Le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, élevé comme Macron au sein d’établissements scolaires privés, a décidé d’interdire l’abaya (et accessoirement son équivalent masculin le khamis), une tenue d’inspiration religieuse musulmane, dans l’enseignement public. Aussitôt, divers responsables LR et RN ont proposé l’instauration du port de l’uniforme, certains voulant l’imposer dans les municipalités qu’ils contrôlent. Macron se dit ouvert à l’expérimentation locale de l’uniforme. D’autres proposent une tenue « standard » qui préciserait le type de vêtements, et éventuellement leur couleur.
Ce n’est pas une coïncidence qu’en octobre 2018 Attal, qui était alors secrétaire d’État auprès du ministre Blanquer, s’était engagé dans la mise en place du service national universel (SNU), qu’il considérait comme « la grande réforme de société du quinquennat ». Toute cette discussion autour de l’uniforme, comme le SNU, participe de la militarisation de la jeunesse, dans un contexte de violences policières, de xénophobie et de montée des tensions inter-impérialistes. De même que le foulard islamique et l’abaya représentent la soumission à l’idéologie religieuse réactionnaire, avec ses préceptes patriarcaux de « modestie féminine », l’uniforme ou la « tenue républicaine » représentent, derrière les oripeaux de la « République », la soumission à l’État bourgeois, à l’impérialisme français et à son armée postcoloniale.
Le modèle d’école d’Europe a été créé par la monarchie prussienne à la fin du 18e siècle, qui le renforça lors des guerres napoléoniennes. Son but était de former de bons soldats, et il s’organisa autour d’une discipline de type militaire.
Si la 3e République française, fondée sur l’écrasement de la Commune de Paris, adopta l’école publique laïque, ce n’était pas pour préserver les enfants de l’endoctrinement, mais pour limiter l’emprise de l’Église catholique, alors monarchiste, et parce que la bourgeoisie française trouvait plus utile d’endoctriner la jeunesse avec le patriotisme et le militarisme, plutôt qu’avec les bondieuseries des curés. À l’époque, il fallait reprendre l’Alsace-Moselle annexée par l’Allemagne. Le nationalisme et le bellicisme faisaient bon ménage avec l’anticléricalisme du Parti radical pour conjurer la lutte sociale des exploités.
L’anticléricalisme est resté la seule raison d’être du Parti radical. Pour les partis bourgeois, la lutte contre l’Église n’est donc pas un moyen mais une fin en soi ; on la mène de façon à n’atteindre jamais le but… Les bourgeois mangeurs de prêtres sont avant tout les ennemis du prolétariat… Le danger de l’accouplement de l’action prolétarienne et de l’action bourgeoise est incontestablement plus grand que les inconvénients que l’on peut redouter des menées réactionnaires de l’Église catholique. (Rosa Luxemburg, « Réponse à l’enquête sur l’anticléricalisme et la république », 1 janvier 1903, Le Socialisme en France, Agone-Smolny, p. 238-239)
La 3e République, tout aussi conquérante et violente que les monarchies qui l’avaient précédée, remettait l’instruction au sein des colonies à l’Église catholique et sous-traita même l’administration de Wallis et Futuna, en Océanie, à l’ordre des maristes.
Dans les faits, malgré les grandes proclamations de laïcité face aux élèves musulmanes, la bourgeoisie française s’accommode bien de multiples entorses à cette laïcité, comme le statut clérical d’Alsace-Moselle en 1918 et le financement de l’enseignement privé (essentiellement confessionnel) décidé par le général de Gaulle en 1959.
Le président de la république est officiellement chanoine de Latran ; en 2018 Macron se rendit au Vatican pour recevoir ce titre du pape, « Mon émotion est réelle », déclara-t-il. Les cultes religieux relèvent des attributions du ministère de l’intérieur (alors que dans une vraie laïcité, le gouvernement ne devrait pas plus s’occuper des cultes religieux que des clubs de pétanque).
Lors des discussions sur les questions éthiques, comme la fin de vie, le gouvernement prend soin de sonder l’opinion des divers clergés. Évidemment, tous ces clergés, quoique concurrents (les livres sacrés de leur dogme justifient tous le massacre des autres croyants, sans parler des athées), se sont prononcés contre l’euthanasie et le suicide assisté, comme ils s’étaient mobilisés contre le droit au mariage des homosexuels en 2013. S’il y a une différence, c’est que le l’islam n’a jamais été la religion des classes dominantes en France, alors que le catholicisme fut durant des siècles une religion d’État, avec tous les privilèges que cela conférait à son clergé.
Les communistes prônent la liberté vestimentaire, y compris pour les enfants. Ils refusent tout forme d’uniforme à l’école, car celui-ci représente la soumission des élèves au militarisme et à l’impérialisme français. Ils reconnaissent que les tenues religieuses, en particulier des filles, relèvent de la pression réactionnaire des clergés, mais ils s’opposent à la répression en la matière.
Une éducation du peuple par l’État est chose absolument condamnable. Il faut proscrire de l’école, au même titre, toute influence du gouvernement et du clergé. (Karl Marx, « Gloses marginales au projet de programme du SPD », 5 mai 1875, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, ES, p. 47)
Le social-chauvinisme des partis ouvriers traditionnels, la stigmatisation des musulmans par les partis bourgeois, accompagnée de la misère et de la répression policière dans les banlieues ghettoïsées ou les quartiers populaires qu’ils habitent en majorité, a renforcé le communautarisme et l’emprise des imams.
La libération de l’esprit humain de l’emprise des religions et de l’irrationalisme ne pourra survenir qu’à travers l’émancipation sociale des travailleurs, ce qui passe par la destruction de l’impérialisme français, de son État et de son armée.