Face au coronavirus, la population laborieuse gravement menacée
Le coronavirus se manifeste à partir du 25 février en Algérie ; à ce jour, 38 des 48 wilayas du pays sont touchées, le nombre officiel de cas s’établit à 847 et celui des décès à l’hôpital à 58, attestant d’une mortalité de 6,5 % ce qui est énorme. Mais le pouvoir du président Tebboune et du premier ministre Djerad ment sur l’ampleur de l’épidémie et fait arrêter des journalistes qui osent mettre en doute la fiabilité de ses annonces.
Le chef de l’État a ordonné au ministre de la communication d’interdire la diffusion de toutes statistiques sur la situation des cas atteints à travers le pays, en dehors de celles du ministère de la santé. (Communiqué du conseil des ministres, 22 mars)
Le gouvernement Tebboune-Djerad ment sur les capacités du système sanitaire à affronter la vague qui va déferler.
Le facteur surprise et l’urgence déclarée par l’État ont entraîné parfois des perturbations dans la distribution en dépit de la disponibilité des moyens globalement… Que celui qui veut nous aider spontanément soit le bienvenu et ceci sera pour nous un geste d’amitié, mais nous ne demanderons pas l’aumône … nous avons suffisamment de moyens. (Abdelmadjid Tebboune, cité par Interlignes, site d’informations censuré, inaccessible aujourd’hui depuis l’Algérie)
En réalité, il n’y avait, pour 40 millions d’habitants, qu’un seul centre d’analyses médicales habilité au dépistage (l’institut Pasteur d’Alger) au début du mois de mars. Les hôpitaux manquent de tout. Les campagnes et les petites villes sont dramatiquement sous-équipées. À Blida (40 km au sud d’Alger), épicentre actuel de l’épidémie, le personnel de réanimation a fait grève plusieurs heures pour réclamer des masques, des gants, du gel hydroalcoolique, des désinfectants. La grande majorité des travailleurs d’Algérie a été scandalisée d’y voir débarquer pour une visite, le premier ministre, le ministre de l’intérieur et le ministre de la santé, équipés, eux, de pied en cape, alors que les soignants présents ne disposaient pas des combinaisons intégrales que les dignitaires du régime arboraient.
Les dernières années ont vu les médecins (« mouvement des résidents »), infirmiers et infirmières multiplier les mobilisations, grèves et manifestations pour obtenir les moyens nécessaires à la prise en charge des patients. Tous les services sont en sous-effectif. Au mois de janvier, la situation réelle dans les maternités du pays a été montrée sur les réseaux sociaux : des femmes allongées à même le carrelage alors qu’elles viennent d’accoucher, des infirmières qui donnent leur matelas de salle de repos pour pallier le manque de lits.
À chaque garde, il y a une confrontation entre l’équipe médicale et l’administration, parce qu’il n’y a pas de lits, pas d’oxygène, pas de compresses, pas de réactifs en laboratoires…. Parce qu’on est débordés, alors que nous sommes le plus grand hôpital du pays, on renvoie des patientes qui doivent faire le tour des hôpitaux pour trouver une place. (Le Monde Afrique, 1er février 2020)
Logements exigus, manque d’hygiène et de services publics, nécessité des petits boulots pour survivre, la fraction la plus pauvre de la population a peu les moyens de se protéger. Quand il ne reste que le confinement, le gouvernement ne le décrète pas, hormis pour la wilaya de Blida. Tebboune est plus rapide à fermer les écoles et les universités (12 mars) que les mosquées (17 mars). Il affirme que « aucun Algérien ne sera laissé sans assistance » mais n’organise pas l’approvisionnement (files compactes pour se procurer de la farine et de la semoule en rupture de stock), ne bloque pas les prix des produits de première nécessité qui flambent, ne réquisitionne pas les cliniques privées, n’interdit pas les licenciements, autorise le placement autoritaire des travailleurs en congés annuels, laisse les patrons décider qui travaille. Le gouvernement leur ouvre complaisamment les ondes publiques pour exprimer leurs exigences alors que la censure frappe tous les opposants.
Le Forum des chefs d’entreprises (FCE) a appelé le gouvernement à porter secours aux entreprises en difficulté dans cette période de crise sanitaire. Son président Mohamed Sami Agli réclame un rééchelonnement des prêts consentis aux unités économiques, un report du paiement de leurs impôts, voire une amnistie fiscale en leur faveur, une lutte sans merci contre les activités informelles. (Le Carrefour d’Algérie, 30 mars)
Le nouveau président Tebboune, la continuité du système
Parce que le Hirak n’a pas renversé l’État bourgeois, une élection présidentielle s’est tenue le 12 décembre 2019 sous l’égide des militaires et avec l’appui de la direction de la principale confédération syndicale, l’UGTA, qui a organisé des manifestations (maigres) de soutien. Les masses mobilisées depuis presqu’une année n’en voulaient pas, conspuant les cinq candidats inféodés retenus par le pouvoir, empêchant de nombreux meetings électoraux de se tenir. Les rassemblements du mardi et du vendredi dès l’annonce de la date du scrutin exigeaient son annulation. En Kabylie, a été organisée une grève générale très suivie, du 8 au 12 décembre, la sous-préfecture a été murée ; dans plusieurs villes, les manifestants ont essayé d’organiser le boycott : urnes retirées, souvent remplacées par des poubelles devant les salles fermées, énormes manifestations le jour du scrutin, réprimées mais trop massives pour être empêchées. Selon les chiffres officiels, seuls 0,12 % du demi-million d’inscrits en Kabylie ont participé. Le taux officiel de la participation nationale est de 39,83 % (12,7 % de blancs et nuls), taux sans doute gonflé, des habitants de la capitale témoignant par exemple du fait que les images diffusées à la télévision vantant l’affluence dans les bureaux de vote dataient en réalité d’un précédent scrutin : ils y ont reconnu des parents aujourd’hui décédés. Les casernes aussi ont beaucoup voté…
Dès l’annonce de l’élection de Tebboune, une foule immense déferle dans les rues des principales villes, comme à Oran où 400 manifestants sont arrêtés et surtout à Alger. Drapeau berbère brandi devant un commissariat d’arrondissement, nez poudré de farine déversée par paquets des balcons pour rappeler que le fils du nouveau président est impliqué dans une affaire de blanchiment d’argent liée à la saisie de 700 kg de cocaïne, portraits barrés de la mention « pas mon président », ou « élection militaire », le Hirak conteste la légitimité de Tebboune.
Ce dernier était le candidat préféré de feu le général Gaïd Salah et l’un des très proches d’Abdelaziz Bouteflika dont il a soutenu le cinquième mandat. Il a été plusieurs fois préfet et ministre. Avec son pedigree et ses 74 ans, difficile de vendre le renouveau ; d’ailleurs dans le gouvernement installé après la présidentielle, 4 des 5 principaux ministères sont dirigés par des ministres nommés par Bouteflika, au total 11 sur 28. Alors la presse aux ordres a tenté de le présenter comme un opposant aux oligarques haïs. Un enfumage bâti sur son inimitié avec Saïd Bouteflika et vite dispersé par l’inculpation de son fils pour trafic et d’un de ses proches, l’homme d’affaires Omar Alilat, pour corruption.
Le président multiplie les déclarations de « main tendue au Hirak béni » pour essayer de le vider de sa charge explosive :
M. Tebboune a de nouveau repris à son compte le mouvement populaire en annonçant avoir signé un décret consacrant le 22 février journée nationale chômée et payée sous la dénomination de « Journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie ». (Le Monde, 22 février)
Mais il y a longtemps que les illusions dans l’armée sont tombées et ce travestissement ne prend pas plus que l’installation d’un « comité d’experts » chargé de proposer des amendements à la Constitution qui serait soumise à référendum. Après un mois où les manifestations ont décru, où la population laborieuse a digéré le scrutin imposé, observé les mesures gouvernementales, les fossoyeurs du mouvement ont déchanté. Pour l’anniversaire du soulèvement, des millions d’Algériens et d’Algériennes ont manifesté.
Face à la foule qui remontait la rue centrale de Didouche-Mourad, un impressionnant cordon de policiers antiémeutes a été déployé bloquant l’accès vers les hauteurs de la ville. Car un mot d’ordre a circulé depuis vendredi : organiser une marche sur le palais d’El Mouradia, siège de la présidence de la République. Camions à canon à eau et charges policières rentrent en jeu dès l’après-midi. La foule se disperse un moment puis se reforme face à la masse des policiers. Tensions, insultes, coups de matraque, flux et reflux des manifestants à travers les rues et ruelles de l’hyper centre-ville. À la tombée du jour, les choses se tassent mais la colère est là. (Le Point Afrique, 22 février)
Tebboune répète qu’il a pris « l’engagement de satisfaire les revendications de la rue » tout en maintenant la censure, la répression, les emprisonnements. Le dernier décret qui amnistie des prisonniers en exclut les détenus d’opinion. L’engagement à augmenter le salaire minimum (à 25 000 dinars), pris à l’issue d’une conférence de collaboration entre le ministre du travail, le patronat (FCE) et les bureaucrates de l’UGTA, le maintient très en-deçà de ce qu’il faut pour finir le mois. La Fédération nationale des travailleurs des industries électriques et gazières l’évalue à 40 000 dinars, à l’issue d’une étude sur le coût de la vie.
L’effondrement économique se profile
Le FMI qui vient d’accorder un prêt à l’Algérie s’attend à une décroissance de plus de 5 % sur l’année 2020. Les réserves de change qui affichaient 195 milliards de dollars en 2013 se limitent à 62 milliards de dollars fin 2019. Les recettes liées aux hydrocarbures dégringolent, avec l’effondrement des cours, le baril à moins de 30 dollars, prix qui déclare « non rentables » 80 % des gisements du pays. Les revenus des hydrocarbures représentent 95 % des recettes de l’État algérien et le budget adopté tablait sur un baril de pétrole à 50 dollars. Selon les dernières estimations de l’OPEP et l’Agence internationale de l’énergie, les revenus des pays exportateurs de Pétrole et de gaz naturel risquent de reculer de 50 % à 85 %.
Sur le volet commercial et depuis le début de l’épidémie en Chine, les sociétés algériennes d’import-export et de distributions subissent des pertes énormes, en raison de la dépendance envers les importations provenant de ce pays, estimées à 25 % du total des importations de l’Algérie. Les secteurs les plus touchés sont la construction et les travaux publics.
Les prix à la consommation grimpent, à commencer par ceux des fruits et légumes et la population craint une pénurie alimentaire, au vu de l’état de la production nationale et de sa distribution. Le chômage va exploser, dans un pays qui comptait 1 449 000 de travailleurs officiellement sans travail, soit 11,4 % de la population active en mai 2019 (Office nationale des statistiques, décembre). 26,9 % ont moins de 24 ans, 20,4 % sont des femmes. Quand on sait que 62,2 % des travailleurs sont employés dans le privé, 16,8 % dans le BTP, 11,7% dans les industries manufacturières, 15,7 % dans le commerce, on devine sans mal ce que va signifier la crise économique pour le prolétariat.
Révolution prolétarienne pour la victoire du Hirak
Le gouvernement bourgeois Tebboune-Djerad se prépare à décréter l’austérité pour ceux qui manquent déjà du nécessaire. Toutes les organisations, partis et syndicats, qui disent se tenir aux côtés du Hirak doivent mettre au service de la défense de la population laborieuse les moyens de presse, communication, propagande dont ils disposent, en ces temps où les manifestations et les regroupements sont interdits. Partout il faut faire retentir les exigences vitales : fixation de bas prix pour les produits de consommation courante, indexation des salaires sur le coût de la vie, moratoire des loyers, interdiction des licenciements. C’est aux travailleurs de dicter qui doit travailler et ce qu’il faut produire ! Réquisition des cliniques et laboratoires privés pour soulager les hôpitaux ! Libération immédiate des détenus à cause du Hirak, à bas la censure !
Quand l’épidémie sera passée, pour régler vraiment les comptes avec le « système », il faut s’organiser. La difficulté de la tâche est amplifiée par l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire apte à conduire la lutte pour le pouvoir des travailleurs des villes et des campagnes, mais les militants, les travailleurs, les jeunes qui ont déjà déjoué tant de pièges des apparatchiks et des militaires sont capables de s’approprier le programme de la révolution sociale parce qu’il répond à leurs besoins immédiats.
Des emplois et des logements pour tous ! Expropriation des grandes entreprises privées ! Contrôle ouvrier sur la production ! Ouverture des livres de compte ! Organisation du ravitaillement de la population et de la distribution des médicaments ! Santé gratuite !
Libération de tous les prisonniers politiques ! Aucune poursuite contre les manifestants ! Droit de se réunir, de s’organiser ! Liberté de la presse et de tous les médias ! Services d’ordre et auto-défense des grèves et des manifestations !
En s’appuyant sur les comités qui se sont constitués au long de l’année passée, il faut généraliser les comités d’action sur les lieux de travail, d’études et les quartiers, élire des délégués et centraliser ces organes de pouvoir de la base jusqu’au sommet, pour un comité central de la lutte, pour opposer au pouvoir de la bourgeoisie, celui des exploités et des opprimés.
À bas le régime, Tebboune et son gouvernement ! Aucun dialogue avec le gouvernement bourgeois ! Rupture immédiate des dirigeants politiques des partis et syndicats se réclamant des travailleurs avec ce gouvernement et les diverses forces bourgeoises ! Contrôle de l’UGTA par les salariés !
Laïcité de l’État ! Égalité pour les femmes ! Respect des droits des Berbères jusqu’au droit de se séparer !
Abolition de la présidence de la république ! Dissolution des corps de répression de l’État algérien (armée professionnelle, police, services secrets) ! Armement du prolétariat !
Aux tenants de la constitution amendée et du référendum, comme aux tenants de l’assemblée constituante, nous opposons le combat pour abattre l’État bourgeois et non pour le replâtrer. Alors que la rue scande « Dégagez ! », quelle sorte de « révolutionnaire » se couche aux pieds du gouvernement pour qu’il lui organise des élections (libres, pourquoi pas !) ? Alors que la bourgeoisie serre les rangs pour sortir de la pandémie avec les moyens de faire payer la crise économique aux prolétaires, des organisations fondées par des « trotskystes » (PT, PST, COSI) réclament un parlement représentant toutes les classes. Quelle sorte de « révolutionnaire » œuvre pour que la bourgeoisie garde la main, avec son armée, son administration, son État tout entier qui veille sur les intérêts des capitalistes ?
Les militants du Groupe marxiste internationaliste et du Collectif révolution permanente veulent, eux, la représentation des masses en lutte parce qu’ils combattent pour le pouvoir des ouvriers et des paysans.