Les appareils offrent une nouvelle victoire à Macron… et à Le Pen
L’année 2023 s’est achevée par le vote de la loi Macron-Darmanin-Ciotti-Le Pen. Comme l’a rappelé le président dans ses voeux aux Français, il a bien servi la bourgeoisie française.
En 2023, nous avons agi, agi au service de l’objectif de réindustrialisation et de plein-emploi, dont les premiers résultats sont là. Les retraites, l’assurance chômage, la relance de nos industries vertes, l’accélération de France 2030, la refondation du lycée professionnel, la réforme de Pôle emploi et du revenu de solidarité active, la réforme du marché européen de l’électricité : toutes ces grandes transformations ont été décidées, votées, et ont commencé à entrer en vigueur cette année. (Emmanuel Macron, 31 décembre 2023)
L’adoption de cette loi contre l’immigration est l’aboutissement une nouvelle fois de la complicité des bureaucraties syndicales, qui n’ont pas mobilisé pour empêcher son adoption, et des partis réformistes qui ont poussé jusqu’au bout la logique déjà mise en oeuvre pendant le mouvement sur les retraites consistant à reporter dans le Parlement le centre de l’affrontement, avec l’addition arithmétique des oppositions au gouvernement comme méthode. Le brouillage permanent des frontières de classe est une ligne directrice pour les chefs réformistes et les bureaucrates syndicaux. Le vote, le 11 décembre, de la motion de rejet du texte, LFI, PS et PCF avec EELV, LR et le RN, rappelle le vote des motions de censure contre la réforme des retraites avec les mêmes et LIOT. Pour eux, il faut à toute force faire croire à la classe ouvrière que la solution réside dans l’alliance avec telle ou telle fraction de la bourgeoisie plutôt que dans l’affrontement classe contre classe.
Les chefs réformistes se félicitent avec les partis bourgeois d’opposition.
Ça sent le bout du chemin pour Gérald Darmanin et sa loi immigration. (Jean-Luc Mélenchon, 11 décembre)
Leurs adjoints centristes se réjouissent aussi, en ajoutant pour avoir l’air radical qu’il faut continuer « à se mobiliser ».
Gifle pour Darmanin et Macron. (RP, 11 décembre) ; Darmanin en échec. (NPA-AC, 14 décembre) ;
C’est la même politique irresponsable (si c’est contre Macron, c’est bon) qui avait poussé LFI, LO, le NPA et RP à applaudir aux manifestations des fascistes et des complotistes antivaccins. C’est la même logique imbécile qui avait conduit les bureaucrates syndicaux et les partis ouvriers bourgeois, suivis par le NPA, à voter Macron sous prétexte de s’opposer à Le Pen : on voit aujourd’hui non seulement les résultats calamiteux pour la classe ouvrière, mais également que Macron sert de marchepied au RN. Inévitablement, après le vote de la motion de rejet avec les partis bourgeois, LR et RN ont négocié entre eux le durcissement des mesures contre les étrangers, dans un sens particulièrement réactionnaire.
Un principe élémentaire de la stratégie marxiste est que l’alliance du prolétariat et des petites gens des villes et des campagnes doit se réaliser uniquement dans la lutte irréductible contre la représentation parlementaire traditionnelle de la petite-bourgeoisie… Au contraire, le complot de la bureaucratie ouvrière avec les pires exploiteurs des classes intermédiaires est tout simplement susceptible de tuer la foi des masses dans les méthodes révolutionnaires et de les jeter dans les bras de la contrerévolution fasciste. (Trotsky, 28 mars 1936)
C’est un coup supplémentaire contre la classe ouvrière, même si le combat pour l’abrogation de la loi n’a pas dit son dernier mot. Ne disposant plus d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, Macron doit marchander à chaque fois pour faire passer ses textes, à défaut de pouvoir utiliser le 49.3 plus d’une fois par session, hors des projets budgétaires. Ainsi, c’est Macron qui définit le cap et LR et le RN ont ensuite tout loisir d’alourdir l’addition. De plus, la constitution très réactionnaire de la 5e République permet également au président de gouverner par décrets dans de nombreux domaines et il n’a pas l’intention de s’en priver.
Tout ce qu’on peut faire par voie réglementaire est plus qu’utile pour être plus agiles. Innovons dans les méthodes ! (Emmanuel Macron, Voeux à sa majorité parlementaire, 15 janvier)
Le vote de la loi contre les travailleurs immigrés aux conditions du RN et de LR n’est pas un facteur de crise politique pour la bourgeoisie, ni même un affaiblissement de Macron. Quelques députés macronistes ont eu des vapeurs, un ministre a démissionné, et alors ? Le président a saisi le Conseil constitutionnel pour remodeler la loi. Il a remplacé Borne par Attal.
Le gouvernement Attal : « en même temps » du Macron, du Ciotti et du Le Pen
Macron dans ses voeux a appelé plusieurs fois au « réarmement » :
Après le réarmement économique, le réarmement de l’État et de nos services publics, il nous faudra ainsi engager notre réarmement civique… Nous devons donc continuer ce réarmement de la Nation face au dérèglement du monde.
Mais c’est le ministre de l’économie qui a été le plus explicite, exprimant le plus clairement les objectifs de la bourgeoisie française :
Nous vivons un moment historique, qui définira les rapports de force mondiaux des cinquante prochaines années… Nous sommes à un moment charnière du quinquennat : ce que nous avons accompli avec le président de la République est considérable, ce qu’il nous reste à accomplir est encore plus important… Contre la crainte du déclassement financier, une seule exigence : a réduction de la dépense publique, le désendettement accéléré de la nation, la tenue rigoureuse des comptes publics. Je rappelle que nous devons trouver au minimum 12 milliards d’euros d’économies en 2025. Appelons un chat un chat : le plus dur est devant nous… Formation, qualification, orientation, charges, prime d’activité, tout doit être remis à plat… Nous devons rétablir des frontières européennes pour notre économie. (Bruno Le Maire, Voeux aux acteurs économiques, 8 janvier 2024)
D’ores et déjà, les boucliers tarifaires sur les carburants et l’électricité disparaissent.
Dans sa conférence de presse du 16 janvier, Macron a précisé les axes de bataille du nouveau gouvernement : le réarmement civique est une entreprise d’embrigadement de la jeunesse aux valeurs de la bourgeoisie, « pour que la France reste la France » en faisant ânonner la Marseillaise aux enfants dès l’école primaire, en renforçant « l’instruction civique » au collège, en prônant le port de l’uniforme pour les élèves, en généralisant « le service national universel » en classe de seconde et les cérémonies de remise des diplômes.
Pour les patrons, une nouvelle loi : « libérer davantage encore ceux qui font, qui innovent, qui osent… supprimer des normes, réduire des délais, faciliter encore les embauches, augmenter tous les seuils de déclenchement d’obligations », ce qui signifie tout simplement de nouvelles exonérations fiscales et de nouvelles attaques contre les travailleurs, comme la remise en cause possible du seuil de 10 salariés pour la mise en place de délégué du personnel.
Contre les chômeurs, des règles d’indemnisation du chômage « plus sévères quand des offres d’emploi seront refusées ». Contre les fonctionnaires, un coup décisif contre les statuts puisque « le mérite sera au coeur d’une réforme qui va commencer dans les prochaines semaines ». Sans oublier le doublement de la franchise sur les médicaments qui passera de 0,50 à 1 euro, ce qui ne représente pas, pour Macron, « un crime terrible », d’autant qu’il ne compte sans doute pas les euros à la fin du mois…
C’est le discours d’un gouvernement à l’offensive, fort de ses victoires précédentes contre la classe ouvrière. Le tournant réactionnaire de Macron reflète que la bourgeoisie française, dont la place s’érode sur le marché mondial, ne voit désormais de salut que dans l’érection de barrières protectionnistes, fussent-elles européennes, et dans une fuite en avant vers « l’ordre » et la xénophobie. Qu’ensuite le RN tire les marrons du feu et emporte la présidentielle de 2027 est une hypothèse crédible, après que Macron et ses gouvernements successifs lui auront préparé le terrain. Pas étonnant qu’à l’ombre du RN, les groupes fascistes multiplient les gesticulations et les exactions.
Pour dégager la classe ouvrière des obstacles des appareils
Autant Macron durcit sa politique contre la classe ouvrière, autant les chefs syndicaux continuent de se vautrer dans le « dialogue social ». Attal a entamé avec eux le 16 janvier des « entretiens » qui les comblent d’aise. Pour Frédéric Souillot de FO, Attal a assuré « croire au dialogue social ». Sophie Binet de la CGT a déclaré « Il a souhaité montrer qu’il était ouvert » tout en lui réclamant « un changement de cap » et un changement de « méthode » pour « travailler différemment avec les syndicats ». Marylise Leon de la CFDT livre le mode d’emploi souhaité en parlant de la future rémunération au mérite des fonctionnaires « Ce n’est pas possible d’apprendre le contenu d’un projet avant que les concertations avec les syndicats aient eu lieu ».
Sur le terrain de la classe ouvrière, la mobilisation en défense du peuple palestinien est restée limitée, même si toute une fraction de la jeunesse d’origine arabe, des travailleurs palestiniens, se mobilisent avec opiniâtreté semaine après semaine. Les partis sociaux-impérialistes, quand ils ne se sont pas alignés totalement sur Israël comme le PS, ou dans des manifestations de soutien à peine déguisé à Israël comme la marche contre l’antisémitisme du 13 novembre où PS et PCF ont défilé, se bornent à demander un cessez-le-feu, l’application des résolutions de l’ONU, la relance des accords d’Oslo et refusent de s’attaquer au sionisme comme tel.
Les bureaucrates syndicaux ont fait le minimum syndical sur les mêmes positions, passant sous silence l’appel des syndicats palestiniens pour organiser internationalement le boycott effectif des livraisons d’armes à Israël. Pourtant, de nombreuses entreprises françaises comme Safran, Thales, Exxelia, PGM, des filiales de Dassault fournissent de l’armement ou des composants destinés à l’armement d’Israël.
Quant à la loi Macron-Darmanin-Ciotti-Le Pen, les appareils ont pris les devants pour protéger le gouvernement. En effet, deux protestations séparées et opposées sont convoquées à une semaine d’intervalle. La première, le 14 janvier, au nom de collectifs, de quelques syndicats (CNT, Solidaires, FSU…), de LFI, des NPA, de LO… sur la ligne tantôt du retrait, tantôt d’une simple opposition à la loi, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, a rassemblé des manifestations qui, sans être ridicules, n’étaient pas cependant très massives.
La seconde initiative a eu lieu le 21 janvier, sous la forme de « marches citoyennes » à l’appel de 201 « personnalités » dont plusieurs viennent de voter avec le RN. Cela va de Binet (CGT), Léon (CFDT), Teste (FSU), Escure (UNSA), Guilbert & Simon Duteil (SUD), Roussel (PCF), Faure (PS) à Toubon, ancien ministre de Balladur et Chirac (qui, en 1991, dénonçait « le bruit et l’odeur » des travailleurs étrangers) en passant par un large spectre de responsables religieux et de politiciens bourgeois comme Tondelier (EELV), Rilhac (Renaissance), Lacroix (PRG), Saint-Huile (LIOT)… Un tel bloc ne peut s’opérer que sur le terrain idéologique et politique de la bourgeoisie.
La loi dite « asile-immigration » torpille les piliers porteurs de notre pacte républicain, hérité du Conseil national de la résistance… Soucieux de rassemblement et de solidarité plutôt que de division sans fin de notre société, nous demandons au Président de la République de ne pas promulguer cette loi.
L’appel front populiste évoque explicitement le temps où les partis sociaux-chauvins (PS-SFIO, PCF) fournissaient des ministres au général de Gaulle (1944-1947) pour désarmer les travailleurs, empêcher les grèves, consolider l’État bourgeois et tenter de reconstruire l’empire colonial, et pose les jalons de la « préférence nationale » (interdiction de la fonction publique aux étrangers). Clairement, son but n’est pas d’arracher l’abrogation de la loi xénophobe, mais de remettre la décision dans les mains du président qui a toujours persécuté les travailleurs étrangers (tout en favorisant les capitalistes étrangers).
Une telle concorde nationale annonce évidemment à Macron et Darmanin qu’ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles, la contestation restera dans un état d’esprit respectueuse « du pacte républicain ».
Un « appel historique », selon le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, signataire du texte, puisqu’il rassemble amplement, au-delà des frontières de la gauche… Si on veut mener le combat prioritaire des valeurs, contre l’extrême-droite, il faut un large rassemblement, dépassant les différences politiques et d’engagement. (L’Humanité, 10 janvier)
S’agit-il seulement de « valeurs » ou de la division forcenée de la classe ouvrière, de la transformation en parias de la plupart des travailleurs étrangers ? Il ne suffit pas d’appeler « aux luttes », comme le font LO, les NPA et RP. Il faut combattre les appareils sociaux-patriotes, écarter les obstacles qu’ils dressent, afin que les mobilisations soient victorieuses, dans le but ouvert de renverser le pouvoir de la bourgeoisie, d’instaurer un gouvernement ouvrier, d’ouvrir la voie aux États-Unis socialistes d’Europe.
N’est pas internationaliste celui qui proclame avec forces serments et en jurant ses grands dieux qu’il est internationaliste, mais seulement celui qui lutte effectivement en internationaliste contre son gouvernement, contre ses sociaux-chauvins, contre ses centristes. (Lénine, 25 décembre 1916)
Contre la répugnante collaboration de classes au parlement et dans la rue, contre la prosternation devant l’État bourgeois, les travailleurs conscients doivent imposer le front unique ouvrier. Unité des organisations ouvrières pour l’abrogation de la loi Macron-Darmanin-Ciotti-Le Pen, pour le retrait des plans contre les lycées professionnels et les collèges, pour la suppression de toutes les mesures contre les chômeurs, pour arrêter le génocide des Palestiniens de la bande de Gaza !