Ils ont cassé tout ce qu’ils pouvaient, puis sont ressortis. Ce mouvement fait suite aux derniers résultats électoraux, avec une courte victoire pour Lula [voir Révolution communiste n° 53], aux manifestations de dizaines de milliers de bolsonaristes le 2 novembre réclamant l’invalidation de l’élection, au maintien depuis de campements devant les casernes pour demander à l’armée de prendre le pouvoir, sans être inquiétés le moins du monde.
Il ne s’agit pas d’un coup d’État, mais plutôt d’une première manifestation brouillonne de l’offensive des forces réactionnaires pour déstabiliser et à terme en finir avec Lula et son gouvernement. L’état-major n’a pas bougé, les points stratégiques n’ont pas été occupés par l’armée ou des forces fascistes organisées. L’armée n’a pas bougé car la bourgeoisie brésilienne, dans sa majorité, avait estimé que la solution d’un gouvernement de front populaire avec Lula était la moins mauvaise mais cela ne veut pas dire qu’elle va le laisser tranquille. Au contraire, elle entame dès aujourd’hui un travail de sape pour le mettre dehors quand elle aura réuni les conditions politiques pour le faire. Ce n’est pas encore le moment.
Rappelons-nous au Chili la bataille de la bourgeoisie chilienne contre le gouvernement Allende, avec par exemple le soutien des camionneurs, utilisant toutes les possibilités que lui laissait le gouvernement de front populaire, pour aboutir au coup d’État de Pinochet. Évidemment, tout comme l’avait fait Allende, Lula donne tous les gages à la bourgeoisie pour lui laisser carte blanche. Par exemple, il est de notoriété publique que la police militaire, forte de 500 000 hommes, est un nid de bolsonaristes car Bolsonaro a tout fait pour elle lors de son mandat : financements, promotions, équipements, impunité, etc. Et sans parler de l’armée qui a installé la dictature militaire de 1964 à 1985 et a donc une longue tradition d’intervention pour sauver l’État bourgeois, même si elle se tient pour le moment en retrait. Lula n’a aucunement l’intention de dissoudre les corps répressifs de l’État bourgeois, d’en appeler à l’armement du prolétariat, de s’appuyer sur un début de mobilisation en réaction à ces évènements, les manifestants réclamant le rapatriement de Bolsonaro, son jugement et aucune amnistie pour les émeutiers, alors que déjà un grand nombre a été libéré, en raison de leur âge ou de leur état de santé (sic).
Au contraire, la politique de Lula, c’est l’union nationale avec toutes les forces politiques de la bourgeoisie, tous les galonnés, qui déjà conspirent et travaillent à son renversement. Avant même que les contradictions entre les aspirations des masses et la politique économique du gouvernement de front populaire ne se fassent jour, qui va tenter de sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie sans jamais parvenir à la satisfaire, c’est sur le terrain de l’autodéfense, de l’armement du prolétariat, que se situent les premiers pas de la bataille entre révolution et contrerévolution. La politique d’une organisation révolutionnaire digne de ce nom ne peut pas faire l’impasse sur cette question.
Évidemment, il y a des similitudes avec l’assaut du Capitole donné l’an dernier par les partisans de Trump. Même assaut brouillon et sans le soutien décisif d’une partie déterminée de l’armée en relation avec une aile de la bourgeoisie, sans préparation du contrôle des centres névralgiques de l’État, etc. De ce point de vue, même la tentative de putsch de Hitler à Munich en 1923 pour s’emparer de la Bavière et ensuite marcher sur Berlin était autrement mieux préparée, et pourtant elle s’est écroulée en un jour. Mais entre le Brésil et les États-Unis, ce n’est pas tout à fait la même situation. Les États-Unis sont l’impérialisme le plus puissant, ce qui n’est pas le cas du Brésil. Le Parti démocrate avec Biden n’a pas constitué un gouvernement de front populaire, mais un gouvernement bourgeois avec un parti bourgeois. Cela ne signifie pas que le fascisme ne verra jamais le jour aux États-Unis, ni que l’affrontement sera en permanence entre les deux partis bourgeois « historiques », le PR et le PD. Il existe un courant qui cherche à constituer un parti fasciste de masse aux États-Unis, exprimé par les partisans de Trump qui pour le moment continuent d’oeuvrer au sein du PR, mais de façon minoritaire. On les a vus à l’oeuvre dernièrement pour l’élection du président de la Chambre des représentants. Même s’ils peuvent pousser plus à droite encore le PR, à terme ils devront nécessairement en sortir car ils ne parviendront pas à transformer le PR en parti fasciste. Mais pour le moment, la bourgeoisie américaine dans sa très grande majorité n’a pas choisi cette solution, qui reste en quelque sorte en réserve, car elle n’en a tout simplement pas besoin, ou pas encore.
La bourgeoisie peut recourir au fascisme sous la forme d’un parti fasciste qui s’attaque aux organisations ouvrières, rallie à son drapeau la petite-bourgeoisie enragée, le lumpen prolétariat, devient puissant et finit par s’emparer du pouvoir, comme l’ont fait les chemises noires de Mussolini ou le NSDAP de Hitler. Mais elle peut aussi, quand les conditions politiques le lui permettent, mettre en place directement une dictature militaire, comme au Brésil précédemment, en Argentine, au Chili, etc., sans avoir nécessairement recours à un parti fasciste de masse. Il faut analyser la situation et ses particularités à chaque fois.