, donc à la remorque des appareils syndicaux et des partis réformistes qui eux « contrôlent » le prolétariat.
Une fois passé le premier tour et sa campagne électorale, l’hebdomadaire titre enfin sur la nécessité du parti ouvrier, communiste et révolutionnaire. Pour la direction de LO, « il faut reconstruire un véritable part ouvrier communiste, révolutionnaire et internationaliste » (n° 2918). Ce qui signifie qu’il en a existé un. Lequel ? Il serait normal de le dire aux travailleurs. Et comment édifier cette organisation ? L’éditorial signé de Nathalie Arthaud ne l’explique pas. Pourquoi aucune initiative en direction des 350 000 prolétaires qui ont voté LO ? Parce que la direction de cette organisation a l’intention de ne rien changer à ses habitudes, de continuer à faire la modeste tout en regardant avec mépris tous les groupes, organisations, militants, travailleurs et jeunes qu’elle ne pourrait pas mouler dans son ouvriérisme économiste impuissant.