« La République », universaliste, démocratique et antiraciste ?
Plusieurs lois condamnent le racisme et, depuis 1944, l’État français est redevenu, officiellement, démocratique et antiraciste.
Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. (Constitution de la 4e République, 1946, préambule) ; La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (Constitution de la 5e République, 1958, art. 1)
Mais l’État français s’appuie sur un mythe, la nation française, qui entre de fait en contradiction avec « l’égalité », la « démocratie » et « l’antiracisme » car il repose sur une délimitation et une supériorité (implicite ou revendiquée) vis-à-vis des autres « nations ». La contradiction était portée à l’extrême quand des peuples opprimés et sans droit étaient rattachés par la force à l’empire colonial de la « République » (jusqu’en 1961). Le fondateur du FN-RN faisait d’ailleurs partie des tortionnaires de combattants algériens.
L’idéologie du nationalisme s’est épanouie avec le capitalisme. Elle est incarnée très matériellement : par les frontières, l’administration des douanes, la police des frontières, les préfectures, l’OFPRA… et, en dernier ressort, l’armée.
La perfection formelle des concepts de « territoire national », de « peuple », de « pouvoir d’État » ne reflète pas seulement une idéologie déterminée, mais aussi la réalité objective de la formation d’une sphère de domination concentrée et donc, avant tout, la création d’une organisation administrative, financière et militaire. (Evgeny Pašukanis, La Théorie générale du droit et le marxisme, 1926, ch. 2)
Le patriotisme a pour fonction de souder les exploités français aux exploiteurs français. En s’appuyant sur le nationalisme et l’appareil de répression, le gouvernement à la tête de l’État bourgeois mène une « politique migratoire » qui est discriminatoire par nature. Elle permet de faire pression sur les autres États et d’affaiblir la classe ouvrière, en jouant sur la concurrence en son sein et en la divisant.
Les aéroports de la France sont ouverts, sans fastidieuses formalités, aux jets privés, y compris à ceux des capitalistes arabes ou musulmans. Macron et ses ministres ont reçu avec faste à Versailles les grands patrons étrangers mais le gouvernement a augmenté les droits d’inscription pour les étudiants étrangers, il a durci les conditions d’accueil avec les lois Collomb (voir Révolution communiste n° 28), il refoule des milliers de réfugiés et de travailleurs étrangers chaque mois, il complique la vie des travailleurs étrangers et de leurs enfants, il fragilise la survie de ceux qui n’ont pas de titre de séjour (voir Révolution communiste n° 31).
De la xénophobie inhérente au nationalisme et à l’État national, les représentants politiques de la bourgeoisie et leurs chiens de garde glissent facilement vers le racisme. En sont victimes non seulement les étrangers, mais des citoyens français dont l’aspect physique, le nom ou la religion les apparente aux ressortissants étrangers ou aux anciens colonisés. Des millions de personnes, dans « la République », sont quotidiennement victimes de discriminations lors du recrutement dans les entreprises, lors de la recherche d’un logement, lors des contrôles de police…
L’offensive contre le « séparatisme » musulman
Le 19 mars 2018, cent intellectuels (qui vont des néo-fascistes aux défroqués du stalino-maoïsme) publiaient dans Le Figaro un appel contre « le séparatisme islamiste », bien sûr au nom de « la République » et du refus du « totalitarisme », avec le soutien de LR, DlF et RN. Plus la situation d’une bourgeoisie se détériore vis-à-vis des autres, plus elle recourt au patriotisme ; plus elle démantèle les conquêtes sociales, plus elle a besoin de boucs émissaires. Malgré leurs prétentions au progressisme et au modernisme, Macron et sa LREM ne font pas exception.
Le ministre de l’enseignement Blanquer a dénoncé les mères d’élèves voilées le 24 septembre 2019 (voir Révolution communiste n° 37).
Quelques semaines après, Macron a donné une entrevue à un hebdomadaire xénophobe et fascisant : « Il faut aussi regarder en face : au fait migratoire s’additionne le fait religieux. » (Valeurs actuelles, 25 octobre).
Le 27 novembre, le ministre de l’intérieur Castaner demanda aux préfets « de faire du combat contre l’islamisme et le communautarisme un « nouvel axe fort de l’action de l’État » (Le Monde, 2 décembre).
En déplacement dans un quartier populaire de Mulhouse, le président a déclaré la guerre à ce qu’il appelle « le séparatisme ».
Le problème que nous avons, c’est quand au nom d’une religion ou d’une appartenance, on veut se séparer de la République, donc ne plus en respecter les lois et donc qu’on menace la possibilité de vivre ensemble en République… C’est pourquoi notre ennemi est le séparatisme. (Emmanuel Macron, 18 février)
Il y a deux sortes de communautarisme, celui des très riches qui est délibéré, celui des pauvres, plus nombreux, qui est subi.
La sécession volontaire des riches
Macron ne s’en prend pas à l’Église catholique qui a constitué un réseau d’écoles « sous contrat » qui est grassement subventionné par le parlement et le gouvernement, ni aux écoles « hors contrat » qui autorisent les cagots et les obscurantistes de tout bord (sunnites salafistes, catholiques fondamentalistes, juifs orthodoxes, disciples de Steiner…) à embrigader des enfants séparés des autres par leurs parents.
Macron ne dénonce pas des capitalistes qui vivent délibérément à l’écart du reste de la population, car c’est cette classe qu’il défend, par le budget et l’austérité pour la santé et l’enseignement publics, la fiscalité et les subventions sans limites au temps du coronavirus, par les interventions militaires à l’étranger et le renforcement de l’appareil répressif, par le démantèlement des conquêtes sociales (droit du travail, retraite…) et les attaques contre les chômeurs.
La minorité qui vit de l’exploitation des travailleurs loge dans les quartiers huppés, élève ses enfants à part, se déplace séparément, prend ses loisirs en autarcie.
Ceux qui sont au top de tous les univers économiques et sociaux : grands patrons, financiers, hommes politiques, propriétaires de journaux. C’est le monde des musées, des ventes aux enchères, des collectionneurs, des premières d’opéra… C’est ce qui se passe dans les cercles, les clubs, les rallyes pour les jeunes…. On trouve partout les mêmes personnes dans une consanguinité tout à fait extraordinaire. Le CAC40 est plus qu’un indice boursier, c’est un espace social. Seules 445 personnes font partie des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Et 98 d’entre eux détiennent au total 43 % des droits de vote. (Monique Pinçon-Charlot, novembre 2013)
Les riches ne sont pas racistes à proprement parler, ils adorent leurs homologues étrangers, plus particulièrement ceux de la puissance dominante. Ils détestent simplement les pauvres, à commencer par ceux de leur pays.
Les ghettos subis des pauvres
À l’autre pôle, dans certains quartiers populaires, vivent entassés les travailleurs peu qualifiés, les chômeurs, ce qui augmente la proportion d’étrangers et de descendants de citoyens naturalisés. La religion (musulmane sunnite souvent, chrétienne évangélique parfois…) y est un exutoire.
Nombre d’entre eux sont des prolétaires parmi les plus exploités de la classe ouvrière, d’autres des déclassés dont certains vivent de la prostitution, du vol et du recel, de la contrebande (cigarettes) et du commerce de psychotropes illicites. Beaucoup sont surexploités par des petits capitalistes de leur propre nationalité dans la confection, la restauration, le bâtiment, le trafic de drogue, etc. La majorité des habitants des quartiers pauvres subit la délinquance et le délabrement des services publics. Les filles y sont particulièrement la cible des consignes rétrogrades répandues par les imans formés et financés par les États alliés et clients du capitalisme français (monarchies de l’Arabie saoudite et du Maroc, régime islamiste de Turquie, dictature militaire pro-cléricale d’Algérie, etc.).
Les fanatiques musulmans convergent d’ailleurs avec les fanatiques chrétiens, bouddhistes, israélites, hindouistes… contre le communisme, la science, la liberté sexuelle de la jeunesse, les homosexuels, l’art et la satire.
Un État de plus en plus policier
La bourgeoisie décadente s’accommode des superstitions à condition qu’elles prêchent la résignation. L’État bourgeois, s’il tolère que l’Église catholique obéisse au Vatican et que la plupart des pentecôtistes, les témoins de Jéhovah, les mormons… aient leurs chefs aux États-Unis, tolère difficilement que des réseaux organisés défient son autorité sur son territoire et minent le nationalisme français.
Il faut reprendre le contrôle et lutter contre les influences étrangères, en particulier à l’école et dans les lieux de culte. (Macron, 18 février)
Cependant, il ne s’agit pas de rompre les mille et une relations commerciales et militaires que l’impérialisme français entretient avec les monarchies du Golfe qui financent et organisent les courants islamistes les plus réactionnaires, antisémites et antichiites, jusqu’à armer des djihadistes. Il ne reste au gouvernement que la loi et l’appareil de répression.
Il ne s’agit pas d’une « opération de diversion » (NPA, 20 février), encore moins d’une manœuvre pour les municipales : « Macron et le séparatisme : pour quelques voix de plus » (LO, 19 février). Pour LO, la xénophobie et le racisme sont la règle dans la population ; les politiciens ne feraient que les flatter pour gagner des voix. C’est oublier la lutte de classes : contre la solidarité spontanée des exploités et l’internationalisme conscient exprimé par l’avant-garde communiste, la classe dominante inculque par mille canaux le nationalisme, avec le renfort des bureaucraties syndicales et des partis réformistes en paroles, sociaux-impérialistes en fait. Le sabotage des luttes sociales par les directions syndicales et la soumission au capital des gouvernements du PS et du PCF désorientent et démoralisent la classe ouvrière.
L’État s’efforce de mieux encadrer les « classes dangereuses », à commencer par les 47 zones urbaines labellisés « quartiers de reconquête républicaine » (QRR). Inauguré par Collomb en 2018, étendu par Castaner en février 2019, le dispositif « police de sécurité au quotidien » (PSQ) assure un renfort de 15 à 30 policiers par QRR.
Au total, ce sont 1 600 policiers et gendarmes supplémentaires qui ont été déployés dans ces quartiers de reconquête républicaine. À cette approche quantitative s’ajoute une approche encore plus fine puisqu’on a défini en leur sein 15 zones très spécifiques où on a depuis 2 ans concentré les forces c’est-à-dire au-delà des moyens de police et de gendarmerie supplémentaires on a mis en place une stratégie, on a expérimenté une stratégie de lutte contre la radicalisation et le repli communautaire. (Emmanuel Macron, 18 février)
L’augmentation continue des effectifs de policiers et de gendarmes, de leur rétribution et de leur équipement est financée sur le dos des producteurs. Cela contribue à la paupérisation des quartiers populaires, qui sert à son tour de justification au renforcement de la police. Tous les partis bourgeois (LREM, LR, RN…) l’approuvent, mais aussi les partis sociaux-patriotes (LFI, PS, PCF…). Or, l’appareil de répression de l’État bourgeois est une menace contre la classe ouvrière et ses luttes, comme vient de le montrer la répression violente des manifestations en défense des retraites.
Pour l’unité des travailleurs
La meilleure façon d’œuvrer à l’unité des travailleurs est de reconnaître le droit des populations des collectivités et régions d’outre-mer, voire de la métropole, de se séparer de l’État français.
Contre la propagande islamophobe et les mesures gouvernementales contre le « séparatisme », les organisations de la classe ouvrière doivent prendre parti et imposer la laïcité (suppression des subventions aux établissements de l’Église catholique, fin de la rémunération publique des clergés de l’Alsace-Moselle, interdictions des « écoles » des sectes…). Contre la division de la classe ouvrière, elles doivent combattre pour des papiers pour tous, pour les mêmes droits pour tous les travailleurs. Contre les marchands de sommeil, elles doivent exiger l’expropriation et la construction de logements sociaux de qualité répartis dans tous les quartiers. Contre le chômage de masse, elles doivent exiger la diminution du temps de travail sans baisse des salaires, l’expropriation des grandes entreprises capitalistes. Contre l’inégalité territoriale, les organisations ouvrières doivent imposer la répartition des logements sociaux dans les villes, la restauration des services publics dans les zones rurales et l’amélioration du système scolaire (unique et laïc) notamment dans les quartiers populaires.
Contre la répression des manifestations, contre les brimades et les violences de la police dans les transports et les quartiers populaires, contre les agressions des groupes fascistes, les travailleurs et les habitants des quartiers populaires ont le droit de s’organiser.
Si la classe ouvrière prend la tête de la lutte contre l’exploitation, contre la division des travailleurs, contre la discrimination sociale, ethnique et religieuse, elle affaiblira non seulement Macron et l’État bourgeois, mais les illusions religieuses, les réseaux mafieux et les fanatiques islamistes. Pour en finir avec l’accumulation de richesse à un pôle de la société et de la misère à l’autre, il faut un pouvoir ouvrier, un gouvernement des travailleurs, la destruction de l’État bourgeois, autrement dit : la révolution prolétarienne.