Poursuite du déclin économique de l’impérialisme français
Comme nous l’avions souligné lors de notre précédente conférence à l’automne 2021, la crise économique précipitée par la crise sanitaire de 2020 a été surmontée. Toutefois il n’a pas fallu longtemps pour qu’une autre secousse vienne obscurcir l’horizon économique. Car à la tendance inflationniste engendrée par les goulets d’étranglement de la reprise économique post-covid, s’est ajoutée la guerre impérialiste menée par la Russie contre l’Ukraine.
Cette guerre et les sanctions prises par les impérialismes occidentaux pénalisent en premier lieu les économies européennes fortement dépendantes de la Russie pour leurs besoins énergétiques. L’instabilité de l’Europe ainsi que son incapacité à relever conséquemment ses taux directeurs affaiblissent l’euro face à un dollar jugé plus sûr.
Après l’embellie de 2021, les organismes officiels revoient leurs prévisions à la baisse, et notamment en France.
Le contexte de la guerre en Ukraine et les fortes tensions sur les marchés des matières premières ainsi que sur les chaines de valeur internationales, créent un environnement difficile. Ces chocs nous conduisent à revoir à la hausse l’inflation et à la baisse l’activité. (Banque de France, Projections macroéconomiques, 21 juin 2022)
En conséquence, le nombre de défaillances d’entreprises continue de progresser, 43 886 sur un an glissant en février 2023 contre 29 124 un an plus tôt mais du fait des aides pulbliques, celles-là restent inférieures à celles d’avant la pandémie.
Le nombre de défaillances sur un an reste néanmoins à un niveau sensiblement inférieur au niveau moyen enregistré sur la période 2010-2019, avant la pandémie de COVID-19 (59 342 défaillances, cf. graphique 1). Les défaillances ont en effet fortement reculé à compter du début de la crise sanitaire, à la suite de la modification temporaire des dates de caractérisation et de déclaration de l’état de cessation de paiements, puis aux mesures publiques de soutien en trésorerie permettant d’éviter cet état de cessation des paiements. (Banque de France, février 2023)
Les exportations ayant repris timidement fin 2020, et le prix des importations ayant explosé suite à la hausse des prix des matières premières d’abord puis par le prix de l’énergie ensuite, la balance commerciale française continue de se dégrader. Le déficit a même doublé entre 2021 et 2022, elle devrait toutefois ralentir en 2023 avec la baisse du prix de l’énergie et la mise en place d’accord commercial pour contrebalancer les effets de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie.
Les prix du gaz, après avoir caracolé à plus de 300 euros le mégawattheure (MWh) en août 2022, ont commencé à baisser pour chuter de moitié depuis la mi-décembre et s’établir désormais autour de 70 euros le MWh. Dans leur sillage, les tarifs de l’électricité sur les marchés de gros, en partie influencés par ceux du gaz, ont connu un tassement en France en décembre, et atteint, vendredi 6 janvier, 137 euros le MWh, là encore bien loin du pic de 700 euros de l’été 2022. (Le Monde, 6 janvier 2023)
Si l’INSEE prévoit une baisse sensible de l’inflation pour les mois à venir, cela ne concernera que les prix de l’énergie, les prix de l’alimentation frappant plus durement les travailleurs devraient eux se maintenir selon l’institut, voire continuer leur hausse si l’on en croit les projections de la Banque de France.
Le PIB du pays après avoir rebondi à 6,8 % en 2021 ne cesse de baisser, 2,6 % en 2022 et les prévisions pour 2023 varient mais ne dépassent pas 0,6 %.
Les salaires n’ont pas suivi ni l’embellie économique post-covid ni l’inflation, ils ont progressé de 1,8 % en 2021 et de 3,8 % l’année dernière selon la Banque de France alors que l’inflation s’est élevée à 1,6 % et 5,2 % selon l’INSEE sur les mêmes périodes. Mais cela masque la véritable perte de pouvoir d’achat des travailleurs car les prix de produits de grande consommation vendus dans la grande distribution ont décollé de 14,2 % entre février 2022 et février 2023.
L’emploi salarié qui avait augmenté de façon continue depuis le début 2021, devrait se tasser en 2023, l’INSEE table sur 55 000 créations au premier semestre 2023 contre 186 000 au deuxième semestre 2022.
Le taux de chômage décroit légèrement, il s’élevait à 7,5 % fin 2021 et s’établit à 7,2 % un an plus tard. L’OFCE de son côté table sur une hausse de chômage à l’horizon 2023-2024 pour atteindre 8 %.
Si le taux d’activité est élevé, un salarié sur deux seulement est en CDI.
Le taux d’activité (73,6 % fin 2022) est effectivement le plus élevé observé depuis 1975 et le taux de CDI, comme le déclare le ministre, est bien supérieur à 50 % (50,5 % au quatrième trimestre 2022). (Franceinfo, 21 février 2022)
Toutefois ces chiffres masquent la précarisation grandissante : l’emploi intérimaire a augmenté de 4,5 % par rapport à son niveau d’avant la pandémie, le temps partiel ne diminue pas fin 2019 le temps moyen de travail hebdomadaire atteignait 31,5h contre 31,2h fin 2022. De plus si le gouvernement se gargarise d’un taux de chômage jugé faible, aux alentours de 7 %, la part cumulée de personnes au chômage, dans le halo du chômage ou en temps partiel subi se situe presque 10 points au-dessus, à 16,5 % fin 2022.
La part de l’alternance dans les créations d’emplois n’a pas cessé d’augmenter depuis 2017. Le nombre de contrats d’apprentissage atteint 837 000 en 2022, soit presque trois celui d’avant le premier mandat de Macron (290 000 en 2017).
La hausse de l’apprentissage explique en grande partie les bons chiffres de l’emploi depuis la pandémie. En juin 2022 dans ses prévisions, l’INSEE tablait sur le fait que les deux tiers des 200 000 emplois salariés supplémentaires attendus en 2022 proviendraient de l’alternance.
Au niveau de l’endettement public, le trou creusé par la pandémie est loin d’être résorbé. Au troisième trimestre 2022 le total de la dette publique s’élevait à 2 956,8 milliards d’euros pour 79 % il s’agit de la dette de l’État (2 345 milliards d’euros), la sécurité sociale compte pour 299,8 milliards, les collectivités locales pour 241,7 et 70,4 milliards sont imputables à divers organismes de l’administration. La dette s’élève ainsi à 113,7 % du PIB au troisième trimestre 2022. Si le taux global est dépendant de la compétitivité de l’économie, la hausse n’est pas bon signe chez un impérialisme en perte de vitesse.
Concernant la sécurité sociale, les différentes coupes commencent à porter leurs fruits puisque le déficit annuel qui s’élevait à 30,5 milliards en 2020 du fait de la crise sanitaire, 24,3 milliards en 2021, 17,8 en 2022, devrait atteindre 6,8 milliards cette année. Cette résorption résulte à la fois de la baisse des dépenses liées à la pandémie Covid et de la hausse de l’emploi constatée depuis la reprise.
Pour ce qui est de l’immigration, en 2022, 156 103 demandes ont été formulées en guichets uniques de demandes d’asile (GUDA), en hausse de 28 % par rapport à 2021, en revanche seule 56 179 ont débouché favorablement pour le demandeur, soit 3,3 % de plus. En ce qui concerne les naturalisations, elles chutent de 16,3 % sur une année atteignant 78 711 personnes en 2022.
Sur les titres de séjour 320 330 titres ont été délivrés l’année passée (les Britanniques étant comptabilisés à part). Un tiers concerne des étudiants.
Les expulsions ont augmenté par rapport à l’année précédente mais restent en dessous de leur niveau d’avant la crise sanitaire, 11 410 en 2022, 10 091 en 2021 et 18 906 en 2019. En comptabilisant les départs volontaires le nombre total s’élève à 19 425 étrangers en situation irrégulière ayant quitté le sol français.
Perte d’influence à l’international et déconvenue militaire
Face à la concurrence mondiale, la bourgeoisie française a toujours été divisée sur la marche à suivre envers l’UE. Si une partie plus sensible à la concurrence régionale est clairement eurosceptique, la seconde penche pour une alliance avec les autres capitalismes européens pour peser au niveau mondial. Macron représente cette deuxième ligne mais échoue à renforcer l’UE. Le cavalier seul de l’Allemagne sur les relances économiques (130 milliards durant la pandémie, 200 milliards en préparation), sur sa relation avec la Chine, et les divergences franco-allemandes notamment sur les financements énergétiques de l’UE et sur les projets de réarmement en Europe en témoignent.
La présence militaire de l’impérialisme français peine à maintenir son niveau historique. Pour autant, l’armée française est toujours présente à l’international. Depuis 1978, l’armée française est présente au Liban (opération Daman : 700 militaires). À partir de 2014, 600 militaires sont à demeure en Irak (opération Chammal). Elles font partie avec les deux théâtres européens que sont les pays baltes et la Roumanie, des cinq OPEX actuelles de l’armée française.
La cinquième, la plus grosse, étant l’opération Barkhane, datant elle aussi de 2014, elle comptait jusqu’à plus de 5 000 soldats dans la zone sahélo-saharienne (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), principalement au Mali. Mais la perte d’influence de l’impérialisme français dans la région au profit de l’impérialisme russe ainsi qu’un énième coup d’État au Mali va précipiter le départ des troupes françaises du pays ainsi que du Burkina Faso. En février 2022 Macron décide le retrait des troupes qui se replient au Niger voisin, et sont immédiatement remplacées dans la région par le groupe Wagner, armée privée, œuvrant au compte de la Russie. Cette éviction résulte largement de l’incapacité de l’impérialisme français à stabiliser la région
Mais la présence militaire française à l’international ne se limite pas à ces OPEX, selon le Sénat ce n’est pas moins de 36 000 militaires français qui sont déployés dans le monde.
L’armée française déploie aujourd’hui un total de 36 623 hommes dont 9 796 pour les OPEX multinationales, 3 503 pour les OPEX bilatérales, 6 293 pour les forces de présence et 17 031 pour les forces de souveraineté. (Sénat, Les opérations extérieures sous le contrôle du Parlement, actualisé le 22 mars 2023)
La perte d’influence de l’impérialisme français est importante et quantifiable, selon Challenges, la part de marché de la France a chuté de 10,6 % à 4,4 % entre 2020 et 2021, alors que celle des entreprises chinoises bondissait de 3,8 % à 18,8 %. Autre symbole de ce déclin, le Gabon et le Togo, historiquement dans la zone d’influence française, ont rejoint en juin 2022 le Commonwealth. Mais le capitalisme français subit également la concurrence des impérialismes russe et chinois ou du capitalisme indien.
Cet état de fait pousse Macron à tenter de changer de braquet en annonçant le 27 février dernier que la France allait progressivement diminuer le nombre de troupes sur place au profit de la formation des armées locales et qu’elle n’aurait à l’avenir que des bases militaires cogérées avec le pays hôte. L’armée française possède des bases militaires à Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d’Ivoire), Libreville (Gabon), Niamey (Niger), N’Djamena (Tchad) et à Djibouti. La présence française sur le continent reste toutefois importante comme en témoigne le projet pétrolier de TotalEnergies en Angola.
La lutte contre notre propre impérialisme exige la fermeture des bases militaires, le retrait des troupes françaises et l’arrêt du pillage des pays dominés par les grandes multinationales françaises. L’antimilitarisme nécessaire face à notre bourgeoisie n’a rien à voir avec le pacifisme petit-bourgeois. Au même titre que nous sommes pour la livraison d’armes aux pays dominés comme l’Ukraine aujourd’hui, les révolutionnaires doivent défendre dans les anciennes colonies et dans les pays où l’armée française intervient le retrait par l’activité de masse. Dans les organisations ouvrières et de la jeunesse, le combat pour défaire notre impérialisme est primordial. Par des prises de positions, des campagnes politiques, des manifestations, l’avant-garde en France est aux côtés des peuples et travailleurs dominés.
L’antiimpérialisme prolétarien facilite la lutte des classes qui est actuellement paralysée des deux côtés du front. La défaite de Poutine en Ukraine aiderait à soulever les masses en Russie.
L’impact de la guerre en Ukraine sur le capitalisme français
En 2019, devant l’offensive turque en Syrie et le désengagement européen des États-Unis, commencé par le « pivot » asiatique d’Obama et poursuivi par ses deux successeurs, Macron diagnostiquait à l’OTAN un état de mort cérébrale. Mais l’agression impérialiste russe en Ukraine a réveillé l’alliance des impérialismes occidentaux. Présent depuis des années en Europe de l’Est, les troupes militaires françaises ont été renforcées à la faveur de l’agression impérialiste russe. Depuis 2017 l’armée française est présente dans les pays Baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) via la mission Lynx sous l’égide de l’OTAN. Depuis 2022 la mission Aigle de l’OTAN compte 800 militaires français sur le territoire roumain. L’impérialisme français a toujours été partie prenante de l’extension de l’OTAN en Europe de l’Est et de l’encerclement de la Russie. L’invasion décidée par Poutine est l’occasion d’accentuer la présence militaire des impérialismes occidentaux, ainsi l’OTAN va incorporer la Finlande et la Suède, voisin direct pour l’un et voisin proche pour l’autre de la Russie, avec la bénédiction notamment de l’impérialisme français.
Avec l’aggravation des tensions interimpérialistes, le militarisme s’aggrave. Ainsi, le gouvernement Macron a annoncé en janvier un budget militaire de 413 milliards d’euros courant jusqu’en 2030, soit 59 milliards par an, en hausse de près de 37 %, le 6e budget militaire mondial.
Illustrant la phase que connaît actuellement le capitalisme mondial, Macron expliquait en juin 2022, que la France entrait dans une « économie de guerre », terme repris dans le projet de loi de programmation militaire.
La France et l’Union européenne sont entrées dans une économie de guerre dans laquelle… nous allons durablement devoir nous organiser (Macron, Salon international de la défense, 13 juin 2022)
La situation de la classe ouvrière en France
Dans son dernier rapport sur la pauvreté en France se basant sur les données de 2020, l’Observatoire des inégalités fait état de 7,6 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, soit 4,8 millions de personnes. Ce seuil de 940 euros mensuels, est calculé en prenant 50 % du revenu médian. 63 % des pauvres vivent en ville, la moitié à moins de 30 ans et les quartiers défavorisés compte un taux de pauvreté de 65 %. 2 millions de personnes sont en situation de grande pauvreté, c’est-à-dire cumulant la pauvreté monétaire et au moins 7 privations quotidiennes parmi une liste de 13. Par exemple 42 % d’entre eux ne peuvent se chauffer, 55 % ne peuvent se payer de protéines, 61 % ont des dettes, 91 % ne peuvent s’offrir de loisirs réguliers.
Si le niveau général de pauvreté en France stagne depuis 2010, le niveau de vie des 10 % les plus pauvres régresse, ainsi il s’élevait à 723 euros en 2003 et n’a augmenté que de 3 euros en 2019 (726 euros) bien loin de combler les quelques 23,6 % d’inflation cumulée sur cette période.
Ces chiffres se basant sur 2020, ils ne prennent en compte, ni l’explosion des prix de l’énergie, ni l’inflation sur les produits du quotidien, ni la fin des aides l’État lié à la Covid. Selon l’INSEE le pouvoir d’achat du revenu disponible brut a diminué de 1 % entre la fin 2021 et la fin 2022 et devrait continuer de baisser en 2023.
L’évolution des salaires dans le privé s’élève à 3,9 % en moyenne sur 2022, loin des 6 % d’inflation sur la même période et cette perte de pouvoir d’achat est continue depuis le second trimestre 2021.
L’ensemble des fonctionnaires a vu la valeur de leur point d’indice augmenter de 3,5 % en juillet dernier là encore bien loin de l’évolution des prix et après une quasi décennie sans augmentation.
La cogestion prônée par les directions syndicales ne profite évidemment pas aux travailleurs puisque les négociations salariales de branche se sont conclues par une augmentation des salaires de 5 % en moyenne, là aussi en dessous de l’inflation. Toutefois il s’agit d’une moyenne et il existe des disparités entre les branches. Le secteur de la sécurité par exemple a acté une hausse de 7,5 % des salaires au mois de septembre 2022. Ce secteur est porteur puisque Darmanin souhaite 25 000 agents de sécurité supplémentaire pour les JO de 2024.
Le SMIC lui, a suivi l’inflation, en 3 hausses sur 2022, 0,9 % en janvier, 2,65 % en mai et 2,1 % en août, ce qui fait une hausse de 5,75 % sur l’année.
Les élections de 2022
L’élection présidentielle d’avril 2022 a confirmé la tendance du scrutin précédent, les partis traditionnels de la 5e république continuent leur dégringolade, pour la bourgeoisie, la candidate LR Valérie Pécresse atteint 4,78 % des voix (loin des 20,01 % de Fillon 5 ans plus tôt), côté réformiste, Hidalgo pour le PS plafonne à 1,74 % (contre 6,36 % pour Hamon en 2017 alors allié à EELV).
Si la première a vu une partie de ses électeurs séduite par la candidature Zemmour, deux autres morceaux se sont tournés vers les candidatures jugées plus crédibles de Macron et Le Pen.
La candidature Zemmour illustre d’ailleurs à la fois les difficultés que rencontre le parti historique de la bourgeoisie de la 5e République et la montée de la réaction induite par les difficultés économiques du pays, Zemmour ayant reçu le soutien matériel de plusieurs groupes fascistes trouvant le RN trop timoré.
De l’autre côté, le PS déjà siphonné en 2017 par le président en exercice, a subi une nouvelle saignée en faveur de Mélenchon, dans le fameux vote utile.
Macron confirme sa place de candidat numéro un de la bourgeoisie après le satisfecit que cette dernière a délivré à son premier mandat. La candidate fascisante Le Pen est à nouveau présente au second, le parti fascisant conforte son poids électoral en augmentant son résultat au second tour de 2 600 000 voix.
Si Mélenchon pour l’Union populaire échoue aux portes du second tour, il augmente son score d’environ 700 000 voix par rapport à 2017, siphonnées aux organisations d’origine ouvrière et à EELV. Toutefois le score cumulé de l’ensemble des formations historiquement ouvrières décroit à nouveau de 400 000 bulletins par rapport à 2017, elles totalisent environ 30 % des exprimés, 27 % des votants et un peu moins de 20 % des inscrits.
Macron est donc reconduit pour un mandat supplémentaire mais le front républicain en sa faveur est plus fragile que jamais, il obtient 58,55 % des voix au second tour contre 66,10 % 5 ans plus tôt. Si tous les partis réformistes et les bureaucraties syndicales ont encore appelé à faire barrage, une partie des travailleurs n’a pas souhaité les suivre. L’abstention augmente encore de plus de 1,5 million de voix (passant de 25 % à 28 % des électeurs pour le second tour) tandis que le nombre de bulletins blancs et nuls décroît d’un million au second tour entre les deux élections.
La défaite à peine actée, Mélenchon se déclare apte à être le premier ministre de Macron, pour cela il entame des négociations avec EELV, le PS, le PCF et même le NPA. Apeuré par la perte de leurs positions parlementaires le PS et le PCF accèdent aux demandes de Mélenchon, EELV compte sur cette alliance pour gagner des députés. Loin de faire entrer le tribun social-patriote à Matignon, les résultats de la Nouvelle union populaire et sociale (NUPES) permettent à ses composantes de faire mieux qu’en 2017. LFI, le grand vainqueur, remporte 71 sièges contre 17 durant la précédente législature, le PS se maintient avec 28 députés contre 30, le PCF avec 12 élus augmente sa présence de 2 sièges, EELV qui n’avait qu’un député dispose dorénavant de son propre groupe puisque 16 EELV sont présents dans l’hémicycle. Chacune des composantes de la NUPES disposant de sièges supplémentaires détenus par les organisations qu’elles satellisent, comme le POI qui, intégré dès la présidentielle dans l’Union populaire de LFI, fait son entrée à l’Assemblée nationale. Au total la NUPES dispose de 131 sièges c’est-à-dire 74 de plus que l’ensemble de ses parties en 2017.
L’autre vainqueur du scrutin est sans conteste le Rassemblement national qui passe de 8 députés à 89. La formation fascisante s’implante dans les institutions de la République, et parait de plus en plus en mesure de prendre les rênes de l’État.
Mais les leçons de ce scrutin sont à nouveau à chercher du côté de l’abstention, elle atteint 53,77 % au second tour, la légitimité du parlementarisme bourgeois s’érode encore et ne parait plus être une solution aux problèmes d’une partie significative du prolétariat.
Macron ne dispose plus de majorité absolue à l’Assemblée, et après avoir cherché en vain à rallier une partie de LR dans le gouvernement, se rabat sur des alliances variables sur le vote de chaque projet de loi. LR qui a perdu entre 2017 et 2022 presque la moitié de ses députés (61 contre 112) se trouve donc en position d’arbitre sur les lois macroniennes. Cette situation ne l’arrange pas car une partie de sa base traditionnelle penche vers les partis fascisants comme l’ont montré le grain de sable Zemmour et l’élection de Ciotti à la tête du parti. Toutefois LR est un parti de la bourgeoisie et ne peut qu’appuyer les attaques contre les travailleurs du gouvernement, tout en feignant d’y ajouter sa propre sauce. Pour les mêmes raisons, il ne peut faire tomber le gouvernement lors des motions de censure consécutives aux 49.3 utilisés, ce qui permet à Macron et à son gouvernement de tenir.
Les attaques des gouvernements Macron
Si le gouvernement avait été obligé de suspendre les attaques contre notre classe durant la phase aiguë de la pandémie, le calendrier patronal a repris sitôt cet épisode terminé, le démantèlement du secteur de transports, que ce soit à la SNCF, la RATP, à Transdev et Keolis… sous couvert de concurrence, et la remise en cause des statuts des travailleurs de ce secteur combattif est à l’œuvre.
Depuis septembre 2021, est expérimenté dans des écoles laboratoires de Marseille le pouvoir managérial des directeurs sur les équipes enseignantes ou techniques. Dispositif que le président souhaite généraliser, aggravant les conditions de travail et les inégalités d’enseignements en mettant en concurrence les écoles publiques. Fin 2022, accédant aux injonctions du patronat le gouvernement Macron-Ndiaye plie encore davantage l’enseignement professionnel au besoin du patronat en augmentant les heures de présence en entreprise et en supprimant des enseignements généraux. Le nombre de postes non pourvus dans l’enseignement explose à la rentrée 2022, 62 % des collèges et lycées déclarent manquer d’au moins un enseignant, le gouvernement recrute en urgence des contractuels sans qualification.
Dans la santé la crise s’amplifie, durant l’été 2022 pas moins de 20 services d’urgence ont connu des fermetures totales ou partielles contraintes, de l’aveu même du ministre Braun, « le système de santé est à bout de souffle ». Les soignants éreintés et sous-payés quittent l’hôpital public, qui fait appel à l’intérim plus coûteux. Ce système fait la joie de spécialistes peu scrupuleux qui facturent leurs prestations à prix d’or sur les deniers publics tout en utilisant pour leurs affaires privées le matériel public. L’aumône faite au moment du Ségur de la santé, déjà dérisoire, a été engloutie depuis par l’inflation.
Courant 2022, alors que les prix explosent, tout est mis en œuvre pour limiter les augmentations de salaire en dessous de l’inflation, les cotisations patronales sont encore abaissées sur les heures supplémentaires pour les entreprises de moins de 250 salariés, le plafond d’exonération de la fameuse prime Macron est triplé. Les minimas sociaux revalorisés de 4 % en juillet 2022 doivent à nouveau augmenter de 1,6 % le 1er avril, bien loin de l’évolution des prix.
Dans ce contexte, le budget 2023, maintient le bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie, mais la note sera payée in fine par les ménages puisque comme le précisait le texte du budget 2022 « Il est prévu, à compter de la première évolution des tarifs réglementés en 2023, le rattrapage des pertes induites pour EDF sur 12 mois », ce rattrapage sera juste décalé.
Ce nouveau budget comprend également une aide de 3,5 milliards aux entreprises embauchant des alternants. Et fait la part belle aux appareils de répression, avec la création de 2 874 nouveaux postes de policiers et de gendarmes, soit trois fois plus qu’en 2022, avec notamment 4 compagnies supplémentaires de CRS et 7 escadrons de gendarmerie mobile, ceux-là mêmes qui répriment les manifestations et les piquets de grève, le texte prévoit d’accroître à terme les effectifs de réserve de la police nationale pour atteindre 30 000 réservistes.
En plus du renforcement matériel et financier des appareils de répression, l’organisation des jeux olympiques à Paris en 2024 permet à l’Etat français d’accroître son pouvoir de surveillance de masse, via notamment la vidéosurveillance algorithmique, votée le 28 mars.
En novembre 2022, Darmanin se livrait à une passe d’armes obscène avec la fascisante italienne Meloni, concernant l’accueil de l’Ocean Viking et ses 190 migrants secourus ; le bateau est finalement accueilli dans une base militaire à Toulon.
Une nouvelle loi xénophobe devait être présentée fin mars. Bien que décalée face à l’actualité sociale, elle compte remettre en cause le regroupement familial, augmenter et simplifier les expulsions, instaurer un titre de séjour « métiers en tension », c’est-à-dire accroitre encore la dépendance des travailleurs immigrés au bon vouloir du patron.
Dans le même temps la seconde contre-réforme de l’assurance chômage est adoptée et entre en application le 1er février 2023, un délai de 6 mois étant laissé, les effets ne seront visibles qu’à compter du mois d’aout. Si la première avait en moyenne réduit de 16 % les montants des indemnités celle-ci va réduire de 25 % la durée de la période d’indemnisation et durcir les conditions d’éligibilité aux indemnités.
Concernant les aides aux capitalistes, le gouvernement poursuit sur sa lancée. Sous couvert de transition énergétique, un plan « France 2030 » est annoncé fin 2021, prévoyant d’injecter 54 milliards d’euros sur 5 ans dans les nouvelles entreprises et les vieux groupes, principalement de l’automobile (pour la fabrication de voitures électriques), de l’énergie (construction de petits réacteurs modulaires et le développement de l’hydrogène), de l’aéronautique, de la pharmacie… L’un des buts visés est de sécuriser les approvisionnements en matières premières et en composants pour la production (dont les fameux semi-conducteurs).
Le taux de l’impôt sur les sociétés a encore baissé pour atteindre 25 % en 2022 (prévu par la loi de finances de 2020), c’est la troisième baisse depuis l’arrivée au pouvoir de Macron, ce taux s’élevait à 33,1 % à son début de premier mandat.
En 2022, les entreprises ont touché, directement ou indirectement, 157 milliards d’argent public, un montant à peu près constant depuis 2019, soit à peu près 6,7 % du PIB en se basant sur les estimations de l’INSEE pour 2022. Ce montant est en hausse constante depuis le début du siècle.
Poussée de la lutte des classes
À l’instar de ce qu’il se passe au Royaume-Uni, la hausse des prix a conduit à une hausse des grèves dans différents secteurs à la rentrée 2022.
Le 13 janvier 2022, c’est l’éducation qui ouvre le bal, par une journée d’action à la participation élevée, la plus élevée depuis 2003 selon le SNES-FSU, 62 % dans les collèges et lycées. Idem dans le primaire où le Snuipp-FSU comptabilise 75 % de grévistes et 1 école sur 2 fermée. La journée avait été appelée sur le ras-le-bol de la succession des protocoles sanitaires. La fonction publique est ensuite conviée à défiler le 31 mars 2022, à cette journée se greffent les salariés de la petite enfance. Le 5 septembre 2022, pour la rentrée des classes, ce sont les ATSEM qui sont appelés à la grève.
Depuis fin 2021, les travailleurs sans-papiers de RSI, DPD et Chronopost de la région parisienne tiennent des piquets de grève devant leurs entreprises (Coudray-Montceaux dans le 91 pour DPD, et Alfortville dans le 94 pour Chronopost), 2 à 3 manifestations sont organisées par semaine devant les sièges de DPD, Chronopost du groupe La Poste, de Derichebourg, devant le ministère de l’Intérieur ou devant la Caisse des Dépôts et Consignations, actionnaire majoritaire du groupe La Poste. Les grévistes de l’agence d’intérim RSI de Gennevilliers (92) ont levé leur piquet de grève fin novembre après avoir obtenu des récépissés de régularisation pour 83 grévistes.
Les bureaucraties ouvrières à leur poste
Durant la phase de poussée revendicative d’aout-septembre dernier, les directions syndicales se sont comme à leurs habitudes partagées les rôles afin d’isoler les secteurs combattifs et d’empêcher les travailleurs de mener une bataille décisive. A Total, la CGT a canalisé le mouvement dans des reconductibles site par site et la CFDT a signé un accord salarial portant sur une hausse de 5 % des salaires. A EDF, CGT, CFDT, FO et CFE-CGC ont permis une sortie de crise en acceptant une augmentation de 4,6 %.
Les organisations réformistes et centristes soutenant le dispositif en appuyant les journées d’actions au niveau national. La première est appelée le 29 septembre, où la CGT dénombre 250 000 manifestants dans toute la France (118 500 pour le ministère de l’Intérieur), suivie le 18 octobre par une autre journée d’action qui réunit 300 000 personnes dans la rue selon la CGT (107 000 pour l’Intérieur). Entretemps LFI ajoutant à la dispersion a appelé à une manifestation parisienne le samedi 16, à laquelle se le NPA. Le 27 octobre, en pleines vacances scolaires, la CGT appelle seule à de nouvelles manifestations, la participation est dérisoire, la CGT ne communiquera même pas sur le nombre de participants mais la police fait état de 15 000 manifestants. Le 10 novembre, Solidaires se joint au nouvel appel de la CGT, pour réunir entre 100 000 et 30 000 manifestants selon les sources.
Mais le dispositif tient, et les bureaucraties permettent au patronat de s’en tirer en ayant cédé à minima. Le 21 octobre, après plusieurs semaines de conflit ayant touché 11 centrales nucléaires, la fédération nationale des mines et de l’énergie de la CGT signe un accord avec la direction d’EDF pour 5 % d’augmentation (2,5 % pour les cadres). Fin novembre, à Enedis, la CGT signe pour 4,6 % d’augmentation. Le 20 décembre c’est à GRDF que la CGT finit par signer pour une augmentation de 200 euros bruts mensuels sous forme de primes diverses, après 6 semaines de mobilisation. Le 23 décembre, l’ensemble des syndicats (CGT Cheminots, CFDT Cheminots, UNSA Ferroviaire et Sud Rail) signent un accord de fin de conflit, et incluant des mesures spécifiques pour les agents du service commercial trains (contrôleurs), dont un collectif avait court-circuité les syndicats. Le 23 janvier la CGT signe avec FO et l’UNSA l’accord salarial portant sur une hausse de 105 euros nets mensuels à la RATP, juste avant le début des grèves sur les retraites.
La contre-réforme des retraites
Promesse des deux candidatures Macron à la présidentielle, la première attaque avait été annulée début 2020 à la faveur de la pandémie. Cette fois, Macron est déterminé à aller vite. Nous avons détaillé et décrypté le contenu et l’ensemble du système de la branche retraites de la Sécu dans deux Révolution communiste. Nous les mentionnons seulement ici, faute de temps : Retraites : pour le capital, les travailleurs vivent trop vieux » (Révolution communiste n° 54, janvier 2023) « L’attaque contre nos retraites et les moyens de l’empêcher » (Révolution communiste n° 55, mars 2023).
Pourtant ses alliés du Modem et même une partie du patronat mettent en garde sur les conséquences que pourrait avoir un passage en force. Aussi la voie du dialogue social est privilégiée, les directions syndicales sont conviées à trois cycles de discussion sur l’automne 2022 et toutes s’y rendent. Toutefois Macron ne pourra pas comme en 2019 compter sur le soutien de la CFDT, Laurent Berger, sous la pression de ses militants, avertit qu’il n’appuiera pas le report de l’âge légal.
Voici ce que nous disions en décembre :
La réforme doit être présentée avant Noël, discutée et votée au printemps 2023 et s’appliquer à l’été a dit Borne. Evidemment, malgré toutes les précautions prises, cela reste un gros morceau à faire passer et à imposer à la classe ouvrière. Les syndicats vont sans doute relancer les journées d’action et peut-être les grèves reconductibles dans ce qui reste de « bastions ouvriers » à la RATP ou à la SNCF. (GMI, 3 décembre 2022)
Pavée par une collaboration de classe permanente et renforcée au fil des ans, le projet de loi s’appuie sur les rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) auquel sont associées les directions syndicales. D’ailleurs comme les fois précédentes, chacune y va de sa « solution » : une autre réforme est possible en monnayant les cotisations patronales et surtout salariales, en différenciant les âges de départ, en jouant sur les années de cotisations… Pour les révolutionnaires, il faut repousser le mythe du « modèle français », réclamer que la totalité des cotisations sociales soient payées par le patronat, dénoncer les attaques précédentes et quitter tout organe de collaboration de classe laissant penser qu’une solution partagée puisse servir notre classe. Anticipant le futur dispositif de ces lieutenants ouvriers des capitalistes nous écrivions début janvier :
L’argument du vieillissement de la population pour remettre en cause le droit à la retraite est douteux. La taille de la population active et la productivité du travail n’ont cessé de croitre depuis 1945. Pour la France, de 1980 à 2020, la productivité du travail a augmenté de 66,7 %, ce qui permettrait de financer sans problème les soins des travailleurs, l’enseignement de leurs enfants et la vie de ceux qui sont retraités. Le déficit est avant tout causé par le chômage qui est le résultat inévitable du capitalisme et par l’État qui allège les cotisations et les impôts des patrons pour leur permettre d’augmenter leur taux de profit. (GMI, 15 janvier)
En 20 ans les cotisations sociales annuelles payées par le patronat ont baissé de 21 milliards d’euros, ils ne payent plus aucune cotisation pour les salariées au SMIC.
Pour nous marxistes, la lutte pour les revenus de la classe ouvrière quelle qu’en soit leur nature s’inscrit nécessairement dans l’affrontement avec le capitalisme, la part revenant aux travailleurs fait obligatoirement défaut à la part des exploiteurs et inversement. Ainsi contrairement aux dirigeants syndicaux nous nous opposons aux primes exceptionnelles et réclamons que les salaires, pensions, et indemnités suivent les prix contrairement à ce qu’acceptent les dirigeants syndicaux, comme au printemps dernier. Nous sommes contre le « partage des richesses » car nous luttons pour l’expropriation des exploiteurs. Il n’est pas possible de ménager à la fois la chèvre et le chou.
Les attaques contre le droit à la retraite des salariés sont une manière d’augmenter le degré d’exploitation du prolétariat. Seul le travail est créateur de valeur. Si on met à part les indépendants, qui sont minoritaires, la richesse produite se partage fondamentalement entre le travail et le capital, entre salaire direct, pensions, indemnités chômage d’une part et profit, intérêts, loyers d’autre part. La diminution de la part des richesses revenant à la partie du prolétariat qui ne travaille plus permet, de manière structurelle, d’augmenter le taux de profit, le rapport entre les revenus du capital et la valeur du capital avancé. (GMI, 15 janvier)
Parce que nous voulons renverser la bourgeoisie, nous expliquons au prolétariat comment les exploiteurs accaparent les richesses. Nous en tirons un programme et des revendications transitoires qui aboutissent forcément à poser la question du pouvoir. C’est parce que c’est la seule issue favorable à la classe ouvrière que nous concluons nos textes ainsi :
- Retrait du projet de loi Macron-Borne-Dussopt ! Grève générale pour faire reculer l’État !
- Boycott de toute concertation ! Dirigeants syndicaux, sortez du Conseil d’orientation des retraites !
- Augmentation des cotisations patronales ! Suppression des cotisations des salariés !
- Abrogation des lois antérieures contre les retraites ! Retour aux 37,5 années de cotisation et à 60 ans d’âge de la retraite ! Indexation des pensions sur l’inflation !
- Calcul du montant de la pension sur les 6 meilleurs mois pour tous ! Maintien des compensations pour les femmes et les travaux pénibles ! Taux de remplacement à 75 % (sauf pour les PDG qui touchent déjà des « retraites chapeau ») ! Pas de pension au-dessous du Smic !
- Sur cette base et sur cette base seulement, intégration des régimes de retraite complémentaires au régime général ! Une seule caisse pour les salariés et uniquement les salariés, gérée par leurs seuls représentants !
Sous la pression de leurs bases, minées par la baisse de leurs pouvoirs d’achat, les bureaucraties syndicales n’ont eu d’autre choix que de s’unir, aucune n’a pu, comme en 2019, endosser le rôle de syndicat responsable négociant l’attaque avec le gouvernement. Regroupés en « intersyndicale » mêlant le syndicalisme catholique (CFTC) ou issu du syndicalisme catholique (CFDT), la défense des cadres (CGC) et des syndicats autonomes (UNSA), les dirigeants des confédérations Martinez (CGT), Souillot (FO), Teste (FSU), Dutheil (Solidaires) prennent le rôle de syndicats « combattifs ». En réalité, ils mangent la même soupe et grappillent les mêmes miettes. Tous acceptent de syndiquer des flics et des matons. L’unité soi-disant retrouvée est en réalité au service d’« une autre réforme » comme ils le revendiquent dès que la bourgeoisie leur reproche de ne pas discuter avec le gouvernement. Et même si Macron n’en veut pas, il gardera leur profond respect…
Les chefs syndicaux rencontrent une dernière fois Borne début janvier et font du recul de l’âge légal une condition du dialogue. Prudents, ils refusent d’en être la caution ouvrière et sont finalement contraints de feindre l’opposition après des mois de concertations. En réalité, sans « concertations » physiques entre le 10 janvier et début avril 2023, le dispositif des appareils, politiques et syndicaux, va interdire la grève générale, seul moyen de défaire Macron.
Le rôle de l’intersyndicale contre la grève générale
Dès l’appel à la première « journée d’actions et de grèves » (toujours avec un s) et alors même que l’intersyndicale indique une mobilisation « dans la durée », nous affirmons dans notre premier tract :
D’ailleurs, le gouvernement Macron-Borne-ne craint absolument pas les « journées d’action » à répétition, qui amenuisent peu à peu la combattivité des travailleurs. C’est ce qui a conduit à la défaite à chaque fois dans les précédentes batailles pour défendre les retraites en 2003, 2010, 2013 et 2019-2020. Le gouvernement ne craint guère plus les « grèves reconductibles » lancées site par site, dispersées, qui isolent et épuisent les travailleurs les plus combattifs sans plus de résultat. Va-t-on recommencer, encore et encore, avec « les temps forts », la mobilisation « qui s’inscrit dans la durée », la grève reconductible dans quelques sites pendant que les dirigeants syndicaux continuent d’appeler aux journées d’action et à demander de renégocier l’attaque contre les retraites ? (GMI, Tract, 11 janvier)
Face à l’importante mobilisation des travailleurs lors de cette première journée d’action du 19 janvier, les bureaucrates n’ont d’autre choix que d’appeler au retrait dans une formule qui s’applique aussi bien au gouvernement qu’à eux-mêmes :
Une puissante mobilisation qui oblige au retrait (Communiqué intersyndical, 20 janvier)
Depuis, ce sont 10 journées d’actions qui ont semé le trouble, désorienté, affaibli, démoralisé les plus déterminés tout en promenant la grande masse des travailleurs. Pourtant, sondages, discussions et participations aux manifestations démontrent que travailler 2 ans de plus : c’est non. Alors pourquoi et comment expliquer cette relative facilité à faire avaler les « temps forts » et le calendrier républicain ?
Sans contact direct avec le pouvoir, les chefs de l’intersyndicale restent dans le cadre de la démocratie bourgeoise, prônant le respect des institutions et du légalisme de la 5e République. Les arnaques du calendrier parlementaire, de la pétition, des nouvelles législatives ou du referendum, de la manifestation à l’Assemblée nationale, des retraites aux flambeaux sont égrenées. La cause de cette politique est dans la corruption des directions réformistes du mouvement ouvrier.
Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à « libérer » l’Etat de l’emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l’attirant à lui. Cette attitude est en complète harmonie avec la position sociale de l’aristocratie et de la bureaucratie ouvrière qui combattent pour obtenir quelques miettes dans le partage des surprofits du capitalisme impérialiste. (Trotsky, Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, août 1940)
Contre cela, nous tentons, avec tactique et pédagogie, de lever cet obstacle en donnant une perspective pour l’ensemble des exploités, pour poser la question du pouvoir.
Pour gagner, il faut dresser la force de toute la classe ouvrière dans la grève générale jusqu’au retrait. Pourquoi tourner autour du pot ? La convergence des luttes, ça ne peut être que la grève générale ! Le tous ensemble, ça ne peut être que la grève générale ! La mobilisation générale, ça ne peut être que la grève générale ! Il n’y a pas d’autre moyen pour vaincre le gouvernement.
Il faut s’organiser pour déborder les bureaucraties syndicales. Partout, dans les entreprises, les bureaux, les hôpitaux, les établissements scolaires, les facultés, etc., il faut construire les comités d’action pour la grève générale, les coordonner entre eux, qu’ils interviennent dans les assemblées générales dans les sections syndicales sur la ligne : pour vaincre le gouvernement, grève générale ! (GMI, Communiqué, 14 janvier)
Après la participation massive du 19 janvier, dans son communiqué du soir, l’intersyndicale répète que « d’autres solutions existent, elles ont malheureusement été balayées d’un revers de main. » (Intersyndicale, 31 janvier). Concrètement, dans les bastions où la tradition les y oblige elles convoquent des AG (SNCF, raffineries…). On y fait voter la reconduction, la prochaine action et/ou la prochaine journée de grève. On interdit toute élection de délégués en faisant de l’intersyndicale le décideur suprême chaque soir d’une nouvelle journée. Les autres secteurs sont abandonnés surtout si la base ne cherche pas à se réunir ou s’autoorganiser. C’est particulièrement vrai quand ils ont subi des défaites (enseignement public, hôpital public, RATP…) ou sont parfois renvoyés vers des AG fantômes dites « interpro » qui ont un double défaut :
- ne pas rassembler la force collective des grévistes de chaque entreprise et lieu d’études,
- ne pas centraliser les délégués issus des AG au sein d’un comité de grève d’entreprise, de secteur, de ville ou de département.
Le 31 janvier, l’intersyndicale réexplique que « les propositions alternatives formulées sont toutes restées lettre morte ! ». Elle convoque deux nouvelles journées, le mardi 7 février puis le samedi 11 février et appelle à « multiplier les actions » pour occuper les plus combattifs d’ici là. Certaines fédérations lancent des actions « coup de poing », des grèves reconductibles de 2 jours ou 3 jours début février chez les raffineurs. Les fameux « temps forts » qui ont coûté les défaites de 2003, 2010, 2014, 2016, 2019 sont de retour.
Notre orientation pour des comités d’action de la grève générale permet de répondre à la question des AG fantômes ou dite « interpro » qu’animent LO, NPA, POI, POID ou RP. Dans une AG de l’enseignement supérieur du 31 janvier à Lyon, notre position est adoptée. Bien que l’AG ne soit pas massive, il faut la participation de la jeunesse pour déborder les appareils présents. Comme la motion des pompiers CGT, c’est un point d’appui que nous mettrons en avant dans notre tract suivant.
Avec l’aide précieuse de leurs adjoints centristes, les chefs syndicaux peuvent enchaîner les journées d’action, dont le « samedi » plus familial. Berger comme Martinez défendent le mensonge de la censure parlementaire comme la Nupes défend des amendements qui pourraient modifier le texte. En vérité, il est inamendable sauf à s’allier avec LR ou le RN. Le soir du 7 février, les chefs affirment que « les parlementaires doivent prendre leurs responsabilités en rejetant ce projet de loi. » et qu’il faut « interpeller les députés et sénateurs ». Dans la même veine, l’appel à manifester au soir 11 février réitère : « les parlementaires doivent rejeter massivement ce texte. Il en va de leur responsabilité. ». D’ailleurs les chefs syndicaux « écriront à chaque parlementaire de l’arc républicain ». Si cela ne suffit pas, la France sera mise « à l’arrêt le 7 mars ». Il suffirait de faire pression sur les députés bourgeois contre la mobilisation de notre classe. Et encore une fois, cela n’a pas suffi. Pour étouffer dans l’œuf toute velléité de grève générale, on recourt au dispositif des grèves reconductibles (toujours au pluriel).
Les secteurs historiquement plus combattifs sont appelés à cesser le travail plus longtemps, à reconduire, mais séparément tandis que d’autres attendront les prochaines journées d’action. Ainsi, à partir du 7 mars, les dirigeants syndicaux appellent à la grève reconductible à la RATP, à la SNCF, dans les ports, les raffineries et verreries… (GMI, 1er mars)
Le 7 mars face à la force de la contestation pourtant mise à l’arrêt trois semaines par les dirigeants syndicaux, ceux-ci entament la supplique du retour à la table des concertations.
Le silence du président de la République constitue un grave problème démocratique qui conduit immanquablement à une situation qui pourrait devenir explosive. En responsabilité, l’intersyndicale adressera un courrier lui demandant à être reçue en urgence pour qu’il retire sa réforme. (Intersyndicale, 7 mars)
Le rôle des partis réformistes PCF, PS et LFI contre la grève générale
Pour compléter le dispositif, les partis ouvriers-bourgeois de la Nupes, un front populaire qui aspire à gouverner l’Etat capitaliste, jouent leur rôle. Défenseurs de la « démocratie », ils font croire que des amendements en pagaille peuvent convaincre. Plus de 17 000 amendements sont déposés en janvier, censés les rendre « maitres du temps ». À l’initiative du PCF, une demande de référendum est lancée le 24 janvier avec plus de 100 députés Nupes. Il faut faire croire qu’un référendum, arme des Bonaparte et de Gaulle, gommant les frontières de classes pourrait obtenir le retrait. Le leader LFI Mélenchon y voyait une « issue démocratique et pacifique ». Mensonges ! Finalement, la Nupes retire 1 000 amendements, mais l’Assemblée ne discute pas de tout le texte car Macron use de l’article 47.1 réduisant le temps de bavardages. Enfumages.
Non seulement, le pouvoir passe outre mais les LFI, PS et PCF finiront par miser sur une motion de censure avec les voix de certains LR et du RN pour battre Macron alors qu’ils avaient fait voter pour lui en avril dernier. Là encore la corruption, l’attachement aux postes et rémunérations (mairies, conseillers de collectivités, parlementaires, délégués de toute sorte, élus aux instances de l’Etat comme le CSE…) explique tout.
Sur la base économique indiquée, les institutions politiques du capitalisme moderne — la presse, le Parlement, les syndicats, les congrès, etc. — ont créé à l’intention des ouvriers et des employés réformistes et patriotes, respectueux et bien sages, des privilèges et des aumônes politiques correspondant aux privilèges et aux aumônes économiques. Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère ou au comité des industries de guerre, au Parlement et dans diverses commissions, dans les rédactions de « solides » journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers non moins solides et « d’obédience bourgeoise », voilà ce dont use la bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des « partis ouvriers bourgeois ». (Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, 1916)
Lors du retour du projet de loi à l’Assemblée nationale, après un enrichissement et un vote majoritaire au Sénat, la Nupes poursuit et promet une motion de censure, le recours au Conseil constitutionnel. Pour plus tard, toujours un referendum d’initiative partagée qui demande des millions de signatures et des mois de procédures et qui est incapable de revenir sur un texte adopté il y a moins d’un an. Devant ce crétinisme parlementaire, nous prévenions :
Si enfin, hypothèse très peu vraisemblable, l’accord passé entre le gouvernement et LR semble trop fragile et menace de ne pas garantir la majorité au gouvernement, le gouvernement s’en sortira également avec l’article 49.3 permettant l’adoption du texte sans vote. Face, je gagne, pile, tu perds… C’est dire si, pour les travailleurs, prétendre défendre les droits à la retraite en s’appuyant sur la démocratie parlementaire relève de la tromperie pure et simple. (GMI, Communiqué, 1er mars)
Le 7 mars suivi du 8 (femmes) puis du 9 (jeunesse) est présenté comme une succession de luttes. Pas d’appel à la grève générale mais le début de grèves reconductibles isolées (SNCF, EDF, raffineries, ports, éboueurs…). Martinez avait pris la peine de préciser qu’il n’était pas dans les pouvoirs d’une confédération syndicale d’appeler nationalement à la reconductible. La succession des journées d’action d’un côté et les reconductibles isolées de l’autre sont les deux faces de la même médaille, le refus du combat centralisé de toute la classe ouvrière contre le gouvernement.
Les journées d’action, pourtant très massives, font leur effet durant 2 mois jusqu’à l’adoption du texte par le 49.3 qui modifie la situation politique. Nous analysons mi-mars :
Bien que le Sénat à majorité LR ait voté le projet, à l’Assemblée nationale, les députés LR restent divisés. Si bien que Macron et Borne recourent finalement le 16 mars à l’article 49.3 de la constitution gaulliste. Ce qui est parfaitement courant dans la Ve République, comme le savent bien PS et PCF qui ont eu la majorité absolue de députés en 1981 et ont conservé cette constitution. Les partis « réformistes » admirateurs du général de Gaulle (LFI, PS, PCF) font pourtant mine de s’en offusquer. Quand la première ministre prend la parole dans l’hémicycle le 16 mars, ils entonnent La Marseillaise pour montrer à la classe dominante qu’ils n’en veulent qu’à Macron, pas à l’État bourgeois, au capitalisme français à qui ils veulent épargner une « explosion sociale ». (GMI, Communiqué, 17 mars)
Le 16 mars devant les difficultés du gouvernement à s’assurer une majorité à l’Assemblée, Borne décide d’adopter la loi par l’article 49-3 de la constitution. Deux motions de censure sont déposées dont l’une dite « transpartisane » échoue pour 9 voix à faire tomber le gouvernement.
Les centristes contre la grève générale
Pendant ce temps, les adjoints centristes de l’intersyndicale aident à désorienter les plus combattifs, notamment en appelant aux actions de blocage. Toutefois, il y a dans le centrisme autant de nuance qu’il y en a dans la petite-bourgeoisie. Des petits débris du lambertisme misent sur la « manifestation centrale à l’assemblée » (GCPOR, APLS). La maison-mère POI accompagne la Nupes qui lui a offert un député en misant sur le succès des journées d’action : « 31 janvier : déterminés à gagner le retrait ! » (IO, 26 janvier). LO ne vaut pas mieux, chaque « temps fort » est soutenu sans fard : « Ce mardi 31 janvier, tous en grève et en manifestation ! » (LO, 29 janvier). Du début à la fin, sans faille :
Alors, soyons le plus nombreux possible dans la grève mardi 7 mars et prenons conscience de notre force collective pour continuer jusqu’au recul du gouvernement ! (LO, éditorial, 5 mars)
Et encore :
Des secteurs qui étaient en grève l’ont reconduite. D’autres prévoient de se remobiliser avec l’objectif que la journée de mobilisation et de grève appelée par l’intersyndicale, jeudi 23 mars, soit la plus massive possible. (LO, éditorial, 20 mars)
Bien que se félicitant des grèves isolées reconduites, LO est tellement sclérosée dans le soutien aveugle à la direction de la CGT qu’elle n’a même pas pu suivre la ligne des reconductibles isolées avancées par celle-ci.
Le NPA pro-Nupes (NPA-B, composée de l’ancienne majorité Besancenot-Poutou) lié à la bureaucratie CGT, FSU, Solidaires, organise un lamentable meeting en janvier qui n’a d’autre but que de soutenir l’intersyndicale (lire notre site). Et cautionne dans ses tracts la stratégie des temps forts, des reconductibles site par site, des actions minoritaires… On évoque la « construction de la grève générale », le « blocage du pays », pour appuyer les trahisons.
Pour gagner, il faut continuer à s’organiser : voir comment mettre la pression maximum en bloquant l’économie ; construire la mobilisation, en particulier en préparant dès maintenant la journée du 8 mars et en se dotant d’un calendrier pour construire un mouvement de grève reconductible ; aller chercher tous les soutiens ; remplir les caisses de grève. (…) Après trois journées de grève et de manifestations puissantes, gagner la seconde manche du combat est à notre portée. Ce n’est qu’un début… (NPA-B, 7 février)
Chaque journée d’action ou impasse institutionnelle, promue par les directions syndicales, est présentée comme solution aux travailleurs.
Après une semaine marquée, le 7 mars, par la plus puissante journée de mobilisation depuis le début de la lutte, une grève féministe le lendemain et une journée de manifestation samedi dernier, la grève s’est installée dans différents secteurs et ça se voit. (NPA-B, 14 mars)
A 9 voix près, la censure n’a pas été votée. Ces 9 voix montrent le faible soutien dont dispose le gouvernement dans son Assemblée. (NPA-C)
Au POID, on tente de se démarquer du cousin mélenchoniste (POI). Mais le révisionnisme est de la même veine.
Des millions restent mobilisés. Ils répondent positivement à l’appel lancé par les organisations syndicales à « durcir le mouvement en mettant la France à l’arrêt dans tous les secteurs le 7 mars prochain. (POID, 19 février)
Puis, après 6 semaines de « temps forts », on feint la menace :
Si, au soir de ce 7 mars historique, Macron n’annonce pas le retrait de son projet de loi, alors il ne reste qu’une solution pour le mettre à genou : la grève générale dans l’unité. (POID, 7 mars)
Très peu de positions dans FO, où ils sont présents, ont émergé sur cette ligne. La direction lambertiste de Gluckstein n’a pas bousculé ses adhérents pour faire adopter des motions. Rien sur leur site… Comme nous le verrons pour RP, les chefs du POID sentent que radicaliser est possible. Mais c’est toujours l’intersyndicale qui les oriente.
Depuis début janvier, l’intersyndicale a gagné la confiance des travailleurs et des jeunes en appelant au combat pour le retrait. Il lui revient, si elle veut garder cette confiance, d’appeler tout le pays à la grève générale jusqu’au retrait. (POID, 13 mars)
Le NPA anti-Nupes (NPA-C, composé de courants issus de LO, CR et D&R, et d’autres issus du SUQI, A&C, SoB…) souhaite faire pression pour radicaliser l’intersyndicale. Ayant lui aussi des positions dans la bureaucratie CGT, FSU, Solidaires, il assume un meeting opportuniste en février. Seule différence avec le NPA-B, le NPA-C affiche « Grève générale », ce qui se sent un peu dans les AG combattives (comme à Lyon le 31 janvier). La jeunesse n’a pas le poids des défaites du passé et n’est pas directement liée à la corruption bureaucratique. En réalité, les tracts rédigés par CR (majoritaire dans le NPA anti-Nupes) cautionnent aussi les temps forts et expliquent vouloir « construire la grève générale » par le « blocage du pays » : « Le 7 mars et après : grève générale pour tout bloquer » (NPA-C, 6 mars). Comme le POID et les autres, on colle à l’intersyndicale sur le « tremplin du 7 mars » puis le 8 et le 9.
Ces trois dates doivent être l’occasion de reconduire la grève pour amplifier et généraliser la mobilisation. (NPA-C, 6 mars)
L’accumulation des journées d’action est censée conduire à la grève générale par un raisonnement mécaniste.
La journée nationale à laquelle appellent les syndicats jeudi prochain 23 mars doit dépasser en force et détermination les précédentes. Elle doit surtout sonner le début d’un blocage du pays par la grève générale. (NPA-C, 20 mars)
Mais en définitive l’appui au dispositif des bureaucraties syndicales est bien là, y compris en occupant et isolant les plus combattifs.
Poursuite du bras de fer jusqu’au retrait de la réforme, en passe d’être gagné, ou basculement dans un dialogue social où les travailleurs dépossédés du rapport de force arraché par leur lutte n’auront plus leur mot à dire ? C’est ce qui doit et va se discuter partout sur les multiples lieux de mobilisation, dans les jours qui viennent. (…) La mobilisation du 28 mars a été spectaculairement massive, pour une dixième journée et bientôt trois mois de bras de fer. Une nouvelle journée est à l’agenda et des initiatives sont programmées d’ici là. (NPA-C, 29 mars)
Nous avons impulsé et organisé de multiples actions et réunions de grévistes et d’interpros, qui ont ponctué le mouvement entre deux journées nationales, qui l’ont fait vivre. (NPA-C, 29 mars)
Une autre forme est apparue en 2021 : la section française de la FTQI moréniste, Révolution permanente. Derrière ce joli nom se cache d’autres fossoyeurs du trotskisme. Leur dernière trouvaille : prétendre que les comités d’action et un réseau pour la grève générale lèvera les obstacles. Ah bon ? Mais pourquoi ne pas l’avoir avancé en octobre 2022 pour les raffineurs ? En janvier et février 2023 pour toute la classe ? Aucun oubli là-dedans. RP-FTQI est éduquée à la compromission avec les appareils syndicaux, une partie de sa direction semble comprendre un lot de petits bureaucrates SUD-Rail et CGT des raffineries. Dès fin janvier, elle accompagne les « reconductibles ». Pas l’ombre d’une véritable auto-organisation.
Face à cette impasse, il est indispensable de remettre la question de la stratégie pour gagner au centre. Sur ce plan, la réussite de la grève des raffineurs sur 48h les 7 et 8 février constitue un point d’appui. De même, le plan proposé par Solidaires, qui pourrait selon une note interne proposer à l’intersyndicale de « porter la grève reconductible à partir du mercredi 8 mars », permettrait de poser à une échelle de masse la perspective d’une grève reconductible large. (RP, 10 février)
En mars, RP s’agite pour occuper les travailleurs qui veulent en découdre. Les « temps forts » sauront amplifier la mobilisation. L’intersyndicale est à peine un obstacle, nul besoin de l’affronter, on peut œuvrer en parallèle. Tout juste un équipier sans enthousiasme. On crée un « Réseau pour la grève générale ». Il accompagne sur la gauche les temps forts : « Grève marchante, AG interpros : un réseau pour étendre la grève reconductible » (RP, 4 mars). La reconduction est travestie en grève générale.
Alors que l’incertitude règne encore sur la position de l’intersyndicale sur l’après 7 mars, de nombreux syndicalistes ont insisté sur la nécessité que les directions syndicales appellent clairement à la grève reconductible, mais aussi qu’elles intègrent dans leurs revendications la question des salaires, question beaucoup trop laissée de côté. (RP, 4 mars)
Malins, RP recourt soudain aux « comités d’action pour la GG » que nous défendons depuis janvier. Avec un certain succès. Pour mieux démoraliser l’avant-garde. Lors du meeting du 13 mars, devant plus de 300 militants, Kazib mise sur la journée du 15 mars. Sans exiger de l’intersyndicale qu’elle appelle à la grève générale.
La date du 15 mars, c’est parce qu’il y a des bureaucrates qui ont lu un papier devant BFMTV et c’est pour ça qu’on est obligé d’essayer de voir comment mettre d’autres pressions différemment. Et cet appel, je le fais solennellement à tous les camarades. Il faut appeler à la généralisation de la grève. Il faut imposer ce mot d’ordre là, du blocage de l’économie et que celui qui croit que le 15 mars est un baroud d’honneur, il faut lui expliquer que nous, on continuera. (Kazib, 13 mars)
Enfin, quand l’intersyndicale en appelle à la « pause », RP dénonce Berger plus que Martinez. Mais les chefs ne sont jamais interpelés pour appeler sans délai à la grève générale. RP n’a jamais dénoncé l’isolement des bastions, à la SNCF, la RATP, les raffineries, l’énergie. Il y a participé.
A rebours de l’intersyndicale, il faut une stratégie à même de répondre aux tâches à l’ordre du jour. D’abord, soutenir les secteurs en grève reconductible face aux coups de boutoir du gouvernement qui multiplie les réquisitions pour briser la détermination des grévistes. Ceux-ci font tanguer des mobilisations comme celle des éboueurs parisiens qui, en l’absence de généralisation de la grève, pourraient reprendre le travail ce mercredi. Il faut soutenir les secteurs en reconductible qui perturbent l’activité économique ! (RP, 28 mars)
Ces formes diverses et complémentaires ne servent à rien d’autre que couvrir les vrais chefs corrompus du mouvement ouvrier. Et les dirigeants de LO (Mercier…), des NPA (Quirante…), de RP (Kazib…) sont presque tous des permanents syndicaux. C’est contre cet amalgame que nous combattons. Notre classe a besoin d’un parti sans attache avec la bourgeoisie, sans soumission aux bureaucraties ouvrières.
Faute d’auto-organisation, le gouvernement a toute latitude pour réprimer
Déjà utilisé lors des grèves des pétroliers de l’automne, le gouvernement lance des réquisitions parmi les éboueurs de Paris, les éclusiers du Rhône, les grévistes du dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer, de la raffinerie de Gonfreville… La police est envoyée de manière systématique pour casser les piquets de grève et permettre la reprise du travail ainsi que pour éviter des occupations dans les universités. En absence de grève générale et d’autodéfense pour empêcher physiquement les réquisitions et défendre les piquets de grève, les bureaucrates s’en remettent à la justice bourgeoise dont les délibérés, s’ils ne sont pas tous en défaveurs des grévistes, interviennent bien après la poussée ouvrière. Alors que la mairie de Paris fait appel à des prestataires pour remplacer les éboueurs grévistes, Martinez s’insurge : « Remplacer des grévistes par des entreprises extérieures, c’est illégal. Il faut faire attention avec la loi », voilà tout ce que propose le dirigeant de la CGT face aux méthodes de la bourgeoisie pour casser les grèves, le légalisme aplaventriste.
La répression des manifestations, présente dès le début du mouvement, franchit un cap dès l’utilisation du 49-3. Rien qu’à Paris, c’est presque un millier de personne qui sont interpellées entre le 16 et le 23 mars. Les cas de mutilation (œil, pouce, testicule…) s’enchaîne depuis quatre mois, les charges et gazages prenant pour prétexte quelques imbéciles utiles ont lieu à chaque journée d’action. Cela est possible du fait que les bureaucrates sont main dans la main avec les autorités, les parcours sont négociés avec les préfectures, les cortèges, particulièrement ceux des jeunes, ne sont pas défendus par les services d’ordre syndicaux. En revanche chaque clocher syndical a sa section police, dont certaines sont même accueillies au sein des cortèges de travailleurs.
Il faut un parti pour appliquer le programme bolchevik
Le rapport entre les classes en France est marqué par toute une série de reculs, de défaites, de trahisons à l’échelle mondiale. La base des partis ouvriers bourgeois s’est réduite, les syndicats se sont émiettés, le centrisme a éclaté en de multiples composantes dont la plupart sont quasi-réformistes.
Le dernier épisode de la lutte des classes en France illustre à nouveau qu’il n’y a pas d’autre solution pour notre classe que la rupture avec le capitalisme, que l’affrontement avec son gouvernement. Les difficultés dans notre classe à déborder les appareils syndicaux et les partis réformistes, le GMI les subit également, l’effondrement de la conscience de classe y compris de son avant-garde permet aux centristes de tous poils de nous contester à nous révolutionnaires les militants les plus combattifs.
Les bureaucraties syndicales tiennent leur dispositif contre la grève générale car aucune organisation de taille significative ne les démasque, ne les combat. Les centristes vont expliquer que les travailleurs ne se sont pas assez mobilisés.
La classe ouvrière cherche la voie du combat, entrainant une partie de la jeunesse en formation. Il faut les sortir de l’impasse des propositions au gouvernement, de la collaboration de classe, de la confiance dans l’État bourgeois, du chauvinisme.
Contrairement à la plupart de ceux qui se réclament du trotskysme, nous défendons dans les syndicats la même ligne qu’en dehors, la défense des conquêtes et des revendications, la rupture totale avec la bourgeoisie, son État, son gouvernement, la démocratie ouvrière.
Il nous faut partir de la situation objective et chercher à gagner les travailleurs et les jeunes combattifs là où ils se trouvent. C’est à cette tâche que va devoir s’attacher la prochaine direction du GMI ainsi qu’à la manière d’accompagner les travailleurs vers la rupture totale avec le capitalisme, vers la grève générale, vers la révolution.