La grève générale, comme le sait tout marxiste, est un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. (Trotsky, Encore une fois, où va la France ?, mars 1935)
La grève de masse, illimitée, de l’ensemble des sites d’une grande entreprise, d’une zone, d’une branche d’activité, de tout un pays est un moyen de lutte qui n’a pas été conçu dans le cerveau de Marx, Engels, Lénine, Luxemburg, Trotsky… Elle est née de la lutte entre les classes sociales, de l’expérience du prolétariat. Au fil de l’histoire, elle a montré en pratique son efficacité et ses limites.
En juillet 1842, de l’Écosse au Pays de Galles en passant par l’Angleterre, une grève générale de 500 000 ouvriers revendiqua le droit de vote, l’augmentation des salaires, la réduction du temps de travail. Les capitalistes effrayés se rangèrent avec les propriétaires fonciers pour réprimer le soulèvement.
Le communisme naissant (Comités de correspondance communiste d’Engels et Marx, Ligue des communistes) en tira les leçons. Il se heurta à l’anarchisme. D’abord à une version hostile aux grèves qui rêvait d’une transformation pacifique par la voie mutuelliste et coopérative, faisant l’économie de la révolution (façon Proudhon). Ensuite à sa version prêchant une grève d’ensemble, contrôlée par une élite secrète, qui permettrait de réaliser immédiatement le communisme à l’échelle locale (inspirée de Bakounine).
En pratique, la grève générale resurgit en Belgique, pour obtenir le droit de vote, en 1893, en 1902 et en 1913 ; en Italie, contre la répression policière en 1904. Dans l’empire russe, en 1905, la révolution mêla manifestations de rue, « grèves de masse », soviets, insurrection… Des conseils (soviets) apparurent à partir des comités de grève. Ils fonctionnaient comme des parlements révolutionnaires que fuyait la bourgeoisie. La grève générale de décembre permit l’insurrection du 7 décembre à Moscou où la fraction bolchevik du Parti ouvrier social-démocrate de Russie organisait depuis plusieurs semaines la fraternisation des conscrits avec les ouvriers. Bien qu’elle s’étende à plusieurs villes, elle reste isolée et est vaincue.
Après la contrerévolution tsariste, Lénine en fit une tactique subordonnée à l’insurrection comme condition à la réunification du POSDR en 1906. Luxemburg tenta, en vain, de la réintroduire dans l’arsenal du principal parti ouvrier de l’époque, le SPD d’Allemagne
La révolution russe de 1917 s’ouvrit par la grève générale à Petrograd, nourrissant les manifestations qui permirent la fraternisation avec les conscrits et le début de l’armement des travailleurs. De même, les grèves de masse de 1917 en Allemagne annoncèrent la révolution de 1918. La grève générale brisa le putsch de Kapp en 1920. La révolution italienne commença par une grève générale en 1920.
L’Opposition de gauche de l’Internationale communiste (1929-1933) contre le stalinisme est née, parmi 3 questions, de la grève générale en Grande-Bretagne de 1926.
Le 8 février 1934, quand les fascistes attaquèrent l’Assemblée nationale, la LC (section française de la 4e Internationale) titra : « La classe ouvrière est en danger ! Pour le front unique des organisations, l’organisation de la milice ouvrière et la préparation de la grève générale ! ».
La CLA (section américaine de la 4e Internationale) conquit une implantation ouvrière par son rôle dans la grève générale des chauffeurs routiers en mai 1934 à Minneapolis (Minnesota). Le mot d’ordre de grève générale faisait clairement partie de son arsenal.
Spontanément, en juin 1936, en France, la classe ouvrière déclencha la grève générale, illimitée.
Ce qui s’est passé, ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève. C’est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c’est le début classique de la révolution. (Trotsky, La Révolution française a commencé, 19 juin 1936)
Par la suite, la section française de la 4e Internationale (POI puis PCI) a plus d’une fois appelé à la grève générale.
En 1953, les ouvriers de Berlin et de l’est de l’Allemagne se mirent en grève et manifestèrent contre la bureaucratie stalinienne de RDA. En 1956, la classe ouvrière de Hongrie combina la grève générale avec la création de conseils et l’armement. En 1968, la classe ouvrière entra en lutte et secourut les étudiants en Tchécoslovaquie. En 1970-71, la grève générale des chantiers navals et des usines des ports de la Baltique dressa la classe ouvrière de Pologne contre la bureaucratie.
En 1958-59, la grève générale paralysa le régime de Batista à Cuba, confronté au soulèvement des campagnes organisé par le M26J. La grève générale de 1960-1961 menaça l’État bourgeois en Belgique. En 1968, en France, les travailleurs débordèrent les directions syndicales et lancèrent une grève générale. En 1969, une grève générale paralysa Rosario en Argentine. En 1970, une grève générale chassa une junte militaire en Bolivie, puis les mineurs s’armèrent. En 1974, la grève générale des mineurs renversa le gouvernement du Parti conservateur de Grande-Bretagne. En 1978, la grève générale des travailleurs du pétrole précipita la révolution en Iran. En 1983, les services publics furent en grève générale en Belgique.
L’hostilité à la grève générale est un marqueur des agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier. Pour empêcher la grève générale et illimitée, les bureaucrates syndicaux décrètent des grèves perlées, des journées d’action limitées dans le temps, des grève reconductibles éparpillées, des grèves par métier, etc. Les partis ouvriers bourgeois opposent les urnes à la grève générale.
Votez Mélenchon et vous aurez la retraite à 60 ans. Pas besoin de faire des grèves qui vous coutent cher ou qui sont dangereuses. (Mélenchon, LFI, 20 mars 2022)
La grève générale ne résout rien en elle-même, mais elle montre au prolétariat sa propre force et elle pose le problème de savoir quelle classe doit diriger la société. Pour l’emporter, il faut un parti ouvrier révolutionnaire qui s’axe sur le programme communiste, déjoue les trahisons et organise l’insurrection.