Le Pen troisième tentative
Parce que les communicants ne peuvent penser à tout, sur les affiches, sur les dépliants vantant ses 22 (v’là les flics) mesures pour 2022, les M de marine et de merde se confondent. La cheffe du parti fondé en 1972 (Front national) par les fascistes d’Ordre nouveau a connu une campagne mouvementée. Elle espérait effacer le souvenir calamiteux du second tour de l’élection de 2017, remonter les scores du RN qui, pour la première fois, avait reculé en voix aux municipales de 2020 et aux régionales de 2021. Ne plus être le diable, c’était fait ; devenir la bonne fée, avec photos de chats et pulls angora, elle pensait que ça raflerait la mise.
L’apparition du très réactionnaire Zemmour [voir Révolution communiste n° 48] l’a prise à contrepied et a fait de gros trous dans les doux lainages : perte de l’unique sénateur, de 4 eurodéputés dont son porte-parole pour la présidentielle, de plusieurs conseillers régionaux et dernièrement, de sa nièce Maréchal-nous-voilà passe chez Zemmour, au titre du regroupement familial pour l’après défaite de tata et de tonton. Enfin, son financeur préféré, Vladimir Poutine, auquel elle a souvent manifesté son admiration et qui l’a reçue pendant la campagne présidentielle précédente, déclenche une guerre contre l’Ukraine.
Mais Le Pen est une politicienne aguerrie. Elle troque vite le chandail pour le vieux cuir tanné et déclare son accord avec l’accueil des réfugiés ukrainiens, qui pour elle ont le mérite d’être plutôt blonds, plutôt peu nombreux, plutôt peu enclins à rester en France. Elle épouse le sentiment largement partagé, quand Zemmour « assume » être « le seul candidat à ne pas vouloir accueillir de réfugiés » (RTL, 28 février 2022). Les défections ? Elles prouvent que tous veulent l’abattre parce qu’elle est la seule possible adversaire de second tour contre Macron. Les retournements de veste sur l’euro, le retour au franc, Schengen, la binationalité ? Autant de preuves qu’elle est prête à gouverner. Elle abandonne sa fausse prétention à garantir la retraite à 60 ans ? Les autres annoncent 65, vous voyez bien que madame est plus gentille… Elle respire à fond les vapeurs d’essence pour affirmer qu’elle baissera la TVA de 20 % à 5,5 % sur les carburants, le fioul, le gaz et l’électricité.
Zemmour décroche, Pécresse ne décolle pas. Le Pen redevient le « vote utile à droite pour battre Macron ». Elle atteint les 20 % d’intentions de vote au premier tour dans les derniers sondages.
La réaction sur toute la ligne
Feuilleter (avec des gants en plastique et une pince sur le nez, bien-sûr) le fascicule qui vomit les 22 chapitres du « programme » de Le Pen n’apporte aucune surprise. C’est l’habituel déversement de haine anti-immigrés, de nationalisme chauvin, de rhétorique sécuritaire.
1 Arrêter l’immigration incontrôlée en donnant la parole aux Français par référendum : Mettre fin à l’immigration de peuplement et au regroupement familial. Traiter les demandes de droit d’asile uniquement à l’étranger. Réserver les aides sociales aux Français, et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité. Assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi. Supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France. Expulser systématiquement les clandestins, délinquants et criminels étrangers. Supprimer le droit du sol et limiter l’accès à la nationalité à la seule naturalisation sur des critères de mérite et d’assimilation.
2 Éradiquer les idéologies islamistes et l’ensemble de leurs réseaux du territoire national.
3 Faire de la sécurité partout et pour tous une priorité du quinquennat : Rétablir les peines planchers pour que tout criminel et délinquant aient une sanction. Supprimer toute possibilité de réduction et d’aménagements de peine, en particulier pour les violences contre les personnes. Instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre. Accélérer les procédures judiciaires en engageant le doublement du nombre de magistrats. Inscrire au fichier des délinquants sexuels les harceleurs de rue. Atteindre 85 000 places de prison en 2027. Établir une perpétuité réelle.
Par respect pour nos lecteurs, nous nous en tiendrons aux trois premières rubriques, mais il serait dommage d’omettre la politique nataliste pro bébés français (point 8), l’uniforme à l’école primaire et au collège (point 15), le budget de la défense porté à 55 milliards d’euros par an (point 20).
Comment le RN peut-il séduire dans la population laborieuse ?
Contrairement à ce que la presse assène à longueur de temps, le socle du vote RN est fait de petits commerçants et artisans, de flics et militaires ; il est plus rural qu’urbain. Il est cependant indéniable qu’il capte aussi les voix d’une partie des jeunes issus des couches populaires, des ouvriers et des employés qui ne s’abstiendront pas.
La responsabilité en revient entièrement aux syndicats, partis et organisations dont s’est doté le prolétariat au cours de son histoire, qui ont accumulé les trahisons des intérêts ouvriers, qui se montrent totalement incapables d’organiser la riposte victorieuse contre les menées du capital et de ses gouvernements. De leur part, pas de guerre aux licenciements, aux bas salaires : jamais ils n’appellent à bloquer tout le groupe quand un site est menacé de fermeture, jamais ils ne refusent de discuter les contreréformes que leurs journées d’action laissent ensuite passer.
Quand des centaines de milliers d’hommes et de femmes sont à la rue, ils se gardent bien de mobiliser pour occuper les logements vides, respectueux toujours de la propriété privée. S’ils avancent une hausse (mesurée…) du smic, elle ne s’accompagne jamais de la seule mesure pour la garantir : l’échelle mobile des salaires, c’est à dire l’indexation des salaires sur la hausse des prix. Ils sont soucieux des finances des « entreprises », voyez-vous, car ils ont fait depuis longtemps allégeance à la bourgeoisie française. Ils défendent le capitalisme français en prêchant que c’est notre bateau commun, alors que les besoins du prolétariat et ceux de la classe exploiteuse sont irrémédiablement opposés. Ainsi ouvrent-ils un espace pour que soient protégés les exploiteurs bien propres sur eux et désignés comme fauteurs de chômage ou de vie chère, une autre partie des exploités, immigrés ou natifs survivant avec des minima sociaux.
Voilà comment le RN a pu cultiver « la préférence nationale », comment il peut travestir en « mesures sociales » la privatisation de l’audiovisuel public (point 6) « pour supprimer les 138 euros de redevance » ; l’augmentation du smic avec exonération « de cotisations patronales » (point 5) ; titrer sur le soutien à la santé (point 14) et à l’école (point 15) en « supprimant les postes administratifs dans les hôpitaux » et « la bureaucratie de l’Éducation nationale » ; feindre de se soucier du droit au logement (point 17) en créant « un fonds de garantie des loyers pour protéger les propriétaires »…
Le RN est un parti bourgeois, de nature fascisante, ennemi de tous les prolétaires, qui le montre par son absence de toutes les batailles menées par la classe laborieuse, de toutes les manifestations dénonçant les violences de l’État bourgeois contre les opprimés. Dans les urnes, pas une seule voix pour la M, mais surtout dans les quartiers, les lieux de travail et d’études, dans la rue, il faut dénoncer et combattre le RN.