L’espèce humaine, afin d’occuper quasiment toute la planète, s’est déplacée peu à peu à partir de l’Afrique de l’est, son lieu d’apparition voici 200 000 ans environ.
Les petits groupes vivant de la chasse, de la cueillette et de la pêche étaient généralement mobiles. La sédentarité, la division en classes sociales et la création d’États sont apparues avec l’agriculture il y a 10 000 ans en Asie. Cependant, dans les modes de production esclavagiste, féodal et « asiatique » (étatiste), les conquêtes, les guerres, les persécutions, les catastrophes naturelles entrainaient déjà des déplacements, volontaires ou forcés, de populations.
La mode de production capitaliste apparu en Europe vers le 14e siècle est hautement contradictoire : d’un point de vue économique, il repose sur la mobilité des travailleurs ; politiquement, il découpe artificiellement la planète et les humains entre États. Quoiqu’il subsiste des déplacements de population au sein des États (le cas le plus spectaculaire étant l’exode rural en Chine à la fin du 20e siècle), les « migrations » sont plutôt appréhendées aujourd’hui comme les flux humains d’un État à un autre. Un même voyage est une émigration du point de vue de l’État de départ et une immigration par rapport à l’État de destination. Pour le premier, la personne est une émigrée (un émigré) ; pour le second, une immigrée (un immigré).
En France, on appelle généralement « migrants » les étrangers pauvres mais les Français qui vivent ailleurs sont appelés « expatriés ». Quant aux très riches étrangers, leurs jets privés les dispensent de formalités humiliantes, quand ils ne sont pas reçus à Versailles par le président en personne.
Jusqu’au 20e siècle, quand le capitalisme ascendant s’étendait peu à peu à toute la planète, il y avait des migrations forcées très violentes (comme le trafic d’esclaves) mais les barrières aux migrations volontaires étaient réduites. Déjà, la bourgeoisie utilisait les différences de nationalité, d’ethnie, de religion et de langue pour diviser les exploités entre eux et pour augmenter le taux d’exploitation.
Chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. L’ouvrier anglais moyen déteste l’ouvrier irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par rapport à l’ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l’Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l’ouvrier anglais à la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente. (Karl Marx, « Lettre à Siegfried Mayer et August Vogt », 9 avril 1870, Engels & Marx, Le Parti de classe, Maspero, t. 2, 1973, p. 175)
Par contre, les capitalistes n’ont jamais hésité à s’établir à l’étranger pour surexploiter une force de travail moins couteuse.
Depuis que le capitalisme est entré en déclin, les guerres permanentes visent délibérément les populations civiles, les chassant, les emprisonnant, les affamant, les exterminant : ainsi, en Algérie, 2 millions d’Arabes et de Berbères furent déplacés par l’armée française de 1954 à 1959. Les États renforcent le contrôle policier de leur population : ainsi, en France une carte d’identité a été imposée en 1912 aux nomades, en 1917 aux étrangers, en 1940 à tous.
Ne plus laisser pénétrer en France aucun émigré allemand… (Roger Salengro, ministre de l’Intérieur, « Circulaire », 14 aout 1936, cité par Pierre-Jean Deschodt & François Huguenin, La République xénophobe, Lattès, 2001)
Les États impérialistes s’efforcent de contrôler les flux migratoires : par exemple, le gouvernement de Front populaire a interdit le 14 aout 1936 l’entrée de réfugiés juifs, socialistes ou communistes venant de l’Allemagne aux mains des nazis.
Le gouvernement du Parti radical a parqué de 1937 à 1939 les réfugiés espagnols dans des camps de concentration du Roussillon (15 000 y sont morts) ou les a utilisés dans les colonies d’Afrique du Nord comme esclaves.
Au début du 21e siècle, la détérioration du climat causée par la recherche du profit vient aggraver la situation dans nombre de pays dominés, déjà victimes économiques de la domination impérialiste mondiale, souvent ravagés par des interventions étrangères, des guerres civiles ou une combinaison des deux (Syrie, Yémen, Ukraine…). D’un côté, des êtres humains cherchent à quitter à contrecoeur leur pays d’origine ; de l’autre des États dressent des murs, refoulent, mettent en camp de rétention les migrants alors que jamais les marchandises et les capitaux n’ont circulé aussi librement.
L’organisme de l’ONU spécialisé, l’Organisation internationale des migrations, estime à 281 millions les « migrants internationaux » qui représentent 3,6 % de la population mondiale. La plupart sont dans des pays voisins. Cela exclut les séjours pour tourisme, religion, visite familiale, affaires… mais inclut les migrants « en situation irrégulière ». Les immigrés sont « en situation régulière » quand l’État a autorisé leur séjour, « illégaux » quand il ne l’a pas fait (entre 300 000 et 400 000 en France). L’installation durable mais pas forcément définitive dans un autre État est soit volontaire (emploi, études…), soit contrainte (réfugiés). Sans que la distinction soit toujours nette, ni éternelle : par exemple, des relations amoureuses peuvent changer un projet.
Depuis 1973, face aux crises capitalistes récurrentes, les partis traditionnels de la bourgeoisie restreignent les droits politiques, syndicaux et sociaux de leurs travailleurs tout en augmentant les budgets de la police et de l’armée. Même si de nombreux patrons utilisent de la main-d’oeuvre étrangère (nettoyage, hôtellerie-restauration, culture, bâtiment, sécurité…), les partis xénophobes et fascisants (type RN) et même les partis « démocratiques » ou « républicains » (façon LR) cherchent des boucs émissaires. Ils désignent comme responsables de la délinquance, du chômage, du manque de logements, de soins, d’instruction… non les capitalistes et leur État mais les étrangers ou les adeptes de religions minoritaires.
Le résultat des politiques migratoires est toujours une sorte d’apartheid. Les migrations humaines ne cessent pas et ne cesseront pas. La majorité des étrangers, dont certains qualifiés (notamment 30 000 médecins des hôpitaux publics français) rejoint les rangs des travailleurs salariés du pays d’accueil. Si les travailleurs immigrés restent sans droits, ils sont contraints d’accepter une surexploitation qui affaiblit l’ensemble de la classe ouvrière. Cependant, l’expérience historique prouve que les travailleurs immigrés peuvent participer à la lutte de classe et jouer un rôle décisif (par exemple, la grève générale de 1936 avec occupation des locaux est une méthode de lutte importée par l’immigration politique et économique d’Italie).
Dans le mouvement ouvrier, ceux qui parlent de « l’intérêt national », de « la patrie », capitulent forcément devant leur bourgeoisie. Les appareils syndicaux négligent les travailleurs étrangers ou les isolent des « nationaux » ; les partis sociaux-impérialistes prétendent « humaniser » la politique migratoire, pas l’abolir. Quand les « réformistes » accèdent au pouvoir, les migrants continuent à être rançonnés, violés et à mourir par noyade, par soif, par balles sur leur trajet.
Dans notre lutte pour le véritable internationalisme et contre le social-chauvinisme, notre presse dénonce constamment les chefs opportunistes du Socialist Party of America qui sont partisans de limiter l’immigration des ouvriers chinois et japonais. Nous pensons qu’on ne peut pas, à la fois, être internationaliste et se prononcer en faveur de telles restrictions. (Vladimir Lénine, « Lettre à la Socialist Propaganda League of America », une fraction du SPA, 9 novembre 1915, Œuvres t. 21, Progrès, 1973, p. 444)
C’est dans la lutte de classes, par la lutte de classe menée sur tous les terrains, que la classe ouvrière s’unit et se renforce pour se défendre dès maintenant et nettoyer prochainement la planète du capitalisme pourrissant. Fermeture immédiate de tous les centres de rétention ! Des titres de séjour pour tous les réfugiés, travailleurs étrangers et étudiants ! Mêmes droits pour tous les travailleurs ! Liberté pour les réfugiés, les travailleurs, les étudiants de circuler et de s’établir où ils le désirent !