Le 15 février à Rennes
Avec succès à Rennes, puisqu’il a attiré une centaine de personnes, dont nombre de jeunes qui cherchent une voie révolutionnaire. Même si le CCR-RP est incapable de réunir les parrainages requis par la loi électorale pour avoir vraiment un candidat, cela illustre une fois de plus la possibilité qu’offre l’élection présidentielle, une brèche qu’avait ouverte la LC (l’ancêtre du NPA) en 1969, plus tard imitée par LO.
La première partie donne lieu à des témoignages : une étudiante féministe du sud-ouest licenciée par une entreprise du commerce, un syndicaliste de l’industrie agroalimentaire de l’est, la sœur d’un jeune sénégalais tué par la police de Rennes qui met en cause le racisme d’État…
Kazib prétend être le seul candidat à révéler que l’élection présidentielle « ne règlera rien », alors que, depuis plus d’un demi-siècle, Krivine (LC-LCR), Laguiller (LO), Besancenot (LCR), Arthaud (LO) et Poutou (NPA) disent cela.
Il soutient que sa candidature fait « trembler l’État » parce qu’il est travailleur et arabe. Mais Poutou, le candidat du NPA, est ouvrier et licencié ; Arthaud, la candidate de LO, est non seulement salariée mais une femme.
La campagne du CCR-RP serait, dit-il, « la seule à témoigner de la vie des exploités et des opprimés ». Ce boniment fait peut-être mouche auprès des novices, mais ne trompe pas ceux qui sont déjà allés voir ailleurs. Ceux-ci savent que le PCF, LFI, le NPA et LO, lors de leurs meetings et fêtes, donnent souvent la parole à des victimes de l’oppression et à des dirigeants de luttes sociales.
Le problème posé à l’avant-garde des travailleurs est pourtant le suivant : quel programme et quel parti faut-il à la classe ouvrière pour s’émanciper, renverser le capitalisme, construire le socialisme ?
Un « bloc de résistance » ?
Kazib choisit de ne pas parler de la situation mondiale, il n’a pas un mot sur le Mali ou l’Ukraine. Il ne tente même pas d’analyser sérieusement la situation française. De ce point de vue, ses discours sont bien inférieurs à ceux de Poutou ou d’Arthaud.
Kazib dénonce Macron (ce que font tous les autres candidats, y compris bourgeois), les patrons (ce que font tous les candidats du mouvement ouvrier), la police (ce que fait aussi le NPA). Par contre, Kazib ne parle jamais de ses buts.
Or le but final du socialisme est le seul élément décisif distinguant le mouvement socialiste de la démocratie bourgeoise. (Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ?, 1898)
Silence sur la nécessité du pouvoir des travailleurs, de la dictature du prolétariat, du socialisme-communisme. Tout au plus, Kazib se contente d’évoquer un vague « bloc de résistance », sans jamais expliquer quelles classes ou organisations en feraient partie. Ni lui, ni aucun de ceux qui l’ont précédé au micro n’explique que seule la classe ouvrière, en prenant la tête des opprimés, en s’émancipant de l’exploitation capitaliste, peut faire dépérir toutes les oppressions (patriarcat, racisme, homophobie…).
Kazib croit qu’être « subversif », c’est se contenter de dénoncer les oppressions, de présenter des luttes. Ce « trotskyste » célèbre le Front populaire, un « bloc » contrerévolutionnaire du PS-SFIO et du PCF avec le parti bourgeois PR qui a trahi la grève générale et la révolution en 1936. Il récidivera à Nantes quelques jours plus tard, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas d’un lapsus.
La politique conciliatrice des fronts populaires voue la classe ouvrière à l’impuissance et fraie la voie au fascisme. (Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, septembre 1938)
Le CCR-RP surenchérit sur le NPA et LFI dans l’éloge, sans la moindre réserve, du mouvement confus des Gilets jaunes. Il s’agissait d’un « bloc » à base prolétarienne sous hégémonie de petits patrons et de travailleurs indépendants, sous la forme de chefs non élus et incontrôlables. D’où les drapeaux tricolores et la relégation de revendications sociales. À Calais, le 20 novembre 2018, certains avaient même remis des migrants à la gendarmerie.
Kazib n’ose pas dire à la salle, qui porte unanimement le masque de manière responsable, que le CCR-RP, comme le NPA, LO et LFI, soutient aussi la « mobilisation » des complotistes et des obscurantistes, dirigée par des fascistes, pour « la liberté » de contaminer.
Curieux exemple de « bloc de résistance » qui s’étend aux manifestations du samedi de Philippot, voire au « convoi de la liberté » inspiré par les partis xénophobes, les fondamentalistes chrétiens et les groupes fascistes du Canada.
Les gens qui occupent le centre-ville de la capitale fédérale appartiennent à différents groupes, allant de franges de l’extrême droite au fondamentalisme religieux. Toutes sortes de petits groupes à tendance sectaire nourris par la pensée complotiste. (Martin Geoffroy, Radio-Canada, 9 février)
En Italie, une manifestation des antivaccins a abouti à une attaque du siège national de la principale confédération syndicale, la CGIL.
Samedi après-midi, à cinq heures et demie, le siège national de la CGIL a été pris d’assaut par un groupe de manifestants antivaccin qui ont enfoncé la porte d’entrée et saccagé l’intérieur des locaux. (Corriere della Sera, 10 octobre)
Tous les ennemis de Macron (de Draghi, de Trudeau, etc.) ne sont pas nos amis. LFI, LO, le NPA, le CCR-RP… n’ont rien appris de l’expérience historique des mouvements bonapartistes, fascistes et islamistes.
La subversion communiste est aux antipodes des réactionnaires antipasse et antivaccins. Elle est bien plus que l’addition des misères et des « luttes » chère au NPA et au CCR-RP. Préparer le renversement de l’ordre existant impose de dire qui peut l’accomplir (la classe ouvrière), comment (par la destruction de l’État bourgeois et par la transition au socialisme mondial).
Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. (Marx, Manifeste du parti communiste, 1847)
La critique socialiste a suffisamment flagellé l’ordre bourgeois. La tâche du parti communiste international est de renverser cet ordre de choses et d’édifier à sa place le régime socialiste. (Trotsky, Manifeste de l’Internationale communiste, 1919)
Contourner les appareils syndicaux ?
Kazib condamne les « grève perlées » de 2018 à la SNCF, mais ne dit pas comment lui-même, responsable syndical à SUD-Rail, s’y est opposé. D’ailleurs, le CCR-RP ne se prononce pas clairement pour la grève générale pour bloquer les attaques gouvernementales contre tout un secteur ou contre toute la classe ouvrière, pour infliger une défaite à l’État bourgeois, pour affirmer le rôle central de la classe ouvrière.
Mais pourquoi donc craint-il alors de prononcer tout haut le mot de grève générale et parle-t-il de grève tout court ? (Trotsky, Encore une fois, où va la France ?, mars 1935)
Un militant communiste révolutionnaire de Rennes est intervenu pour expliquer que les bureaucraties syndicales complétaient leur acceptation et leur discussion des attaques gouvernementales par des « journées d’action » impuissantes, pour affirmer qu’il fallait combattre cette orientation dans les syndicats, les assemblées générales et les comités de grève élus. La réponse de Kazib a été aussi évasive que celles de Poutou et d’Arthaud, quand on les interpelle sur leur refus de combattre les fausses négociations et leur soutien aux prétendues journées d’action décrétés par les directions syndicales.
Comme Poutou et Arthaud, Kazib reconnait du bout des lèvres que les bureaucrates trahissent, mais il ne donne aucune preuve de combat organisé contre les directions de collaboration de classe de la CGT ou de SUD. Il se vante d’avoir poussé en 2020 à des « grèves reconductibles » à la SNCF site par site (comme LO, le NPA et l’UCL) et d’avoir occupé le siège de la CFDT (ce qui n’a pas dû trop gêner Martinez et compagnie).
Kazib ne se présente jamais comme communiste, il préfère « gauchiste », comme le faisait LO à ses débuts. Comme plusieurs autres candidats réformistes ou semi-réformistes (ceux que Lénine et Trotsky appellent centristes), Kazib préfère dire « mes amis » que « camarades », « néolibéralisme » que « capitalisme », « monde du travail » que « classe ouvrière », « la gauche » et « la droite » que « mouvement ouvrier » et « partis bourgeois », etc.
À la fin du meeting, il fait chanter non pas L’Internationale, un chant créé à la gloire de l’AIT (la 1re Internationale), mais On est là, un hymne étroitement français partagé par les Gilets jaunes aux drapeaux tricolores et par la bureaucratie social-patriote de la CGT.
On est là, on est là ! Même si Macron ne le veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur ! Même si Macron ne le veut pas, nous on est là !
Ce n’est qu’un chant, mais le choix est illustratif de sa ligne, pas différente sur le fond de celle du NPA et de LO : tenter de concilier un radicalisme verbal avec une pratique opportuniste : l’addition des luttes, le refus d’affronter les bureaucraties syndicales corrompues de la CGT, de la FSU et de SUD.
Le 19 février à Nantes
À Nantes, il y a 50 personnes dont plusieurs militants d’autres organisations (GMI, NPA, LO) et une dizaine du CCR-RP (la plupart venus de la région parisienne). L’un d’entre eux prétend même interdire la vente de Révolution communiste à l’extérieur de la salle. Le meeting commence par le témoignage de l’étudiante toulousaine (la même qu’à Rennes) et d’une professeure du CCR-RP de Nantes. Il s’achève sans hymne.
Silence sur l’internationale et le parti
Dans son discours, Kazib affirme à plusieurs reprises, à Rennes comme à Nantes, « il faut s’organiser » mais il ne dit jamais en quoi cela consiste, à part aller chercher 500 parrainages d’élus (un défi difficilement surmontable pour un groupe de la taille du CCR-RP).
Une militante communiste révolutionnaire de Nantes prend la parole pour dire qu’il ne faut pas se contenter de glorifier les « luttes des 5 dernières années » mais comprendre pourquoi tant ont échoué. Elle explique qu’il faut aider les futures à ce qu’elles soient victorieuses en construisant un parti ouvrier révolutionnaire, dans le cadre d’une internationale ouvrière révolutionnaire. Elle précise que cela ne peut être mené à bien que contre les directions traitres (partis sociaux-impérialistes, bureaucraties syndicales).
Kazib répond qu’il s’agit d’une perspective, très, très lointaine. Pour l’instant, il faut une nouvelle organisation révolutionnaire à cause du bilan critique de « l’extrême-gauche depuis 5 ans ». En attendant un hypothétique parti, reste le « bloc de résistance » (dont personne ne sait où il commence et où il s’arrête).
La crise de direction dont souffre la classe ouvrière dans le monde entier, qui l’affaiblit et la divise, qui lui coute défaite sur défaite ne se borne pas à la France et ne date pas de 5 ans. Les trahisons proviennent de la dégénérescence de la 2e Internationale (IO) qui s’est manifesté en 1914 par le soutien à la première guerre mondiale de la plupart des partis sociaux-démocrates, socialistes et travaillistes. Elle vient de la stalinisation de la 3e Internationale (IC) qui s’est traduite par la division des rangs ouvriers en Allemagne qui a permis la prise du pouvoir par Hitler en 1933 puis par la capitulation des partis « communistes » devant les partis bourgeois dits démocratiques (sous le nom de « front populaire ») en 1935, au nom de la lutte contre le fascisme.
La crise de direction du prolétariat n’a pu être résolue par la 4e Internationale fondée en 1938 car sa direction d’après-guerre (Pablo, Mandel, Frank…), en s’adaptant au stalinisme (Tito, Mao…) et au nationalisme bourgeois (Perón, Nasser, Nkrumah, Ben Bella…), a révisé de 1949 à 1951 le programme : réforme des États ouvriers bureaucratisés, régression dans le front uni antiimpérialiste avec la bourgeoisie dans les pays dominés.
Comment lutter contre le fascisme ?
Pas plus que Poutou ou Arthaud, Kazib n’avance la nécessité de l’autodéfense contre la police et les fascistes.
Par conséquent, un militant communiste révolutionnaire de Nantes intervient pour rappeler la nécessité de l’autodéfense ouvrière contre la police et les groupes fascistes (que Kazib nomme confusément « extrême-droite ») et pour rappeler qu’elle doit être l’œuvre non seulement du meeting du CCR-RP à la Sorbonne mais de l’ensemble du mouvement ouvrier. Il faut, cela s’appelle le front unique ouvrier, appeler toutes les organisations ouvrières de masse à se défendre contre l’État bourgeois et les nervis actifs dans les mouvements réactionnaires antivaccins.
Kazib a répondu que personne ne voulait le faire (la preuve, « Poutou ne m’a même pas twitté quand j’ai été menacé »). Comme si le front unique ouvrier pouvait se forger et la milice ouvrière pouvait surgir sans un combat acharné des communistes s’appuyant sur les besoins de l’ensemble de la classe ouvrière !
Un parti communiste s’adresse non seulement aux masses, mais aussi aux organisations dont la direction est reconnue par les masses ; il confronte, aux yeux des masses, les organisations réformistes avec les tâches réelles de la lutte des classes. (Trotsky, La Révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, 27 janvier 1932)
Les travailleurs conscients doivent forcer leurs chefs soit à passer immédiatement à la création de la milice du peuple, soit à céder la place à des forces plus jeunes et plus fraiches. (Trotsky, La Milice du peuple, objections et réponses, 2 novembre 1934)
Un vieux courant opportuniste
Kazib présente RP comme une « jeune organisation ». Sous cette étiquette, c’est vrai, puisqu’elle est née du départ en 2021 du NPA. Le CCR a scissionné non sur une question de programme, mais sur une tactique secondaire (qui présenter à l’élection présidentielle de 2022 ?). Un résultat de la scission est que ni l’un (Poutou), ni l’autre (Kazib) ne pourra sans doute être candidat. Kazib se plaint à chaque meeting que Poutou ne soit pas son « followeur ». Si c’est important pour l’amour-propre d’un ancien participant des Grandes gueules, quelle importance cela présente-t-il pour le prolétariat ?
Et RP est l’avatar français d’un très vieux courant, le morénisme, qui a révisé le programme de la 4e Internationale en 1951. Il intervient en France, sous d’autres noms, depuis un quart de siècle.
Nahuel Moreno était à la tête d’un groupe argentin (GOR), qui a abandonné de fait la stratégie de la révolution permanente au profit d’un « bloc » avec sa bourgeoisie nationaliste, jusqu’à adhérer en 1956 au mouvement bourgeois du colonel Perón, tout en plaçant très haut Mao Zedong. Lui-même et ses partisans d’Amérique latine se sont ralliés avec enthousiasme à Castro en 1961. Moreno a alors créé un parti castriste. Ce PRT s’est divisé en deux, une aile gauchiste qui a pratiqué la guérilla (PRT) avec le soutien de la LCR française, une aile opportuniste dirigée par Moreno (MAS).
À la mort de Moreno, en 1987, le parti centriste a éclaté, ainsi que son regroupement international (LITQI). La principale faction qui en a émergé, dirigée par Christian Castillo (qui ne s’était jamais opposé à l’opportunisme de Moreno de son vivant), a constitué le PTS. Certes, Castillo a fait un pas en avant en questionnant l’héritage de Moreno. Mais il a critiqué seulement sa dernière période, quand il remettait ouvertement en cause la révolution permanente. À sa fondation, en 1988, le PTS restait sur le terrain du front uni antiimpérialiste, comme son courant international (FTQI) dont Kazib ne parle pas dans les meetings, pas plus qu’Arthaud ne parle de l’UCI des franchises de LO ni Poutou de sa prétendue Quatrième internationale. Le PTS a lui-même connu des scissions sur sa gauche (LOI, PCO).
En effet, l’expérience a rapidement montré que le PTS n’était pas dégagé de l’opportunisme. La FTQI (qui se réclame vaguement de la feue la 4e Internationale) et son noyau français furent, au début des années 2000, avec la LCR et le PCF, parmi les adorateurs d’une sorte de front populaire international, le Forum social mondial des « antimondialistes » impulsé par une frange de l’Église catholique, le gouvernement brésilien et l’État cubain. C’est dans ce cadre que Tsipras (Syriza) et Iglesias (Podemos) ont été formés.
En 2001, en pleine crise révolutionnaire dans un pays de démocratie bourgeoise (d’ailleurs le PTS a des députés), Castillo a avancé la perspective, totalement réformiste, d’une assemblée constituante, comme Boric (PCC) au Chili en 2019 pour sauver l’État bourgeois et comme Mélenchon (LFI) aujourd’hui en France.
Il ne s’agissait pas d’un mot d’ordre couronnant le front unique ouvrier, puisque Castillo voulait constituer pour l’assemblée constituante un « bloc » de type front populaire comprenant tous « les partis politiques qui se revendiquent de la démocratie », intégrant des partis bourgeois (non fascistes, bien sûr).
Bref, la scission CCR-RP du NPA ne représente nullement un « dépassement de l’extrême-gauche », mais l’ajout d’une confusion supplémentaire au centrisme français aux multiples facettes. Il faudra l’intervention des communistes-révolutionnaires pour dégager les éléments révolutionnaires de ce marais et pour édifier un parti ouvrier révolutionnaire sur la base des programmes de la Ligue des communistes, de l’Internationale communiste et de la 4e Internationale.
Suivant son mentor le PTS qui se contente des réseaux sociaux et d’un site, le CCR-RP ne publie pas de journal en papier. Néanmoins, plusieurs exemplaires de Révolution communiste ont été vendus à la sortie des deux meetings par des militants du Groupe marxiste internationaliste, la section française du Collectif révolution permanente créé à Buenos-Aires en 2002.