Le pays avait été désigné 12 ans auparavant pour organiser cette compétition, face aux États-Unis notamment, par les instances de la Fédération internationale de football (FIFA). Le poids financier et publicitaire du football (7,5 milliards de dollars de recettes entre 2018 et 2022) dans le capitalisme mondial fait de la FIFA l’un des organismes internationaux les plus corrompus.
La FIFA, la corruption comme sport favori
Cette institution datant de 1904 basée à Zurich, regroupe 211 fédérations nationales, elles- mêmes étant des appareils parasitaires et souvent peu compétents. Bien qu’officiellement à but non lucratif, la FIFA génère 1,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel (diffusion des images de compétitions et publicités) et détient une réserve financière équivalente.
La FIFA a été prise à plusieurs reprises dans des affaires judiciaires. Le choix des lieux des coupes du monde sous prétexte d’universaliser et de promouvoir la pratique du football a donné lieu à des pratiques mafieuses, soudoiements de fédérations, corruption et versements de pots de vin. Sur les 22 membres, principalement des hommes d’affaires, qui constituait le comité exécutif ayant délibéré en 2010, 16 ont été radiés suite au scandale du « Fifagate » en 2015, révélé par une enquête de 3 ans de la justice américaine. Pour échapper à des sanctions de fraude fiscale aux États-Unis, Chuck Blazer, secrétaire général de la Concacaf (fédération de la zone Amérique du nord) a dû coopérer avec le FBI pour révéler le gigantesque système de corruption à l’œuvre.
Les frontières des malversations douteuses ne se sont pas limitées à la FIFA, puisque le 9 décembre 2022, cinq personnes, dont des parlementaires européens ont été arrêtés pour des soupçons de corruption par le Qatar. En échange d’avantages et de cadeaux, leur mission était de redorer l’image de cette monarchie du Golfe arabo-persique dans le domaine des droits humains et des conditions des travailleurs.
S’y ajoutait la convoitise de la part des États capitalistes qui y voient une vitrine pour le tourisme local, un outil de « soft power » et un vecteur patriotique puissant pour les masses.
Pour s’attribuer l’organisation de la coupe du monde, le Qatar a usé de son influence économique. La monarchie a dépensé sans limite pour s’assurer le vote, que ce soit directement en payant les responsables ou en passant des accords commerciaux avec des puissances impérialistes. Sur ce dernier point, l’impérialisme français est l’un des plus impliqués puisque le président de l’époque (et fondateur de LR) Sarkozy a fait pression sur les représentants français à la FIFA, notamment Michel Platini, pour qu’ils votent en faveur du Qatar. En contrepartie, celui-ci s’engageait à acheter au prix fort du matériel de guerre (des Rafales) au groupe français Dassault et entrait au capital du groupe Lagardère. En retour, il rachetait à prix soldé le club de football parisien, le PSG, et lançait France son bouquet de chaines TV BeIN Sports, détentrice des droits de retransmission du championnat de football (L1).
Le pot aux roses fut dévoilé par le journal France football et corroboré par Sepp Blatter, président mafieux de la FIFA alors en concurrence avec Platini pour la tête de la juteuse institution.
Des chefs de gouvernement européens ont conseillé à leurs membres qui pouvaient voter de se prononcer pour le Qatar, parce qu’ils étaient liés à ce pays par des intérêts économiques importants. (Sepp Blatter, France info, 19 septembre 2013)
La FIFA a ménagé l’émirat bigot et misogyne (les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes, l’homosexualité est un délit pénal…) en interdisant aux joueurs de porter le brassard arc-en-ciel des LGBTQ+. Par contre, la FIFA autorise les logos des grands groupes capitalistes d’équipement sportifs sur les maillots dans les compétitions et les publicités affichées durant les entrainements.
Une organisation classiquement mortifère
Chasse aux pauvres, surexploitation des travailleurs, mépris de l’environnement, hôtel luxueux pour les capitalistes étrangers, prostitution massive, le sport capitaliste exhibe tous les traits du pourrissement du capitalisme.
L’A330 et le Falcon 7X, les deux avions qui ont servi aux déplacements du président et de son entourage pour assister à la demi-finale puis à la finale des Bleus, ont engendré une empreinte carbone de 480 tonnes d’équivalent CO2… Soit l’équivalent de 53 ans d’empreinte carbone pour un Français moyen. (So foot, 19 décembre)
Pour le mondial 2010 en Afrique du Sud, une milice privée spécialement constituée pour chasser les pauvres des centres-villes avant l’arrivée des supporters avait été fondée sous le sobriquet de fourmis rouges (Red Ants). Quelques mois avant la compétition, le journal Libération titrait « L’Afrique du Sud demande 1 milliard de préservatifs avant le mondial de foot, en prévision d’une augmentation de la prostitution ».
Quatre ans plus tard le capitalisme brésilien envoyait l’armée contre les favelas et lançait la construction de murs entre celles-ci et les zones touristiques des villes, les troupes brésiliennes avaient été entrainées à cette fin à Haïti sous l’égide de l’ONU.
En Russie en 2017, soit un an avant la compétition, l’ONG Human Rights Watch dénonçait les « salaires non payés ou des retards de salaires de plusieurs mois, du travail par des températures descendant à – 25 °C sans protections suffisantes ou l’incapacité des employeurs à fournir des contrats de travail légaux » aux ouvriers.
Des affaires qui tournent rond
Le budget alloué par le Qatar à la coupe, 220 milliards de dollars (presque 210 milliards d’euros), contre 10 milliards pour la Russie en 2018 et 15 en 2014 pour le Brésil, a crevé des plafonds jamais atteints. Le capitalisme n’a de cure de permettre d’édifier des infrastructures socialement utiles pour les masses et s’embarrasse encore moins de sobriété énergétique, avec des stades ouverts climatisés.
L’organisation de toute coupe du monde dope l’appétit des annonceurs publicitaires. Au Qatar, la construction de six nouveaux stades, d’hôtels et d’équipements de transports a représenté entre 120 et 130 milliards de dollars pour les entreprises locales et impérialistes du BTP, avec la construction de six nouveaux stades, d’hôtels et d’équipements de transports. La Chine et les Etats-Unis ne comptent pas dans les grandes nations du football, mais leurs entreprises sont aux premiers rangs dans le sponsoring, et en dépenses de marketing lors de cet évènement sportif. Respectivement 1,395 milliards de dollars pour les firmes chinoises, à travers Vivo (téléphonie), Wanda (tourisme), Hisense (électronique), Mengniu Diary (produits laitiers) contre 1,1 milliard pour leurs rivales états-uniennes comme Coca-Cola, McDonalds, Budweiser, et Visa pour les plus connues. En outre, l’impérialisme chinois a négocié un contrat d’approvisionnement de gaz de 27 ans avec le Qatar pour assurer ses besoins énergétiques.
De grandes firmes françaises ont remporté leur lot de contrats : en particulier, Alstom ainsi que Keolis, filiale de la SNCF pour le tramway de Lusail ; Vinci et sa filiale QVDC (BTP) pour une autoroute de 200 km autour de Doha (New Orbital Highway) pour 850 millions d’euros ; Accor pour entretenir et gérer 60 000 chambres. En dehors de la coupe du monde, TotalEnergies vient de signer un accord avec l’émirat pour développer et exploiter un des plus gros champs gaziers au monde, North Field.
L’alcool et la prostitution officiellement interdits dans ce pays musulman ont été autorisé pour l’un, tolérée pour l’autre (« Alcool et prostitution : quand le Qatar se montre permissif à l’occasion de la Coupe du monde », L’Équipe, 4 décembre).
La surexploitation de la force de travail
Au Qatar, à l’exception de l’administration, la quasi-totalité de la main-d’œuvre est immigrée : d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest pour les cadres et les ingénieurs, des pays pauvres d’Asie et d’Afrique pour les ouvriers et employés.
L’exploitation forcenée pour construire les infrastructures en moins de dix ans n’a posée aucun problème à la FIFA et à la monarchie islamique. À cela, va servir la Kafala, un système de contrôle social commun aux monarchies absolues du Golfe, imposant aux travailleurs étrangers d’avoir un parrain qatari pour occuper un emploi dans le pays. Les ouvriers étrangers sont alors dépendants du bon vouloir de leur « parrain » ; notamment pour retourner au pays voir leur famille. Les travailleurs sont ainsi embauchés par des intermédiaires qataris leur réclamant de l’argent. Beaucoup d’ouvriers vont ainsi contracter une dette de plusieurs milliers de dollars afin de venir travailler dans la péninsule qu’ils auront pour la plupart du mal à rembourser car les salaires définitifs sont souvent inférieurs à ceux promis par ces négriers. Cette dette et le chantage exercé par les parrains diminuent considérablement le pouvoir de résistance et de lutte des exploités au Qatar.
Les capitalistes qataris affichent leur piété mais traitent les ouvriers et employés musulmans du monde entier comme des esclaves dans leurs demeures et sur leurs chantiers. Aujourd’hui encore, « la loi qatarie ne permet pas aux travailleurs étrangers de former des syndicats ou d’y adhérer » (OIT, Quatre ans de réformes du travail au Qatar, 1 novembre).
Les enquêtes sur les accidents du travail sont rendues difficiles du fait que les autopsies sont interdites par l’islam et que les autorités camouflent l’hécatombe, journalistes et ONG tablent sur plusieurs milliers de morts directement liés aux chantiers titanesques. Par exemple, The Guardian parle de 6 500 morts, loin des 40 officiellement reconnus.
Bien que la Kafala ait officiellement été abolie en 2020, l’interdiction des grèves et des syndicats, l’absence de droits politiques pour les presque 3 millions de travailleurs immigrés dans la domesticité et l’industrie (les citoyens qataris ne représentent que 10 % de la population) empêchent jusqu’à présent la lutte de classe chez cet allié de la république française si attachée à la démocratie.
L’exaspération du nationalisme
Cette compétition, comme aux Jeux olympiques, se déroule sur la base du découpage de la planète entre États. Elle est inévitablement nationaliste puisque les masses sont appelées à s’identifier à « leur » équipe (ce qui posait un problème au fondateur du RN, Le Pen père, vu le métissage de l’équipe française) et à célébrer « leur » nation.
En mode mineur, quand Macron se rend deux fois à Doha.
Le président français, Emmanuel Macron, a affirmé, jeudi 15 décembre, qu’il assumait « totalement » d’aller au Qatar soutenir l’équipe de France lors du Mondial de football. Le président s’est rendu à la demi-finale et a prévu de se rendre à la finale, dimanche. « J’étais il y a quatre ans derrière l’équipe de France quand c’était en Russie et je suis derrière eux au Qatar », a-t-il poursuivi. Emmanuel Macron a estimé que les Français étaient dans le même état d’esprit. (Le Monde, 15 décembre)
En mode majeur quand les fascistes s’en donnent à cœur joie. Que ce soit dans les tribunes, investies depuis des années par des groupes chauvins d’où les cris racistes fusent. Mais également dans la rue où l’orgie de drapeau national fait sortir fièrement les hyènes de leurs tanières.
En particulier, le parcours de l’équipe du Maroc lors de la compétition a donné lieu un peu partout en Europe où vit une diaspora marocaine à des attaques de groupuscules nationalistes. D’abord en Italie le 6 décembre, après le succès des « Lions de l’Atlas » face à l’équipe d’Espagne, des fascistes cagoulés ont attaqué des supporters marocains célébrant la victoire. Puis le 14 décembre en France au soir du match opposant l’équipe nationale à la sélection marocaine, des groupes fascistes se sont livrés à des ratonnades un peu partout dans le pays.
À Paris un groupe de 40 nazillons armés chassait le Marocain, à Lyon bastion de plusieurs mouvances fascistes, une cinquantaine de cagoulés faisaient de même en chantant « la France aux français », mais les mêmes scènes se sont répétées dans plusieurs autres villes comme à Nantes, Nice, Strasbourg, Avignon, Montpellier… Tous ces groupes avaient été chauffés à blanc par les déclarations racistes de Zemmour et Bardella dans les jours précédant le match, auxquelles le gouvernement avait répondu par une proposition de loi anti-immigrés.
Le football est le sport le plus populaire mais les travailleurs du monde entier n’ont rien à gagner à la valorisation de monarchies qui répandent et financent l’intégrisme dans le monde, à la surexploitation des prolétaires sur les chantiers des grands évènements sportifs, au déchainement de chauvinisme qui accompagnent les compétitions.