et qui étendra la révolution prolétarienne à toute l’Amérique
Cette révolution a fait exploser le M26J et le gouvernement d’alliance avec la bourgeoisie « démocratique » qui s’était opposé au dictateur Batista renversé par la guérilla rurale et la grève générale dans les villes en 1959. Elle a fini par exproprier les propriétés des moyens et grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie locale et internationale. Ces conquêtes ont été étouffées dans les frontières de Cuba par la bureaucratie stalinienne de l’URSS (et le PSP local), qui a aidé le parti de Fidel Castro à mettre en place une bureaucratie d’État pour gérer et parasiter l’économie planifiée et pour empêcher délibérément l’extension de la révolution hors de l’île.
Depuis 60 ans, cette bureaucratie est totalement indépendante des masses ouvrières et paysannes, qui n’ont jamais contrôlé l’État par le biais d’un système soviétique démocratique tel que celui inauguré par la révolution russe de 1917 et liquidé à la fin des années 1920 par le régime de Staline.
Au début, à l’époque de la Tricontinentale [organisation regroupant les forces anti-impérialistes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine] et de l’OLAS [Organisation latino-américaine de solidarité], Castro a fait pression sur l’impérialisme américain en soutenant la guérilla dans toute l’Amérique latine. Mais il s’est montré réticent à la grève générale de 1968 en France et hostile (comme Mao) à la révolution politique en Pologne et en Tchécoslovaquie. Castro a utilisé le prestige de la révolution cubaine et l’héroïsme de Guevara pour contribuer à empêcher la révolution prolétarienne au Chili en 1973 et au Nicaragua en 1979. Ainsi, la bureaucratie a conservé le pouvoir (et ses privilèges) tandis que l’État ouvrier est resté isolé et affaibli.
Suivant tardivement les traces de ses mentors soviétiques, la bureaucratie d’État cubaine cherche depuis des décennies sa propre reconversion : de caste parasitaire, administratrice autocratique des grands acquis révolutionnaires, à bourgeoisie propriétaire des moyens de production, dans le cadre d’une économie de marché capitaliste.
Ce processus s’est accéléré ces dernières années et a été définitivement entériné par la nouvelle constitution de 2019, qui établit la propriété privée, le marché et les investissements étrangers comme les moyens indispensables à la croissance de l’économie du pays.
Sous l’étouffant blocus américain, la petite économie cubaine est passée de la monoculture de la canne à sucre et de la dépendance à l’URSS (pays qui absorbait 72 % des exportations en 1987) à la monoculture du tourisme (avec une régression à la prostitution de l’ère de Batista) et aux exportations de services (médecins, infirmières, enseignants) qui constituaient en 2017 respectivement 21,5 % et 78,4 % des exportations. Il convient de noter que le gros client de ces services est le Venezuela, qui ne paie pas en devises mais en pétrole, dont dépend, entre autres, 95 % de la production électrique de Cuba.
La crise mondiale de 2008-2013, l’effondrement de l’économie capitaliste dominée du Venezuela (également soumis à un implacable blocus américain) et maintenant la pandémie de COVID-19, ont fait s’écrouler les seules sources de revenus en devises de Cuba, multipliant la dette extérieure et les difficultés déjà sérieuses de règlement, qui s’éternisent depuis 2009. En effet, en juillet 2021, un énième accord de report de paiement de la dette internationale a été signé avec les créanciers du Club de Paris menés par l’Espagne. D’autre part, depuis 2016, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de Cuba (à égalité avec le Venezuela) et a montré un intérêt évident pour investir directement dans les entreprises capitalistes (spécifiquement dans la « zone spéciale de développement-ZED Mariel »), comme elle le fait massivement dans toute l’Amérique latine.
Tous les éléments d’une explosion sociale sont réunis à Cuba :
- une crise économique générale qui dure depuis plus d’une décennie ;
- l’aggravation des inégalités sociales en faveur de secteurs de la population (notamment l’armée) liés aux activités économiques privées en relation avec des capitaux étrangers (en 2019 environ 12 % de la population) ;
- une augmentation généralisée des prix des produits destinés à couvrir les besoins de base (nourriture, eau, énergie), en raison de la politique de réduction des subventions publiques, dans le cadre du processus de restauration capitaliste promu par le gouvernement ;
- des pénuries de nourriture et de médicaments, restrictions et coupures de courant ;
- la crise du logement, après des décennies d’abandon du logement public et d’absence d’aide à la réhabilitation du logement privé (qui constitue actuellement 88 % du parc) ;
- tout cela a été aggravé en juillet 2021 par la crête d’une vague/un pic d’infections au/de COVID-19, qui a mis le système de santé à rude épreuve et a entraîné une pénurie d’oxygène thérapeutique, de médicaments et de fournitures médicales aux pires moments.
Face à l’ampleur des manifestations, inattendues et sans précédent à Cuba, la réaction du président Miguel Días-Canel a été d’imputer tous les problèmes au blocus américain, de mobiliser sa propre bureaucratie pour contrer les manifestations massives, de réprimer avec une violence policière disproportionnée, de bloquer les communications internet, d’arrêter arbitrairement des centaines de personnes (dont des militants du PCC) et… de renforcer le processus légal de démantèlement de l’économie planifiée et d’ouverture à la privatisation.
Immédiatement, les mêmes gouvernements bourgeois qui entretiennent de lourds États policiers et répriment leurs masses (ou celles de leurs pays satellites) lorsqu’elles protestent contre leur propre misère, se sont précipités pour exprimer leur « solidarité » avec les manifestants cubains et leur « consternation » face à la répression. La bienveillance hypocrite avec les mobilisations, exprimée par Biden, Bolsonaro ou les dirigeants des pays de l’Union européenne est une tactique qui a le même objectif que la bureaucratie au pouvoir : convaincre les classes ouvrières cubaines et celles de toute l’Amérique que la seule solution à leurs problèmes est le retour au règne du capital, l’abandon des « vieux rêves socialistes », le renoncement définitif à un monde sans classes sociales, sans exploitation et sans oppression.
De leur côté, avec le même objectif de restauration, mais avec des méthodes différentes, les gouvernements impérialistes bourgeois de Chine et de Russie ont condamné les mobilisations, les accusant d’être les instruments de l’impérialisme américain, et appuyé le gouvernement cubain. Toutes deux utilisent Cuba comme moyen de confrontation inter-impérialiste, ce qui n’est pas négligeable, compte tenu de sa position stratégique au large des côtes américaines.
Par ailleurs, les directions traditionnelles de la classe ouvrière se sont ralliées à un camp de la réaction ou à un autre. Les partis travaillistes et sociaux-démocrates se sont rangés du côté de leur bourgeoisie. En raison de leurs anciens liens avec la défunte bureaucratie du Kremlin ou avec l’actuelle bureaucratie de La Havane, partout dans le monde, les partis « communistes » survivants et la plupart des organisations révisionnistes du trotskysme se sont alignés inconditionnellement sur le gouvernement cubain, qu’ils présentent frauduleusement comme le dépositaire honnête des acquis de la révolution de 1959, qualifiant son régime bureaucratique de « socialiste ».
La nouvelle période de luttes de classe que les manifestations du 20 juillet 2021 ont ouvert sera donc complexe, avec l’intervention directe de forces politiques étrangères dont les intérêts sont totalement contraires à ceux de la classe ouvrière et des masses laborieuses cubaines. Celles-ci ne peuvent atteindre leurs objectifs qu’en défendant les anciens acquis révolutionnaires, en renversant le gouvernement restaurationniste et sa caste bureaucratique, en organisant un État révolutionnaire basé sur des conseils ouvriers et paysans démocratiquement élus et révocables à tout moment, en luttant pour étendre la révolution à l’ensemble de l’Amérique.