Notes sur la situation mondiale

Ukraine

Le vote d’une enveloppe de presque 61 milliards de dollars en faveur de l’Ukraine par la Chambre des représentants américaine le 20 avril après 7 mois de blocage marque une modification de la situation internationale. Ce vote a été rendu possible par la bascule d’une partie des élus républicains. En effet 100 élus républicains ont voté pour, 112 républicains contre et 210 élus démocrates pour. Pourquoi cette bascule d’une partie du Parti républicain ? Parce que sur le terrain militaire, le déséquilibre entre l’armée ukrainienne et l’armée russe s’accentue, avec une avancée des troupes russes au point que les services secrets américains ont pronostiqué la défaite de l’Ukraine d’ici moins d’un an si rien n’était fait. Même si l’on tient compte du caractère opportuniste de cet avis pour convaincre les réticents, il n’empêche que cela a été plus ou moins corroboré par de nombreuses autres sources. Dans ces conditions, l’impérialisme américain ne pouvait pas se permettre de laisser l’impérialisme russe triompher, avant tout pour préserver sa propre crédibilité de premier impérialisme mondial. Biden a déclaré après le vote de l’ensemble des mesures prévues pour l’Ukraine, Israël, Taiwan, en tout 95 milliards de dollars

Une aide cruciale à l’Ukraine et Israël, au rendez-vous de l’histoire. Cette enveloppe de 95 milliards de dollars envoie un message clair sur la puissance du leadership américain à travers le monde.

Une victoire russe décisive en Ukraine aurait, avant l’élection présidentielle de novembre, été reprochée au Parti républicain. C’est ce qui a décidé une partie du Parti républicain, et Trump lui-même, à lever son opposition à l’aide militaire à l’Ukraine. Mais le courant dans la bourgeoisie américaine contre l’engagement américain vis-à-vis de l’Ukraine, majoritaire dans le Parti républicain, reste très présent. Une aide militaire qui d’ailleurs n’est pas de 61 milliards. Dans le détail, 23 milliards de dollars serviront pour l’armée américaine à remplacer les armes et les stocks qui partent en Ukraine et 27,1 milliards financeront l’achat d’armes par Kiev, détaille le média ukrainien Hromadske. Près de 10 milliards sont également alloués pour une aide non militaire sous forme de prêts pour l’aide économique et les réparations d’infrastructures, et une partie indéterminée servira à reconstituer les stocks de l’armée américaine. Des armes et des munitions pour l’Ukraine, oui, mais pas de soldats américains. Même si les États-Unis vont sans doute augmenter le nombre de leurs conseillers militaires présents en Ukraine, le chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, qui défendait l’adoption du texte, l’a dit : « Pour le dire franchement : je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine plutôt qu’envoyer nos garçons se battre ». La limite entre l’aide à l’Ukraine et l’intervention militaire directe de l’impérialisme américain contre l’impérialisme russe n’est pas franchie.



Les semaines qui viennent diront si cette aide militaire tardive est capable de stabiliser ou d’inverser le rapport des forces sur le terrain. Du coté ukrainien, l’élan patriotique de la population de défense s’est affaibli, non seulement à causes des difficultés militaires (estimation moyenne de 60 000 morts et plus de 150 000 blessés après deux ans), mais aussi parce que c’est la bourgeoisie qui dirige la guerre et pas le prolétariat. Les difficultés pour faire adopter la nouvelle loi élargissant les conditions de la conscription en témoignent. Du côté russe, même si la machine de guerre fournit 5 à 10 fois plus de munitions que du côté ukrainien, la situation n’est pas non plus sans problèmes, l’armée russe ayant subi des pertes importantes, en hommes et en matériels (estimation moyenne de 110 000 morts et plus de 220 000 blessés après deux ans), comme la marine en mer Noire par exemple, et l’opposition à la guerre en Russie-même n’a pas désarmé malgré la répression. Ce d’autant que l’effort de guerre pèse sur la population russe et les récentes inondations dans le sud à la frontière avec le Kazakhstan, en partie dues à la vétusté des ouvrages, renforcent les oppositions à Poutine, après l’explosion des installations de chauffage central défaillantes au cœur de l’hiver dans d’autres villes russes. L’attentat contre les spectateurs d’un théâtre près de Moscou le 22 mars (143 morts), revendiqué par Al Quaida mais attribué à l’Ukraine par Poutine montre les faiblesses des services secrets russes et permet le renforcement de la répression d’Etat et de la xénophobie. Une défaite militaire de la Russie en Ukraine ne pourrait qu’affaiblir Poutine et pourrait ouvrir la voie à l’irruption du prolétariat russe sur le devant de la scène.

Palestine



L’attaque, le 1er avril, de la représentation diplomatique de l’Iran à Damas en Syrie était une provocation calculée de Nétanyahou qui a parfaitement fonctionnée. Immédiatement l’impérialisme américain et tous les impérialismes européens ont réaffirmé leur soutien à Israël et se sont disposés à lui fournir une assistance militaire en cas de riposte iranienne. Ainsi, les critiques contre l’offensive israélienne à Gaza ont été en grande partie remisées. En Israël, Nétanyahou a resserré l’union nationale autour de sa politique. Enfin il a obligé l’Iran à riposter le 13 avril. Mais cette riposte militaire, plus de 300 drones et missiles dirigés contre Israël, a totalement échoué, la quasi-totalité ayant été interceptés et détruits avant-même d’atteindre le territoire israélien, grâce aux moyens technologiques de l’armée israélienne et aussi grâce aux moyens, sur place, américains, français et britanniques et aussi de la Jordanie, des Émirats arabes unis, et la complicité de l’Arabie saoudite. L’État sioniste sort totalement renforcé de cette opération, il a resserré ses liens avec les différents impérialismes et a montré sa puissance militaire dominatrice. Les États-Unis viennent de lui accorder, le 20 avril, 13 milliards de dollars d’assistance militaire supplémentaires. La riposte du 19 avril d’Israël contre l’Iran a été minimisée par le régime, alors qu’elle semble avoir été déclenchée à partir du territoire iranien, ce qui est un pied de nez supplémentaire au régime iranien, qui, quant à lui, sort affaibli à l’extérieur comme à l’intérieur de cette affaire. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a immédiatement durci la répression, notamment contre les femmes, pour éviter toute manifestation contre lui.

Dans ces conditions, Nétanyahou a les coudées encore plus franches pour poursuivre à sa guise les opérations militaires à Gaza et particulièrement à Rafah. Le massacre se poursuit. Selon l’Unicef (18 avril), 33 899 personnes auraient été tuées, dont 14 500 enfants et 9 560 femmes. Plus de 76 000 personnes auraient été blessées, dont 12 300 enfants. Il se permet même de convoquer les ambassadeurs des pays qui ont voté à l’ONU pour la représentation d’un État palestinien, France, Japon, Corée du Sud… pour leur remonter les bretelles ! Tout cela est rendu, en grande partie, possible par les principales bureaucraties ouvrières (partis et directions syndicales) des pays impérialistes et des pays de la région qui interdisent le boycott des armes par les travailleurs et le soutien politique au droit des Palestiniens à disposer de leurs terres.

Autres conflits ouverts

Outre des guérillas djihadistes au Sahel et au Proche-Orient, des guerre civiles ravagent plusieurs États, avec des implications impérialistes variées.

Au Yémen, trois factions des classes dominantes s’affrontent. Au nord, les houthistes (islamistes chiites) soutenus par l’Iran tiennent la capitale et les ports de la mer Rouge. À l’est, le Conseil présidentiel a l’appui de l’Arabie. Au sud, le Conseil de transition bénéficie de l’aide des Émirats arabes unis.

En Éthiopie, l’armée fédérale d’Abiy Ahmed, a écrasé de manière sanglante la rébellion du Tigré (2020-2022), avec l’aide des milices de la région de l’Amhara, les Fano. Loin des grands médias, celles-ci affrontent depuis 2023 l’armée éthiopienne, avec la complicité de l’Érythrée qui maintient des troupes sur le territoire éthiopien.

Après une crise révolutionnaire en 2019, le Soudan s’est enfoncé dans une guerre civile entre deux fractions de l’appareil d’État (l’état-major de l’armée officielle, lié au régime islamiste antérieur, contre ses supplétifs des RSF massacreurs au Darfour), forçant près de huit millions de personnes à fuir. La population, au bord de la famine, continue de subir les pires exactions et des milliers de morts. Les RSF reçoivent l’aide des Émirats arabes unis tandis que l’armée régulière est soutenue par l’Égypte.

En Birmanie, l’armée régulière ne parvient pas depuis 2021 à écraser la résistance qui s’appuie sur les minorités ethniques. La Chine couvre cette dernière.

En Haïti, l’État bourgeois se disloque sous la pression des bandes criminelles.

L’impérialisme américain poursuit son offensive contre son concurrent chinois

Si le soutien à l’Ukraine divise la bourgeoisie américaine, la lutte contre son principal concurrent, l’impérialisme chinois, fait consensus. C’est d’ailleurs pourquoi il est faux de considérer que Trump et ses partisans seraient sur une ligne isolationniste, même si certains de leurs arguments populistes comme « l’argent envoyé à l’Ukraine serait plus utilement employé chez nous » peuvent le laisser penser. Méthodiquement, l’impérialisme américain tisse sa toile autour de la Chine, sur le plan militaire et diplomatique, avec le Japon qui comporte déjà 54 000 personnels militaires américains dans les bases américaines. Le Japon augmente lui-même ses dépenses militaires car il voit la Chine comme « le plus grand défi stratégique pour sa sécurité ». Mais aussi plus généralement avec tous les pays composant l’ASEAN, Indonésie, Singapour, Malaisie, Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Brunei, Laos, Myanmar, pour résister aux pressions de l’impérialisme chinois en mer de Chine. Non sans contradictions et une certaine prudence, du fait des intérêts économiques en jeu.

Les échanges entre l’Asean et la Chine ont atteint 975 milliards de dollars (911,5 milliards d’euros) l’an dernier, soit un volume trois fois supérieur à celui mesuré entre le bloc et l’Union européenne et deux fois supérieur à celui réalisé avec les Etats-Unis. (Les Échos, 20 septembre 2023)

La Chambre des représentants vient également d’allouer 8 milliards d’aides militaires supplémentaires à Taiwan. Ce geste témoigne d’une certaine assurance de l’impérialisme américain, sachant la susceptibilité de l’impérialisme chinois sur la question de Taiwan. Il se permet aussi de faire la leçon à l’impérialisme chinois pour lui demander de cesser de soutenir l’impérialisme russe dans sa guerre en Ukraine.

Parallèlement l’offensive se poursuit sur le terrain économique pour contrer l’impérialisme chinois. Ainsi, le « paquet » voté par la Chambre des représentants contient un ultimatum à TikTok aux États-Unis, soit il est vendu à un opérateur autre que chinois, soit il est interdit aux États-Unis. Dans le même temps l’impérialisme américain fait pression sur les impérialismes européens, notamment les Pays-Bas et l’Allemagne, pour renforcer les interdictions d’exportations vers la Chine de puces de dernière génération ou de matériels permettant leur fabrication. Pourtant l’impérialisme allemand conserve de puissants intérêts commerciaux avec la Chine, en particulier ses grands groupes (Volkswagen, BASF, Daimler, etc.), alors que la pression monte, du côté des autres impérialismes européens (et en particulier l’impérialisme français) pour installer plus de protectionnisme à l’encontre des produits chinois. Le récent voyage du chancelier Scholz en Chine, accompagné de ministres et de nombreux grands patrons, a d’ailleurs commencé par l’ouverture de son compte TikTok. L’accueil de Xi Jinping fut princier car les deux économies sont encore très liées.

Malgré les tensions commerciales avec Washington, la crise immobilière, la crise boursière, le vieillissement accéléré et les surcapacités de production du pays, les capitalistes chinois consolident leur émergence impérialiste. Ils exploitent la plus importante classe ouvrière au monde, seule classe sociale capable de les renverser et d’ouvrir la voie au socialisme.

Les bourgeoisies impérialistes préparent la guerre

Les chiffres du SIPRI sont éloquents.

SIPRI, 22 avril 2024


Il n’y a pas que l’augmentation des dépenses militaires. Il y a aussi le renforcement des nationalismes, du protectionnisme, de l’embrigadement idéologique. Pour autant, cela ne signifie pas que les impérialismes soient prêts maintenant à s’affronter militairement.

L’impérialisme reste bien la période des guerres et des révolutions. La prudence recommandée par tous les impérialismes, Chine comprise, pour éviter une extension du conflit au Proche-Orient, la non intervention directe de l’impérialisme américain comme des impérialismes européens contre l’impérialisme russe dans le conflit en Ukraine, le fait que l’impérialisme chinois soit encore loin d’égaler la puissance militaire et technologique de l’impérialisme américain laisse penser que les principaux impérialismes ne sont encore ni prêts ni totalement contraints de déclencher la guerre entre eux. Il faut mettre à profit ce délai pour regrouper les militants révolutionnaires afin de construire l’Internationale ouvrière révolutionnaire et ses sections nationales, afin mener une lutte de classe indépendante contre le capitalisme qui menace d’entrainer toute l’humanité dans son déclin.

22 avril 2024