L’Irlande du nord sort à peine d’une période de trois ans sans gouvernement. Le nouveau gouvernement d’Arlene Foster première ministre DUP et de Michelle O’Neill, vice-première ministre SF a remis en selle le 11 janvier une coalition improbable. Celle entre les loyalistes réactionnaires du Democratic Unionist Party (Parti unioniste démocratique, DUP, opposé au droit à l’avortement tout autant qu’à l’égalité des droits des LGBT, xénophobe, favorable à la colonisation de l’Irlande par l’Angleterre, et dont l’histoire est liée à celle des paramilitaires pro-monarchie) et les nationalistes républicains de Sinn Féin (la branche politique de l’IRA, officiellement pour l’unification de l’île et le départ total de l’État britannique). Elle a pu se réaliser sur la base d’un objectif commun dissimulé à leur base électorale, la défense du capitalisme en Irlande du Nord.
Or, les échanges entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni sont en déclin relatif : alors que la moitié des exportations irlandaises étaient destinées au Royaume-Uni en 1973, elles n’en constituent plus que 17 % en 2016. Elles s’élèvent néanmoins à 60 milliards d’euros et impliquent directement 400 000 emplois, sachant que 30 000 personnes traversent la frontière quotidiennement pour aller travailler. Par ailleurs, 30 % des importations irlandaises proviennent toujours du Royaume-Uni. L’imposition d’une frontière sèche aurait des impacts dévastateurs sur l’économie à la fois de l’Irlande du nord et de la République d’Irlande. « Si le Royaume-Uni impose des tarifs à hauteur de 15 à 30 %, alors cela devrait détruire l’agriculture irlandaise » (Mediapart, 24 juillet 2019). La bourgeoisie nord-irlandaise, en particulier sa puissante fraction agro-industrielle -pourtant la base traditionnelle du DUP–, voit d’un très mauvais oeil un Brexit. La Banque centrale irlandaise prévoit un taux de croissance entre 0 et 1 % en cas de Brexit sans accord (au lieu de 4 % sans Brexit), ainsi qu’un déficit de 100 000 créations d’emplois, soit 5 % de la population active. Un institut privé, Oxford Economics, a estimé la perte de PIB à 2 %, voire à 2,5 % d’ici à 2030.
Les États de l’Union européenne et singulièrement le gouvernement irlandais de Leo Varadkarle (Fine Gael) le savent et s’en servent d’atout dans les négociations avec l’État britannique. Le président allemand Frank-Walter Steinmeier notamment a exprimé « toute sa solidarité avec l’Irlande au sujet du Brexit » (The Guardian, 4 juillet 2019), et Michel Barnier (un ancien ministre de Balladur, de Chirac et de Sarkozy) avait été envoyé pour proposer un « backstop », c’est-à-dire une clause visant à empêcher une frontière physique entre Eire et Ulster. D’ici le 31 décembre 2020, date à laquelle les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne seraient clarifiées par un traité de libre-échange, l’Irlande du Nord conserverait les normes européennes (en matière de santé, de réglementation, de fiscalité…). Or, le DUP refuse cet accord, qui reviendrait selon lui à installer une frontière de fait entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, ce qui avait fait perdre sa majorité à la précédente première ministre conservatrice Teresa May.
L’État britannique a conscience du risque que les revendications de réunification de l’Irlande se renforcent avec les difficultés croissantes à dégager un accord sur la frontière nord-irlandaise. Sinn Féin saisit l’opportunité : « Il est probable qu’un référendum sur l’unité irlandaise ait lieu plus tôt que prévu en raison du bouleversement provoqué par le Brexit » (Michelle O’Neill, vice-présidente de SF, Irish Independant, 23 octobre). Ce parti, encore guérillériste au début des années 1980, a suivi finalement l’évolution de Fine Gael, la fraction du mouvement nationaliste qui avait accepté la partition de l’île dès 1921.
Sinn Féin est devenu à son tour un parti bourgeois. Il mise désormais, comme les partis nationalistes bourgeois écossais (SNP) et catalans (ERC, JxC), sur l’Europe capitaliste.
L’Union européenne a soutenu des projets d’infrastructure décisifs et a renforcé notre économie par la paix et les fonds structurels… le futur de l’Irlande, à la fois le nord et le sud, est dans l’Union européenne. (Martin McGuiness, 20 février 2016)
À l’inverse, seuls les travailleurs sont en mesure d’unifier l’Irlande en particulier, les îles britanniques et plus largement l’Europe.
Si vous supprimez l’armée anglaise demain et si vous élevez le drapeau vert sur le Château de Dublin, vos efforts seront vains si vous n’impulsez pas l’organisation de la République socialiste. (James Connolly, 1897)
Pour le droit à l’auto-détermination des Irlandais ! Pour la réunification de l’Irlande par un gouvernement de la classe ouvrière irlandaise dans une fédération socialiste des Îles britanniques et les États-Unis socialistes d’Europe !