Dans cet article, nous analyserons sous la lumière du marxisme comment nous en sommes arrivés à la grève et les raisons objectives de ce processus, les leçons à tirer des meetings du 19 janvier, le but de la décision de lock-out, l’attitude du gouvernement, l’attitude des syndicats Türk-Metal et BMİS, la manière de lutter contre d’éventuelles interdictions de grèves, les effets que pourrait avoir une réédition de la « tempête de métal » de 2015 sur l’ensemble de la classe ouvrière, les possibilités qui s’ouvrent et les obstacles qui se dressent devant elle, et essayerons de dégager des perspectives révolutionnaires concrètes.
Comment est-on arrivé à la grève ?
Les discussions sur les conventions collectives qui concernent la locomotive de la classe ouvrière turque, à savoir les 180 000 ouvriers métallurgistes et 20 entreprises parmi les 50 plus grandes de la Turquie, ont commencé au mois d’octobre. Le MESS [Türkiye Metal Sanayicileri Sendikası, c’est-à-dire l’organisation patronale des industrie de la métallurgie de Turquie], en cherchant à prolonger le plus possible le processus, a imposé des conditions dignes de l’esclavage aux ouvriers en raison de la confiance qu’il avait sur le fait que le YHK [Yüksek Hakem Kurulu, le Conseil supérieur des arbitres, à qui revient la décision finale sur les négociations des conventions collectives pour les secteurs où la grève est interdite par la loi] et les syndicats jaunes étaient de son côté, sans compter l’excuse de la crise. La revendication la plus fondamentale du MESS était que les conventions collectives devaient être négociées pour 3 ans. Nous pouvons lire ainsi cette revendication du MESS : il sait que la dépression économique ira en s’aggravant pendant les 3 années à venir. C’est pourquoi il cherche à repousser la prochaine négociation aussi loin que possible afin d’avoir les coudées franches, avant que la lutte de la classe ouvrière ne se radicalise dans un contexte de crise.
Il cherche également à commencer les négociations sur l’augmentation des salaires du niveau le plus bas possible, pour signer un accord à un niveau aussi minimal que possible pendant les négociations. Les détails de l’accord qui condamnera les ouvriers à la misère sont ainsi : le MESS propose 6 % d’augmentation pour les 6 premiers mois et, pour chaque semestre suivant, une augmentation de 10 % au titre de l’inflation et des surprimes de nuit. Les patrons ne font pas qu’imposer un salaire de misère, ils ne veulent pas entendre parler de compenser la baisse du pouvoir d’achat.
Quant aux revendications des syndicats, Türk-Metal demande pour le premier semestre l’augmentation du salaire horaire de moins de 15 livres à 15,55 livres (ce qui revient à une augmentation de 75 centimes), et ensuite une augmentation de 20 % pour le salaire horaire. Pour les droits sociaux, ce syndicat a demandé une augmentation de même niveau que l’inflation (15,5 %) ; et une augmentation de 15 % pour le travail de nuit. Pour chaque semestre ultérieur, il demande une augmentation du niveau de l’inflation +1, +2 ,+3. Le syndicat Birleşik Metal-İş exige, quant à lui, une augmentation de 34 % pour les 6 premiers mois, puis à chaque semestre, une augmentation du niveau de l’inflation +4, +5, +4. Le syndicat a annoncé que l’augmentation demandée revenait à 1 140 livres nettes par mois, soit 1 400 livres brutes.
Lorsque les syndicats ont refusé ces conditions d’esclavage imposées par le MESS, tout d’abord il a été fait appel au YHK, qui se trouve être un appareil du capital. Comme sa décision n’était pas favorable aux ouvriers, le processus de grève a rapidement démarré. Le syndicat Türk-Metal qui ne refusait jamais les exigences du MESS jusqu’à aujourd’hui, a commencé à avoir peur des ouvriers suite à la tempête de métal de 2015. Le résultat inévitable de cette situation est qu’il n’a pas pu faire la sourde oreille à l’exigence de grève qui venait de la base et ainsi, comme résultat d’une nécessité objective, il a décidé d’appeler à la grève.
Les leçons à tirer des meetings du 19 janvier
Au fur et à mesure que les négociations de convention collective avec le MESS ont poussé à la grève, cela s’est accompagné d’actions dans les usines. Des ralentissements du travail, des déclarations à la presse au début et à la fin des horaires de travail et d’autres actions ont eu lieu. Le 19 janvier ont eu lieu de grands meetings ouvriers à Bursa [nord-ouest de l’Anatolie] et à Gebze [ouest de l’Anatolie] qui sont les deux plus grandes villes industrielles de la Turquie. Ces meetings étaient les plus grands meetings de ces dernières années et les grandes places n’ont pas été suffisantes pour accueillir les masses ouvrières. Les meetings d’avertissement au MESS ont été organisés par Türk-Metal à Bursa et par Birleşik Metal à Gebze.
Le syndicat Türk-Metal a choisi Bursa pour son meeting. Cette préférence ne devait rien au hasard. Bursa est la ville où Türk-Metal est le mieux implanté. Les usines de Renault, Tofaş [entreprise du secteur automobile], Bosch, Çoşkun Öz où des milliers d’ouvriers travaillent sont les bastions de Türk-Metal. Bursa possède également une autre particularité pour Türk-Metal : les actions les plus radicales qui ont eu lieu contre ce syndicat ont démarré à l’usine Renault de Bursa avant de s’étendre à toutes les villes industrielles. Türk-Metal a également vécu les pires heures de son histoire où il a craint pour sa survie dans cette ville de Bursa. Ses places fortes qu’étaient les usines Renault, Tofaş, Çoşkun Öz, Bosch ont vécu un processus de rupture complète avec le syndicat en 2015. Pour Türk-Metal, perdre Bursa reviendrait pratiquement à perdre tout son statut. Suite à ce processus, Türk-Metal n’a plus été en mesure de signer confortablement des accords de vendus ni de tourner le dos à sa base. Il a été contraint d’adopter des postures et des discours de lutte auxquels lui-même n’aurait pu croire afin de ne pas rester en recul par rapport aux exigences de grève et de lutte venant de sa base, et de ne pas perdre le contrôle de sa base.
Le meeting du 19 janvier à Bursa n’a pas d’équivalent dans l’histoire de Türk-Metal. Une forte participation a eu lieu à ce meeting depuis des villes comme Istanbul, Smyrne, Kocaeli, Ankara, Eskişehir où Türk-Metal est organisé, en plus de la ville de Bursa. Les ouvriers qui s’étaient rassemblés sur le boulevard Mudanya se sont rendus en masse sur la place du boulevard FSM. Lorsque celle-ci s’est révélée être insuffisante pour accueillir tout le monde, l’emplacement prévu pour le meeting a été agrandi. Durant le meeting, les ouvriers ont fréquemment scandé les mots d’ordre : « grève générale, résistance générale ! », « les usines seront la tombe du MESS ! », « c’est en résistant que nous gagnerons ! », « la victoire appartiendra aux travailleurs qui résistent ! », « ce n’est que le début, continuons la lutte ! ».
Le président de Türk-Metal Pevrul Kavlak a déclaré :
Nous n’avons pas d’autre choix. Nous avons d’abord commencé par des actions d’avertissement. Cela n’a pas suffi. Nous avons arrêté le travail pour de brèves périodes. Nous avons organisé des marches collectives, des déclarations à la presse. Encore une fois, cela n’a pas suffi. Voilà, nous sommes là aujourd’hui. Si cela ne suffit toujours pas, demain nous viendrons avec des centaines de milliers de personnes. Tant que nous n’aurons pas ce qui nous revient de droit, nous ne nous arrêterons pas. Nous continuerons nos actions par là où nous nous étions arrêtés. Nous arrêterons de nouveau le travail. Et nous continuerons cela en l’accentuant. Mercredi, nous avions pris la décision de faire grève. Le jour venu, nous prendrons également la décision de la mettre en œuvre. Des actions s’il le faut, la grève s’il le faut.
Depuis la tempête de métal de 2015, le syndicat fasciste Türk-Metal fait des apparitions dans les meetings, organise des actions dans les usines, Pevrul Kavlak prononce des discours fermes, et durant les meetings de Türk-Metal, les slogans utilisés depuis des années par la gauche ont commencé à résonner. Le syndicat fasciste Türk-Metal qui diabolisait la grève à chaque occasion, qui criminalisait les syndicats qui décidaient la grève, qui faisait battre les ouvriers osant s’opposer à lui et à demander des comptes, qui faisait ficher les ouvriers combatifs pour les faire licencier, qui signait toutes les propositions du MESS sans même consulter ses adhérents, connut un virage à 180 degrés. La cause de tout cela est l’effet produit par la tempête de métal de 2015. Avec cette grève, à la fois le MESS, le gouvernement et Türk-Metal ont commencé à craindre les ouvriers.
Suite à la tempête de métal de 2015, pour la première fois, Türk-Metal a commencé à mettre des urnes dans les lieux de travail pour permettre l’élection des représentants au lieu de les nommer comme auparavant. Ce syndicat a commencé à écouter les revendications de la base, et à apparaître dans les lieux de lutte même si c’est pour mieux la contenir.
Ce qui a fait organiser le meeting du 19 janvier au syndicat fasciste Türk-Metal, ce qui lui a fait adopter une posture combative, ce qui lui a fait tolérer les slogans de gauche est la tempête de métal elle-même. Mais la vérité à ne pas oublier est celle-ci : Türk-Metal est une clique utilisée par le MESS et l’État pour assurer un contrôle sur les travailleurs. Si ce gang n’utilise plus ses anciennes méthodes paramilitaires, cela n’a qu’une seule cause : ils sont conscients que les méthodes classiques ne bénéficieront ni à leur propre règne, ni au MESS, ni au gouvernement, et qu’elles seront au contraire contre-productives. Le fait qu’ils aient suspendu les méthodes classiques se noue dans la volonté ininterrompue de lutte des travailleurs depuis 2015.
Pour la grève du 19 janvier, Birleşik Metal a choisi Gebze. Les ouvriers métallurgistes qui s’étaient rassemblés sur la place du transformateur ont marché jusqu’au centre-ville tout en scandant des slogans enthousiastes. Les organisations de travailleurs, les groupes de gauche et les groupes ainsi que les partis socialistes ont également rempli la place du meeting. Durant l’action, les slogans : « Occupation, grève, résistance ! », « les usines seront la tombe du MESS ! » et « nous ne serons pas les esclaves des patrons ! » ont souvent été scandés. Le discours du président du syndicat Birleşik Metal, Adnan Serdaroğlu a souvent été interrompu par les slogans « président, conduis-nous à la grève ! ». Le 5 février a été déterminé comme étant la date de la grève. Aucun plan d’action contre les interdictions de grève n’a été mentionné durant le meeting.
Nous pouvons énumérer ainsi les caractéristiques fondamentales des deux meetings qui ont eu lieu le 19 janvier :
- Durant les deux meetings, la position à adopter face aux interdictions de grève n’a pas été concrétisée.
- Les meetings du 19 janvier ont montré à tout un chacun la force des ouvriers métallurgistes et leur disposition à faire grève.
- Pour les deux meetings, il est possible de parler d’une participation de masse des travailleurs et de leur détermination.
- Lors des deux rassemblements, les travailleurs ont mis la pression sur les présidents [des syndicats].
- Des centaines de milliers d’ouvriers ont fait une démonstration de force dans la région de Marmara, il s’agit du rassemblement de travailleurs le plus massif et le plus enthousiaste jamais organisé dans les conditions de la crise économique.
- La main des travailleurs métallurgistes est plus forte que jamais dans le processus des négociations en cours.
La situation du MESS et ses appuis
Le MESS a commencé les négociations d’un niveau minimal en ayant préparé des propositions les plus basses possibles. Il a adopté une attitude confortable et confiante en entrant dans le processus. Il pensait avoir de nombreux facteurs et assurances renforçant sa main dans les négociations. Mais l’attitude déterminée des travailleurs a bouleversé ses plans. Selon nous, la meilleure description de la situation actuelle dans laquelle se trouve le MESS est la suivante : « il s’agit d’un tigre de papier ».
La principale excuse du MESS était de dire que nous nous trouvions dans un environnement de crise et qu’il ne fallait pas avoir des attentes trop élevées. Mais pour les travailleurs qui portent tout le poids de la crise, il était hors de question de se serrer encore la ceinture. Et cela a été affirmé avec détermination en pratique par les ouvriers métallurgistes. Le gang du syndicat fasciste Türk-Metal qui était l’une des assurances fondamentales du MESS, et qui avait, jusqu’à aujourd’hui, signé sans aucune opposition toutes les propositions patronales et qui constituait la poigne de fer du MESS dans les usines ne parvient plus à remplir sa fonction. Car la sanction ouvrière à d’une nouvelle trahison de Türk-Metal peut déboucher sur des occupations d’usines et des grèves de masse. Un telle sanction ferait perdre beaucoup de sang à la fois au MESS, au gouvernement et à Türk-Metal. Ce syndicat n’est plus un appareil aussi utile qu’auparavant pour le MESS.
Une autre assurance fondamentale du MESS est le pouvoir d’Erdoğan qui se vante des interdictions des grèves et qui protège l’organisation patronale. Chaque jour, le pouvoir d’Erdoğan perd le soutien des masses laborieuses en raison des augmentations de prix, de sa protection des patrons et ses propres dépenses de luxe dans un contexte de crise économique. Une éventuelle interdiction de grève pourrait avoir comme réaction une chaîne d’actions défiant l’interdiction, ce qui peut constituer l’étincelle qui allumerait la révolte contre les politiques néo-libérales qui a déjà lieu dans de nombreux endroits du monde. Le régime d’Erdoğan, conscient de cela, ne pourra interdire facilement les grèves comme il l’a fait durant les années passées. Il attendra le bon moment et des conditions favorables. Pour cela, il faut briser l’unité et la détermination des travailleurs. Durant le processus de négociations, l’interdiction de grève n’est pas une affaire acquise pour le MESS. Les grèves peuvent créer une division au sein du MESS comme en 2014. Pour résumer, le MESS n’est pas en position de force. Ceux qui ont la main dans ce processus sont les ouvriers métallurgistes.
La décision de lock-out du MESS
Qu’est-ce que le lock-out ? On appelle lock-out la mise à pied collective des ouvriers de manière à conduire à la cessation totale d’activité sur le lieu de travail, que ce soit par la propre décision du patron ou par celle des syndicats de patron dont il est membre.
Quand le lock-out est-il déclaré ? Le syndicat patronal (par exemple le MESS) ou bien le patron qui n’est pas membre d’un syndicat peut décider d’un lock-out durant les soixante jours suivant la notification de la décision de grève, il doit prévenir l’autre partie six jours ouvrables avant de mettre en application le lock-out.
Qui peut travailler en cas de lock-out ? Dans le cas de l’application du lock-out, nul ne peut être employé à l’exception des personnes dont les noms sont déterminés par des procédures légales, et qui assureront la sécurité du lieu de travail ou seront assignés à des postes qui sont techniquement indispensables à la continuité de l’activité, à condition que ce ne soit pas destiné à la production ou à la vente de quelque manière que ce soit. Dans ce cas, il sera également impossible aux travailleurs à col blanc d’exercer leur activité.
Le patron qui applique le lock-out peut-il embaucher de nouveaux travailleurs ? Le patron, durant une grève ou un lock-out légaux, ne peut embaucher de façon temporaire ou permanente de nouveaux ouvriers à la place de ceux dont le contrat de travail est suspendu, ni ne peut faire travailler d’autres personnes. Quant aux travailleurs dont le contrat de travail est suspendu à cause d’un lock-out, ils ne peuvent travailler ailleurs durant le lock-out. Dans le cas contraire, le contrat de travail de l’ouvrier peut être résilié.
Quels droits les travailleurs perdent-ils en cas de lock-out ? Les contrats de travail des travailleurs qui subissent un lock-out sont suspendus pendant la durée de celui-ci. Le patron a l’obligation de payer le jour habituel les arriérés de salaires des ouvriers dont le contrat de travail serait suspendu en raison du lock-out jusqu’au début dudit lock-out. Les travailleurs dont le contrat de travail serait suspendu en raison d’une grève ou d’un lock-out ne percevront pas de salaire ni d’aides sociales durant cette période. Leurs primes de sécurité sociale ne seront pas payées et cette période ne sera pas prise en compte pour le calcul des indemnités de licenciement.
Pourquoi le MESS a décidé un lock-out, quel est son but ? La principale raison pour laquelle le MESS a pris une décision de lock-out est qu’il cherche à s’accaparer la supériorité psychologique. Il vise à faire peur aux ouvriers en les menaçant de chômage, à briser leur résistance et à créer les conditions dans lesquelles il n’y aura pas de pression de la base sur les syndicats qui sont devenus ses appareils afin de faire signer l’accord qu’il veut. En fin de compte, la production sera également arrêtée durant le lock-out, les patrons du MESS continueront à subir des dommages économiques. Un autre point à noter est celui-ci : le MESS a choisi cette voie, car les interdictions de grève ne sont pas garanties comme par le passé. S’il avait reçu l’assurance d’une interdiction de grève de la part du gouvernement, le MESS n’aurait pas choisi le lock-out. Au bout du compte, avec l’interdiction de grève la production est maintenue alors qu’avec un lock-out, elle est arrêtée.
Les dommages que causent le lock-out aux ouvriers sont que leurs droits économiques et sociaux sont suspendus temporairement. Les travailleurs font face à la menace du chômage, ce processus peut provoquer la démoralisation et créer des fractures. Ceci dit, il n’a pas encore créé de tels effets. Suite à la décision de lock-out, des arrêts de travail et des actions déterminées de masse ont lieu dans toutes les usines et vont en augmentant. Une autre contradiction que la décision de lock-out créera contre le MESS est qu’il deviendra particulièrement difficile d’interdire la grève que commenceront les ouvriers qui ne seront pas intimidés par la décision de lock-out. Le gouvernement qui n’aura pas interdit le lock-out des patrons perdra toute légitimité aux yeux des travailleurs s’il interdit la grève des ouvriers. Une telle décision créera la base objective pour les travailleurs de démontrer un niveau massif de radicalisme. Indirectement, la décision du MESS bouche la voie à l’interdiction de grève. Avec la décision de lock-out, le MESS s’est tiré une balle dans le pied.
La situation des syndicats
Le secteur de la métallurgie est parmi les secteurs de l’industrie de Turquie qui connaissent les flux de capitaux les plus importants. C’est le secteur où travaille le plus grand nombre d’ouvriers et qui possède les plus grandes usines. Pour les patrons de ce secteur, même une grève d’un seul jour cause de grands dommages économiques. Pour cette raison, la plus grande phobie des patrons de la métallurgie a toujours été la grève.
L’industrie de la métallurgie est le secteur où le taux de syndicalisation est le plus élevé. Comment se fait-il que dans un secteur qui n’a aucune tolérance envers la grève, le taux de syndicalisation puisse être aussi élevé ? Car le principal outil utilisé par les patrons de la métallurgie pour écarter la menace de la grève et garder en permanence les ouvriers sous contrôle sont les syndicats. Parmi les syndicats qui ont le plus grand nombre d’adhérents en Turquie se trouve Türk-Metal. Or Türk-Metal a obtenu ces adhésions de masse non par la lutte, mais parce que le MESS lui a pavé la voie et l’a invité dans ses usines. Chaque usine qui se syndicaliserait sans le contrôle du MESS représenterait une menace grave pour celui-ci. Dans cette situation, les ouvriers choisissent soit la voie de la lutte directe, soit d’établir l’unité dans des syndicats qui ne se sont pas transformés en appareils du capital.
C’est suite au coup d’État militaire du 12 septembre 1980 que le MESS a commencé à mettre en avant Türk-Metal. Alors que les ouvriers du secteur avaient peu de respect pour Türk-Metal avant le putsch, ce syndicat a été introduit dans les usines et s’est enraciné dans un contexte où le syndicat DİSK avait été fermé, toutes les organisations ouvrières supprimées et les militants ouvriers remplissaient les prisons. Türk-Metal fonctionne depuis des années comme un gang fasciste qui contrôle les ouvriers et qui réprime toute initiative de lutte avec des moyens paramilitaires. Mais il a été obligé depuis la tempête de métal de 2015 qui lui a porté le plus grand coup de son histoire d’adopter une posture aussi combative que possible, car il craignait les travailleurs et cherchait à empêcher la constitution d’un terrain de rébellion contre lui.
La situation actuelle de Türk-Metal est pire que jamais. Car la plus grande phobie de Türk-Metal est une nouvelle tempête de métal. Pour cette raison, il écoute le plus possible les revendications ouvrières et adopte une posture combative. Et plus il avance dans cette direction, plus il fait face à son maître qui lui permet d’exister, à savoir le MESS et le gouvernement. Cela explique que durant ces négociations sur les conventions collectives, la bureaucratie de Türk-Metal, tout comme le MESS, se trouvent dans une situation très difficile. Dans ce processus, la bureaucratie de Türk-Metal fera des efforts considérables afin de jouer les équilibristes et plaire à tout le monde.
Un autre syndicat du secteur est Birleşik-Metal qui est affilié au DİSK. Birleşik-Metal, qui a une longue tradition combative, se trouve depuis de longues années dans un processus de pourrissement et de lourdeur bureaucratique. Même s’il apparaît comme étant plus combatif et progressiste que Türk-Metal, en pratique il signe les copies conformes des accords approuvés par Türk-Metal, il rend passifs les ouvriers dans les luttes contre les interdictions de grèves et empêche la solidarité de classe en enfermant les luttes au niveau de chaque entreprise. Birleşik-Metal a, durant la tempête de métal, rendu inertes les ouvriers qui s’étaient détachés de Türk-Metal et avaient rejoint ses rangs, puis les a pour ainsi dire rendus à Türk-Metal.
Birleşik-Metal a décidé qu’il fallait faire grève, a déterminé la date de celle-ci, mais comme toujours, il n’a aucune préparation perceptible contre les interdictions de grève. Il a peur que la lutte s’approfondisse et prenne un caractère de masse en dehors de son contrôle. Si la lutte des ouvriers atteint un point de radicalité de masse, les bureaucrates de ce syndicat se trouveraient être des cibles de l’État. Or les bureaucrates de Birleşik-Metal craignent de faire face à l’État du capital.
Pour résumer, les syndicats remplissent la fonction de rendre passifs les travailleurs et de les garder au sein du système, plutôt que d’approfondir la lutte et la solidarité de classe. Les syndicats actuels se sont transformés en appareils de la classe capitaliste destinés à assurer la continuité du système d’esclavage salarié.
Comment lutter contre les interdictions de grève ?
Selon le droit de la Turquie, le droit de grève est protégé par la Constitution. Cependant, dans l’ordre capitaliste, ce qui protège les concessions arrachées par la classe ouvrière à la bourgeoisie n’est pas une constitution mais le cours de la lutte des classes. Le droit de grève qui est garanti par la Constitution n’est en pratique pas utilisé. Dans les secteurs à forte influence en termes de lutte de masse et de classe, les grèves sont généralement interdites sous prétexte de « menace à la sécurité nationale ». L’AKP [parti bourgeois islamiste au pouvoir] a, durant son pouvoir, interdit 16 fois des grèves.
Durant l’état d’urgence, Erdoğan a annoncé aux patrons qu’il utilisait l’état d’urgence contre les menaces de grève et qu’il avait, durant son pouvoir, débarrassé le patronat du fléau de la grève. Erdoğan se vante de réprimer la lutte des classes avec les interdictions de grève. La réponse à la question de savoir comment dépasser les interdictions de grève se cache dans la manière avec laquelle le droit de grève a été obtenu en Turquie. Le droit de grève, en Turquie, a été gagné avec la grève militante de Kavel qui ne reconnaissait pas les interdictions et qui ne se laissait pas encadrer par le système. Pour résumer, le droit de grève a été arraché par la grève. Et le moyen d’éliminer aujourd’hui les interdictions de grève passe par la grève. La grève des ouvriers métallurgistes qui approche est en même temps une lutte contre les interdictions qui étouffent la lutte des classes. Se préparer à une éventuelle interdiction de grève en s’organisant dans les comités de grève est une nécessité vitale pour les ouvriers métallurgistes.
Ce que créera une nouvelle tempête de métal
Les effets de la grève qui approche des ouvriers métallurgistes qui se trouvent être la locomotive de la classe ouvrière de Turquie ne se limiteront pas à la convention collective qu’ils vont signer. Ces effets seront importants sur l’ensemble de la classe au niveau psychologique et politique. Alors que l’opposition sociale est réprimée dans son ensemble, que les droits et libertés démocratiques sont suspendues, une grève de masse provoquera une revivification de l’ensemble de l’opposition sociale au pouvoir. Elle créera les conditions objectives pour que les masses travailleuses qui sont condamnées à se serrer la ceinture toujours plus dans les conditions de crise économique puissent crier leurs revendications face à la crise. Elle servira de référence incitant à la lutte dans d’autres secteurs de la classe.
Une telle grève a le potentiel d’être une boussole pour les luttes des masses laborieuses contre les politiques du pouvoir d’Erdoğan qui provoquent des destructions néo-libérales et contre son autoritarisme. C’est pourquoi, une grève légitime et de masse dans le secteur de la métallurgie a le potentiel non seulement de donner un nouveau souffle à la lutte des classes, mais de démarrer des combats de classes aiguisés. Les ouvriers métallurgistes ont la force et l’expérience pour réussir cela. Le plus grand obstacle qui se dresse devant eux est la bureaucratie syndicale qui se prend pour la ceinture de sécurité du capital. Les ouvriers métallurgistes peuvent, comme en mai-juin 2015, porter ce processus à la victoire en s’organisant à la base avec des comités et en ne faisant confiance qu’à eux-mêmes.
Les tâches des communistes révolutionnaires
Les militants communistes révolutionnaires doivent mettre au centre de leur activité et de leur politique la grève du secteur de la métallurgie qui a le potentiel de démarrer des luttes de classes aigues. Ils doivent aller au contact des secteurs laborieux avec qui ils ont des contacts avec cet ordre du jour.
Ils doivent faire la propagande de la nécessité de l’organisation en comités de la base comme en mai-juin 2015 et de la nécessité de faire confiance non à la bureaucratie syndicale mais à leurs propres forces.
Ils doivent organiser dès à présent des comités de solidarité avec la grève des ouvriers métallurgistes dans chaque groupe ouvrier où ils ont une influence. Ils doivent aller à ces comités avec des revendications concrètes répondant aux nécessités de la grève.
Le contenu de la solidarité de classe a été déformé ses 40 dernières années. La solidarité de classe est réduite seulement à faire entendre la voix des ouvriers en lutte, à leur rendre des visites de solidarité. Ces activités ne peuvent en aucun cas être sous-estimées ou refusées pour la solidarité de classe. Mais la solidarité de classe ne se réduit pas seulement à ces activités. Pourtant, l’arme la plus efficace pour la solidarité de classe est la grève de solidarité. Avec le putsch du 12 septembre 1980, les grèves de solidarité ont été interdites et ses 40 dernières années aucune pratique concrète n’a eu lieu pour regagner ce droit. Les syndicats, les groupes socialistes ne mettent même pas à l’ordre du jour le droit de grève de solidarité. Il est donc du devoir des communistes révolutionnaires de mettre les grèves de solidarité à l’ordre du jour des militants d’avant-garde.
Non aux interdictions de grèves !
Interdiction du lock-out !
Levée des secrets commerciaux !
Ouverture de la comptabilité des usines aux ouvriers !