Les affaires avant tout
Le mercredi 19 mai, radios et télévisions s’étaient donné le mot, le mot du gouvernement s’entend, pour célébrer la réouverture des terrasses et des cinémas : la pandémie est derrière nous. Ou presque. Il est indéniable que les chiffres de la pandémie baissent depuis quelques semaines. Mais ils restent inquiétants. Une tribune signée de 23 médecins et chercheurs parue le 8 mai dans Le JDD indique :
Nous assistons à l’officialisation du passage d’une gestion active à une gestion passive de l’épidémie. Il s’agit là d’un pari audacieux, avec un seuil particulièrement élevé et ne répondant pas à des objectifs de contrôle. On rappelle que l’Allemagne place la barre du déconfinement à 100 cas, le Portugal à 120.
Il sera bien temps, si d’aventure la pandémie repartait, d’actionner des mesures de freinage au niveau local, assure le gouvernement. La prudence recommandée par les médecins et soignants qui se battent depuis plus d’un an est une nouvelle fois sacrifiée sur l’autel du capitalisme.
Des perspectives économiques incertaines
Car la musique que le gouvernement veut faire entendre tient au crédo simple, propres à tous les économistes bourgeois : les Français, tout à leur joie retrouvée, vont dépenser sans compter et la demande dopera la reprise économique. Or, si la demande solvable est une condition indispensable du fonctionnement du capitalisme, elle n’en est pas le moteur. C’est le taux de profit réalisé et attendu qui pousse à la production, aux investissements des entreprises, qui est l’élément majeur de toute croissance économique dans ce mode de production.
Le Commission européenne estime que le PIB de l’Union européenne devrait retrouver son niveau de 2019 à la fin 2021, après une chute de 6,6 % en 2020 suivie d’une baisse de 0,4 % au premier trimestre 2021 (Perspectives économiques, 12 mai). Mais tous n’avanceraient pas du même pas. Pour la France, après une baisse de 8,2 % en 2020, la prévision pour 2021 s’établit à 5,7 %, le rattrapage avec 2019 n’aurait lieu qu’au 1er trimestre 2022, plus tard encore pour l’Espagne et le Portugal et fin 2022 pour l’Italie.
Ces prévisions sont cependant fragiles. D’une part, la pandémie flambe encore en Inde et en Amérique latine et l’apparition de nouveaux variants encore plus virulents reste une menace pour l’humanité entière. D’autre part, si la croissance a rebondi dans de nombreux pays, par exemple en Chine dès le deuxième semestre 2020 ou aux États-Unis avec une hausse estimée à 6,4 % en rythme annualisé au 1er trimestre 2021, des signes d’une reprise de l’inflation l’accompagnent, comme ce bulletin l’avait envisagé (Révolution communiste n° 41, p. 18). Ainsi, aux États-Unis, l’inflation au 1er trimestre 2021 a été de 4,2 % en rythme annualisé, ce qui marque une accélération. En cause une forte augmentation des prix frappant les métaux nécessaires au passage aux véhicules électriques comme le cuivre, ou bien encore les semi-conducteurs, le pétrole, etc.
L’énormité de la création monétaire que toutes les banques centrales, et celle des États-Unis au premier chef, ont déversée par milliers de milliards pour maintenir la tête hors de l’eau aux capitalistes est potentiellement explosive. La dette publique de la France dépasse 2 650 milliards d’euros fin 2020. Les taux d’emprunt à 10 ans de l’État français pour financer son déficit budgétaire étaient négatifs, jusqu’à -0,38 % le 11 décembre dernier et même de -0,81 % le 2 avril 2021. Ils sont remontés à 0,287 % au 19 mai 2021. Si la tendance inflationniste devait se poursuivre, le noeud coulant de l’endettement pourrait se resserrer brutalement autour des États jugés les plus faibles par les prêteurs. Dans l’Union européenne, si la Grèce, l’Italie et l’Espagne sont les plus mal placées, la France avec plus de 117 % est loin derrière l’Allemagne dont l’endettement devrait se situer à 75 % de son PIB.
Pour le moment, la Banque centrale européenne refinance les déficits des États (en rachetant les titres de dette aux société financières qui les détiennent et qui désirent les céder contre des liquidités), mais l’inflation pourrait remettre en cause cette politique particulièrement accommodante dans une zone euro où la situation devient de plus en plus hétérogène.
Macron fait pourtant des moulinets. Le premier plan de relance de 100 milliards d’euros attend toujours le déblocage des fonds européens, mais le 30 avril, Macron annonce déjà un deuxième plan, afin que la croissance soit « plus vigoureuse » et ne diverge pas trop de celle des États-Unis. C’est que le capitalisme français est à la peine, malgré la sollicitude de ce gouvernement comme des précédents.
En 2020, le déficit de la balance commerciale s’est creusé de plus de 7 milliards d’euros, atteignant 65 milliards. L’excédent du solde de la balance des services s’est réduit de 13,5 milliards, pour s’établir à près de 8. Les exportations françaises de biens et services se sont contractées plus fortement que celles de l’ensemble zone euro (-19,3 % contre -13,2 %). La part de la France dans les exportations de la zone euro a baissé de 1 point entre 2019 et 2020 pour atteindre son plus bas niveau (13,5 %) depuis vingt ans. Cette baisse représente une perte d’exportations de 46 milliards d’euros. (Rexecode, La Compétitivité française en 2020, 2 mars)
Sa place comme impérialisme est chaque jour plus difficile en Afrique, malgré tous ses efforts guerriers comme diplomatiques. Le récent sommet Afrique réuni à Paris le 18 mai a surtout accouché d’un appel à la solidarité financière internationale, l’impérialisme français ayant de plus en plus de mal à financer les gouvernements des bourgeoisies compradores qui sont ses obligées, et a montré une nouvelle fois sa duplicité sur la question des vaccins dont l’Afrique manque cruellement. Macron était en effet contre la levée des brevets l’an dernier, puis il a été pour quand Biden s’est prononcé pour la levée partielle, puis il a trouvé que ce n’était pas une bonne idée quand Merkel s’y est opposée. Mais devant ses hôtes africains, la main sur le coeur, il a plaidé pour renforcer le transfert de doses vers le continent africain… En attendant, Pfizer et Moderna devraient respectivement engranger 26 milliards et 18 milliards de dollars pour leurs vaccins en 2021 !
Les dirigeants des syndicats continuent de désarmer la classe ouvrière
Selon la Dares, le nombre total de chômeurs s’établit à la fin du 1er trimestre 2021 à 6 012 600, en hausse de 4,7 % sur un an. L’attaque contre l’indemnisation des chômeurs, différée en 2020, va commencer à s’appliquer au 1er juillet. Diminuer les allocations chômage, c’est augmenter le taux de profit. Le gouvernement de la bourgeoisie garde le cap.
Pourtant, face au gouvernement, les directions syndicales émiettent la volonté de résistance des travailleurs : pour les hôpitaux publics, préavis de grève de la CGT du 30 avril au 6 mai, journée d’action de la CGT des services de réanimation le 11 mai, journée d’action de la CGT des techniciens de laboratoires le 18 mai, appel intersyndical à une nouvelle journée d’action le 15 juin…
Pour les travailleurs des fonderies du secteur automobile, à l’arrêt depuis plusieurs mois et menacées de fermeture les unes après les autres, les chefs syndicaux laissent chaque lutte isolée, site par site, conduisant au désespoir comme à la fonderie de Saint Claude où les travailleurs, après 52 jours de grève, menacent de tout faire sauter. Certes, la direction de la CGT a appelé les ouvriers des fonderies de Bretagne, de Saint-Claude et du Poitou à manifester ensemble le 20 mai. Mais où et pour quoi ? Pas devant l’Élysée ni devant Matignon pour l’interdiction de tous les licenciements, aucune suppression d’emploi, mais devant le site logistique de Renault à Villeroy… Le gouvernement n’est pas menacé de ce côté-là.
Des forces fascistes se rassemblent au grand jour
Le 21 avril, jour anniversaire du putsch des généraux à Alger, parait une tribune signée de 20 généraux et soutenue par 1 500 militaires, presque tous en retraite, qui menacent « d’une intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs constitutionnelles » pour protéger la France des dangers qui la mettraient en péril, « l’islamisme et les hordes de banlieue ». Elle est suivie le 9 mai d’une deuxième tribune, adressée à Macron, toujours dans Valeurs actuelles, cette fois à l’initiative de 2 000 militaires d’active, dit le journal qui préserve leur anonymat, et bientôt signée par 90 000 soutiens. Comme dans la première tribune, l’islamisme est au centre :
Afghanistan, Mali, Centrafrique ou ailleurs, un certain nombre d’entre nous ont connu le feu ennemi. Certains y ont laissé des camarades. Ils ont offert leur peau pour détruire l’islamisme auquel vous faites des concessions sur notre sol.
Les partis bourgeois disent partager le même constat que ces militaires, sans toutefois défendre l’option du coup d’État. L’ancien président PS minimise : « Quand il n’y a pas de signature, il n’y a pas de texte » (François Hollande, France inter, 10 mai) tandis que le ministre de l’économie sait faire la différence :
Nos jeunes de 20-22 ans… risquent leur vie ; eux ils se taisent, eux ils disent rien, eux ils ont les armes à la main et ils vont combattre les islamistes. C’est cette armée-là que j’aime et que je respecte, et certainement pas ces quelques poignées de militaires qui ont jugé bon, sous le couvert de l’anonymat, de reprendre la rhétorique de l’extrême droite. (Bruno Le Maire, France info, 10 mai)
Une position semblable à celle de Mélenchon qui appelait le 26 avril à ne pas « confondre une poignée de petits factieux avec l’armée républicaine ».
Partis bourgeois et partis réformistes ensemble avec la police
La défense de « l’armée républicaine » comme la défense de « la police républicaine » unit tous les bourgeois et tous les réformistes par-delà les étiquettes. Pour ces derniers, le fondement de l’État bourgeois doit être préservé.
C’est pourquoi le conseil des ministres du 28 avril examine un projet de loi augmentant encore leur pouvoir d’espionner la population. C’est pourquoi les députés LFI, PCF et PS estiment que le budget de l’armée est insuffisant, pourquoi le programme de LFI prévoit la création de 2 000 postes dans la police nationale.
La police justement se manifeste elle aussi, et même elle manifeste devant l’Assemblée nationale, par milliers, le 19 mai, à l’appel de toutes les organisations de policiers, dont la CFDT, la CGT, l’UNSA, FO… On cherche encore l’ombre du premier CRS, eux qui, d’habitude, sont massés nombreux pour en interdire les abords aux manifestations de travailleurs. Le ministre de l’intérieur Darmanin était là, avec LR, le RN, LREM, EELV, mais aussi Faure pour représenter dignement le PS ainsi que Roussel pour le PCF. Le PCF insiste lourdement pour défendre la police :
Il faut pouvoir garantir le droit à la sécurité à tous les citoyens qui souffrent le plus aujourd’hui d’insécurité, qui n’est pas un sentiment, qui est réel pour beaucoup trop de nos concitoyens… Ce sont ceux des quartiers populaires, les plus modestes, c’est la caissière du supermarché, c’est le chauffeur de bus, c’est l’infirmière qui travaille la nuit ou qui rentre au petit matin, c’est ceux qui ne supportent plus les rodéos qui les empêchent de vivre. C’est ces gens qui vivent dans des quartiers qui aujourd’hui sont oubliés par la République, ils sont oubliés par l’État. (Fabien Roussel BFM-TV, 11 mai)
LFI était tentée : « Dans l’absolu, compte tenu de ce que nous défendons pour la police, on y aurait notre place » (Adrien Quatennens, Public Sénat, 10 mai). Finalement, le parti social-chauvin n’y est pas allé parce que « la manifestation s’en prend non pas aux causes pour lesquelles ces malheureux ont été assassinés, mais aux institutions comme l’institution judiciaire » (Jean-Luc Mélenchon, Conférence de presse à l’Assemblée, 19 mai) comme si la justice de la bourgeoisie était sans reproche et comme si la police pouvait être autre chose que son bras armé. Évidemment, le chef suprême ne proteste pas contre la présence des confédérations syndicales dans l’organisation de cette « manifestation à caractère ostensiblement factieux » (Mélenchon).
Contre la police de la bourgeoisie, pour l’auto-organisation de la classe ouvrière
N’en déplaise à messieurs Faure, Roussel et Mélenchon, le combat de la classe ouvrière passe obligatoirement par le démantèlement de l’État bourgeois et de son appareil de répression. La Commune de Paris l’avait fait en mars 1871. La police, comme la justice, ne protègent qu’accessoirement les pauvres et les faibles et encore plus rarement les libertés publiques. C’est une fonction secondaire, mineure, même si elle est indispensable à son acceptation sociale. Mais que faire alors pour assurer la sécurité ?
L’ordre public assuré par une police située au-dessus du peuple et par un corps de fonctionnaires, fidèles serviteurs de la bourgeoisie, ainsi que par une armée permanente placée sous les ordres de grands propriétaires fonciers et de capitalistes, tel est l’idéal de la république parlementaire bourgeoise qui s’attache à perpétuer la domination du capital. L’ordre public assuré par une milice populaire dont tout le monde —hommes et femmes— fera partie ; des autorités non seulement élues et révocables à tout moment, mais recevant un salaire d’ouvrier, et non des traitements « princiers » ou bourgeois, tel est l’idéal de la classe ouvrière. (Lénine, La Milice prolétarienne, 3 mai 1917)
Cette exigence doit conduire la classe ouvrière à s’organiser dès maintenant pour protéger ses grèves, ses manifestations, ses organisations, contre la police, les provocateurs et les bandes fascistes. Tout montre que le gouvernement renforce tous ses dispositifs répressifs contre la classe ouvrière. Si les policiers peuvent manifester sans problème, en revanche il interdit à Paris la manifestation contre l’agression des Palestiniens par l’État colon d’Israël. Le temps n’est pas à larmoyer sur la difficulté d’être policier, il est à l’auto-organisation de la classe ouvrière contre la police de la bourgeoisie ! L’agression contre le service d’ordre de la CGT le 1er mai à Paris met plus que jamais à l’ordre du jour l’impérieuse nécessité du front unique pour constituer des services d’ordres par les manifestants eux-mêmes, qui intègrent les services d’ordre syndicaux pour protéger les manifestations.