- En 2011, à Chambéry en Savoie, les salariés d’un Biocoop avaient tenu des piquets de grève pour réclamer d’être reconnus, et donc rémunérés, en fonction des tâches effectuées dans le magasin.
- En 2014, les travailleurs de la plateforme Biocoop de Sainte-Geneviève-des-Bois en Essonne, étaient entrés en conflit avec leur patron pour dénoncer l’augmentation des cadences liée à l’accroissement de l’activité, le recours à l’intérim, le non-paiement des heures supplémentaires et une grille salariale bloquant les évolutions de salaire.
- En 2017, ceux des magasins de Mayenne, Laval-Ouest, Laval-Est, Azé en Mayenne, se mirent en grève contre la hausse de la charge de travail et la faiblesse des salaires.
De l’utopie petite-bourgeoise à la réalité capitaliste
Issu de coopératives de consommateurs de produits de l’agriculture biologique des années 1970, Biocoop est fondé en 1986 sous la forme d’une association loi 1901 fédérant des sociétés coopératives. En 1992 le groupe décide de s’ouvrir aux sociétés anonymes qui représentent aujourd’hui 60 % des points de vente. En 2002 il s’affranchit lui-même du statut d’association pour celui de « société anonyme coopérative », plus conciliable avec la recherche de profit. Biocoop compte actuellement 650 magasins, 200 de plus en 3 ans, 6 000 salariés et réalise 1,4 milliards de chiffre d’affaires, soit une multiplication par 10 en 20 ans.
Si la vente de marchandises « bio » est en constante augmentation dans les économies avancées, la clientèle visée par Biocoop n’est pas populaire. Il s’agit des catégories socio-professionnelles aisées (chefs d’entreprise, professions libérales, cadres, fonctionnaires de catégorie A…).
Nous ne cherchons pas la quantité d’ouverture de magasins. Nous avons des services de géomarketing qui regardent la qualité de l’environnement ou encore la présence d’une clientèle CSP + (Gilles Piquet-Pellorce, alors directeur général de Biocoop, 20 minutes, 28 juin 2017)
Le marché du bio, auparavant limité à « une niche », connaît une croissance qui attise les convoitises des groupes capitalistes du commerce conventionnel, bien décidés à capter la majeure partie d’un secteur qui pèse plus de 12 milliards d’euros en France et qui a encore augmenté durant le confinement.
Il y a eu environ 30 % de clients en plus et on a vu une augmentation de l’activité assez forte, liée au bio et à la proximité. (Pierrick De Ronne, président de Biocoop, Europe 1, 8 septembre 2020)
Les enseignes classiques se tournent de plus en plus vers des produits labellisés bio. En 2019, 55 % des produits issus de l’agriculture biologique étaient vendus par la grande distribution. Le groupe Carrefour vient d’ailleurs d’avaler Bio c’bon et ses 107 points de vente, au détriment de Biocoop qui était également sur les rangs pour racheter son concurrent. En entreprise concurrencée, Biocoop ne peut faire autrement que de tenter d’aligner son fonctionnement sur celui de ces grandes enseignes.
Face à ces hyper et supermarchés qui ne cessent d’améliorer leur offre de produits bio, Biocoop a choisi, classiquement, l’économie d’échelle et l’augmentation du nombre de magasins. (Le Monde, 19 juin 2020)
Comme les grands groupes de la distribution, Biocoop mutualise sa logistique et fonde sa filiale de transport en 2006, la Société de transport Biocoop (STB).
Une diversification tout azimut
Dans une stratégie de croissance verticale, la société Terre de liens, qu’elle cofonde avec d’autres entreprises telles que Léa nature, acquiert des terres agricoles qu’elle loue à des agriculteurs, ce qui permet aux groupes fondateurs comme Biocoop de s’approvisionner à moindre coût, en inventant une forme de fermage vert.
Le groupe cherche également à mettre à profit ses structures pour trouver de nouveaux débouchés et s’attaque à la restauration collective en 2002 en fondant Biocoop restauration. Il participe en 2005 à la création d’Enercoop, un fournisseur d’électricité d’origine renouvelable avec entre autres les associations écologistes Agir pour l’environnement, Greenpeace France et Les Amis de la Terre.
À ces stratégies organisationnelles, s’ajoute la tendance « naturelle » du capitalisme à la hausse de l’exploitation des salariés, via l’augmentation des cadences, les attaques contre le temps de travail, la pression sur les salaires via le chantage au chômage…
Les coopératives n’émancipent pas la classe ouvrière des rapports de production capitaliste. Elles sont soumises aux lois du marché, à l’ensemble des lois du mode de production capitaliste. Elles ne peuvent être le point de départ d’un nouveau mode de production. Inévitablement, à l’intérieur de l’entreprise coopérative resurgissent les vieux rapports, les anciennes différenciations et, plus ou moins rapidement, ils transforment la coopérative en une entreprise capitaliste comme les autres, à moins qu’elle ne disparaisse purement et simplement. (Stéphane Just, Les Marxistes contre l’autogestion, 1973)
Le lobbying vert-de-gris
La société Biocoop, comme d’autres grandes entreprises de l’économie « écologiste » telle que Léa Nature, Naturalia ou Bjorg, finance plusieurs associations qui incitent en retour à acheter ses produits, une stratégie marketing déjà éprouvée par d’autres secteurs capitalistes. Biocoop fait ainsi partie des soutien financiers de Générations futures, et l’association se montre pour le moins reconnaissante :
Générations futures est très vigilant sur le choix de ses partenaires financiers. Notre association n’accepte des financements que de structures qui ont une démarche éthique, écologique et socialement juste. Ainsi nous sommes fiers d’être soutenus par des entreprises ou des fondations d’entreprises qui mettent au cœur de leur préoccupation le respect des hommes et de la planète. (Générations futures)
Le groupe Biocoop fait également partie des mécènes du collectif rétrograde Nous voulons des coquelicots qui demande l’interdiction de tous les pesticides et de tous les engrais de synthèse. NVQ a été fondé par le directeur de Générations futures, ancien président de Greenpeace France, membre d’EELV François Veillerette ainsi que par le journaliste écolo-réactionnaire Fabrice Nicolino. Et, là encore, les conditions de vie des salariés de Biocoop ne semblent pas émouvoir le moins du monde l’association.
Merci et bravo à ces entreprises pour leur engagement à nos côtés, pour tous. (Nous voulons des coquelicots)
Parmi les autres organisations arrosées par Biocoop, citons, outre la Confédération paysanne, Faucheurs volontaires, des obscurantistes qui détruisent les parcelles d’OGM (cultures autorisées) de leurs concurrents et même les expériences d’OGM des organismes de recherche (CIRAD, INRA).
Ces subsides permettent à Biocoop de jouir d’une image d’entreprise « engagée », argument pertinent dans la petite bourgeoisie intellectuelle, mais également de financer indirectement des études « scientifiques » justifiant la consommation des produits de l’entreprise aux yeux de sa clientèle.
Le retour à la grève
Alors que ses magasins sont restés ouverts durant le confinement du printemps avec des conditions de travail dégradées, la direction de Biocoop – Le Retour à la terre a souhaité profiter de l’explosion du chômage pour faire accepter le travail du dimanche à compter de septembre.
Les salariés de deux des trois magasins parisiens ont alors débuté le bras-de-fer début juillet. Il s’agit d’une grève intermittente : une fois par semaine, ils cessent le travail. SUD semble le seul syndicat actif. C’est lui qui publie les communiqués et qui emporte l’élections du CSE dans le magasin du Ve durant le mouvement. Au refus du travail le dimanche, se sont ajoutées d’autres revendications : la hausse des salaires et la réintégration de la grille salariale supprimée par la direction, deux jours de repos hebdomadaire consécutifs, l’acceptation automatique des demandes de résiliations à l’amiable afin de permettre aux travailleurs démissionnaires, fréquents dans les entreprises du commerce, de disposer d’un matelas de sécurité.
Le mouvement connaît un élan de sympathie chez les travailleurs, particulièrement ceux des autres Biocoop. Lors de la journée d’action du 17 septembre, un cortège a été organisé à Paris avec les travailleurs des magasins Biocoop – Le Retour à la terre de Paris et ceux des magasins Biocoop de Paris-Montgallet, de Poitiers (Vienne), Strasbourg (Bas-Rhin), Le Raincy (Seine-Saint-Denis).
Malgré les menaces de la direction, le conflit a perduré plusieurs mois, au total 12 journées de grèves entre le 9 juillet et le 17 octobre. Les 2 magasins Biocoop – Le Retour à la terre de Paris (celui des Champs-Élysées ayant fermé le 1er août) sont détenus par une seule propriétaire qui s’étonne de la résistance des grévistes.
La quasi-totalité des réseaux concurrents ouvre déjà le dimanche sans opposition des salariés. (Catherine Chalom, Libération, 2 novembre 2020)
Face à la mobilisation, le 11 septembre la direction abandonne l’ouverture le dimanche mais les grévistes refusent d’interrompre leur mouvement avant la satisfaction de toutes les revendications. Le lendemain, pour la première fois, ils tiennent des piquets de grève dans les deux magasins.
Fin septembre, 3 grévistes sont convoqués par la direction. Courant octobre, ils sont licenciés. En riposte, les travailleurs votent l’occupation du magasin du XIe à partir du 23 octobre qui durera jusqu’au 28. Le 29, trois autres salariés sont mis à pied jusqu’au jour de l’entretien préalable au licenciement. Celui-ci est fixé au 13 novembre, soit le lendemain des négociations entre les délégués du personnel et la direction.
Un accord contestable
Celles-ci débouchent sur la signature d’un accord comprenant le maintien de la fermeture des magasins le dimanche, un week-end de repos par mois et une augmentation de 50 euros pour certains salariés. La direction a lâché le minimum… et s’est débarrassée de 6 grévistes. Les responsables syndicaux, qui ont signé sur leur dos, appellent à « poursuivre le mouvement » sur le terrain judiciaire, le conseil des prud’hommes.
Pourtant, parmi les organisations politiques du mouvement ouvrier se positionnant en soutien aux grévistes dont LFI, le PCF, le NPA et sa fraction CCR, aucune n’a tenté de peser pour une généralisation de la grève au groupe Biocoop, seule solution pour empêcher les licenciements punitifs et arracher l’ensemble des revendications. Aucune n’a mis en garde les travailleurs en lutte sur la nécessité de demander la réintégration immédiate de tous les camarades licenciés comme préalable à toute négociation ainsi que d’exiger le contrôle de ceux qui parlent en leur nom par une assemblée générale des travailleurs.
Ces grèves dans un secteur éparpillé où les travailleurs sont soumis aux conditions défavorables de travail et aux rémunérations du commerce, tout en se faisant reprocher, s’ils revendiquent, de nuire à une entreprise « socialement engagée », montre que les travailleurs sont inévitablement poussés à relever la tête devant le capital.
Plus que jamais, au lieu de la concurrence inepte des multiples boutiques syndicales sur un fonds commun de collaboration de classe, il faut une seule confédération de lutte de classe et démocratique, pour aider à résister sur tous les lieux d’exploitation, fussent-ils ceux du capitalisme vert.