Mais pourquoi donc craint-il de prononcer tout haut le mot de grève générale et parle-t-il de grève tout court ? Avec qui joue-t-il à cachecache ? N’est-ce pas avec le prolétariat ? (Trotsky, « Encore une fois, où va la France ? », Contre le Front populaire, GMI, p. 23)
Les manifestations du 7 mars pour le retrait de la contreréforme des retraites ont été massives. Près de 3 millions de travailleurs ont défilé dans toute la France. Mais le gouvernement ne recule pas d’un pouce car il n’est nullement menacé par la succession des journées d’action. Au soir de la 6e journée d’action, l’intersyndicale a pourtant décidé de… 2 journées d’action supplémentaires, le 11 mars et le 15 mars. Elle a aussi décidé de soutenir d’autres mobilisations, la journée du 8 mars pour les droits des femmes puis la journée de mobilisation étudiante et lycéenne convoquée par les organisations de jeunesse le 9 mars. Le gouvernement s’en moque ! L’examen du projet de loi poursuit tranquillement son chemin et le gouvernement est assuré de son adoption sur le terrain parlementaire, d’une manière ou d’une autre, y compris par le 49.3, au 26 mars, dernier délai. Seule la grève générale pourrait vaincre le gouvernement et arracher le retrait du texte. C’est précisément ce que les appareils syndicaux veulent éviter. C’est le combat du Groupe marxiste internationaliste.
Il est bien seul. Bien sûr, il y a des organisations « trotskystes » bien plus importantes (LO, 2 NPA, 2 POI, RP, Révolution). Mais aucune ne combat pour la grève générale tout de suite, aucune n’ose affronter les bureaucraties syndicales car elles s’y sont toutes intégrées (même si ce n’est pas aux mêmes boutiques). Toutes rivalisent pour faire croire aux travailleurs et aux jeunes que les journées d’action ou les reconductibles décrétées par les chefs syndicaux sont des « tremplins », « construisent »…
On cherchera en vain un quelconque appui au combat pour la grève générale du côté de LO, qui en appelle au développement « des grèves », des « manifestations de masse »…
Il faut donc continuer notre mobilisation et passer à la vitesse supérieure. Pour gagner, notre camp a besoin de mobiliser tout le monde et d’utiliser les armes qui ont fait leur preuve dans le passé : la grève, les manifestations de masse et l’occupation des entreprises. (Editorial, 5 mars)
NPA pro NUPES et NPA anti-NUPES sont sur le même bateau. Ils prétendent tous deux que la succession des journées d’action, appuyée par les reconductibles, pourrait conduire à la grève générale.
Les 7, 8 et 9 mars offrent la possibilité de faire un saut qualitatif à la mobilisation. L’appel intersyndical à la grève le mardi 7 mars a été petit à petit suivi d’appels à la reconduction dans divers secteurs : RATP, SNCF, raffineries, éboueurs, dans les établissements scolaires de différentes régions (NPA pro Nupes, Tract, 2 mars)
Mardi 7 mars, l’intersyndicale appelle à « mettre le pays à l’arrêt » : c’est-à-dire à une grève qui réunisse toutes et tous. Une date annoncée et attendue depuis deux semaines, dont l’ampleur peut être le tremplin vers les suivantes. (NPA anti-Nupes, Editorial, 5 mars)
Il ne s’agit pas d’additionner des luttes, mais de déployer la force du prolétariat, qui ralliera la masse des femmes et une grande partie de la jeunesse en formation et leur permettra de gagner.
Tout comme les deux NPA, RP prétend que les grèves reconductibles peuvent permettre de déboucher.
Il est fondamental que les fédérations CGT qui mènent actuellement la grève reconductible dans l’énergie, la pétrochimie, les ports et docks ou à la SNCF mènent une politique active en direction des autres secteurs, en coordonnant l’ensemble des grévistes engagés dans la reconductible et en menant une politique systématique pour étendre la grève, par des actions en direction des autres secteurs. (RP, 8 mars)
Ainsi certains secteurs comme les cheminots et d’autres sont non seulement censés porter à eux seuls le combat auquel les chefs syndicaux refusent d’appeler toute la classe ouvrière, mais aussi s’employer à essayer de faire tache d’huile. Et avec quelle perspective ? Élargir la grève reconductible. Mais le mot d’ordre de grève reconductible n’est pas le mot d’ordre de grève générale jusqu’au retrait, il fait reposer la charge du combat sur les seules épaules des plus combattifs et laisse pendant ce temps-là les dirigeants syndicaux manœuvrer tranquillement. En réalité, la succession des journées d’action d’un côté et les reconductibles de l’autre sont les deux faces de la même médaille, le refus du combat centralisé de toute la classe ouvrière contre le gouvernement.
Les journées d’action ne constituent pas des points d’appui successifs pour une mobilisation qui irait crescendo jusqu’à la grève générale. Les travailleurs les suivent car c’est la seule chose que leur proposent leurs organisations syndicales, mais elles empêchent l’irruption de la grève générale en étalant, en hachant la mobilisation en autant de coups d’épée dans l’eau et finissant par la disloquer. D’ailleurs, les manifestations étudiantes et lycéennes du 9 mars ont été squelettiques, bien loin de constituer un quelconque relai à la mobilisation, mais indiquant au contraire un important reflux. D’ores et déjà, certains grévistes lèvent les blocages comme à la raffinerie ExxonMobil de Port-Jérôme-sur-Seine. Les AG des universités sont de moins en moins fréquentés et les taux de grévistes à la RATP ou à la SNCF sont en chute libre.
Pourquoi les dirigeants syndicaux n’appellent-ils pas à la grève générale jusqu’au retrait complet du texte ? Parce qu’ils continuent à respecter le président bourgeois qu’ils ont contribué à élire, qu’ils lui remettent la décision.
Le silence du président de la République constitue un grave problème démocratique qui conduit immanquablement à une situation qui pourrait devenir explosive. (Communiqué de l’intersyndicale, 7 mars)
Ce que les chefs syndicaux redoutent, c’est précisément ce qui est nécessaire : évidemment qu’il faut que la situation devienne explosive pour vaincre Macron ! Au lieu de quoi ils demandent à Macron de les recevoir « en urgence » ! Pour quoi faire ? Pour négocier quoi ? Alors que l’exigence de millions de travailleurs est le retrait pur et simple du texte !
Le temps presse. Ou la voie du combat pour imposer la grève générale jusqu’au retrait du texte parvient à se frayer un chemin dans les jours qui viennent et la victoire reste possible. Ou les chefs syndicaux réussissent à maintenir la classe ouvrière sous la chappe des journées d’action et dans l’impasse des grèves reconductibles et Macron l’emportera. Depuis le début du mouvement, le GMI combat inlassablement sur cet axe. Mais il le fait seul. Loin d’être des points d’appui pour une fraction de la classe ouvrière qui cherche à desserrer le carcan des appareils, les centristes savent bien que « les journées d’action qui ne suffisent pas », mais les soutiennent avec des phrase d’apparence radicales ainsi que leur leur pendant des grèves reconductibles.
Seul le combat résolu, sans concessions, pour submerger les appareils bureaucratiques peut ouvrir la voie à la classe ouvrière. Mais le temps presse avant que le piège ne se referme sur la classe ouvrière.