Le service national universel de Macron
Pour compenser la suppression du service militaire par Chirac en 1997, l’armée s’efforce de contrôler la jeunesse par les biais de plusieurs dispositifs :
- la commission armées-jeunesse,
- les lycées militaires (4 500 élèves),
- le service militaire adapté (6 000 jeunes d’outre-mer),
- les établissements publics d’insertion dans l’emploi (3 000 décrocheurs de 18 à 25 ans),
- le service militaire volontaire (5 000 jeunes de 18 à 25 ans),
- le service national universel (18 000 jeunes de 15 à 17 ans)…
Le premier dispositif bénéficie de l’aide des appareils des organisations de jeunesse et des syndicats puisque la JOC, les Francas, l’UNEF, la CFDT, la CGT, FO, la FSU, l’UNSA, la CFTC…collaborent avec l’armée dans cette commission.
Le dernier, le plus récent, faisait partie du programme du candidat Macron en 2017. Le service national universel a été préparé par un groupe de travail dirigé par le général Ménaouine en 2018 et un rapport préparatoire en commun de députés Les Républicains (LR) et La République en marche (LREM) en 2018. Il est officialisé par un décret du conseil des ministres du 29 juillet 2020.
Rapporteure de la mission d’information sur le service national universel en 2018, j’ai l’intégration républicaine, le lien entre l’armée et la nation, et l’engagement citoyen chevillés au corps. Je tiens donc à saluer cette concrétisation importante de l’une des priorités du Président de la République. Je me réjouis que le service national universel (SNU) puisse cette année se déployer dans l’ensemble du territoire. (Émilie Guerel, LREM, Bulletin officiel, 22 juin, p. 6561)
En réponse, la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement se vante de l’embrigadement d’adolescents de 15 à 17 ans.
Nous avons effectivement accueilli plus de 18 000 jeunes sur 143 sites situés dans tous les départements de France… Des jeunes de quinze à dix-sept ans lèvent le drapeau, chantent « la Marseillaise ». (Sarah El Haïry, p. 6562)
Le SNU est financé en partie par l’éducation nationale mais est sous la supervision de l’armée.
La campagne de recrutement des volontaires au service national universel (SNU) pour l’année 2020 a débuté lundi 3 février. Pour marquer ce lancement, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, et Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la Jeunesse, se sont rencontrés à l’école polytechnique de Palaiseau. Le général de corps d’armée Daniel Ménaouine, directeur du service national et de la jeunesse (DSNJ), était à leurs côtés pour les accompagner tout au long de cette journée. (Ministère des armées, 7 février 2020)
150 encadrants sélectionnés par l’État (anciens militaires d’active, militaires de réserve, éducateurs, professeurs…) ont été formés à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr.
Les partis « réformistes » et le fardeau du militarisme
Le 22 juin, les députés ont débattu du budget de l’armée. Apparemment, il s’agissait d’un « exercice de pure forme », puisque le gouvernement n’avait pas déposé de projet de loi mais une « simple déclaration d’intérêt général » (Le Monde, 24 juin). Pendant ce temps, la loi de programmation militaire (LPM) de 2019-2025, soit 300 milliards d’euros sur 6 ans, s’applique. Le budget de la défense augmente pour 2021 de 1,7 milliard d’euros (+4,5 % par rapport à 2020) pour atteindre 39,21 milliards, ce qui le classe parmi les 10 plus gros du monde (vers la 6e place, alors que sa population est la 22e du monde). Des publicités couteuses servent à recruter, par contraste avec le sort de la santé et de l’enseignement publics. En pleine pandémie, il n’y a pas assez d’argent pour recruter à l’hôpital public mais « l’armée est le premier recruteur de l’État » (Jean Castex, Bulletin officiel, 23 juin 2021, p. 6850).
Le débat parlementaire n’en est pas moins instructif car le fardeau du militarisme, que la classe ouvrière supporte largement, finance une institution au service de la classe dominante, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Le militarisme moderne est inconcevable sans une politique fiscale qui, par le système des impôts indirects, s’entend à extorquer à la masse du peuple les ressources nécessaires. (Rosa Luxemburg, « La crise socialiste en France », 1900, Œuvres, Agone-Smolny, t. 3, 2013, p. 151)
Les contradictions internes au capitalisme et au militarisme se réfractent au sein des manageurs et des principaux actionnaires des entreprises d’armements, de la hiérarchie militaire et des écoles supérieures militaires, des hauts fonctionnaires et des représentations politiques de la classe dominante. Les partis politiques bourgeois ne remettent jamais en cause l’armée bourgeoise. Les problèmes qui opposent LREM, LR, RN, EELV, MoDem, UDI, DLF, UPR… et qui les traversent portent sur la désignation des adversaires et le choix des alliés, la proportion de la richesse nationale à lui affecter, le choix entre armée professionnelle et conscription, la répartition de la manne entre les types d’armements et parmi les différents corps de l’armée… Cela explique que les députés LR se soient abstenus le 22 juin sur le texte soumis par le gouvernement.
Je n’ai aucune gêne à saluer le redressement engagé : de 2017 à 2021, le budget de la mission « Défense » aura progressé de 7 milliards d’euros. Depuis trois ans, les lois de finance initiales respectent strictement la LPM, avec un budget qui est passé de 35,9 à 39,2 milliards… Les sénateurs évaluent à 8,6 milliards l’ensemble des surcouts d’ici à 2025… Nous avons raté le tournant des drones. Les moyens accordés à l’espace sont-ils à la hauteur des défis du moment ? Si le porte-avion est assurément un outil diplomatique, sur le plan militaire n’est-il pas discutable ? Je n’ai pas la prétention de détenir les réponses à ces questions. (François Cornu-Gentille, LR, Bulletin officiel, 23 juin 2021, p. 6587)
Malheureusement, les partis « réformistes » (PS, PCF, LFI, Générations…) ne se distinguent guère des partis de la classe dominante.
Un consensus sur la défense nationale, sur la stratégie collective devrait être possible. (David Habib, Parti socialiste, p. 6589)
Il faut saluer l’engagement d’atteindre un seuil de dépenses destinées à la défense de 2 % du PIB. (Isabelle Santiago, PS, p. 6583)
Il fallait une loi d’actualisation de la LPM, vous l’avez refusée… Une planification efficace est nécessaire et nous avons l’outil : le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale… L’impératif d’indépendance militaire et stratégique de la France… (Bastien Lachaud, La France insoumise, p. 6582, p. 6594)
La loi de programmation militaire est la colonne vertébrale du budget de donc de l’action de l’armée, mais cette loi manque sa cible car améliorer les conditions de vie et de travail de nos soldats ne peut se faire à moitié… Je suis dubitatif sur le fait que la loi de programmation militaire permette de rattraper, à la hauteur des besoins, les retards pris depuis plusieurs décennies. (Jean-Paul Lecoq, Parti communiste français, p. 6584, p. 6585)
Les partis ouvriers dégénérés ne remettent pas en cause l’armée bourgeoise, parce qu’ils défendent le capitalisme français et son État, dont l’armée est un pilier. Par conséquent, le PS, le PCF et LFI avaient soutenu le principe de la loi de programmation [voir Révolution communiste n° 42, novembre 2020] et ils n’ont vu dans la pétition d’avril des généraux en retraite que les manigances de quelques « factieux » au sein d’une « armée républicaine » [voir Révolution communiste n° 45, juin 2021].
En outre, bien des dépenses militaires ne figurent pas au budget de la défense » :
- les retraites versés aux 600 000 anciens combattants,
- les fonds spéciaux du premier ministre pour les services d’espionnage (DGSE),
- les subventions aux entreprises qui produisent partiellement ou totalement des armements (Airbus, Naval, Thales, Safran, Dassault, KNDS, MBDA, RTD…),
- des fonds publics qui vont à la recherche scientifique en matière d’espionnage et d’armes,
- la prise en charge par le budget de l’éducation nationale des frais du service national universel,
- le financement par les fonds de développement européen et les départements ou collectivités d’outre-mer du service militaire adapté,
- le paiement par le ministère du travail, le ministère de la cohésion territoriale et le fonds social européen des établissements publics d’insertion dans l’emploi,
- le surcout dans la construction des infrastructures et dans leur maintenance engendré par les exigences de l’armée…
Une autre technique pour masquer les dépenses militaires est en sommeil depuis 2019. Elle consistait à ponctionner chaque année les budgets civils pour assurer le financement des interventions militaires à l’étranger (OPEX) car leur cout (primes ISSE non imposables, carburant, entretien du matériel, munitions, alimentation…) dépassait chaque année le montant prévu au budget de « la défense ». Pourtant, lors du dernier débat parlementaire, deux partis regrettent cette filouterie antidémocratique.
La fin du financement interministériel des OPEX constituait une encoche sérieuse à la LPM. (François Cornu-Gentille, LR, p. 6587)
Nous refusons que les OPEX soient inscrites dans le budget sans plus satisfaire au principe de financement interministériel parce qu’un tel choix affecte aussi bien la préparation opérationnelle que la régénération des matériels. (Bastien Lachaud, LFI, p. 6583)
Aucun d’entre eux n’a condamné l’État français et son armée pour ses expéditions, comme sa participation à l’invasion et à l’occupation de l’Afghanistan (2001-2012) qui laisse un pays exsangue aux mains de la réaction islamiste.
Selon le premier ministre et les partis sociaux-patriotes, la France n’est pas impérialiste
Officiellement, le seul corps d’armée qui maintient l’ordre à l’intérieur est la gendarmerie. Dans les faits, le 28 septembre 2005, la marine et le GIGN (une branche de la gendarmerie créée officiellement contre le grand banditisme et le terrorisme) ont lancé conjointement 5 hélicoptères à l’assaut d’un bateau de la SNCM occupé par des grévistes du STC. L’armée s’entraine régulièrement sur le territoire national et les gouvernements habituent la population à la présence de militaires au nom de la lutte contre les orpailleurs en Guyane, contre l’épidémie alors que les hôpitaux publics sont étranglés, contre le terrorisme alimenté par les interventions militaires françaises (Sentinelle)…
D’un strict point de vue militaire, absolument rien ne s’oppose à l’abolition progressive des armées permanentes ; si malgré cela l’on conserve ces troupes, ce n’est pas pour des raisons militaires, mais politiques, en un mot, les armées ne doivent pas tant protéger contre un ennemi extérieur que contre l’ennemi intérieur. (Friedrich Engels, « L’Europe peut-elle désarmer ? », 28 mars 1893, Guerre mondiale et révolution, recueil inédit de Roger Dangeville, p. 106)
Lors du débat du 24 juin à l’assemblée nationale, tous les partis rendent hommage aux troupes qui mènent une guerre qui ne dit pas son nom dans le « pré carré » africain hérité du colonialisme.
J’aurai avant tout une pensée pour les six soldats engagés dans l’opération Barkhane qui ont été blessés hier. (Isabelle Santiago, PS, p. 6594)
Avant toute chose, je tiens à adresser mon soutien et tous mes vœux de rétablissement aux soldats de la force Barkhane blessés avant-hier. (Bastien Lachaud, LFI, p. 6582)
Lors de la déclaration du gouvernement, le premier ministre dénonce les « visées impérialistes ».
À la menace devenue trop récurrente du terrorisme, à la diffusion de l’obscurantisme qui utilise les moyens les plus modernes pour exploiter des failles de nos systèmes de sécurité, à l’émiettement de la violence sans frein qui en découle, s’est ajoutée la montée des appétits de certains pays en quête de puissance. Ces pays renouent avec des visées impérialistes que nous pensions oubliées. Ils se lancent à nouveau dans la course aux armements. (Jean Castex, p. 6578)
Il est interrompu par le chef de LFI : « Vous parlez des Etats-Unis ? » (Jean-Luc Mélenchon, p. 6578). Il est d’accord avec le gouvernement sur un point : l’impérialisme n’est jamais français. LFI et le PCF suivent une aile minoritaire de leur bourgeoisie, représentée par le RN et l’UPR qui veulent prendre leurs distances avec les Etats-Unis et se rapprocher d’autres puissances impérialistes (Russie, Chine), alors que le PS est aligné sur la fraction majoritaire de sa bourgeoisie représentée par LREM et LR qui veut garder son autonomie vis-à-vis des Etats-Unis tout en restant dans l’OTAN, au moins tant que l’Union européenne n’a pas d’armée propre.
Nous sommes confrontés à des actions belliqueuses, notamment de la Russie, de la Chine et de la Turquie. (David Habib, PS, p. 6589)
Quand le premier ministre vante « le renforcement de notre action dans le domaine spatial », un député du PCF approuve deux fois : « Très bien ! », « C’est bien ! » (Jean-Paul Lecoq, p. 6580).
Les partis sociaux-impérialistes s’appuient sur les confettis conservés de l’empire colonial pour demander plus de présence militaire française dans le monde.
Nous disposons du deuxième plus grand territoire maritime du monde et beaucoup de travail reste à faire pour le protéger. (Jean-Paul Lecoq, PCF, p. 6585)
Dans la zone indopacifique, nos effectifs et nos moyens ne sont pas suffisants. (Bastien Lachaud, LFI, p. 6583)
Les préoccupations des « réformistes » coïncident avec celles du chef de l’état-major.
Dessiner une voie médiane entre les Etats-Unis et la Chine nécessite d’abord d’être reconnu comme un acteur légitime, en particulier en Indopacifique. Cela a un cout considérable. (François Lecointre, Le Monde, 14 juillet 2021)
Jaurès appelé à la rescousse par LFI et compagnie
Pour masquer sa capitulation devant le militarisme français et sa propre bourgeoisie, la France insoumise évoque sa filiation avec Jean Jaurès, le dirigeant du PS-SFIO, orateur accompli et théoricien prolifique, assassiné à cause de son pacifisme en 1914.
Il est temps de remettre les citoyens au cœur de notre défense. Très grand républicain, Jean Jaurès fut un ardent combattant de la paix et un des grands penseurs de l’armée au XXe siècle ; 110 ans après sa publication, inspirons-nous de « L’Armée nouvelle ». (Bastien Lachaud, LFI, Bulletin officiel, 23 juin 2021, p. 6584)
LFI, fondée par un ancien ministre de la 5e république, ne fait que suivre les traces du PS et du PCF contre la lutte des classes et le marxisme.
Le 14 novembre 1910, Jaurès déposait une proposition de loi de réforme militaire précédée d’une très longue présentation. Elle fut publiée sous le titre « l’Armée nouvelle »… Face aux rivalités internationales et coloniales, Jaurès préconise une stratégie strictement défensive… Il projette « une organisation vraiment populaire de la défense nationale » par la création de puissantes réserves de « citoyens soldats », astreints à des périodes régulières d’exercice avec de nombreux cadres d’origine populaire… la « nation armée » dans le droit fil des armées révolutionnaires de 1793… Le prolétariat doit devenir le meilleur garant de la nation… Et Jaurès de conclure : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène ». (Jean-Paul Scot, « Les idées de Jaurès, si actuelles, ont résisté au siècle », L’Humanité, 12 décembre 2012)
Dans la continuité́ du chapitre 2 de « l’Armée nouvelle » de Jaurès, il convient d’améliorer l’interpénétration de « l’active » et de la « réserve » ; l’armée idéale selon Jaurès est en effet une armée républicaine qui fait corps avec la société́ dans sa diversité́. Tous y sont représentés et tous sont solidaires dans un effort de défense de la Nation grâce à un ciment complexe, mélange de croyance commune en un idéal démocratique et patriotique, et d’un vouloir vivre ensemble. (Hélène Conway-Mouret, « Priorités et défis pour la défense française et européenne », septembre 2021, site PS)
Certains adjoints de la bureaucratie de la CGT, sans aller aussi loin, entretiennent néanmoins la légende d’un Jaurès internationaliste et révolutionnaire.
Jaurès restait sur le terrain de la révolution sociale. (Paul Galois, « Il y a cent ans, Jaurès assassiné », Lutte ouvrière, 1 aout 2014)
Il s’est opposé farouchement à la montée du nationalisme… (Léna Pigalli, « Quand les politiciens de gauche s’approprient Jaurès », Lutte ouvrière, 1 aout 2014)
En réalité, l’aile droite du PS-SFIO berçait le prolétariat d’illusions envers le capitalisme, le parlement et les partis bourgeois républicains.
Le jauressisme, c’est l’opportunisme sur le terrain français. (Grigori Zinoviev, « La 2e Internationale et le problème de la guerre », octobre 1916, Lénine & Zinoviev, Contre le courant, BEDP, 1927, t. 2, p. 162)
À la veille de la première guerre mondiale, Jaurès prétendait que le capitalisme contemporain tendait à diminuer le risque de conflits armés. L’émergence des Etats-Unis comme puissance mondiale allait, selon lui, dans le même sens.
Il y a trois forces actives qui travaillent pour la paix. La première, c’est l’organisation internationale de la classe ouvrière dans tous les pays…. Il y a dans le monde, aujourd’hui, une autre force de paix, c’est le capitalisme le plus moderne…. Et il est une troisième force pacifique, c’est la renaissance de l’Amérique anglo-saxonne. (Jean Jaurès, « Discours à l’assemblée nationale », 20 novembre 1911, Club Mediapart, 11 novembre 2017)
Jaurès était nostalgique d’une époque révolue, de la révolution française de 1789-1794, quand la bourgeoisie était encore progressiste et quand la France inspirait le monde. Certes, le peuple, en particulier celui des villes qui avait pris les armes (les sans-culottes), poussa la bourgeoisie émergente plus loin qu’elle ne voulait aller, jusqu’à accorder le suffrage universel et à mettre sur pied une armée nouvelle, basée sur la conscription et le patriotisme pour faire face à la contrerévolution des monarchies voisines appuyées sur les chouanneries intérieures. Mais le prolétariat, encore embryonnaire, n’avait pas pu empêcher que les jeunes paysans et les travailleurs de villes servissent de chair à canon à la bourgeoisie française.
Lors de la révolution de 1789, de la révolution anglaise de 1648, du soulèvement des Pays-Bas contre l’Espagne, dans les villes le prolétariat et les autres catégories sociales n’appartenant pas à la bourgeoisie n’avaient pas des intérêts différents ou bien ne formaient pas encore de classes ou de fractions de classe ayant une évolution indépendante. Par conséquent, même quand elles s’opposaient à la bourgeoisie, comme par exemple de 1793 à 1794 en France, elles ne luttaient que pour faire triompher les intérêts de la bourgeoisie. Toute la Terreur en France ne fut rien d’autres qu’une méthode plébéienne d’en finir avec les ennemis de la bourgeoisie, l’absolutisme, le féodalisme… (Karl Marx & Friedrich Engels, « La bourgeoisie et la contrerévolution », décembre 1848, Sur la révolution française, Éditions sociales, 1985, p. 121)
En 1848, la 2e république s’était déjà retournée contre le prolétariat qui l’avait portée au pouvoir. En 1871, la 3e république naquit de l’écrasement de la Commune de Paris. Jaurès écrivit L’Armée nouvelle au moment où la bourgeoisie française, amputée de l’Alsace depuis la défaite de 1870-1871, s’était accommodée de la république et s’emparait d’une partie du monde à l’aide de l’armée.
La république est déterminée par ce qu’elle contient ; tant qu’elle est la forme de la domination bourgeoise, elle nous est tout aussi hostile que n’importe quelle monarchie. (Friedrich Engels, « Lettre à Paul Lafargue », 6 mars 1894, Engels & Marx, La 3e république, Éditions sociales, 1983, p. 323)
En fait, Jaurès était moins pacifiste que patriote. Il était partisan de la « guerre défensive » parce que la république française avait plus à perdre que l’empire allemand à un conflit inter-impérialiste.
Jaurès savait et sentait que sa patrie à lui, la France, était plus faible que l’Allemagne. Il comprenait bien que la France, plutôt que tout autre pays, aurait à « se défendre ». (Grigori Zinoviev, « La 2e Internationale et le problème de la guerre », octobre 1916, Lénine & Zinoviev, Contre le courant, BEDP, 1927, t. 2, p. 155)
Au sein de l’Internationale ouvrière, Luxemburg avait combattu l’opportunisme de Jaurès, ses concessions à la 3e république et à l’état-major lors de l’affaire Dreyfus (1894-1906), son soutien à la participation du « socialiste » Millerand, aux côtés du Parti radical, à un gouvernement bourgeois (1899-1902), son pacifisme et son patriotisme (1911).
Le leitmotiv de « L’Armée nouvelle » est la conception de la « nation armée » que Jaurès veut instaurer… Son projet de loi diffère de l’armée des milices de notre programme. Est frappante chez Jaurès la tendance à introduire le militarisme dans l’ensemble de la vie sociale. (Rosa Luxemburg, « Recension de L’Armée nouvelle », 9 juin 1911, Œuvres, Agone-Smolny, t. 3, 2013, p. 268)
Quand la guerre éclata, malgré les pronostics de Jaurès assassiné par ce qu’on appellera plus tard un fasciste, des organisations ou des noyaux internationalistes de partis ouvriers des pays belligérants résistèrent en s’appuyant sur le marxisme : les « étroits » du SSDP serbe, la fraction Spartakus du SPD allemand et d’autres noyaux de ce parti, les deux fractions du POSDR russe, les deux bouts du parti SDKP polonais et la gauche du PSP polonais… [voir Révolution communiste n° 11, mai 2015].
Rien de tel en France en 1914 puisque, pourri par le patriotisme partagé par son aile gauche (Guesde et Vaillant) et son aile droite (Brousse et Jaurès), le PS-SFIO succomba tout entier à la pression belliciste de sa bourgeoisie, à l’union sacrée, comme l’appareil anarchiste de la CGT [voir Révolution communiste n° 8, novembre 2014]. La première opposition à la guerre, passablement confuse, naitra en 1915 au sein de la CGT autour du journal La Vie ouvrière (Merrheim, Bourderon, Monatte, Rosmer…).
Pour la dissolution de l’armée de métier et pour l’armement du peuple
Le pacifisme entrave, le nationalisme empoisonne.
Tout parti désireux d’appartenir à la 3e Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s’agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements… ne peuvent préserver l’humanité des guerres impérialistes. (2e congrès de l’Internationale communiste, « Conditions d’adhésion », juillet 1920, Quatre premiers congrès de l’IC, Librairie du travail, 1934, p. 40)
Les travailleurs conscients doivent construire un nouveau parti ouvrier, révolutionnaire et internationaliste, dans le cadre d’une nouvelle internationale communiste, dont le programme comprendra la milice ouvrière et le remplacement de l’armée de métier par le peuple armé. Un tel parti se battra au sein des syndicats et des organisations de jeunesse pour leur rupture avec la hiérarchie militaire, le boycott de la commission armées-jeunesse. Il exigera de tous les partis et syndicats ouvriers de lutter pour la sortie de l’OTAN et de toute alliance impérialiste, pour le retrait des troupes françaises et pour la fermeture des bases dans le monde entier ; il hâtera ainsi l’unité des travailleurs et des peuples opprimés par l’impérialisme, en vue de son renversement. Il se prononcera contre les budgets faramineux, pour l’autodéfense des travailluers et des opprimés, pour le licenciement de l’armée professionnelle. Il entreprendra une activité au sein des jeunes du service militaire adapté, du service militaire volontaire, du service national universel, etc. ainsi que dans l’armée de métier en s’appuyant sur la proximité de ses nombreux techniciens avec la classe ouvrière.
Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d’exception, elle doit être menée illégalement ; s’y refuser serait une trahison à l’égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l’affiliation à la 3e Internationale. (ibidem, p. 39-40)